Sarah Mostrel a plusieurs cordes à son arc, après avoir été ingénieur, elle s’est reconvertie dans le journalisme et mène en parallèle plusieurs activités artistiques. Cela dit, elle est poète, auteure-compositrice-interprète, peintre, romancière, essayiste et photographe.
Elle a plusieurs publications à son actif, tous genres confondus et a reçu plusieurs prix tant sur le plan national que sur le plan international.
Ce soir, c’est de son recueil de poèmes intitulé « Gris de peine » publié aux Éditions du Cygne, recueil que j’ai eu l’honneur et le plaisir de préfacer, que nous allons parler.
Sarah n’est pas allée trop loin pour trouver le titre de son recueil car en tant qu’artiste peintre, elle s’est inspirée de l’appellation chromatique « gris de Payne » qui est un gris foncé, à tendance bleue, très utilisé notamment à l'aquarelle. C’est le cas de dire qu’entre la poésie et la peinture il n’y a qu’un pas.
Elle ne décrit pas les faits de but en blanc mais les brode tout en finesse.
Certaines constructions verbales attirent notre attention comme l’emploi des vers elliptiques du verbe, il s’agit de propositions nominales qui sont d’une force très puissante (cf. 21) :
« Nulle phrase
Nulle gorge
Nuls regards
Nulle posture
Un cheminement
Sans aboutissement (programmé)
Vers la rencontre inopinée
La sente des sentiments »
Elle s’impose quelques injonctions positives par le mode l’impératif : « Vis et deviens / Ce que tu es/Ce que tu seras/Change de pas » (voir p.12.)
Là, on peut dire qu’elle cherche à conjurer sa peine et l’emploi du tutoiement remplace un je qui peine à s’affirmer ou bien c’est une stratégie d’évitement de l’emploi de la première personne.
On retrouve cet emploi du tutoiement dans les pages 53 et 56 :
« Tragédie de l’enfer via le paradis
Quel est ton choix en fait ?
Enjamberas-tu le gouffre, l’abîme antagoniste
Suivras-tu la parole ou l’allégorie ? »
« Mots de la page qui se retourne
Qui te fait voir l’avenir »
« Maintenant tu fonces
Tu fonces
Tu te dépêches de lire ce qui surviendra
Et les ailes te poussent
Tu franchis l’épilogue
Tu marques la page
Le but s’éclaircit
La fin est prometteuse »
Disons que ces extraits du poème intitulé Feel-good book augure d’un bon présage car il se termine sur une note positive. La résilience se révèle en dépit de tout le fer de lance de la nature humaine.
L’emploi de l’infinitif est manifeste à la page 28. Sarah dresse le procès verbal de la poésie; chaque vers semble être autonome; il y a une particularité dans la construction qui est très subtile : c’est l’inversion (intentionnelles ou non intentionnelles) des propositions par l’auteure. Les propositions infinitives se succèdent indépendamment et la proposition principale se trouve à la fin.
« Réhabiliter le verbe
Dire, écrire, combler les non-dits
Taire le silence
Le changer en murmures, en cris de survivance »
À cela sert la poésie »
Ce dernier vers aurait pu être est la proposition principale qui amène les propositions infinitives qui lui sont subordonnées.
Quant au dernier tercet de la page 29, il résume l’esprit profond de « Gris de peine », en ce sens qu’il explicite et justifie le choix titre.
Cela fait penser un peu à Victor Hugo dans « Les Feuilles d’automne » :
« Vieillir enfin, vieillir! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris
Boire le reste amer de ces parfums aigris,
Etre sage, et railler l'amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d'un œil mouillé de pleurs
Nos enfants, qui déjà sont tournés vers les leurs ! »
Parlons maintenant des illustrations :
La plupart des personnages qui illustrent les poèmes sont esseulés. Il y a un couple qui déambule dans une rue déserte. Les femmes ont le regard livide et sont toutes habitées par la tristesse. Il y a un homme qui fait un plongeon dans le vide. Pas de légende en dessous des images, elles parlent d’elles-mêmes.
© Maggy De Coster
À lire aussi les extraits illustrés & inédits du recueil :
Sarah Mostrel (poèmes & photos), « Extraits du recueil «Gris de peine », URL : https://www.pandesmuses.fr/noiv/sm-silence