La poétesse et chercheuse Imèn Moussa signe un retour sensible et percutant avec son nouveau recueil de poésie, intitulé « Nos coutures apparentes », publié chez Les Constellations. Préfacé par la poétesse et romancière Cécile Oumheni, cet ouvrage confirme une année poétiquement riche pour cette voix singulière de la poésie tunisienne francophone.
Dans ce nouveau recueil, le titre à lui seul suffit à poser le ton : "Nos coutures apparentes". Il évoque à la fois la vulnérabilité, la force exposée, et les blessures recousues par la résilience. En choisissant de rendre visibles ses coutures, Imèn Moussa fait un geste poétique fort : celui de revendiquer l’imperfection, la réparation et la rébellion créatrice. En effet, les soubassements politiques actuels, les turbulences des relations humaines, le pouvoir de l’amour, la beauté des apprentissages, les traumatismes collectifs sont autant de thématiques qui préoccupent la poétesse et agitent son imaginaire comme des fils tendus entre l’intime et le collectif.
« Nous avons tous traversé un incendie.
Nous nous sommes tous un jour ou l’autre pris les pieds dans la toile d’araignée de l’anxiété.
À un moment où un autre, nous nous sommes tous brisés comme une poupée de porcelaine ».
Édité chez la maison d’édition Constellations, dont le nom évoque déjà un certain imaginaire poétique, le recueil s’inscrit dans un univers entièrement engagé, où chaque poème est une tentative de dire ce qui ne se dit pas, de montrer ce qui est souvent caché. Les constellations, au-delà de l'éditeur, deviennent aussi une métaphore du tissu poétique qu’Imèn Moussa tisse entre les voix, les langues, et les histoires qui l'habitent. À l’instar d’une conteuse, elle nous emmène avec ce recueil dans les tréfonds de l’âme et dans les chemins sinueux de l’indicible.
« Elle me raconte le village des sources,
Le village où l’on a creusé autour de la fontaine pour faire pousser le nombril d’une Femme à Paroles.
À son pied ils ont inscrit quelques symboles étranges et des mots qui ne vous diront rien :
Porte tes yeux au soleil à l’heure qu’il est la gravité a perdu son sens à l’heure qu’il est ne laisse pas ta peau sur les murs ne sois plus en colère le silence, ça s’entend ! »
La préface de Cécile Oumheni, autrice franco-tunisienne reconnue pour son écriture à la croisée des cultures, vient introduire cette œuvre comme un dialogue littéraire entre deux femmes poètes issues d'horizons francophones pluriels enrichit. La couverture du livre signée par l’artiste plasticienne de renom Najet Dhahbi nous offre aussi un aperçu sensible sur ce que recèlent les pages du recueil. Tout comme sa couverture, Imèn Moussa nous met face à une écriture qui, à la fois, perturbe et rassure.
Imèn Moussa, qualifiée dans les cercles littéraires de poétesse aux multiples talents et une artiste aux flamboyantes couleurs, continue d’explorer avec passion des formes d’expression hybrides, sincères, et profondément humaines. À travers sa poésie, sa photographie, ses voix off et ses performances scéniques, elle donne voix aux silences, aux marges, au vivant, aux fragments d’identité, sans jamais avoir froid aux yeux.
« En fait, je ne conteste pas, mais j’ai tant de fausses certitudes à congédier loin de mes doigts. Nous autres, nous n’avons qu’à s’épiler les ailes pour accueillir nos troubles
Nous autres, nous n’avons qu’à remonter l’armature d’un soutien-gorge pour nous confondre avec une femme en liberté puis, de toi à moi, qui pourrait m’empêcher d’arracher mes fils et mes clous ? Si je te dérange, ferme les yeux ! »
Ce recueil s’inscrit incontestablement dans une dynamique contemporaine de la poésie francophone qui se réinvente et surprend. Ses vers deviennent le lieu du soin, de la rencontre, de résistance et de reconstruction.
Tu sais ? J’ai entendu une voix qui m’appelait. Quand je me suis retournée, j’ai cru te voir, toi, terre enracinée dans chaque cœur. J’ai souri.
« Un grand sourire comme tu les aimes. Parce que, tu sais ? Au bout du compte je me suis rappelée que ceux qui naissent sous les oliviers, cultivent à jamais une tenace liberté et se tournent toujours vers l’espoir ».
« Nos coutures apparentes » est plus qu’un livre : c’est le geste premier de la littérature : un miroir tendu vers notre humanité commune.
— La page officielle de présentation du recueil chez la maison d’édition Constellations, URL.https://editionsconstellations.fr/nos-coutures-apparentes/
En ouvrant ce livre au hasard, vous atterrirez sur des mots qui vous ressemblent. C'est le défi que s'est lancé Imèn MOUSSA dans sa poésie franche, nette et solaire. Poétesse du mouvement, ell...
— L’annonce de parution de cette œuvre par Le Pan Poétique Des Muses « Vient de paraître le recueil de poèmes Nos coutures apparentes par Imèn MOUSSA », URL. https://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientalesno4/noiv/noscouturesapparentes
Hanen Marouani (texte & photographies fournies), «Nos coutures apparentes : Imèn MOUSSA signe un recueil qui démêle l’âme », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2025 | NO III NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES », 1er Volet & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 7 juillet 2025. URL :
Pierre Kobel, le préfacier du Journal d’Éric Dubois reprend une citation de Philippe Lejeune qui affirme que « le journal n’est pas seulement un texte... » et de relever encore cette déclaration éclairante de Michelet qui disait de son journal qu’il était son « âme de papier ».
Nul doute que derrière les mots, voire les maux, Éric Dubois ne cesse de chercher à se connaître dans une quête qui transcende sa « Maladie » qui a partie liée avec la folie et dont il nous précise « N’attendez pas de moi que j’en donne une définition » car « elle ne nous est pas donnée comme intelligible ».
Éric Dubois nous confie que sa première hospitalisation « marque un tournant dans sa vie » et d’ajouter que « Par la Maladie, par ma Maladie, je devins créateur de ma vie, ayant volé le feu dans le lieu de l’inexprimable, Prométhée mal dégrossi, pour apporter la lumière aux cloisons sombres du Monde. » Dès lors, dessins, poèmes raturés ou surlignés de rouge, irruptions de personnages issus des tréfonds de son être, signes non identifiés, caractères en Hébreu viennent recouvrir les pages de son cahier de brouillon. Une semaine d’indécision « pourtant arbitrée par le Très-Haut » semble le guider, il évoque Dubuffet, Char, Picasso... Le jour de sa sortie, il écrit en avouant pratiquer ce qu’il appelle le « Mentir-vrai » si cher à Aragon.
Éric Dubois renaît dans la peau d’un écrivain alors qu’il pensait être « un inadapté social » ! Sous sa plume, on lit « Je suis du bois dont on fait du papier et des livres, mon âme est une page blanche à réécrire sans cesse, mes pensées de feuillets au vent et ma vie une librairie à ciel ouvert. »
C’est dans l’écriture qu’il se trouve une identité, son blog Le Capital des Mots fait de lui « un passeur » où des centaines d’auteurs lui doivent d’avoir été publiés.
Au pays de la Schizophrénie, qui l’accompagne depuis un quart de siècle, il finit pas associer l’écriture et sa Maladie jusqu’à déclarer « l’écriture est schizophrénie » !
Retenons ces magnifiques assertions dans lesquelles Éric Dubois se livre, l’âme nue, « Écrire me résume, résume ma personnalité et ma vie. Écrire me fait exister... »
Émaillé de croquis et de citations, son Journal nous ramène vers la lumière car son écriture est lumière. Dans une phrase luminescente, il explore ce paradoxe : « L’ombre est une part de la lumière. L’ombre nous accompagne quoi que l’on fasse de bien ou de mal. L’essentiel est de retrouver la lumière. »
Éric Dubois qui voulait « montrer la part de poésie qu’il y a dans toute maladie psychique » nous invite dans le même temps à appréhender « cet obscur qui travaille en nous » évoqué par Henri Meschonnic. En lisant son Journal, nous empruntons ce chemin de la connaissance de soi qui passe par celui de l’autre où poésie et folie font danser l’âme sur le fil ténu où celui qui s’adonne à l’écriture n’est autre qu’un funambule en quête de sa lumière intérieure.
Françoise Urban-Menninger, «Journal, récit d’Éric Dubois paru dans la collection La Bleu-Turquin dirigée par Jacques Cauda aux Éditions Douro », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2025 | NO III NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES », 1er Volet, mis en ligne le 26 juin 2025. URL :
N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | La poésie dans tous ses états / Leçons, méthodes & méthodologies en poésie & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Varia & Actualité
À l’occasion de la quatrième édition du festival « La Tour Poétique » de l’association Apulivre dont le thème était l’exil, et qui a eu lieu du 12 au 15 juin 2025 à la Maison de la Vie Associative et Citoyenne du 15è arrondissement de Paris, le philosophe et poète Salim Mokaddem, professeur émérite à l’Université de Montpellier, a donné une conférence intitulée « Exil et poésie. Langue et vérité en temps d’exil ». Voici le texte de son discours :
Le langage du poète et la langue de la poésie sont souvent difficiles à entendre car l’utilité et le quotidien de nos tâches de vie font que notre rapport aux mots est très souvent embué du rôle utilitariste ou fonctionnaliste que nous leur attribuons. La fonction symbolique du langage est alors réduite à une finalité de communication ou à une saisie pragmatique du langage en tant que tel. Les mots du quotidien, ceux de la tribu humaine, sont alors oubliés, façonnés ou malmenés dans un codage sémiotique où le sens est écrasé par la signification et où le mystère de ce qui est à l’origine du Monde des humains, qui fait de nous des parlêtres (selon le néologisme formé par Lacan), disparait dans le tumulte médiatique et informationnel de nos sociétés de flux verbaux et d’algorithmes incessants. Parler se réduit alors à communiquer des informations sur les choses qui apparaissent comme des données (data) du monde perçu, du réel de l’opinion, de ce qui fait le sens commun des choses du monde.
Pourtant, la poésie institue dans la langue un autre rapport au monde, à l’être, à la vie humaine : elle nous rend, paradoxalement, à un monde d’enfance (infari) où le mot et la chose n’étaient pas encore saisis dans l’ordonnancement des hiérarchies du discours, où la parole était créatrice et où chanter, penser, dire sont le même.
Qu’est-ce que le poème ajoute ou retire de notre rapport quotidien à la prose du monde ? Que dit le poème sur notre rapport au réel et de notre situation dans le monde ?
1 — Logos, poïesis, cosmos
La poésie est un art du langage qui exprime, à travers les mots, les sentiments d’infini se manifestant dans l’existence humaine ; elle vise donc à transformer le rapport au monde pour lui conférer un caractère plus intense, plus intime et en même temps plus spirituel, qu’on peut rapprocher d’une certaine pratique de magie ou d’action de transformation des choses de la vie en symboles et en expressions faisant du monde un autre monde, un monde transfiguré par une vision au sens plein du terme. Cette vision est de part en part une transformation de soi et du monde abolissant les divisions faciles par lesquelles nous agissons et vivons ordinairement le monde. Rimbaud a raison de parler alors de voyance ; non pas celle d’un symbolisme d’école ou de facile référence à un ésotérisme éclectique, plutôt exotique que véritablement voyageur. Le monde du poète est non pas un autre monde au sens où Nietzsche parle des arrière-mondes du religieux, mais un monde Autre qui transfigure celui dans lequel nous sommes, un monde qui apparaît comme créé, produit, inventé en même temps qu’il est nommé et dit par le langage de la poésie qui l’institue et le crée comme tel.
Cette dimension peut être lyrique, élégiaque, hymnique, voire spéculative, mais, elle est toujours musicale en même temps que fortement ancrée dans une transcendance qui donne à l’âme humaine une dimension de transport (ce que signifie le terme de métaphore) et de déplacement dans un ailleurs (qui est exil) dont le poète garde la nostalgie depuis toujours. En ce sens tout poème est platonicien car il témoigne d’une volonté ou d’un désir de retour à une vraie vie, à un Azur incontestable par lequel le langage trouve sa plénitude dans son adéquation, non problématique et arbitraire, aux signes qui sont indistinctement le chant du monde et celui de sa vérité dans la libre subjectivité infinie du poète.
Les hymnes antiques, ceux de Pindare, d’Homère, racontent ces noces de l’Autre et de l’Ailleurs dans la présence à soi (parousie) de la Parole poétique. C’est pour cela que les mots du poème sont en exil dans une langue qui ne sait plus que parler pour indiquer les choses qui sont et disparaissent aussi vite qu’elles sont nommées dans le fast-wording de l’information, non hiérarchisée au sens étymologique du terme, non sacralisée par ce que cache et ce que montre le mot qui fait advenir la chose en dévoilant sa présence sur un autre mode que celui de l’ordre du discours.
Le langage du poète est actif, efficient, effectif : il vise à produire un autre monde, dans le monde, ou, modestement, à côté de lui, pour en changer la vision sinon le cours, du moins, le sens, et, ainsi l’ancrer dans un rapport qui est à la fois un lien dialectique de justice et une production de vérité. Platon avait bien compris cela : chasser le poète de la Cité belle et bonne, parfaite, ce n’est pas invalider son art. C’est justement annoncer de façon forte et logique que le poème n’a de sens que quand la Cité est désordonnée, injuste, fausse, inique et tyrannique. Le poète témoigne alors par son Dire et son chant, d’un monde vrai et juste, qui reste en attente de sa réalisation. Le temps de l’attente est le temps de la poésie qui témoigne de sa possibilité réelle, en tant que martyr de la nécessité d’une politique de la métaphysique dans l’histoire qui l’exclut en tant que tel.
Si la Cité est juste et vraie, alors la poésie devient monde et le logos se transforme en praxis vivante de soi. Si le poème nous parle encore, c’est parce que nous sommes en exil et en nostalgie de la vérité dont il témoigne en instaurant dans la langue des travaux et des jours, le rappel, le souvenir d’un Autre monde que celui où nous vivons aujourd’hui, tels des esclaves aliénés par l’attachement à l’immédiat et à la peur de lâcher notre confort. Le poète annonce que pour vivre, tels des dieux, libres et créateurs dans une enfance qui n’a rien de mythique ou de romantisme impuissant, il nous faut agir dans la langue pour qu’elle se libère des pesanteurs et des faussetés qui la plombent et la rendent serviles ou, pire, artificielle langue de la communication sans sens ni sujet. Ainsi, les poètes sont utiles comme prophètes du vrai, et inutiles dans une société où l’amour, la justice, la fraternité lient les humains entre eux. La dialectique est paradoxale d’être si rigoureuse : nous n’avons jamais eu aussi besoin de poésie qu’aujourd’hui pour dire que notre monde est en danger d’amnésie et en mal de confondre le code et le signe, l’algorithme et le jugement, ou la pensée et la chose inerte, remplaçable et jetable dans ce que Marcuse appelle le principe de rendement. Dans une Cité juste, le poète n'a plus sa place ; dans la Cité où le philosophe est assassiné par l’opinion vengeresse et le mensonge, alors le poète a son rôle aléthurgique, transgressif et puissant, en témoignant d’un autre monde où le vrai se déploie à sa juste place.
Nietzsche, encore lui, philosophe autant que poète, annonce que le philosophe de l’avenir cherche une musique sœur du palmier, façon de lier poème et oasis dans le désert du nihilisme post-romantique qui fait la grisaille effrayante du jour qui perd son éclat d’être à ce point confondu avec le crépuscule du langage.
2 — Poésie et signification, poème et pensée : metanoïa
Platon disqualifie le poète et le sophiste - qui ne sont pas de même nature - même si ce n’est pas de la même façon, du fait que la poésie institue une vraisemblance dans le dissemblable, une doublure ontologique disqualifiant l’être authentique et l’essence de l’Idée dans son apparaître. Nous avons expliqué que le moment poétique est toujours pertinent tant que les rois ne seront pas philosophes et les philosophes magistrats de la Belle Cité. Si le sophiste, disqualifié comme apologue du non-être, instaure du faux dans le vrai, le poète est encore utile dans la fausseté du monde en ce qu’il appelle à une conversion vers la pensée authentique à l’origine du poème, à savoir l’être reconnu dans sa vérité et sa justice comme but du discours et éthique de l’action. C’est le sens de la production de l’acte du dire-vrai qui fait la poïesis du poète.
Le poète n’est pas un emberlificoteur ontologique ou un substitut de magicien cherchant à embellir les dures réalités de la vie : son rôle est de témoigner de la présence de l’Autre, et d’un autre monde que celui qui nous rabat sur le réel le plus immédiat et amnésique.
Le poète parle d’un lieu qui n’est pas celui qu’habite l’humain pris dans le souci quotidien de l’immédiateté, de l’être-là des choses de la vie : son exil l’oblige à inventer le langage de la nomadisation. Il n’est ni un savant, ni un professeur, encore moins un pédagogue ou un annonciateur au sens religieux du terme ; s’il parle d’un lieu qu’il n’habite qu’en parole, dont il est exilé du fait de la situation du Monde qui fait de l’utilitaire, de la fonctionnalité, du pragmatique, le sens de son réalisme, le poète appelle à vivre l’étrangeté de sa situation en faisant de la langue le lieu même de son être ailleurs, de son être autre, de son être Ange. Tout poème parle d’un lieu quitté et d’un lieu à venir ; l’entre-deux de cette situation fait la beauté et l’inquiétante étrangeté de sa langue.
Toute poésie est en ce sens pensante car elle parle d’un lieu réel qui n’est pas encore là, qui ne l’est que dans la parole du poète, le poème étant le langage ramené à sa vérité ultime : convertir le regard de l’humanité vers ce qui lui donne consistance. La parole du poète parle donc de ce qui n’est pas là, et qui est de ce fait indicible. Cet ineffable fait le devoir dire de l’exilé de son lieu-dit. Le langage manifeste alors dans sa langue intime le sacré que recèle l’exilé en tant qu’il apporte dans son mystère l’ailleurs qui fait trembler la langue sur son socle de liant politique, commun et reliant. Le poète est tout sauf un religieux du Verbe : il manifeste le sens du dire dans la parole exprimée depuis ce lieu qu’il ne cesse de dire, faisant mentir la philosophie pragmatique et paresseuse consistant à penser que ce qu’on ne peut dire il faut le taire (Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus). Il faut plutôt dire ce qu’on ne peut pas ne pas taire ; telle est l’éthique courageuse du poète et le sens de son exil dans les structures anonymes du langage. Il fait de cet Impossible de la dicibilité totale, l’objectif de sa tâche infinie : conjoindre penser et parler dans une érotique du sensible et du signe rendant l’exil du Sens moins cruel et surtout temporaire, malgré l’absoluité du geste radical consistant à opposer à la souffrance infinie de l’absence l’incarnation de la Parole dans le Verbe poétique.
3 — Offertoire : le logos en attente de son Peuple
Nous avons vu que le poème ne se dit que du fond d’un retrait de soi dans l’exil de toute vérité satisfaite, dans l’inquiétude de la non-demeure qu’est devenue la Parole disséminée dans le bruit et la fureur du monde. Il y a des vertus communes au philosophe et au poète ; c’est pourquoi ils se reconnaissent sans s’admettre comme tels dans un monde qui rend le langage en exil de sa propre manifestation. Le Logos du poème ou sa possibilité comme surgissement, effraction d’un Autre dans le Même, rappelle que parole poétique et discours philosophique s’efforcent de trouver un pays, un territoire, un lieu et une formule qui permettent la réconciliation de la chair et de l’Esprit dans les Noces silencieuses – mais non muettes ! – du futur comme souvenir du témoignage, du martyr du langage sans oubli.
Incarner le sens de l’exil, qu’il soit celui de l’histoire, de l’amour, de l’être ou de la terre, fait du poète un étranger à ce monde lisse et poli qu’est le monde normalisé de la domination arrogante ou du conformisme facile qui cherche toujours à se faire adouber par un monde malade, violent, brutal, qui nie la possibilité de le contester comme tel.
Tous les poètes du monde entier et de l’histoire des exilés savent que leur avenir est celui d’une résistance totale à la numérisation de la langue, au consumérisme des langues de bois et binaires, voulant écraser le Signe sur le Présent de sa répétition sans histoire.
Bien sûr qu’il ne suffit pas de dire pour faire, mais il est indéniable que le faire le plus authentique cherchera toujours son Verbe duquel nous sommes exilés dans un monde de l’urgence et du rendement qui nous prend âme, vie, esprit, éros et nous oppose comme des machines désirantes à d’autres machines, ne désirant peut-être rien d’autre que le mécanisme de leur conatus répétitif. Tout poème est d’exil et inchoatif : le poète, lui-même exclu du langage du Tout et de tout le monde, donc de personne, cherche dans l’intensité de son dire la juste et parfaite présence absente du langage à sa faille, à sa déhiscence devenue force de manifestation d’une géographie à venir.
L’exil du poème traduit l’attente d’une langue pour un peuple à venir, sans Terre, sans sang assigné, sans identité préconstruite. Chaque poésie construit alors ce peuple en exil de son Histoire, et devient ainsi un baptême de l’Absence à soi de l’être et de la pensée.
Tâchons de faire de notre exil dans la langue et de notre nomadisme dans ce monde les éléments vivants qui donnent à notre situation singulière à la fois le désarroi de l’enfance et la passion vive, autant qu’impossible, de l’amour infini nous rendant dignes d’accueillir le poème et de faire de notre exil la chance de diminuer les effets, dans ce monde, du péché originel qu’est la perte du Logos.
Je fais le pari que cet exil est une chance, une liberté, dans l’inconfort qui nous permet encore de parler autrement qu’en consolidant la misère du monde.
*Les revues Le Pan Poétique des Muses & Orientales publie pour la première fois ce texte de la conférence avec l’aimable autorisation du conférencier.
Biographies
Salim MOKADDEM est philosophe, écrivain, poète, expert technique international, membre de l’Unesco (GME), membre du Centre national de la recherche brésilien, professeur émérite à l’Université de Montpellier, auteur de nombreux livres (essais philosophiques, contes, romans) et il anime un blog (URL. www.salimmokaddem.com).
Arwa BEN DHIA est née en 1986 en Tunisie qu’elle quitte en 2009 pour poursuivre ses études d’ingénieur télécoms en France. Elle est docteure en électronique, ingénieure brevets, poète polyglotte, traductrice, autrice, ambassadrice de la Paix (CUAP) et préfacière de plusieurs recueils de poésies. Son dernier recueil « Les quatre et une saisons » coédité en octobre 2024 par les éditions du Cygne en France et les éditions Arabesques en Tunisie a reçu un Diplôme d’Honneur 2024 décerné par la Société des Poètes Français, ainsi que le prix littéraire Dina Sahyouni 2025. Ce recueil a été transcrit en braille. Arwa a participé à plusieurs revues et anthologies poétiques et est membre de plusieurs associations culturelles, comme la Défense de la Langue Française et la Société des Gens de Lettres.
________
Pour citer cet article illustré & inédit
Salim Mokaddem, « Exil et poésie. Langue et vérité en temps d’exil », Avant-propos & photographies par Arwa Ben Dhia, Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2025 | NO III NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES », 1er Volet & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 25 juin 2025. URL :
Henri Rousseau
(dit Le Douanier Rousseau, 1844-1910)
Crédit photo : Henri Rousseau
(dit Le Douanier Rousseau, 1844-1910), «La guerre », peinture tombée dans la domaine public, capture d'écran de l’image libres de droits du site Wikipédia. Illustration choisie par la poète.
Pour citer ce poème pacifique, politique illustré & inédit
Françoise Urban-Menninger, «les charniers de l’humanité » avec une peinture par Henri Rousseau (1844-1910), Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2025 | NO III NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES », 1er Volet, mis en ligne le 11 juin 2025. URL :
Crédit photo : Mary Cassatt (1844-1926), « La tasse de thé », 1880, peinture tombée dans la domaine public, capture d'écran de l’image libres de droits du site Wikidata. Illustration choisie par l’autrice.
Dans le vase bleu roi, trois tulipes d’un rouge pourpré, courbent leur tête bombée aux pétales dilatés vers le filet de lumière qui filtre parcimonieusement entre les persiennes.
Le silence habite la pièce et l’habille de volutes invisibles qui serpentent d’objet en objet, de la bergère au bibelot raffiné, à la photographie jaunie et surannée où posent deux jeunes mariés du siècle dernier, du napperon en dentelles crochetée à l’œuf d’oie peint, ramené d’un lointain voyage dans une île grecque.
Tous ces objets ont leur place attribuée et s’y tiennent, confinés et immobiles dans une conversation silencieuse quotidienne, gracieuse et volubile, perçue d’eux seuls dans l’intimité des murs qui les abritent.
Parfois dans ma solitude, je deviens l’un de ces objets. Je me fonds dans le décor et suis tour à tour, ce coussin de soie parme, ce rideau d’organdi ajouré ou cette poupée en celluloïd au sourire figé. Je n’ai plus de corps, je m’évapore, me dissous dans les airs, légère, aérienne et n’ai pas plus de consistance que la transparence de ma pensée.
Mon âme, seule, vagabonde à la rencontre de toutes ces âmes qui émanent de chacun des objets qui occupent le salon. Une vraie fête commence alors, faite de conciliabules, de rires étouffés, de confidences ineffables et froufroutantes… Et quand je prends mon thé dans ma tasse en porcelaine fine, liserée d’or, des esprits tout exprès sortis des murs, des tentures et des tableaux, viennent me rejoindre sur le canapé fleuri où déjà deux oiseaux des îles piaillent et babillent en dérobant, de leur bec doré, grand comme un dé à coudre, les quelques miettes qui tombent de ma tranche de cake.
Tout le salon s’anime d’une vie sémillante et ravie d’émerger d’un trop long sommeil. De lointains parents, des amis disparus, aux traits que je croyais avoir oubliés, avancent leur visage de revenant et me font signe dans le feuillage de lierre qui déborde les murs de ma maison pour s’inviter dans mon salon. Des voix, au timbre indéfinissable et pourtant familier, m’enveloppent de leur tessiture et me parlent jusque dans la soirée où la demi-pénombre m’impose d’allumer les lampes du séjour.
Alors autour de moi, tout n’est plus que débandade, tout se défait et s’anéantit. Une agitation de lendemain de fête, amère et frustrante, succède à mon trop court moment de plénitude où le temps avait arrêté son cours.
Toues les âmes, bien trop sages, rejoignent leurs secrètes alcôves, pendant que moi, reprise dans le filet des habitudes, je renoue avec les apprêts de mon être civilisé et policé. Je regagne mon corps, reprends mon masque de mascarade, réajuste mon sourire de comédie devant le miroir qui ne me renvoie que l’apparence de mon vrai moi.
Mon âme, elle, danse encore sur le bord de ma tasse de thé où les deux oiseaux n’ont pas fini de picorer l’ennui qui les dévore en silence.
Françoise Urban-Menninger, «L’âme des choses » avec une peinture par Mary Cassatt (1844-1926), Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2025 | NO III NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES », 1er Volet, mis en ligne le 11 juin 2025. URL :
RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION !
Cette section n'a pas été mise à jour depuis longtemps, elle est en travaux. Veuillez patienter et merci de consulter la page Accueil de ce périodique.
CÉLÉBRANT LES AUTRICES EXILÉES, IMMIGRÉES, RÉFUGIÉES... LE 8 MARS DE CHAQUE ANNÉE, LE PRIX LITTÉRAIRE DINA SAHYOUNI (PORTANT LE NOM DE LA FONDATRICE DE LA SIÉFÉGP ET DE CETTE REVUE) REDÉMARRE À PARTIR DU 14 JUILLET 2025 POUR L’ÉDITION DU 8 MARS 2026....
N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Critique & réception | Poésie & musique Poésie & musique sur le Dichterwag (sentier des poètes) de Soultzmatt en Alsace Chronique de Françoise Urban-Menninger Blog officiel : L'heure du poème...
N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Essais ou manifestes | Leçons, méthodes & méthodologies en poésie | Revue poépolitique Des mots pour vaincre & convaincre Article inédit par Maggy de Coster Site personnel Le Manoir Des Poètes...
N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Muses & Poètes... | Florilège / Poésie érotique Seize poèmes traduits du kurde sorani Poèmes d’amour par Arsalan Chalabi Auteur de treize recueils de poésie et de fiction en kurde et en persan....
N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | La poésie dans tous ses états / Leçons, méthodes & méthodologies en poésie & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Varia & Actualité Exil & poésie. Langue & vérité en temps d’exil Conférence par...