11 avril 2025 5 11 /04 /avril /2025 15:58

Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Revue culturelle des continents

 

 


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Des patrimoines séfarades marocains

 

 

 

Texte par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, artiste peintre & poète

 

Photographies par

 

Élisabeth Bouillot-Saha

 

Artiste photographe

 

 

​​​​​© Crédit photo : Élisabeth Bouillot-Saha, « Mustapha Saha et Serge Zafrani, fils unique de Célia et Haïm Zafrani ».

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Paris. Jeudi, 10 avril 2025. Il est utile de rappeler l’histoire des peuples juifs, des humains parmi d’autres humains, génératrice circonstanciellement, depuis l’antiquité, de génies philophiques, littéraires, scientiques, artistiques, de multiples œuvres enrichissant de manière exceptionnelle le patrimone de l’humanité. Le destin des séfarades est pontuée litanies douloureuses de persécutions, de discrimations, de marginalisations, d’exclusions, de proscriptions, de relégations, d’expropriations, de déportations, d’épurations, d’éradications, d’exterminations dans le sociétés occidentales. Le Maroc fait figure d’exception. En dehors de troubles épisosodiques, terribles, en lien avec les guerres tribales, les crises de succesion, les abus de pouvoir, juifs et muslmans vivent en symbiose selon la formule de Haïm Zafrani. Ils cohabitent dans les quartiers populaires. Ils partagent les fêtes  familiales,  les musiques traditionnelles, les coutumes locales, les solidarités quotidiennes. Les mellahs des grandes villes, espaces autogestionnaires, avec leur ardeur artisanale, leur effervescence commerciale, leurs bijouteries attractives, leurs consultations occultes sont ouverts aux chalands en quête de bonnes affaires.    

 

Les Séfarades.

 

Originairemet les séfarades sont les juifs expulsés d’Espagne et du Portugal à la fin du XVème siècle après la prise de Grenade par les chrétiens. Le mot séfarade est un hapax qui n’a qu’une occurrence. Il apparaît une seul fois dans la bible dans la phrase « Les déportés de Jérusalem qui sont en Séfarad ». Séfarad désigne ici Sardes, ancienne ville d’Ase mineure, capitale de la Lydie sur la rivière Pactole, ancien royaume de Crésus, des mots entrés dans la langue française avec des expressions familières qui signifient opulence. Dans la langue hébraïque du Moyen Âge, séfarade désigne les juifs de la péninsule ibérique, et par extension, les juifs du Maghreb et du Moyen Orient qui partagent les mêmes rites. L’époque andalouse constitue un âge d’or pour l’épanouissement, dans l’interculturalité, des lettres, des arts et des sciences où les juifs prennent une part active. Ainsi Moïse ibn Ezra (1058-1138), poète, philosophe, rabin, auteur d’une œuvre poétique, profane et religieuse, du Jardin de la métaphore en arabe, un classique de la philosophie médiévale. Ainsi Salomon ibn Gabirol (1021-1058), poète, philosophe, théologien, rabin, adepte du néoplatonisme, influenceur des scolasticiens chrétiens, notamment Albert le Grand et son élève Thoms d’Aquin. Salomon ibn Gabirol soutient l’incognicibilité de Dieu :  « Connaître l’essence première sans les créatures qu’elle a produites relève de l’impossible. Ce qui est possible, c’est de l’appréhender, mais uniquement par les œuvres qu’elle a produites » (Salomon ibn Gabirol, Le Livre de la Source de vie, traduction française éditions Hermann,  1992).

 

Moïse Maïmonide.

 

Ainsi Moshe ibn Maïmon, Moïse Maïmonide (1138-1204), philosophe, métaphysicien, astronome, médecin, théologien, rabin, talmoudiste, auteur du Mishné Torah, l’un des plus importants codes de loi juive. Il entreprend, comme son aller ego musulman Ibn Rochd, Averroès (1126-1198), de concilier la révélation des livres sacrés et la vérité scentifique représentée par le système aristotélicien. Thomas d’Acquin surnomme Moïse Maïmonide L’Aigle de la synagogue. Il existe deux lectures de la philosophie maïmonidienne, la première la considère comme une synthèse du judaïsme et de l’aristotélicisme, la seconde voit l’aristotélisme comme vérité et le judaïsme comme allégorie. « Il n’y a aucun moyen de percevoir Dieu autrement que par ses œuvres. Ce sont ses œuvres qui indiquent son existence. Il faut donc nécessairement examiner les êtres dans leur réalité afin que chaque domaine de la science puisse fournir des principes vrais et certains fondateurs des recherches métaphysiques » (Moïse Maïmonie, Le Guide des égarés, traduction française éditions Verdier, 1983). Objet de discorde pendant des siècles, la philosophie de Moïse Maïmonide apparaît aujourd’hui comme une pensée vivante et régénérante.

La vie de Moïse Maïmonide est emblématique des destinées séfarades. Le philosophe vit cinq ans à Fès, de 1160 à 1165, où il ridige ses traités majeurs en arabe.  La vieille maison est toujours nichée au cœur de la vieille ville, dédale de venelles plantées d’échoppes pittroresques. La façade présente, sous alignement de petites corniches, l’horloge Bouinaniyya. « C’est la Magana, l’horloge mécanique dont on perçoit encore sur la rue les treize timbres en bronze , pareils à des cuvettes, posés chacun sur un support mécanique, à quelques mètres au-dessous de consoles de bois également sculptées » (Alfred Bel, Inscriptions arabes de Fès, Journal asiatque, Juillet 1918). « Au premier étage de ce cet édifice du XIIème siècle, une rangée de treize consoles fixées dans le mur et qui supportent treize vases en bronze. Il n’y a aucune explication satisfaisante de la signification de ces treize coupes. Une énigme archéologique » (Edouard Montet, La Maison au treize coupes à Fès, Bulletin de la Société de géographie de l’Afrique du Nord, 1923). La fonction principale de cette mécanique est d’indiquer l’heure, égale au douzième de l’intervalle de temps entre le lever et le coucher du soleil quelque soit la saison. Une heure en usage dans le monde gréco-romain, utilisée jusqu’au XIXème siècle dans la sphère atabo-musulmane. Techniquement, une interface sonore et visuelle, actionnée par des cymbales et des volets. À la fin de chaque heure, une boule en bronze tombe dans la symbale correspondante. Le volet qui lui correspond s’ouvre. La première cymbale à droite n’a pas de volet. Elle indique seulement le démarrage de la journée et plus exactement le sobh, l’aube, l’heure zéro. L’énergie est assurée par un moteur hydraulique manié avec des cordes, des poulies et des contrepoids. La régulation est astronomique à tympan. Des techniques transmises par les arabes, crées par l’ingénieur Ctésibios d’Alexandrie du troizjème siècle avant l’ère chrétienne, fondateur de l’école des mécainiciens grecs, inventeur de l’horloge à eau clypsydre, de l’horloge musicale,  de l’orgue, du piston, du clavier, de la soupape… La légende raconte que l’horloge de Fès a été mise en mouvement par un magicien surdoué. Un autre magicien juif au pouvoir supérieur, qui ne serait que Moïse  lui-même,  décide de l’arrêter définitivement quand il est contraint d’abandonner sa retraite marocaine et de s’exiler en Égypte. « Je quitte cet asile où le temps ne court plus » écrit-il.

Il existe une autre version qui fait remonter la construction de l’horloge Bouinaniyya, en concordance avec le nom du créateur, au milieu du quinzième siècle, soit trois siècles après le séjour de Moïse Maïmonide, qui  a probablement habité une demeure mitoyenne de la Maison aux horloges. « Abou Inan fait construire une magana avec des coupes et des écuelles de cuivre jaune, en face de sa nouvelle médersa au Souq el Qaçr. Pour marquer chaque heure, un poids tombe dans une coupe, suscitant l’ouverture d’ fenêtre. Ce ouvrage est finalisé en 1357 par l’astronome Abou el Hasan Ali Ben Ahmed el Tlemçani ». (Abou Al Hassan el-Jaznai, Zahrat el-As, La Fleur du myrte, traduction française par Alfred Bel, 1923). La véracité de la légende, quand elle imprime l’histoire, vaut, après tout, l’authenticité sélective des chroniqueurs de l’époque. Lire utilement : Roger Le Tourneau, Fès avant le Protectorat, éditions Publications des Hautes Etudes Marocaines, 1949.

 

Les juifs fassis étaient 16 000 en 1950. Ils ne sont plus qu’une centaine de retraités. S’accumulent dans la maison attribuée à Moïse Maïmonide des reliques issues de la grande synagogue, des écoles religieuses, des chandeliers, des mezouzahs, des torahs, des pièces de plusiuers siècles ignorées des muséographes. Tout est figé dans le temps. La maison d’Harambam, d’Harabino Moshé ben Maïmon, de Maïmonide,  désignée par les locaux par des noms divers, promise au rang de marabout,  est vénérée par les juifs et les musulmans. Le musée de la culture juive de Fès, symbole de fraternité, s’installe au cœur de médina.

 

Les juifs marocains.

 

Les juifs marocains sont descendants des tobashims, tribus berbères judaïsées aux temps des phéniciens et des romains, et des magorashims, exilés de la péninsule ibérique après la Reconquista. La majorité de ces juifs sont des artisans, des boutiquiers, des agriculteurs dans les montagnes de l’Atlas. Des commerçants, des médecins, des lettrés, des tordjmans, des intrepètes, des traducteurs, des conseillers occupent des postes prestigieux auprès des califes almoravides, almohades, mérinides, des sultants alaouites. Les juifs marocains sont marocains avant d’être juifs. Dans tous les secteurs sociétaux, juifs et musulmans cohabitent, semblables et différents, toujours compélmentaires. La masse juive, réduite à la misère par l’industrialisation, s’occidentalise progressivement par l’intermédiaire de l’Alliance Israélie Universelle, redoutable machine l’intégration coloniale. Les juifs, rescapés de la terreur vichyste grâce  à la protection royale, se schizophrénisent entre ancestralité marocaine, attraction française et sirènes sionistes. Des intellectuels juifs, comme Simon Lévy, Albert Fasson, Abraham Sarfaty, Haïm Zafrani, Edmond Amran El Maleh s’ngagent a contrario, au sein du parti de l’Istiqlal, du Parti communiste, dans la lutte contre le colonialisme. Aux lendemains de l’indépendance, les juifs jouent, pendant deux ans, un rôle de premier plan dans la construction du nouveau Maroc avant que l’exode ne les disperse dans le monde.  Le médecin Léon Benzaquen est nommé ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones. Serge Berdugo, ancien ministre du Tourisme, est aujourd’hui ambassadeur itinérant du Roi. Les juifs marocains, immigrés à l’étranger, brillants hommes d’affaires et banquiers comme Yariv Elbaz, les frères Michael et Yoel Zaoui, demeurent des intercesseurs discrets et performants du Royaume. Les juifs de double nationalité, essaimant sur tous les rivages, immergés dans les cercles influents, brandissent leur passeport marocain comme une mascotte sacrée. Chaque année, 50 000 juifs reviennent en pèlerinage au Maroc.

« Après l'indépendance du Maroc, nous avons créé un mouvement appelé Al Wifaq,  L'Entente,  pour retrouver un terrain commun à l'ensemble des populations, juives et musulmanes. C’était une urgence, car le protectorat a tenté de gommer tout ce qui pouvait rassembler les différentes composantes de la nation marocaine. Pour l'historien, la connivence entre juifs et musulmans est un fait notoire. Elle s'est développée dès l'avènement de l'Islam, surtout avec l'Âge d'Or de la civilisation arabe aussi bien en Orient qu’au Maghreb et en Andalousie. Cet Âge d'Or a duré du huitième au quinzième siècle, des Omeyades à l'édit d'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492. L’exemple de pèlerin du monde judéo-arabe est le savant juif cordouan Moïse Maïmonide. Il est l’émanation d'une société, d'une civilisation et d'une culture symbiotiques. Ses maîtres arabes lui apprennent l'histoire naturelle, la médecine et la philosophie. À cette époque, on échange en même temps les marchandises et les idées. Les juifs sont les courtiers de la civilisation arabo-musulmane. Ils ont une connaissance parfaite des langues hébraïque, arabe et romane, de l'espagnol, du provençal et du latin. Ils étaient porteurs des sciences et des cultures médiévales. La coexistence entre juifs et musulmans est pacifique et fructueuse, sauf pendant les périodes de passions et de violences qui marquent les interrègnes, les révolutions de palais, les grands bouleversements dynastiques. Ces crises cycliques sont effectivement jalonnées de massacres, de pillages frappant des populations innocentes, juives et musulmanes. Les juifs paient le tribut le plus lourd. Ils se voient en outre forcés à la conversion ou à l'exil quand les troubles politiques se compliquent de guerre de religion, comme c’est le cas à l’époque almohade. Mais demeure toujours la symbiose réalisée dans la poésie. C’est par la poésie que les juifs restaurent la langue hébraïque. La métrique arabe est adaptée au prix parfois de quelques aménagements. Sur le plan philosophique, les maîtres musulmans  enseignent aux disciples juifs et réciproquement. Moïse Maimonide, par exemple, donne des cours d'anatomie à l'université islamique de Fès, la Quaraouiyine. Contrairement au monde chrétien de l’époque, dans la civilisation judéo-arabe, l'artisan et l'homme d'affaires peuvent être des lettrés d'un haut niveau, des philosophes et des sages. Les juifs sont, par ailleurs, les gardiens des traditions musicales, andalouses et maghrébines. Lorsqu'un sultan musulman veut appliquer la loi dans toute sa rigueur, il interdit la musique andalouse. Cette musique se réfugie alors dans les mellahs. La littérature orale permet une communication permanente, un syncrétisme des croyances populaires. L’exode des années cinquante et soixante a été une savante exploitation d’une peur étrange. Mes premières enquêtes ont lieu la veille de l'émigration des communautés juives bimillénaires, des berbérophones et arabophones de l'Atlas et du Sud marocain. J'assiste, à cette occasion,  à quelque chose d'ahurissant, le départ, en l'espace d'une nuit, de communautés entières. Ces communautés, du fait de leur foi, de leur atavisme sont préparées psychologiquement et religieusement à l'avènement du Messie. Elles croient probablement que le Messie est arrivé. Elles partent en Terre sainte. Il y a aussi une sorte d'appréhension du lendemain, la peur d'une révolution, comme la révolution irakienne ou nassérienne. Les juifs marocains craignent des événements similaires, une crainte entretenue, instrumentalisée par certains milieux. Mon histoire est différente. J'ai vécu dans le voisinage d'une famille musulmane. Ma mère et ma grand-mère passaient avec leurs amies musulmanes  de longues veillées.  J'ai eu par ailleurs, des responsabilités dans l'enseignement de l'arabe, dans la Ligue contre l'analphabétisme, au lendemain de l'indépendance. J'ai fait partie de la commission royale de la réforme de l'enseignement. J'ai moi-même participé à la formation d'enseignants. J'ai aussi travaillé à la reconversion de l'enseignement israélite qui était rattaché, jusque-là, à l'enseignement européen où la langue arabe était absente. Tout cela prouve qu'en tant que juif, je me suis toujours senti proche de mes compatriotes musulmans. Les juifs et les musulmans dans certains pèlerinages, dans certains moussems, vénèrent les mêmes marabouts. Ainsi, par exemple, le saint de Tamast, dans la vallée du Souss, est un juif. Les juifs et les musulmans encensent pareillement sa tombe. Dans le cimetière de Talborjt à Agadir, le saint juif Khelifa Ibn Malka est enterré à côté de Lalla Sefia, sainte musulmane. Les deux saints font l’objet de la même adulation » (Haïm Zafrani, Entretien, Le Monde, 31 octobre 1977). Qui, mieux que Haïm Zafrani, peut clarifier aussi limpidement l’histoire des juifs marocains ? Les juifs marocains, berbères judaïsés à l’époque phénicienne, n’ont rien à voir avec le Moyen Orient. Ils se sont, à travers les âges, une judaïté propre, un patrimoine spirituel, philosophique, littéraire, artistique singulier, substantielle, à part entière, de la culture marocaine. 

Le Maroc rénove à tour de bras des dizaines de synagogues, de cimentières, de sanctuaires. Le vieux quartier juif de Marrakech, à deux pas du souk aux épices, également restauré, récupère son nom de mellah. Les ruelles retrouvent leurs plaques en hébreu. La synagogue Lazama, faute de fidèles,  accueille les touristes. Le lieu de culte remonte à la fin du quinzième siècle. La synagogue des exilés, désertée depuis l’expatriation massive de ses pratiquants, retrouve sa vocation mémorielle. Les petites classes destinées aux élèves juifs descendus des montagnes pour s’initier à la Torah, se transforment en petit musée où des photographies déteintes rappellent l’histoire d’une communauté dispersée aux quatre coins de la planète. Le Maroc compte 300 000 juifs dans les années cinquante. Il est saigné à blanc par l’une des expatriations massives les plus hallucinantes de l’histoire. Beaucoup de juifs marocains, aujourd’hui, indéfectiblement attachés à leur terre ancestrale, revisitent leurs racines. 

Dès l’antiquité, le site d’Amagdoul ou Mogador, devenu Essaouira, avec ses gisements de fer et ses ateliers fabriquant la pourpre, attise la convoitise des navigateurs phéniciens, grecs et romains. Des juifs seraient venus avec ces explorateurs dans le village de Diabat, à proximité de la ville actuelle. La communauté juive d’Essaouira, aujourd’hui dispersée, a connu, pendant les deux siècles de son épanouissement, une constante mobilité. Les dix premières familles juives, cœurs battants du commerce, gratifiés de privilèges spéciaux, s’établissent en 1764 à la demande du sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, édificateur de la cité, sur les conseils de Samuel Sumbal, ministre des Affaires étrangères, tombé plus tard en disgrâce, mort empoisonné à Tanger. « La ville d’Essaouira devient rapidement le port maritime le plus actif. Des marchands européens, musulmans, juifs,  y construisent des maisons, attirés par les droits avantageux de douane » (Daniel Schroeter, The Sultan’s Jew, Morocco  and the Sephardi World, éditions Stanford University Press, 2002). 

La correspondance du consul général Louis Chénier, chargé d'affaires de la France au Maroc entre 1767 et 1782, est précieuse pour comprendre la situation marocaine sous le règne de Sidi Mohammed ben Abdellah. Au XVIIIème siècle, le commerce entre la France et les ports marocains se réduit à peu près aux échanges suivants : le Maroc achète aux négociants français des toiles de lin de Bretagne et autres, quelques balles de soie pour les fabriques de Fez, du coton brut, de la mercerie, des draps, des papiers grossiers, un peu de sucre et de café,  du soufre enfin, vendu directement au sultan, qui s'en réserve le monopole. Les navires français chargent, en échange, de la laine brute, de l'huile, du crin, de la cire. La masse des importations dépasse sensiblement celle des exportations, de sorte que les commerçants français doivent faire la balance, non pas en monnaie française, mais en piastres d'Espagne, ou encore par le transport des produits étrangers, comme le fer de Biscaye. Chénier estime cependant que le commerce français n'est pas au Maroc un commerce passif, puisqu'on en retire, dit-il, « des matières propres à alimenter nos manufactures, ce qui permet de nouvelles occasions de réexportation et d'échanges ».

Louis Chénier décrit ainsi le sultan Mohammed ben Abdellah dans son mémoire du 15 février 1777 : « L'empereur régnant, âgé d'environ 63 ans, est né avec un jugement solide et avec des dispositions à acquérir des connaissances, s'il en a l'occasion. Son père l'envoie à La Mecque, jeune, pour lui faire mériter la vénération des peuples en conformité avec la tradition du Prophète., Mais, toutes les qualités de ce prince et toutes les perfections qui peuvent concourir à sa gloire et au bonheur de ses sujets, sont obscurcies par une avidité insatiable, qui détruit chez lui les principes de toute justice, rend ses peuples malheureux et trouble son repos. Ce prince ayant, du vivant de son père, le gouvernement de Safi, où se regroupent des négociants de toutes les nations, prend des idées rapides, des connaissances générales et bien imparfaites, des images de l'Europe concernant une sorte d'administration, la discipline militaire, la navigation, le commerce, les impôts, etc., idées que le défaut de principes, le pouvoir des préjugés et une habitude prédominante des usages opposés ne permettent pas de mettre en pratique ni d'en faire une juste application. Ce prince en  adapte quelques faibles manières au gouvernement de ses États, autant qu'elles sont conciliables avec les convenances de sa passion dominante, avec cet esprit d'intérêt, qui détermine ses résolutions et fait la base de son système. L'empereur régnant, à la vérité, ne souille pas son trône du sang de ses sujets, comme l'ont fait ses aïeux, du temps où cette cruauté pouvait peut-être devenir nécessaire. Mais, occupé du désir d'amonceler des richesses dans ses trésors, son pouvoir absolu lui en rend tous les moyens praticables légitimes, tantôt par des impositions forcées sur les provinces, sur les productions des terres, sur les douanes, et plus fréquemment encore par des amendes pécuniaires sur les particuliers, sous le moindre prétexte, pour soupçon ou accusation fondée, par le vol même. Par ce renversement de l'ordre des choses, la probité n'a aucun asile assuré. Le crime mis à prix trouve une sorte d'encouragement dans sa peine. Ce qui entraîne la dissolution dans les mœurs de la nation et toutes les misères qui en sont la suite. Ce prince, capable de quelque résolution,  manifeste du courage à l'occasion. Mais, on peut être trompé dans les apparences. Il est des gouvernements qui, par leur nature, exigent et inspirent une sorte de vigueur, que l'oppression des sujets fait encore éclater davantage. Ce n'est pourtant point la valeur ni la fermeté. Ce n'est pas cette élévation d'âme qui tient au caractère. C'est une bravoure artificielle, qui disparaît au moindre travers, qui s'anéantit avec l'âge. Les passions qui avilissent l'âme ne sont point celles des héros. Elles sont incompatibles avec la véritable grandeur » (Journal du Consulat général de France au Maroc (1767-1785), texte publié par Charles Penz (Casablanca, 1945). On comprend aisément les arrière-pensées coloniales qui président à l’édition de cet ouvrage. Il n’en reste pas moins un témoignage de première main, contredisant les préjugés d’enfermement et d’isolement accolés à l’Empire Chérifien. 

 

© Crédit photo : Élisabeth Bouillot-Saha, « Mustapha Saha. En compassion avec André Azoulay victime expiatoire de l’abject ignorantisme de la foule ».

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Le patrimoine juif marocain renaît de ses ruines. Essaouira, réconciliée avec son passé,  abrite désormais  la synagogue Slat Attia,  la maison de la mémoire et de l’histoire Bayt Dakira et le Centre international de recherche Haïm et Célia Zafrani. Le Musée du judaïsme marocain de Casablanca,  pensé et concrétisé par Simon Lévy (1934-2011), voit le jour dans le quartier de l’Oasis en 1997. L’établissement expose des objets de culte, des habits traditionnels, des bijoux, des broderies, des habits traditionnels, des enregistrements musicaux, des livres, des calligraphies, preuves matérielles d’une vie sociale et culturelle judaïque singulière  de deux mille cinq cents ans, attachée au rite séfarade avec ses musiques liturgiques, ses fêtes, des célébrations, son culte des saints, ses légendes, ses superstitions, ses pratiques magiques, ses sorcelleries,  ses exorcisations, ses sorcelleries, ses divinations, ses fascinations. En 2019, le chanteur d’opéra David Serero, originaire de Fès, fait don au musée de sa collection d’art Judaica. Il déclare : « C’est au Maroc que cette collection revient naturellement. Mes grands-parents ont quitté le Maroc, mais, le Maroc ne les a jamais quittés. Je suis reconnaissant envers mon père qui nous a toujours élevés dans la culture marocaine. Dédier cette collection à mes grands-parents leur permet de revenir au Maroc par la grande porte ». L’arrière-grand-père de David Serero était le grand rabbin du Maroc Haïm David Serero (1883 – 1967). Le musée hérite également de ses archives. Le nouveau musée de la culture juive de Fès s’installe au cœur de médina.

La synagogue Ettedgui de Casablanca est rénovée. Elle jouxte le musée adjacent d’El Mellah. Le mellah n’est pas le ghetto. Pour mettre fin aux conflits récurrents entre musulmans, juifs et convertis à Fès, ces derniers sont regroupés au XIVème siècle sur un terrain ayant servi auparavant de dépôt de sel. Melh en arabe, melha en marocain dialectal signifient sel. Mellah est une déclinaison de sel. Jusqu’au XVIIIème siècle, mellah désigne tout quartier administrativement autonome, autogéré, juif ou musulman. La capitale économique compte actuellement 3 000 juifs environ, plusieurs restaurants cashers. Le musée de la culture juive de Fès, symbole de fraternité, s’installe au cœur de médina.

L’histoire des juifs berbères s’enracine dans les villages atlastiques et les kasbahs du désert. Akka, petite ville de la province de Tata dans la province de Souss-Massa, en plein Sahara, voit surgir un musée juif à l’initiative d’un gardien de la mémoire musulman, Ibrahim Nouhi, collectionneur de correspondances, de manuscrits, d’archives témoins des relations fraternelles des juifs et des musulmans dans sa ville. Un autre petit musée juif à Goulmima, oasis agricole dans le Tafilalt, réunit des portes anciennes du mellah, des soufllets, des épistolaires, des grimoires. Goulmima, réputée pour ses villages fortifiés, ses géomorphosites, traversée  en 1884 par l’explorateur Charles de Foucault  et son guide, le rabbin marocain Mardochée Aby Serour, natif d’Akka. Les deux explorateurs, pour passer inaperçus, vivent comme des pauvres, mangent casher dans les familles hospitalières, fréquentent les synagogues, respectent le shabbat. Un jour, les trois cavaliers engagés pour les escorter, les dévalisent sauf de leurs carnets et de leurs  instruments de mesure.  Les deux voyageurs se réfugient auprès d’une communauté juive qui leur offre le gîte, la nourriture et la protection.

 

La Constitution du 11 juillet 2011 consacre la diversité culturelle marocaine « forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe, saharo-hassanie, hébraïque, andalouse, nourrie et enrichie de ses affluents africains et méditerranéens. La prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national va de pair avec l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogues pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures du monde » La redécouverte du patrimoine judaïque bimillénaire est une prise de conscience décisive de la pluralité culturelle marocaine. En novembre 2022, sont inaugurées une synagogue et une mosquée attenantes à l’université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir. La synagogue, baptisée Beit Allah, La Maison de dieu, est à la fois un lieu de prières, de conférences et de rassemblements. La réalisation est le fruit d’un partenariat de l’association musulmane Mimouna et la Fédération séfarade américaine. La Mimouna est une fête populaire observée depuis trois siècles par les juifs maghrébins après le dernier jour de Pessa’h, la Pâque juive, à laquelle sont souvent associés les voisins musulmans. La première prière a rassemblé des juifs marrakchis et fassis, et des étudiants musulmans. En dix ans, 167 cimetières et 20 synagogues ont été restaurées au Maroc. Les publications érudites de Haïm Zafrani jouent, sans conteste, un rôle primordial dans cette réappropriation culturelle. L’université Mohammed V de Rabat se prévaut depuis les années quatre-vingt-dix d’un groupe de recherche sur le judaïsme marocain animé, entre autres, par des professeurs musulmans formés par Haïm Zafrani dans le Département de langue hébraïque et de civilisation juive de l’université Paris-VIII qu’il avait créé. D’autres centres culturels, d’autres établissements scolaires sont d’ores et déjà programmés. Il ne s’agit plus seulement de préserver, de pérenniser la culture judéo-marocaine comme patrimoine inaliénable, il s’agit de féconder le futur de ses ressources créatives. 

 

© Mustapha Saha

Sociologue, écrivain, artiste peintre

 

 

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Pour citer ce texte illustré & inédit

 

Mustapha Saha, « Des patrimoines séfarades marocains », photographies par Élisabeth Bouillot-SahaLe Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles », mis en ligne le 11 avril 2025. URL :

https://www.pandesmuses.fr/megalesia25/noii/ms-patrimoines

 

 

 

Mise en page par David

 

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17 mars 2025 1 17 /03 /mars /2025 18:14

N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Poésie, musique & art audiovisuel | Handicaps & diversité inclusive & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Entretiens

 

 

 

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Avis de​ parution du recueil « Au Pieu »

 

de Selim-a Atallah Chettaoui suivie de

 

l’entretien réalisé avec l’artiste

 

 

 

 

 

 

Annonce & propos recueillis en février 2025 par

 

Hanen Marouani

 

Entrevue & photographies fournies de

 

 

Selim-a Atallah Chettaoui

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture illustrée du recueil « Au Pieu » de l’artiste Selim-a Atallah Chettaoui aux éditions La Contre Allée, 2025.

 

Annonce de parution du recueil « Au Pieu » 


 

Chères amies / Chers amis de la poésie et des arts de la scène,

 

Nous sommes ravies de vous annoncer la sortie tant attendue de la nouvelle œuvre de la poète et performeuse tunisienne Selima Atallah, intitulée « Au Pieu », qui est déjà disponible en librairie depuis le 14 février 2025.


 

Selima Atallah, reconnue pour sa voix unique et son approche audacieuse de la poésie, nous invite à plonger dans un univers riche en émotions et en réflexions. Avec « Au Pieu », elle explore des thèmes universels tels que l'amour, la mémoire et l'identité. 

 

Ne manquez pas cette occasion de découvrir une œuvre qui promet d'être à la fois touchante et provocante. Préparez-vous à être transportés par les mots de Selim-a, qui, à travers sa plume, nous rappelle la puissance de la poésie pour transcender les frontières et toucher nos âmes.

Date de sortie : 14 février 2025

Titre : Au Pieu

Artiste : Selim-a Atallah

Éditions : La Contre Allée

Voir également la présentation officielle de l'ouvrage pour par la maison d'édition en PDF ci-joint :

 

Dossier pour la presse de la présentation de l'ouvrage « Au Pieu »»

Entrevue

 

Voici l’entretien réalisé avec l’artiste lors de la sortie de son recueil et des supports visuels :

 

 

H.M — Qu'est-ce qui vous a inspirée à écrire ce nouveau recueil ? Y a-t-il des expériences personnelles qui ont influencé votre écriture ?

 

S.AC — Je ne pense pas qu'il y ait eu vraiment d'inspiration, plutôt une forme de nécessité d'écriture, sans que j'aie au début de direction. Je sortais d'une période assez compliquée où j'avais eu des problèmes de papiers à la fin de mon séjour d'études aux Etats-Unis pour cause de visas refusés et avais été bloqué.e à New York à cause du covid à l'époque des QR codes et des passeports santé. Cela m'avait beaucoup impacté.e et à mon retour à Paris, j'avais passé un long moment à ne pas faire grand-chose d'autre que regarder des séries, manger, jouer à des jeux vidéos, sans arriver à dépasser cette expérience. Ce texte, écrit juste après, revient sur ces moments où j'étais aux prises avec l'appel du vide - que je connais bien - tout en ressentant une forme de saturation de la pensée qui m'engluait dans l'immobilité.

 

 

© Crédit photo : L’artiste Selim-a Atallah Chettaoui, portrait photographique.

 

 

H.M — Comment décririez-vous l'évolution de votre style poétique depuis vos précédents écrits jusqu'à ce recueil ?

 

S.AC — Ce texte est un poème-fleuve, comme mon précédent livre. Mais là où le premier, paru chez 10 pages au carré, faisait dix pages, celui-ci à la Contre Allée en fait un peu plus de cent. Même si c'est un flux continu, il y a plusieurs mouvements, et je me suis autorisé.e dans ce texte à introduire des onomatopées, quelques expressions en anglais, et à faire des expérimentations spatiales : à certaines pages il n'y a qu'un ou deux vers et d'autres sont très saturées ou adoptent des formes. Je pense qu'il y a dans ce livre, une liberté plus grande dans la langue, et certains passages qui sont principalement guidés par le rythme, ce qui est sans doute le reflet de l'affirmation de ma pratique de la performance accompagnée de musique électronique.

 

H.M — Pouvez-vous nous parler encore plus du processus de création de ce recueil ? Avez-vous suivi une méthode particulière ?

 

S.AC — Ce texte a été écrit de manière très fluide et naturelle. À l'origine, il s'agissait de prises de notes sur mon téléphone pendant mes trajets en métro à Paris, sans que j'aie d'intention véritable, ou le désir de chercher quelque chose de précis en écrivant. C'est ensuite quand, voulant soumettre un texte à un prix littéraire, j'ai voulu reprendre ces notes, que je me suis rendu.e compte qu'elles faisaient déjà plus d'une trentaine de pages. Après les avoir retravaillées, j'ai fait comme d'habitude, lu à voix haute jusqu'à ce que le rythme soit fluide, laissé reposer quelques jours/semaines, et repris cette lecture à voix haute pour voir si le texte tenait toujours. Je modifie le manuscrit en suivant cette méthodologie, jusqu'à ce que plusieurs lectures faites à distance les unes des autres continuent à me donner cette impression de fluidité, de facilité de lecture. Je considère alors que je suis allé.e aussi loin que je peux seul.e et soumets le textes à des personnes en qui j'ai confiance et le modifie à nouveau selon leurs retours, en appliquant à chaque fois cette méthode de la lecture à voix haute jusqu'à atteindre une forme stable. Je pense que la confiance dans un groupe de pairs me vient de mon Master de création littéraire ou j'avais suivi de nombreux ateliers d'écriture et appris à soumettre mon écriture à un regard critique avant de chercher à la faire éditer ou à la montrer au public.

 

H.M — Quelle place la musique occupe-t-elle dans votre travail ? Comment a-t-elle influencé tes lectures sur scène ?

 

S.AC — La musique occupe une place essentielle dans mes performances, qui sont elles-mêmes indissociables de mon rapport à la poésie. Je vois la poésie sur scène comme une opportunité de toucher un public différent, plus large, en essayant de l'approcher par le biais d'autres codes, qui peuvent faire un peu moins peur qu'ouvrir un livre de poésie. En plus de mes performances, j'ai co-fondé un collectif d'écopoésie, fœhn, et nous organisons des soirées où nous invitons des poetes.ses à lire de la poésie engagée sur de la musique, le plus souvent électronique. C'est assez naturel pour moi de mêler poésie et musique car j'ai commencé à lire mes textes sur des scènes ouvertes où il y avait des musicien.nes jazz, des pianistes, des guitaristes ; je compose moi-même des tapis sonores pour mes textes et adore improviser avec des musicien.nes. La lecture à voix haute est aussi le guide qui me permet de retravailler mes textes jusqu'à ce qu'ils sonnent juste. 

 

Ma pratique prend un tournant de plus en plus musical depuis trois ou quatre ans où j'ai commencé à travailler avec de la musique électronique et ai fini par co-fonder le groupe Mooja, entre poésie, musique électronique et vidéopoésie. Après beaucoup de DJs sets poétiques improvisés, Paul Leverrier et Adrien Amiot, producteurs et DJs sous le nom de Housecall ont commencé à composer des morceaux pour mes textes, et Zohra Mrad a créé des vidéos qui accompagnent la performance, pour proposer une expérience la plus immersive possible. L'énergie de ce concert-spectacle est saturée, et oblige le public à lâcher prise sur la compréhension rationnelle des textes, car je pense que la poésie nécessite une écoute sensible, qui dépasse le sens, pour se laisser traverser par les mots, l'énergie, la rencontre dans l'instant, et c'est ce que nous avons essayé de proposer pour le lancement du livre au Centre Pompidou pendant le festival Effractions.

 

 

H.M —  Y a-t-il un poème ou un passage en particulier que vous aimeriez mettre en avant et expliquer à votre public ?

 

S.AC — En voici un extrait :

 

mirlababisurlababo

souvenir du temps d’antan

ça manque le temps d’antan

où l’on croyait devenir grand

quelque chose d’autre

d’ontologiquement différent

catégorisation radicale

le monde des adultes le monde des enfants

 

découvrir

pendant que le temps file s’effile que le fil s’effiloche

que c’est pareil

qu’il faut tenir

juste tenir

 

être adulte c’est ça

tenir

ne pas laisser tomber

ne pas se laisser tomber

tous les jours bras levés

vivace comme cyprès

contre les vents traîtres

 

et si ça tombe

 

si ça casse

si ça crame

si ça coule

se lever se relever

 

gonfler le ventre comme on l’a appris en cours de yoga

gonfler les poumons âcres qui se décomposent jour à

jour

 

et recommencer

 

Le postulat de ce texte est de réfléchir aux manières avec lesquelles on tient quand la vie devient difficile à vivre, car c'est facile de tenir quand on va bien, que notre vie roule toute seule. Mais ce texte se demande comment on fait pour se relever quand on tombe, continuer quand ça semble impossible, qu'on est attiré par une inertie incoercible tout en ayant le désir d'être "vivace comme le cyprès" de Baudelaire, et je pense que ce passage propose des réponses que tout le livre cherche. Il suffit d'essayer, de mettre un pied devant l'autre chaque seconde-minute-jour, jusqu'à ce qu'on se soit sorti du trou.

 

 

© Crédit photo : L’artiste Selim-a Atallah Chettaoui lors d’une de ses performances, portrait photographique par Anthony Retournard.

 

H.M — Comment espérez-vous que les lecteurs réagiront à votre recueil ? Y a-t-il des émotions ou des réflexions que vous souhaitez susciter chez eux ?

 

S.AC — J'espère que mes lecteur.ices trouveront le livre facile à lire, dans le sens de la fluidité de l'écriture car je sais que les thématiques abordées peuvent être difficiles, même s'il y a beaucoup d'autodérision et d'humour. J'espère juste qu'il ne les impressionnera pas par ses verbiages, qu'il n'exclura pas un.e lecteur.ice tombé.e dessus par hasard, car je n'aime pas que la littérature écrase par son érudition. Je veux au contraire que ce texte libère la curiosité, la créativité, les interprétations, qu'il donne même envie d'être modifié, tant qu'il suscite chez l'autre le désir de soi-même faire quelque chose qui  traverse, que ce soit écrire ou n'importe quoi d'authentique. C'est ce que me permet la poésie, d'avoir la sensation que je suis traversé.e par les mots, que je suis exactement moi-même quand j'écris ou que je suis sur scène. J'espère aussi que les lecteur.ices auront envie de le lire à voix haute. C'est le retour de plusieurs personnes déjà, et c'est le plus beau compliment qu'on puisse faire à mon écriture, car mes poèmes préférés sont ceux que j'ai eu d'emblée l'envie de clamer à voix haute, dans ma chambre ou devant d'autres, et j'essaie d'écrire d'une manière où le rythme qui se dégage peut être retrouvé, mis en voix par toute personne qui le désire pour qu'elle puisse aussi prendre part à la performance.

 

 

H.M — Quels sont vos projets futurs après la sortie de ce recueil ?

 

S.AC — Le plus important pour moi, c'est de trouver des manières de tenir, de faire corps ensemble en tant qu'artistes, poetes.ses, écrivain.es, citoyen.nes, dans un monde de plus en plus violent et ce sans se laisser décourager. Cela passe pour moi par la programmation d'évènements artistiqus pluridisciplinaire durant lesquels des personnes d'horizons divers se rencontrent, discutent, s'émerveillent tout en ayant conscience de la nécessité de résister et de tenir pour des causes plus grandes que soi. Il nous faut trouver l'équilibre entre la nécessité d'être ému.es par la violence, la souffrance qui nous entoure et ne pas la laisser nous écraser dans la peur qui ne fait que nous fermer aux autres. C'est ce que j'essaie de faire avec mon collectif écopoétique fœhn et avec mon collectif décolonial et féministe bruxellois xeno_ : créer des espaces pour tenir ensemble. Avec mon groupe Mooja nous travaillons aussi à l'enregistrement de notre premier EP car ce projet mûrit depuis plusieurs années et il est temps de le partager avec d'autres, pour, encore une fois, donner un accès à des textes engagés à un public autre que littéraire. Évidemment, dans le cadre de la promotion d'Au Pieu, il y a des performances, des rencontres en festivals et en librairies, j'irai à Bruxelles, Lille, Bordeaux, Barjols etc...  Et puis, bien sûr, de temps en temps m'isoler pour avancer sur l'écriture d'un roman sur l'amitié et d'un recueil de poèmes sur l'amour filial auxquels je travaille. 

 

________

Pour citer ces images & entretien inédit​​​​​​s

 

​Hanen Marouani, « Avis de​ parution du recueil « Au Pieu » de Selim-a Atallah Chettaoui suivie de l’entretien réalisé avec l’artiste », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I « Inspiratrices réelles & fictives », 1er Volet & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 17 mars 2025. URL :

https://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientalesno4/noi2025/hm-entretien

 

 

 

 

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17 mars 2025 1 17 /03 /mars /2025 16:01

N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier majeur | Articles & témoignages / Critique & Réception | Voix-Voies de la sororité 

 

 

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La rose de Jéricho, roman de

 

Louise Devise, paru aux éditions

 

Maurice Nadeau

 

 

 

 

 

Critique par

 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

© Crédit photo : Première de couverture illustrée du roman « La rose de Jéricho », de Louise Devise, aux éditions Maurice Nadeau.

 

 

Louise Devise réalise depuis plus de trente ans des documentaires d’auteur et dans ce premier livre, elle use de son savoir-faire en « montant » son récit comme elle le ferait  avec l’un de ses films.

 

La rose de Jéricho qui possède le pouvoir de se refermer sur elle-même, de se mettre en dormance, puis de se rouvrir et de s’épanouir sous la goutte d’eau qui la fera reverdir est la métaphore qui permet d’appréhender ce qu’a vécu Louise qui, à l’instar de cette plante, s’est mise en retrait d’elle-même durant plus de 35 ans pour « accepter l’inacceptable ».

Alors que « le couple a volé en éclat », la narratrice use du tutoiement pour tenter de comprendre... Elle s’interroge « Mais jusqu’à quel point tu avais choisi toi d’être maltraitée ? » Pour ce faire, elle mène une enquête qui s’apparente à une quête introspective, les questions rythment le récit, le relancent et Louise de reprendre à plusieurs reprises la phrase de Rilke « Aime tes questions ». Ce questionnement va l’amener à s’interroger sur sa relation dysfonctionnelle avec sa propre mère, à évoquer la figure tutélaire de Mère, sa grand-mère exceptionnelle qu’elle appelle « la femme de sa vie » et qui, comme elle, avait « une rétroversion de l’utérus ».

Ce sont les incantations d’une mère négative, puis d’une enseignante et enfin celles de Michaël qui « surgit » dans sa vie pour douter de sa capacité à réussir ce qu’elle entreprend qui ont déstabilisé Louise et généré en elle « un sentiment d’infériorité » qui la prive de toute velléité et d’esprit critique. Car beau et intelligent, Michaël, son compagnon, connaît « les failles » de Louise, il en joue et pire, il en jouit !

Malgré son « intime conviction », Louise avoue avoir « perdu sa boussole intérieure » car elle est indéniablement sous « l’emprise » de celui qui est loin d’être son alter ego.

 

Quand elle décide de quitter Michaël, ce dernier pratique « le chantage au suicide », puis se clochardise, se disant incapable de vivre sans Louise qui, là encore, tente de l’aider, du moins financièrement. Derrière l’image de cet homme qui lui répète à l’envi qu’elle est la femme de sa vie, elle décèle enfin sa fragilité hors norme « Puissant colosse aux pieds d’argile », écrit-elle et de se demander à son propos « serait-ce une espèce de peur qui se transforme en déni et en autodestruction ? »

Mais Louise rompt définitivement les amarres ! La mort de sa mère « la libère » selon les propres mots de cette dernière confiés à la psychologue de l’Ehpad. Une autre figure féminine nous interpelle dans le roman, celle de Véronique en fin de vie, lucide, lumineuse, charismatique,  elle n’est autre que « la sœur de cœur » de Louise.

Cette sororité traverse tout le roman et l’éclaire car la narratrice fait appel à d’autres femmes qui « se racontent » et dont les échos résonnent en elle mais aussi, et très certainement, chez les lectrices car, dit Louise, chacune « d’une histoire à une autre (…) elles participent de la grande Histoire des femmes, de partout et de toujours . »

 

Nul doute que La rose de Jéricho aidera plus d’une femme à comprendre pourquoi elle a pu « supporter l’insupportable », à savoir, non seulement cette violence des femmes battues mais aussi cette « violence psychologique » qui atteint l’âme et la consume.

Peut-être que l’effet-miroir de cette lecture trouvera son point d’orgue dans « une résurrection » à l’instar d’une rose de Jéricho. Quant à celle de la narratrice elle s’apparente à une renaissance, celle d’être dans un monde qui s’ouvre dans « le plaisir d’écrire ».

 

© Françoise Urban-Menninger*

* C’est un magnifique roman que signe Louise Devise, documentariste. Elle y analyse avec finesse les pièges de l'emprise, la sororité y tient la part belle, chaque phrase trouve une résonance dans notre inconscient féminin collectif.

 

 

Voir aussi l’entretien audiovisuel avec Louise Devise à propos de son premier roman : « La rose de Jéricho », URL : https://www.youtube.com/watch?v=mimf4kUJXmI

***

Pour citer ce texte engagé, féministe, illustré & inédit

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Françoise Urban-Menninger, « La rose de Jéricho, roman de Louise Devise, paru aux éditions Maurice Nadeau »Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I « Inspiratrices réelles & fictives », 1er Volet, mis en ligne le 17 mars 2025. URL :

https://www.pandesmuses.fr/noi2025/fum-romanlarose

 

 

 

 

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11 février 2025 2 11 /02 /février /2025 17:41

N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier majeur | Florilège | Poésie & littérature pour la jeunesse & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Créations poétiques

 

 

 

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e muet

 

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Poème féministe pour la jeunesse

Dina Sahyouni 

 

 

Crédit photo : Barbara Regina Dietzsch (Barbara Regina Dietzsch (1706-1783), illustration d'une rose éclose, un bouton de rose avec leurs feuilles et une coccinelle, peinture tombée dans le domaine public. Capture d'écran de la photographie libre de droits du site Commons.

 

 

Perdues sur les feuilles jaunies par le temps 

les voyelles et leurs couleurs

perdus les sons des langues maternelles et paternelles

perdues sur les feuilles de l'automne de sa vie 

les voyelles de son cœur en pleurs 

elle pleure des sons

et toutes ses consonnes se vident

en e muet

 

© DS., 10 février 2025.

 

***

 

Pour citer ce poème inédit, féministe & engagé pour l'égalité des sexes

 

Dina Sahyouni, « e muet », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I « Inspiratrices réelles & fictives », 1er Volet & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 11 février 2025. URL :

https://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientalesno4/noi2025/ds-emuet

 

 

 

 

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