N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Critique & réception / Chroniques de Camillæ | Dossiers mineur & majeur | Articles & témoignages
Francesca Yvonne Caroutch, François
Augiéras & l’apprentie sorcière
Critique par
https://everybodywiki.com/Camille_Aubaude
https://camilleaubaude.wordpress.com/
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© Crédit photo : « Dialogue de poésie » de Camille Aubaude avec Francesca-Yvonne Caroutch, filmé au 28 rue de Poissy par Marino Valencia. Image fournie par la critique Camille Aubaude.
J’ai voulu offrir L’Apprenti sorcier de François Augiéras à l’essayiste Christian Ficat qui l’avait déjà. Il n’avait jamais entendu parler de Francesca Yvonne Caroutch qui a tant fait pour l’auteur de Domme, pour qui elle avait une idolâtrie amoureuse, jusqu’à le nommer « la verge d’or ».
Le nom de Francesca Yvonne Caroutch n’apparaît dans aucun article sur Augiéras de l’encyclopédie en ligne qui trahit parfois et uniformise tout le temps. L’inversion de la sagesse des femmes opère savamment, constamment.
En revanche, les noms virils que Francesca reliait à l’œuvre de François Augiéras y sont : Gide, Placet, Fanlac, Chalon... L’homme se fait homme, la femme enfante l’homme et connaît l’extase charnelle, distincte de l’œuvre créatrice. Nos vies spirituelles sont nécessairement usurpées.
Dans sa chambre à coucher du 28 rue de Poissy, Francesca m’a fait écouter la voix de François Augiéras au moyen de l’unique enregistrement d’un appel téléphonique en provenance d’Algérie. Cette voix de feu et de cendres destinée à Francesca portait la tension du désert. Elle était non seulement maîtrisée, comme on le fait avec un taureau, mais encore orientée pour la poétesse parèdre. « L’Orbe de la Licorne » était le nom du cercle littéraire de Francesca.
Elle m’a associée à Augiéras par divination poétique. Leurs visages avaient le type asiatique que j’avais aussi avant l’entrée au collège. Partie vivre et enseigner avant l’âge de vingt ans dans l’oasis de Gardhaïa, je lui rappelais l’oasis d’El Goléa. J’avais dans mon cœur l’état mystérieux et pur de l’Algérie, décrit par François Augiéras. Ce qui aiguisait la passion spirituelle de Francesca pour moi.
Elle m’a tellement parlé de lui. Dans mes mansardes des Filles du Calvaire, le portrait de François de trois quart avec un chapeau de cow-boy avait une forte charge émotionnelle. Son sourire me rappelait le désert d’Algérie. Dans cet exil, les eaux secrètes au fond de l’âme ont investi mon cœur. Francesca est venue un jour dans ces mansardes au sixième étage sans ascenseur, que je venais de réunir en cassant un conduit de fumée qui appartenait à l’essayiste Henri de Maistre. Un architecte voué à la connaissance ésotérique de Paris contrôlait ces travaux. Et il a reconnu ce visage, entre les fenêtres du minuscule bureau sous mon grand lit en mezzanine.
Il m’a confié des connaissances qui le passionnaient alors que son emploi d’architecte de l’immeuble l’ennuyait. Tout en montrant un savoir fait pour en imposer, il était gentiment incompétent en matière de conduits de fumée.
Février 2025, pourquoi L’Apprenti sorcier avec la découverte du Dr Rouhier, le fondateur des éditions Véga ? Je n’avais jamais pu le lire, ni Domme, car la force poétique de cet écrivain éclaire le vide. Le temps est détruit. Je n’ai aucune complicité avec les scènes de flagellation, ni avec les combats de la virilité.
L’Apprenti sorcier a suivi immédiatement ma lecture du prodigieux Henri Rochefort, Les Aventures de ma vie. À la barbarie d’État succède la description de rapports transgressifs (homosexuel et pédophile), où la femme est désignée comme « l’ennemie » (et parquée avec ses enfants dans le village d’Iérissos, dans Voyage au Mont Athos). Pur « hasard » : ce que la délation complotiste du gouvernement d’Emmanuel Macron prend à présent pour cible est la pédérastie qui est partie prenante de l’œuvre littéraire d’Augiéras. Dans l’émission télé qui vient de faire le tour de la planète, le nom d’André Gide n’est pas prononcé correctement : les journalistes accusateurs disent « guide », beau lapsus...
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© Crédit photo : « Camille Aubaude chez le peintre-poète Gérard Murail ». Image fournie par la critique Camille Aubaude.
Le génie de François Augiéras est un sommet de l’écriture car il est l’Esprit de la Nature. Bien sûr, il est « vieux comme le monde » (Jean Chalon). Augiéras revendique non seulement l’extravagance mais encore la délinquance érotique telle une délivrance. Qui peut dire qu’il va trop loin ? Ceux qui censurent Les Deux Étendards, la grande parabole sur le Bien et le Mal, où la poétesse Simone Chevalier est assignée à l’autel du sacrifice. Un livre banni, comme le sage Henri Rochefort déporté à Nouméa par ceux qui jugent, condamnent par des pétitions, dictent la norme vu qu’ils sont hors nuances. Ainsi, on lit Histoire d’O…
Alors Augiéras profane ! Augiéras est un écrivain maudit. Jean Chalon a pris un grand risque en citant un poème de Jean Cocteau dans sa préface au Voyage au Mont Athos de François Augiéras : le « sang du poète » n’est pas l’écriture de Cocteau mais vraiment celle d’Augiéras. « La verge d’or » de Francesca Caroutch est un archéologue qui viole la paix des tombeaux. Il est juste qu’il soit occulté puisque sa mystique du monde vivant sublime les contraires. Pour avoir aimé de tout son cœur, il est délivré des contraintes, et après un infarctus, il s’est dissout devant un chaudron, à l’abri d’une cavité rocheuse. Leur fin de vie, à tous deux, fut atroce. Francesca restait trois jours sans dormir. Elle fut violée dans un asile près de Béziers. Ces morts lentes et dégradantes sont la face inverse du grand amour ravi par la poésie investie d’une vie intérieure, tels que la rivière, le rocher, la cavité...
Alors que l’humanité transforme la Nature en nécropole, à l’heure où la barbarie a ravagé Israël le 7 octobre 2024, L’Apprenti sorcier me fait retourner à Alep. Le poète Joël Vernet, ami de ma traductrice Ketty Salem, a publié L’Aventurier radical, un essai sur Augiéras, exilé, vagabond, ermite flagellé, illuminé « sauvage » qui a ouvert comme ultime porte « le Livre ». Cet objet rejeté par les adeptes du paganisme est bien l’offrande de grande valeur que François Augiéras, véritable initié uni à la poétesse Francesca Yvonne Caroutch, a fait à cette humanité qu’il voyait en train de mourir, pour donner vie à des êtres humains reliés au Ciel. « Tu es fort », constate le prêtre.
Les rites élaborés de L’Apprenti sorcier me font voir différemment l’Amour de Francesca, les leçons qu’elle m’a transmises telles un champ de soleils. La valeur extrême de ce récit est de donner une voix sans filtre à la Nature. Le Grand Illuminé de Domme force à l’éveil. Sa cérémonie d’abandon l’ouvre accès à une poésie d’Apprentie sorcière, et sourcière, disait-on pour Else Lasker-Schüler, l’immense poétesse placée dans l’ombre de Kafka.
Athanor et ciboire sont à étrenner, Doux Maître
dont je suis à la fois l’Adepte et la Déesse.
De la fin’amor de l’Esprit de l’Univers,
je m’évide dans Paris où je m’évade.
Dans la grotte sans fond du Poisson
ondoie l’Horizon sans borne.
Et s’écoule l’Amour tout autour
de l’autel des combustions premières
Là, le Maître de la Crypte écoute
le chant de l’Initiée des Sources.
*
* *
Combattre le Mal en moi
la barbarie l’entre-dévoration le cannibalisme
tout ce qui va de pair avec la poussée de la végétation
la force inéluctable des saisons
les fleurs, les arbres et la neige dans l’embrasement
solaire venu des premiers âges
m’offrir l’abondante corbeille
de plantes et d’oiseaux embaumant ta peau
dans un Ciel où les vrais rêves
courent, délicieux, de la Corne du Dieu.
***
Pour citer ce texte illustré & inédit
Camillæ ou Camille Aubaude (article & photographies), « Francesca Yvonne Caroutch, François Augiéras et l’apprentie sorcière », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I « Inspiratrices réelles & fictives », 1er Volet, mis en ligne le 5 mars 2025. URL :
https://www.pandesmuses.fr/noi2025/ca-apprentiesorciere
Mise en page par David
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