27 mars 2023 1 27 /03 /mars /2023 09:00

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Bémols artistiques | Critiques & réception

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Les femmes d’aujourd’hui

 

au regard des artistes

 

ouvrage de Barbara Polla

 

 

 

 

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Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

 

© Crédit photo : Shannon Plumb, en autoportrait androgyne, première de couverture illustrée de l'œuvre de Barbara Polla Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes aux Éditions Slatkine.

 

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Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, ouvrage de Barbara Polla Paru aux Éditions Slatkine à Genève avec une préface de Maïa Mazaurette

 

 

Barbara Polla est « une femme hors norme » pour reprendre le titre de l’un de ses livres, car elle est plusieurs femmes à la fois. Médecin, allergologue, poète, autrice prolifique d’une quarantaine d’ouvrages, personnalité politique suisse, elle est également galeriste ! Et c’est certainement dans l’art et dans ses rencontres avec les artistes qu’elle puise l’énergie qui lui permet de se renouveler en précédant le cours de son destin pour l’infléchir plutôt que de le suivre dans un rôle défini par les codes patriarcaux de la société.

 

Dans ce nouveau livre richement illustré et magnifiquement préfacé par Maïa Mazaurette  qui annonce d’emblée la couleur « Car l’art des femmes peut déplacer mieux que des montagnes : des idéologies », on découvre le travail de bon nombre d’artistes contemporaines parfois inconnues ou méconnues que Barbara Polla met en lumière et fait entrer dans l’Histoire de l’art. Elle leur donne la parole dans une première partie qui évoque « la fluidité du genre » qui « cède la place à un sexe unique, jouissant, royal » lors d’une relation sexuelle fusionnelle. On songe au mythe de l’androgyne développé par Platon dans Le Banquet où trois espèces humaines sont évoquées, mâle, femelle, une troisième composée des deux autres et d’y trouver cette explication : « L’amour recoupe l’antique nature, s’efforce de fondre les deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine ». Avec humour Shannon Plumb, dont l’autoportrait apparaît en couverture de ce livre et qui se plaît à se travestir, note que dans « women », il y a « men » !

 

La solitude de la femme, mère, épouse, amante est un thème récurrent qui prend la dimension d’un « corps maternel » voire « cosmique » chez Caroline Tschumi en générant l’acte créateur. Le pouvoir des femmes est le pivot central de cet ouvrage, il est mis en scène par Dana Hoey dans ses photographies « face à la masculinité toxique ». Quant à Maryam Ashrafin elle nous donne à voir des guerrières !

 

Nul doute que Barbara Polla fait partie de ces battantes, voire combattantes  avec ce quelque chose en plus qui la fait danser dans le poème de la vie quand elle cite Véronique Caye qui met « du rouge à lèvres pour les nuages ». On imagine bien que l’autrice joue dans cette même mouvance légère et aérienne de « l’érotisme mystique et poétique » .

Quant au chapitre dédié aux détenues, on comprend son acharnement à  introduire dans les prisons ce souffle vital de liberté qu’apporte l’art, « Car en prison, il faut d’abord survivre ».

 

Mais l’art sous toutes ses formes d’expression, écriture, peinture, photographie, sculpture, n’est-il pas le dernier recours pour affronter ou apprivoiser sa propre mort ?

Barbara Polla de répondre à cette question essentielle en citant la phrase tranchante comme une lame de couteau de Pascal Quignard : « Les artistes sont des meurtriers de la mort ».

 

Pour appréhender cette « grâce qui est comme la pluie » dont parle Barbara Polla et les artistes qu’elle convoque, la réponse n’est autre que dans cette quête qui se confond avec elle-même. «  Le but n’est pas seulement le but, mais le chemin qui y conduit », nous apprend Lao Tseu. Et Barbara Polla de nous offrir avec ce livre à nul autre pareil un chemin lumineux, celui des femmes en marche vers leur devenir et leur avenir. En donnant la parole aux créatrices, elle ouvre aux femmes la voie radieuse et éclairante de leur liberté.

 

 

© Françoise Urban-Menninger

 

 

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Pour citer ces image & bémol inédits​​​​​​​​​​​​

 

Françoise Urban-Menninger, « Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, ouvrage de Barbara Polla », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », mis en ligne le 27 mars 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/no13/fum-femmesauregarddesartistes

 

 

 

Mise en page par Aude

 

 

 

 

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22 février 2023 3 22 /02 /février /2023 17:43

 

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Dossier mineur | Articles & témoignages 

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Entretien avec la poétesse

 

 

Marielle Anselmo

 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par

 

Hanen Marouani

 

 

Entrevue avec & poèmes de

 

Marielle Anselmo


 

Page bibliographique :

https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782373558012-vers-la-mer-marielle-anselmo/

 

 

 

 

Qui est Marielle ANSELMO ?

 

 

 

© Crédit photo : Portrait photographique de Marielle Anselmo.

 

 

Marielle ANSELMO est enseignante, critique et poète. Elle vit à Paris.

Elle a grandi en Tunisie, dans une famille d'ascendances italiennes, avant de poursuivre des études de lettres en France, à Aix-en-Provence puis à l'Université de Paris 8. Professeure agrégée de lettres modernes, elle enseigne actuellement le français à l’INALCO (Institut National des Langues Orientales) à Paris. Par ses activités critiques, elle a contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Ses articles portent sur Marcel Proust, Hélène Cixous, Dominique Fourcade, Etel Adnan, Kenzaburô Ôé, Édouard Glissant, etc.

 

En poésie, elle est l'auteur du livre-poème Une nuit (éditions Les Arêtes, 2007), de plusieurs livres d’artistes avec Colette Deblé et Pierre Zanzucchi, ainsi que de deux recueils : Jardins (Éditions Tarabuste, 2009) et Vers la mer (Editions Unicité, 2022). Ses poèmes ont été traduits en anglais, grec, arabe, vietnamien et japonais. Elle en a donné une cinquantaine de lectures publiques en France, en Tunisie, en Suisse, au Japon, seule ou accompagnée d'autres artistes. 

 

Biobibliographie 

Site : 

https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782373558012-vers-la-mer-marielle-anselmo/


 

Quelques articles sur Vers la mer par :

 

– Pierre Gontran dit Remoux : https://sitedesign.blog/

– Sabine Huynh : http://sabinehuynh.com/2023/01/20/vers-la-mer/

– Angèle Paoli : http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2023/01/marielle-anselmo-vers-la-mer-1.html


 

Agenda des lectures :

 

Le samedi 11 février à 19h30, à l’Officine, Paris Ménilmontant,

– Le mardi 21 février à 19h00 à Ivy Writers (Lectures bilingues), Delaville Café, Paris 10ème,

– Le mardi 14 mars à 19h00 à la Librairie des Femmes, 35 rue Jacob, avec la comédienne Dominique Reymond,

– Le samedi 18 mars à 16h00 à Matreselva, Paris 15ème,

Le samedi 21 avril au Kibele, Paris 10ème, avec le Parlement des écrivaines francophones. 

 

 

Entrevue

 

 

 

 

H.M Comment êtes-vous venue à l’écriture, Marielle Anselmo ? 

 

M.A – Je crois que je suis venue à l’écriture dès lors que j’ai appris à écrire, que s’est ouvert l’univers magique des lettres. 

Je me souviens d’un premier poème écrit, enfant, dans un dialogue (très silencieux) avec ma mère. Il s’intitulait ainsi Le silence de la mer - titre empruntant tant au récit de Vercors qu’à l’univers de Cousteau. Deux formes de résistance, deux manières de désobéissance à un certain ordre terrestre. 

Je réalise, en notant ceci, que je n’ai jamais quitté cette scène : j’écris toujours depuis le même lieu, depuis le bord de mer. 

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture du recueil « Jardins » par Marielle Anselmo, Tarabuste Éditeur.


 

 

H.M – D’où vient ce décalage entre vos deux recueils ?

 

M.A – Après la parution de mon premier recueil, Jardins (Tarabuste, 2009), il m’a fallu en effet beaucoup de temps pour écrire le deuxième, Vers la mer. Il était pourtant déjà en germe au moment de la publication du premier. Cela tient à plusieurs choses : au contenu du livre (parfois douloureux, brûlant), à la manière même de mon écriture (un fort travail de condensation s'inscrivant dans la durée) et à des événements extérieurs qui en ont influencé l’écriture. En effet ce recueil, tout en reprenant des éléments de mon rapport au paysage méditerranéen (à la Grèce en particulier, qui est comme un déplacement de mon rapport à la Tunisie, pays d’enfance), se fait essentiellement l’écho d’un séjour de deux ans au Japon. Or, en 2011, alors que le recueil était en cours d’écriture, se produisent en même temps plusieurs cataclysmes, géopolitiques ou naturels, qui viennent toucher les pays que j’aime, auxquels je me sens liée : la révolution tunisienne (suivie des Printemps arabes), la crise économique européenne qui affecte lourdement (sinon tragiquement) la Grèce et enfin le désastre (naturel et nucléaire) de Fukushima. Il m’était impossible de continuer à écrire sur le Japon alors que les paysages qui m’habitaient, que je tentais de décrire, de saisir en quelques mots, de rendre vivants, étaient dévastés, menacés de destruction, et que ceux que j’aimais là-bas étaient eux-mêmes menacés. Cela a littéralement arrêté l’écriture du recueil, m’a rendue mutique.

 

 

 

H.M – Est-ce que « Vers la mer  », le recueil que vous venez de publier aux Éditions Unicité, qui vous a donné envie d’un retour aux sources et aux origines ? 

 

M.A – Non, au contraire, Vers la mer est le récit d’un éloignement, d’un départ, ou mieux de sa tentative. Mais, comme je l’indiquais au début, il garde aussi la trace du paysage premier, méditerranéen. 


 

H.M – L’impression qu’il y a comme un cheminement intérieur d’un recueil à l’autre vous semble-t-elle juste ? 

 

M.A – Oui, il y a un cheminement : un cheminement le long de la mer - de la Mer Méditerranée à la Mer du Japon. Il y a aussi un fil intérieur, qui se poursuit d’un recueil à l’autre, moins perceptible peut-être, qui est celui du deuil. 


 

H.M – Pourquoi tant de tristesse dans votre poésie ? 

 

M.A – Dans la tradition occidentale, (c’est-à-dire grecque), la figure première du poète est celle d’Orphée, et elle est profondément liée au deuil : Orphée, celui qui chante et charme jusqu’aux arbres et aux animaux, a perdu deux fois celle qui l’aime, Eurydice. Il a été autorisé par les dieux à aller la chercher aux Enfers, à traverser vivant le royaume des morts - et à en revenir (mais il en revient seul). C’est depuis cette traversée que s’écrit le poème. 

Il y a dans cette tradition une deuxième figure fondatrice, moins mythologique : celle de Sappho, celle que Platon surnomma « la Dixième Muse ». Le premier poète lyrique est une femme, une poétesse. Elle est celle qui chante le désir. Disons que dans ce recueil j’essaie de tisser ensemble ces deux fils : deuil et désir. 

Il n’y a donc pas seulement de la tristesse dans ce livre. Il y a aussi beaucoup de joie : la joie de passer les frontières, d’aller « dans l’inconnu », à la rencontre d’une altérité radicale, la joie de « l’aventure », au sens médiéval, des rencontres faites en chemin… Quelle plus grande joie ?


 

H.M – Comment va la poésie d’aujourd’hui ? 

 

M.A – Elle va très bien. Elle est la part la plus infime, la plus invisible du marché éditorial, mais sans doute aussi la plus vivante. Soutenue par des éditrices et éditeurs courageux, elle est le lieu d’une production incessante, s’exprimant à travers toutes ses formes (orales ou écrites) et courants. Et les poétesses sont plus nombreuses et vivantes que jamais. Elles investissent la scène, la voix, renouvellent la performance poétique en lui donnant une tonalité, une inflexion propre. Je pense (pour n’en citer que quelques-unes) à Edith Azam, Hélène Sanguinetti, Jennifer K. Dick, Constance Chlore, Laure Gauthier, Anna Serra…  Chacune invente une scansion particulière. 


 

H. M – La mer demeure-t-elle un espace d’accueil ou d’exil privilégié ? 

 

M.A – Elle est les deux : accueil et exil, tombe et berceau. 

Lieu de culture, d’échanges, elle défend et permet la traversée, et en cela reste un trait-d’union.

 

 

© Hanen MAROUANI

 

« Vers la mer est le récit d’un éloignement, d’un départ, ou mieux de sa tentative. »

Marielle Anselmo

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture du recueil « Vers la mer » par Marielle Anselmo aux éditions Unicité.

 

 

Extraits poétiques publiés avec l'aimable autorisation de la poétesse & de sa maison d'édition

 

 

restera le souvenir

de ta voix

en Provence




 

et encore les pins (lumineux)

des pins mélodieux et je les fais entendre

à l’autre bout du monde

 

 

le froissement de l’opéra

avant le commencement

 

ta voix et les étoiles du jour

entre la Provence et le Japon

 

de cet amour

si bref

 

 

© Marielle Anselmo

 

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Pour citer cet entretien poétique inédit​​​​​​​​​​​​

 

Hanen Marouani, « Entretien avec la poétesse Marielle Anselmo », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », mis en ligne le 22 février 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/no13/hmarouani-entretien-marielleanselmo 

 

 

 

 

Mise en page par Aude

Ajout des extraits poétiques le 23 février 2023.

 

 

 

 

 

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21 août 2022 7 21 /08 /août /2022 15:33

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Dossier mineur | Articles & témoignages | Poésie visuelle & REVUE ORIENTALES (O) | N° 2-1| Entretiens


 

 

 

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Entretien avec la jeune poétesse,

 

 

romancière & peintre franco-syrienne

 

 

Nour Cadour

 

 

 

 

 

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Propos recueillis en juillet 2022 par

 

Hanen Marouani

 

Peintures de

 

Nour Cadour

 

Site : nourcadour.com

 

Photographies par

 

Natalie Rezelmann

 

& Ulysse Agassin

 

 

 

 

 

 

© Crédit photo :   L’artiste Nour Cadour, photographiée par Natalie Rezelmann. 

 

 

 

Fiche d'Information

 

 

Profession ou activités : médecin, peintre, poétesse, romancière

Site Internet, Blog, liens sites de ventes : nourcadour.com ; nourapaintings.com, lappeaustrophe.com

 

Biographie

 

Peintre et poétesse française d’origine syrienne, Nour CADOUR est née en 1990 en Lozère et réside à Montpellier. Elle exerce en tant que médecin nucléaire. Elle publie son premier roman « L’âme du luthier » chez Hello Éditions en février 2022.

Engagée dans la poésie, elle remporte le prix Jacques Raphaël-Leygues de la Société des Poètes Français en 2021 pour son recueil de poèmes « Larmes de lune » et le prix des « Nouvelles Voix d’Ici » de la maison de la poésie Jean Joubert à Montpellier avec ce même recueil. Elle remporte également la mention spéciale du jury du concours international de Poésie en Liberté en 2014 dans la catégorie « étudiants de France » et devient membre du jury puis attachée de presse pour eux. Elle vend notamment ses peintures poétiques pour cette association au nom de « Noura paintings ». En 2020, elle est finaliste du prestigieux prix Hemingway de la nouvelle avec sa nouvelle « La Toile ». Elle est la co-créatrice et membre active de l’association de poésie montpelliéraine « L’Appeau’Strophe » qui vise à promouvoir la littérature et notamment la poésie. Elle participe régulièrement aux podcasts poétiques de « Mange des mots ». Elle a découvert la peinture en autodidacte depuis deux ans maintenant et continue perpétuellement d’évoluer. Elle expose régulièrement dans des librairies Montpelliéraines, endroits encerclés de livres qui lui tiennent à cœur. L’été dernier, elle participe avec ses tableaux à l’exposition Afrika d’Art.

 

 

Bibliographie

 

Publications individuelles :

 

– Roman « L’âme du luthier » chez Hello Éditions en janvier 2022

– Recueil de poèmes « Larmes de lune » chez L’Appeau’Strophe en septembre 2022, prix Jacques Raphaël-Leygues de la société des Poètes Français.

 

Publications collectives :

– Anthologie « Les voix de l’extrême », 2022, cinq poèmes sur le thème « Éphémère ».

– Anthologie « Couleurs Ukrainiennes », La Nouvelle Pléiade, mai 2022.

– Anthologie « 1001 plumes », 2022 : poème « À l’aube d’un jour vide » Revue « Débridé », 2021 : poème « Fièvre du pays »

– Revue Au Mbongui, 2022,  nouvelle « L’intermède du tam-tam »

– Revue Poetiquetac, plusieurs poèmes dans le numéro de juin 2022.

– Revue L'Étrave de poètes sans frontières, numéro 269 mai-juin, avec le poème « Prisonnière d’ombre »

 

 

 

Entretien

 

© Crédit photo :   L’artiste Nour Cadour, photographiée avec certains de ses tableaux par Ulysse Agassin. 


 

H.M – Nour Cadour qui êtes-vous et comment êtes-vous venue au monde de l’écriture?

 

Nour Cadour – Je suis une femme franco-syrienne de 32 ans, passionnée depuis toujours de littérature. Enfant, je dévorais les livres et j’ai toujours rêvé d’écrire. C’est ma mère qui m’a poussée au début à écrire, en tenant un petit carnet de tous les livres que je lisais, avec un court résumé du livre accompagné d’une critique, et ce dès l’âge de 10 ans. Puis, j’ai commencé par écrire des nouvelles. En seconde, j’ai eu une professeure de Français fabuleuse, Annick Peyre-Lavigne, qui, à travers mon écriture, m’a appris que j’avais un style poétique. Je ne connaissais rien alors à la poésie. Elle me parle du concours international de poésie en liberté. Je décide d’y participer avec le premier poème que j’avais écrit « Lettre E » et j’avais remporté la mention spéciale du jury dans la catégorie étudiants de France en 2014. Ce prix m’a vraiment encouragée à continuer d’écrire, en me rassurant sur le fait que ce que j’écrivais était apprécié. Mon premier retour en Syrie depuis la guerre, durant l’été 2021, est marquant. Je décide alors de prendre les mots pour dénoncer. Étant là-bas, j’écris et finis mon premier recueil de poèmes « Larmes de lune » qui remporte par la suite le Prix Jacques Raphaël-Leygues de la Société des Poètes Français en 2021 et le Prix des « Nouvelles Voix d’Ici » de la maison de la poésie Jean Joubert à Montpellier.

Concernant mon premier roman, je sentais depuis longtemps que j’avais envie d’écrire un roman qui traitait de la Syrie, pour montrer aux gens une autre image de ce pays dont on entend parler uniquement à cause de la guerre. Durant le confinement, j’étoffe alors une de mes nouvelles très appréciée auprès de mes amis « L’âme du luthier », et décide d’en faire un roman qui se passe entre la Syrie et la France.

 

 

​​​​ © Crédit photo :  Nour Cadour, l'image de son premier roman. 

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H.M – La médecine et l’écriture: quelles divergences et quelles convergences ?

 

Nour Cadour – C’est une question très intéressante car je trouve que l’une nourrit l’autre. En médecine, à travers les patients que l’on soigne et les pathologies que l’on rencontre, on apprend l’empathie. Et pour moi, notamment pour écrire un roman avec des personnages, l’empathie est nécessaire pour pouvoir être complètement dans la tête du personnage.

Par ailleurs, en médecine et dans ma spécialité, j’ai été confrontée depuis mes études durant mes stages en cancérologie à l’espoir et la mort. Je trouve que l’on perçoit les choses différemment et on acquiert une sorte de maturité de la vie. Et qu’est-ce écrire ? si ce n’est célébrer la vie tout en dénonçant ce qui nous entoure ? Les chemins de vie (notamment les patients souffrant de maladie d’Alzheimer ou en cancérologie) m’ont poussé aussi à écrire sur ces sujets, en apportant une démarche et réflexion différentes que scientifique pure. Pour les deux disciplines, une partie de la guérison se fait à travers les mots: quand on va soulager un patient à travers nos paroles, et quand on va écrire un poème qui nous mène nous-mêmes à guérir et permet de guérir le monde dans lequel on vit. La médecine et l’écriture mettent pour moi l’humain au centre de leurs réflexions, et ce sont toutes deux des disciplines humanistes en ce sens qui se complètent.


 

H.M – Nous pleurons pour diverses raisons. L’écriture et la poésie sont-elles la meilleure raison d’approfondir ces raisons ?

 

Nour Cadour – C’est une façon particulière de voir les choses. Pour moi, l'écriture et la poésie sont là pour dire, même ce qui heurte, en les agrémentant d'esthétique, nous aidant ainsi à les supporter et à nous révolter....

 

Je vois les mots comme un combat pacifiste qui vont amener les gens à se questionner. Je me suis rendue compte, en lisant de nombreux romans et en écoutant des auteurs, que l’écrivain a le pouvoir de changer les choses au quotidien. Car ce que l’on transmet a le pouvoir d’être lu puis analysé par les gens. Ou du moins d’apporter une autre vision du monde aux personnes qui l’entourent. C’est ce que je cherche à faire grâce à ma poésie. Montrer du doigt certaines situations- qui peuvent être belles, violentes ou inacceptables- puis pousser les gens à se questionner à ce sujet. Ma poésie est une poésie engagée. Je ne la vois pas autrement.


 

H.M – Marguerite Duras a dit que « s’il n’y avait ni la mer ni l’amour, personne n’écrirait des livres » et que peut-on dire des astres et de la lune et à quel point leur représentation dans vos écrits peut être synonyme d’engagement ?

 

Nour Cadour – C’est une très belle citation de Duras que j’aime beaucoup. La lune est mon astre favori. On n’en voit pas forcément la lumière, mais même quand on ne la voit pas, elle est toujours là. Elle est comme chacun d’entre nous. Nous existons par notre individualité lumineuse, avec parfois peu d’énergie et un trop plein d’énergie qui nous ramènent à notre finalité : tout est cyclique. Paul Klee disait d’ailleurs « La lune est le rêve du soleil ».

Dans mon recueil de poèmes, « Larmes de lune » est un chant de questionnements sur la guerre et 1’exil. Les larmes symbolisent donc la souffrance et le chaos créé par la violence des hommes. Mais, au milieu de ces larmes, la poésie détonne comme un murmure d’espérance, une respiration nouvelle où chaque nuit la lune change, symbole de beauté, de renouveau et d’espoir.


 

H.M – Quels sont vos meilleurs alliés dans le monde de la créativité et dans la foule ?

 

Nour Cadour – Mes meilleurs alliés, c’est drôle à dire, mais ce sont justement les mots. Je m’enrichis moi-même énormément de lecture (poésie et roman de littérature principalement) qui m’aident à stimuler et étoffer ma créativité. Sinon, la nature aussi est source d’inspiration. Quand j’écrivais mon roman, j’allais tous les jours marcher une heure auprès de la rivière Le lez de Montpellier. Les bruits, les odeurs, les sensations, les lumièrent étaient une sorte de méditation tout en alimentant mon inspiration. Au fur et à mesure que je marchais, tout en observant, les idées venaient. L’observation et la contemplation sont indispensables pour moi.

Enfin, je pense que les rencontres que nous faisons, notamment amicales, sont également une belle source de créativité. Les gens, à travers leur propre histoire, nous enrichissent d’empathie et d’expérience.

 

 

© Crédit photo :  Nour Cadour, " La dame nue, technique mixte, Acrylique et collage, 16X20 cm, peinture. 

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H.M – L’expérience du confinement et les arts, jours de survie en période grise, un état d’urgence pour conjurer la mort ou la meilleure des solutions pour célébrer la vie ? Quels liens et quels apports ?


 

Nour Cadour – Le confinement pour moi est le moment où j’ai commencé à peindre en autodidacte. La peinture est le prolongement de la poésie à propos des choses sur lesquelles on ne peut mettre de mots justement. Juste poser une émotion, une sensation. J’ai découvert la peinture en autodidacte à travers mes observations répétées. Je définis d’ailleurs mon art, en toute humilité et à mon niveau, d’art SOSI, basé sur la Sensation, l'Observation, le Sentiment et l'Impression. Ma peinture laisse libre cours aux sensations et à l’interprétation de tout un chacun. Pour allier jusqu’au bout mes deux arts qui me tiennent à cœur, j’ai choisi justement d’accompagner chacun de mes tableaux d’un court poème.

Et je vends mes tableaux pour les deux associations de poésie dont je fais partie (L’Appeau’Strophe et Poésie en liberté) dont je suis membre active et qui ont beaucoup d’importance pour moi. Le message que je souhaite transmettre est avant tout un message d’amour : l’amour du monde et de son prochain quel que soit son origine. Ce n’est pas pour moi un état d’urgence pour conjurer la mort mais au contraire, célébrer la vie et ce qui nous entoure.

 

 

© Crédit photo :  Nour Cadour, "Le visage : « et mon monde est tien »" Acrylique, 30X40 CM. 

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© Crédit photo :  Nour Cadour, "Les deux petites filles : “Souvenirs soyeux”, Acrylique, 16X20 CM. 

 

 

© Crédit photo :  Nour Cadour, "Danseur : “ Danse printanière”, technique mixte (acrylique, collage, fleurs séchées), 16X20CM. 

 

 

© Crédit photo :  Nour Cadour, "Coquelicots : “Licots”, Acrylique, 30X30CM. 

 

 

H.M – Des toiles à votre image, chaleureuses, audacieuses et amoureuses ? S’agit-il vraiment d’une “technique” de défendre la joie ou d’éterniser l’instant sans voix ?

 

Nour Cadour – Je cherche avant tout à travers mes toiles à célébrer la vie, l’amour de son prochain et la tolérance. J’utilise mes pinceaux comme un message de paix et utilise mes couleurs pour refléter le monde merveilleux qui nous entoure. Par ailleurs, la double culture et la passion pour les voyages ont énormément nourri ma créativité et mon ouverture d’esprit. Pour écrire et peindre le monde qui nous entoure, il faut déjà en être un fervent passager et acteur en mon sens.



 

H.M – D’après vous comment construire le monde de demain puisque c’est votre projet majeur ?

 

Nour Cadour – Pour moi la poésie est essentielle dans le monde dans lequel on vit, et d’autant plus aujourd’hui avec tout ce qui se passe. Tout le monde est poète. La poésie est l’attention que l’on va apporter aux choses qui nous entourent, et mettre des mots dessus. C’est une ressource accessible à tous. La poésie nous aide à aborder chaque journée avec sérénité, joie et beauté. Elle est une sorte de philosophie à mes yeux qui nous permet de modifier notre regard sur le monde de façon pacifique. Je crois que le pouvoir de la poésie n’est peut-être pas de changer le monde directement mais de changer notre rapport au monde. Et c’est en changeant notre rapport au monde et à soi que l’on peut changer le monde.

Le monde de demain pour moi est un monde bienveillant où l’amour est au centre.

 

 

H.M – Quels sont vos prochains projets et événements ?

 

 

Nour Cadour – Mon premier recueil de poèmes « Larmes de lune », édité par L’Appeau’Strophe, est disponible actuellement en pré-commande et sortira le premier septembre pour la rentrée littéraire.

Mes deux prochains projets sont poétiques :

– « Le silence pour son » est un recueil de poèmes qui regroupe les voix de femmes à travers le monde (un poème par ville et par pays) : leur quotidien, leurs peurs, leurs souffrances. Ces poèmes donnent la parole à ces femmes oubliées, dont le son est quasiment silencieux. Mais, malgré les divergences de cultures ou de traditions, la parole est la même et reste unie. Je voulais montrer que les problématiques des femmes restent les mêmes à travers le monde, et ce qu’elle que soit la culture de chacune. Ce recueil a déjà trouvé un éditeur, je vous en dirai plus très prochainement.

– « Corps-mémoire » est un questionnement identitaire des traumatismes qui hantent un corps. Son propre corps, mais aussi celui que l’on transmet de génération en génération. Dans ce poème fleuve, on découvre l’histoire de cette femme poète, « Femme-gare sans destination », qui nous transporte dans son passé, à travers sa chair. Dans un style poético-narratif, j’essaie de donner voix au corps du personnage. Le corps est alors un chemin d’exil, de deuil, de joie, de résistance, d’appartenance et de transmission.

 

 

© Crédit photo :  Nour Cadour entourée de ses œuvres poétiques dans un salon du livre.

 

 

Et mes prochains événements :

– lecture lors du festival des voix vives à Sète le vendredi 29 juillet de 10h à 12h avec mon association de poésie “L’Appeau’Strophe”.

– soirée de lancement du recueil de poèmes à Montpellier à “L’original” le lundi 29 août à 19h pour une performance texte/danse contemporaine, avec Marina Lick.

– soirée de lancement du recueil de poèmes à Paris au “Salon Nun” le vendredi 9 septembre à 19h pour une performance texte/musique, avec Paul Hellec à l’oud.

– brunch littéraire le 8 octobre de 14h à 18h avec “The Soul Village”, dans le 10ème à Paris.

– Chaque premier lundi du mois, soirée poétique en musique avec “L’Appeau’Strophe” à Montpellier à “L’original”.

 

Extraits poétiques choisis par Nour Cadour

 

© Crédit photo :  Nour Cadour et son recueil de poèmes "Larmes de lune". 

 

 

À lire également les extraits poétiques de ses œuvres :

 

Nour Cadour, « Extraits poétiques de mes trois recueils »

www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/no11/cadour-extraits

______

 

 

Pour citer ces entretien & œuvres artistiques inédits

 

 

Hanen Marouani, « Entretien avec la jeune poétesse, romancière et peintre franco-syrienne Nour Cadour », avec des œuvres de l'artiste et deux photos de Natalie Rezelmann Ulysse AgassinRevue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels & fictifs », n°2, volume 1 & Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre »mis en ligne le 21 août 2022. URL :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/no11/hm-entrevue-nourcadour

 

 

 

Mise en page par Aude

Dernière mise à jour : le 24 août 2022

(ajout du lien Web de la page des extraits poétiques) 

 

 

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Retour au sommaire du N°11

30 juin 2022 4 30 /06 /juin /2022 16:37

REVUE ORIENTALES (O) | N° 2-1 | Dossier & Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 | I. Le merveilleux féerique au féminin | Articles & témoignages


 

 

 

​​​​​

 

 

 

Les vertiges du mystérieux &

 

 

du merveilleux : l’art poétique de

 

 

Fatma Gadhoumi

 

 

 

 

 

​​

Propos recueillis en juin 2022 par

 

Hanen Marouani

 

Peintures, sculptures de

 

Fatma Gadhoumi

ou Fatmina

 

Site perso : www.fatmina.com

 

 

 

« Il faut commencer dans le noir pour trouver la lumière. »

 

 

 

Fiche d'Information
 

Pseudonyme : FATMINA

 

Profession : Artiste peintre, sculptrice et ingénieure


 

© Crédit photo : L’artiste Fatma Gadhoumi ou Fatmina. Photographie prise par Luca Tiozzo Pezzoli. 

 

 

Site Internet, Blog, liens sites de ventes :

Site perso : www.fatmina.com

Site du collectif the Enchanted Cypress. : Www.theenchantedcypress.com

Site de la série Safat : www.safat.live

 

 

Biographie

 

Artiste peintre et ingénieure, elle cherche à guérir l'âme du monde, et non uniquement à exprimer les névroses et l’absurdité de la condition humaine.

Ingénieure de formation, elle a toujours été passionnée par la peinture, et habitée par l'Art sous toutes ses formes.

« À 18 ans, je reçois une bourse de l'État Tunisien pour poursuivre des études d'ingénieur à Paris. Et là, j'arrive pour la première fois à la ville des lumières, je tombe sous son charme, et je décide de suivre des cours d'art (peinture, expression artistique, miniature persane, danse, théâtre, piano, jazz) , en parallèle avec mon travail d'ingénieure.

Un long chemin semé d'embûches, d'incompréhensions et de déceptions, mais aussi de fiertés et d'accomplissements.

J'avais participé à plusieurs expositions, à la publication d'un recueil de poésie avec un collectif d'artistes Maghrébines ''Les cinq saisons au féminin'', et récemment, à la publication de Lalla Samra, la sainte soufie de Sfax, qui fait partie de la série Safat Hikayet. »


 

Bibliographie

 

Livres/recueils

 

Recueil de poésie Les cinq saisons au féminin 2021.

Lalla Samra de la série Safat Hikayet 2022.

 

Expositions

Exposition Femmes Maghrébines médiatrices de la paix, fondation maison de Tunisie, 30 Octobre 2021.

Exposition avec Les amis du salon de l'automne, Galerie Etienne de Causans, Paris Saint Germain 2021 14 septembre-2 octobre 2021.

Grand Salon d'art Abordable 24ème édition, La Bellevilloise Paris 11-13 Mai 2018.

Exposition à l’Hôtel des Arts et Métiers, Iéna Février 2018.

Exposition au Cercle Du Rire, Paris 19ème 30 Mai 2018.

 

 

Interview

 

 

 

H.M – Vous préférez qu’on vous appelle Fatmina ou Fatma ?

 

 

F.G – Je suis les deux :

Je suis Fatma, prénom choisi par mes parents, et le fruit d'une culture millénaire, d'une mémoire collective tunisienne, africaine, méditerranéenne …humaine.

Je suis également Fatmina, un prénom composé de Fatma et Fatina (qui signifie petite fée en dialecte vénitien).

J'aime bien les deux ; ce qu'on m'a choisi et ce que j'avais choisi, être une goutte d'eau dans l'océan et être l'océan, être Fatma et Fatmina.

Et vous, vous préférez m'appeler Fatma et/ou Fatmina ?


 

 

© Crédit photo : Fatma Gadhoumi ou Fatmina en fée.

 

 

 

H.M – J’aime les deux puisque vous êtes les deux (sourire). Quelle est la vraie matière de votre art ?

 

 

F.G – L'Amour est ma religion et ma foi :

Je ne cherche pas uniquement à imiter la "réalité" visible aux yeux, mais à transmettre et à servir dignement l’humanité, tout humain, quel qu’il soit, et à garder cette lumière d'amour vivante.

 

© Crédit photo : Fatma Gadhoumi ou Fatmina, "Le regard tourné ailleurs". Aquarelle, Gouache, Dorure 15 x 20 cm. 

 

 

 

Avec mes tableaux et sculptures, j'ai un regard tourné vers une humanité fragmentée, qui se mine, se détruit, et se mutile en permanence.

Avec mes miniatures, j'ai le regard/cœur tourné vers l'invisible. Mon art signale la présence d'un paradis spirituel ; et ce paradis, s'il n'est pas la Réalité dernière, est tout de même une étape d'un pèlerinage et un degré dans l'échelle de la transcendance.

Comme a dit Saint Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible aux yeux ».

 

 

© Crédit photo : Fatma Gadhoumi ou Fatmina, "Exposition : Le petit Prince 2022". Photographie prise par Luca Tiozzo Pezzoli.

 


 

H.M – Merci pour cette belle citation de Saint Saint-Exupéry et merci pour cette belle photographie. Quelle est alors votre « méthode » pour un art poétique et « féministe » efficace et distingué ou comment s’émancipe-t-on d’un schéma dominant ?


 

 

F.G – Je n'ai jamais aimé tout ce qui se termine par "isme" : comme féminisme, sexisme, salafisme, machisme... Je parlerais plutôt d'un art humaniste, atemporel et intérieur ; un art qui reflète fidèlement la lumière (et les ombres) de ce monde, un art qui soit également une fenêtre vers de nouveaux horizons, et surtout, un art qui se veut être Vrai.

Comment y arriver ? Ce n'est pas via une méthode, mais c'est tout un cheminement intellectuel et spirituel, que j'ai commencé à suivre, et qui prendra l'espace d'une vie.

 


 

H.M – La magie et le mystérieux portés à votre création artistique et poétique sont-ils un don ou un travail assidu et continu ? Peut-on vraiment s’y identifier ?

 

 

F.G – Thomas Edison avait dit « Le génie est fait d'1% d'inspiration, et de 99% de transpiration. »

J'estime que le don ne suffit pas à lui seul : il n'est que l'étincelle qui te fait travailler ardemment et sans relâche pour cette passion qui t'anime. Tu ne sens alors pas le temps, ni la douleur.

Même si tu tombes et tu retombes maintes fois, tu auras toujours la force de te relever et de réessayer. La force du don n'est pas uniquement une inspiration, mais c'est surtout l'amour de faire ce que tu fais.

 

 


 

H.M – Vous explorez les désordres de l’âme humaine depuis que vous avez commencé votre traversée artistique. D’après votre expérience spirituelle, qui est le plus puissant les lumières ou les ombres ?


 

 

F.G – La profondeur des émotions humaines a toujours été une source d'inspiration fascinante pour moi. La question des ombres et des lumières est au cœur de ma recherche spirituelle, et de mon introspection.

 

Je crois que tout Humain est à la fois ombre et lumière, ange et démon, haine et amour ; l'un ne se définit qu'avec son opposé.


 

© Crédit photo : Fatma Gadhoumi ou Fatmina, "Rostam et son cheval Rakch combattant un dragon". Aquarelle, gouache et dorure, 30x40 cm. 

 


 

H.M – Dans ce cas la bipolarité est de plus en plus détectée dans nos sociétés modernes et elle est mal comprise pourtant c’est aussi une source de créativité ? Quel est votre avis à propos de cela ?


 

 

F.G – Cette bipolarité existe depuis toujours et existera et elle est primordiale pour moi.

Nous vivons aujourd'hui dans un monde en crise, crise veut dire aujourd'hui système grippé qui ne saurait trouver en lui-même les ressources et moyens de sa réadaptation.

L'homme est devenu désorienté au sens propre du mot : il a en effet perdu son orientation, son cap. Il vit dans une peur individuelle et collective, qui le hante, et se transforme en angoisse permanente.

« Ils éprouvaient la souffrance profonde de tous les prisonniers et tous les exilés, qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien. » (Albert Camus, La peste)

Nous nous replions de plus en plus sur nous-mêmes, nous n'arrivons pas à retirer ce voile qui nous empêche de Regarder la beauté derrière. Pourtant cette dernière est partout.

Mon rôle en tant que femme, artiste est de parler de cette beauté, de cette unité.

En fait, en dépit de leur pluralité, toutes les cultures constituent autant de réponses distinctes aux mêmes questions essentielles posées par la biologie et l’ensemble de la situation humaine.

L'Homme, cet être singulier conscient de sa propre mort, confronté à la première pandémie du monde globalisée, se trouve face à des interactions sans cesse croissantes entre les différentes régions du globe.

Une interdépendance qui le contraint à collaborer pour faire face à ce tsunami mental qui submerge l'humanité toute entière, à vivre ce paradoxe entre le repli sur soi et la solidarité et à admettre qu'il fait partie d'un grand tout.

La beauté, selon moi, réside dans nos différences et dans cette bipolarité mondialisée.

 

 

 

H.M – Le mélange des deux est constant chez vous. S’agit-il de ressources inattendues et imprévues qui invitent à combiner colères et émerveillements, élans et peines ou autre ?


 

F.G – Je suis à la fois miroir et fenêtre, peintre, sculptrice, et miniaturiste :

Dans la peinture, la rédemption de la matière et du monde des phénomènes s'accomplit par leur accession à la forme. J'étais alors un miroir qui reflétait la lumière, mais surtout l'ombre, la douleur et les abysses où notre monde est plongé. J'ai eu la chance d'être accueilli à l'atelier Artistik avec mon maître Manhal Issa, et Pako Khoury pour peindre fidèlement ces tempêtes et ouragans qui me traversaient.

 

 

© Crédit photo : Buste Argile chamottée blanche, 30x 50 x 60 cm (approximatif) 2022. 

 

 

© Crédit photo : L’artiste Fatma Gadhoumi (ou fatmina), photographie prise à l'atelier Artistik, avec Manhal Issa et Pako Khoury, 2022

 

 

Mais, il y a 5 ans, j'ai fait une rencontre : une rencontre exceptionnelle avec un grand Homme ; mon maître de miniature persane, le regretté, très cher Abbas Moayeri.

 

"Ostad" (maître en persan), était un très grand miniaturiste persan, peintre, sculpteur, musicien et acteur.

Il m'avait initiée à l'art de la miniature persane. Un univers où l'artiste transforme la matière en couleurs de lumière. La poudre d'or, d'argent, de lapis-lazuli, d'émeraude et d'autres pierres précieuses subliment la matérialité pour qu'elle ne soit plus que réflexion de lumière.

 

Les choses dépouillées de leur part obscure, du poids, du volume et de l'ombre apparaissent comme dans un miroir magique, qui ne réfléchit pas, à sa ressemblance, ce qui est devant lui, mais l'éclaire par une autre lumière et le porte dans un autre lieu, pour le métamorphoser en images d'ailleurs.

 

Le somptueux caractérise cette apparition et le merveilleux en est l'effet et la tonalité.

 

 

H.M – L’intensité de l’émotion est juste une réaction instantanée ou une vérité qui permet d’ouvrir l’âme, le cœur et les yeux et d’aller au fond ?

 

 

F.G – L'intensité de l'émotion n'est que l'étincelle qui ouvre une brèche dans le cœur, et permet de voir en profondeur ce qu'il y a derrière les voiles du monde visible.

"La blessure est l'endroit par lequel la lumière entre en nous." Rûmi

لا تجزع من جرحك و إلا فكيف للنور أن يتسلل الى داخلك" مولانا جلال الدين رومي

 

© Crédit photo : Fatma Gadhoumi ou fatmina. Pastel sur papier, 50 x 65 cm 2021, N'aie pas peur de tes blessures"/ لا تجزع من جرحك

 



 

H.M – Vous proposez aussi d’en finir avec le soufisme, c’est-à-dire ?


 

F.G – Qu'est-ce que le soufisme ; « c'est éprouver de la joie dans le cœur lorsque vient le chagrin » Rûmi

Le soufisme est la spiritualité musulmane, considérée, par les savants musulmans, comme une des sciences de la religion musulmane.

Ses principes sont la quête de la vérité et de la bonne direction, et reposent sur le renoncement au monde, à l'abandon des richesses, des plaisirs, des honneurs, des vanités superflues, tout en s'attachant à la stricte pratique des vertus qui élèvent l'âme vers l'Amour de Dieu.

 

« Mon cœur est devenu capable

D’accueillir toute forme

Il est pâturage pour gazelles

Et abbaye pour moines !

Il est temple pour idoles

Et la Ka’ba pour qui en fait le tour

Il est les Tables de la Thora

Et aussi les feuillets du Coran !

La religion que je professe

Est celle de l’amour

Partout où ses montures se tournent

L’Amour est ma religion et ma foi ! »

(Ibn Arabi)



 

 

H.M – Comment former les plus jeunes, surexposés au numérique et à la consommation, à la méditation et à l’art ?


 

F.G – Je pense que c'est notre rôle, en tant qu'artistes, penseurs et philosophes de proposer une alternative à cet environnement toxique où nos jeunes baignent : un monde où la seule constante est le changement, où le matérialisme devient roi, où les influenceurs remplacent les penseurs, et où les valeurs se perdent.

 

J'ai choisi, avec une belle équipe motivée et dévouée (Mondher Khanfir, Ahmed Nabli, Houcem Ben Jemaa) de créer une série de contes intemporels, “Hikayat” en arabe, qui parlent d'amour, de beauté et de sagesse, et qui sont illustrées avec des miniatures.

 

Le concept de Hikayat est à mi-chemin entre le récit et le conte, dont l'élément narratif est annoncé et énoncé, qui est de la fiction, sans être de la pure fantaisie comme le sont les Mille et Une Nuits, tout en ayant une sorte de prégnance comme une entité suffisante et brillante par elle-même, indépendamment du sens ésotérique, moral ou mystique qui s'y attache.  

 

Nous racontons l'histoire des héros, qui ont réellement vécu, et qui ont aidé, protégé et aimé. Il ne s'agit pas de héros qui viennent d'une autre planète ou qui aient été piqués par des fourmis ou des araignées, mais il s’agit bel et bien de Vrais Héros. Il s'agit des saintes et des saints qui existent, un peu partout dans le monde.

 

L’édition sous format d'une App, avec une animation et des lectures possibles en plusieurs langues et dialectes (avec ma voix), remet chaque Hikaya dans sa dimension universelle. Ce qui rend les personnages clefs encore plus proches….

 

Notre objectif est de participer à la création d'une nouvelle vision du monde, et d'accompagner tous ceux qui sont avec nous dans une quête de sens.

 

 

© Crédit photo : Fatma Gadhoumi ou Fatmina, "La peste". Gouache, aquarelle, argent et dorure sur papier., 30 x 40 cm, 2021. 

 

 

H.M – Qui inspire vos toiles et vos écrits : avant et actuellement ?


 

F.G – Il faut commencer dans le noir pour trouver la lumière.

Au début, mes peintures me permettaient de canaliser mes épouvantables tempêtes internes. Il s'agissait de mon refuge, de mon radeau, de ma lumière, sans laquelle je pourrais être plongée dans cette obscurité infinie. Par la suite, les ombres ont cédé la place aux miniatures : un étonnement contemplatif devant les mondes cachés et devant tout ce que le cœur peut en connaître. Je regarde alors le monde, mais pas avec mes yeux, avec mon cœur, tout en essayant de fendre les voiles qui cachent le paradis spirituel derrière. Cette peinture n'est pas véritablement le lieu d'une action mise en scène : en dehors du sentiment d'émerveillement, devant la beauté de l'image qui reflète un monde dans sa perfection, il n'existe aucune autre expression d'idée ou de sentiment quelconque.

Le drame, le pathétique, l'émotion sont absents : les combats sanguinaires n'inspirent ni terreur, ni pitié, ni dégoût, et les ruines ne diminuent en rien la splendeur et la beauté du tout.



 

(H.M) « Lalla Samra » est votre nouveau livre autour d’une femme. Qui est-elle réellement ?



 

F.G – Lalla Samra est une sainte soufie, qui a vécu à Sfax au 16ème siècle, et qui a combattu la peste noire, malgré toutes les douleurs et chagrins. Elle s'est donnée corps et âme pour aider les malades, les pauvres et les démunis…

Le fait d’avoir été en contact avec les pestiférés sans attraper le mal était interprété comme une bénédiction divine de Lalla Samra.  

Jusqu’à nos jours, sa mémoire est célébrée chaque début de printemps, avec une procession conduite par une femme entourée de deux chèvres noires, sous le son de percussion « Stambali », rappelant les cortèges de la mort de l’époque.



 

H.M – Vous pensez que la nouvelle génération manque d’assez de connaissances et de savoirs autour de l’Histoire ?  Ces histoires merveilleuses surtout autour des femmes se considèrent-elles comme lueur d’espoir, de chercher encore les vérités cachées dans nos médinas à Sfax ou dans d’autres villes ou pays ?


 

F.G – Hegel avait dit "on apprend de l'histoire que personne n'apprend de l'histoire"

Je ne partage pas complètement cette thèse : je pense qu'on ne peut pas avancer sans avoir une connaissance de l'histoire.

Cependant, dans le contexte actuel de mondialisation, de progrès technologique, et de disponibilité instantanée de quantités faramineuses d'informations, les nouvelles générations, et en particulier dans les pays du tiers monde dont la Tunisie (mon pays d'origine), subissent encore un système éducatif dangereux qui ne cesse de "débiliser", "aplatir" les connaissances avec des programmes mous, manipulés et réducteurs, et détruire la pensée critique des élèves (ça a commencé avec les dictatures successives et a continué après la révolution avec l'extrémisme).

Avec Safat Hikayet, nous partageons un rêve : celui de raviver des histoires oubliées de héros et héroïnes qui ont vraiment vécus, et qui ont participé à créer un monde meilleur, à transmettre des valeurs humanistes, et à communiquer un message d'amour, de tolérance et de sagesse.

Cette recherche historique, qui a commencé par Sfax mais qui continuera dans plusieurs villes et pays, est alors un moyen d'attiser la curiosité des lecteurs pour une histoire délaissée et ignorée, de donner l'exemple aux générations à venir, et d'inspirer un monde qui se mine en se divisant.


 

 

H.M – Fatmina, votre formation est principalement scientifique mais votre passion est purement artistique et spirituelle. C’est rare de trouver des profils qui réunissent les deux et qui excellent aussi dans les deux comme votre cas. Comme un mot de fin, quel est le message à transmettre pour ces jeunes qui ne voient l’avenir que dans la formation scientifique surtout que vous avez montré votre intérêt vis-à-vis de la jeunesse dès le début de notre entretien ?


 

F.G – Je vais répondre à votre question en deux temps :

D'abord, je suis à la fois artiste et ingénieur : parcours atypique et interdisciplinaire, mais qui a toujours existé avec de grandes figures comme Perret, De Vinci…

Je n'y vois pas une incohérence, mais plutôt une richesse. L’art donne un sens à l’inexplicable et à l’invisible, la science réduit nos ignorances en cernant de façon critique l’inexpliqué et l’inconnu.

Cette bipolarité essaie de rendre l'invisible visible, et d'unir ces deux mondes pour en créer un meilleur. J'ai choisi de suivre ce chemin sinueux, pleins d'embûches, d'incompréhensions, de douleurs et de défaites, mais aussi de réussites, d'accomplissements et surtout de sens (direction, signification, sensation), le plus important étant le chemin, non pas la destination.

J'ai fait un choix : c'était difficile au début mais le jeu vaut la chandelle.

Comme a dit Steve Jobs : Have the courage to follow your heart and intuition.”

Le travail ne doit pas être une torture (comme son origine latine tripalium), mais une source d'épanouissement et d'accomplissement.

Donc, selon moi, il ne faut pas que tu choisisses ta voie en fonction du gain pécuniaire potentiel, mais en fonction de ce que tu aimes, de ce qui te passionne et te fais vibrer.

Socrate a dit « La vie est trop courte et trop précieuse pour la passer à nous distraire et à accumuler un trésor périssable. Cherchons plutôt à en comprendre le sens véritable et à enrichir notre âme. »

______

 

 

Pour citer ces voyages poétiques (œuvres & entretien) inédits

 

Hanen Marouani, « Les vertiges du mystérieux et du merveilleux : l’art poétique de Fatma Gadhoumi » avec des œuvres de Fatma Gadhoumi et deux photos de Luca Tiozzo Pezzoli, Revue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels & fictifs », n°2 volume 1 & Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 « Les merveilleux féeriques féministe & au féminin », mis en ligne le 30 juin 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/hm-avecfatmagadhoumi

 

 

 

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9 mai 2022 1 09 /05 /mai /2022 13:59

 

REVUE ORIENTALES (O) | N° 2-1 | Entretiens & Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 | Entretiens artistiques, poétiques & féministes

 

 

 

 

 

 

 

 

Interview avec l'artiste-peintre

 

 

franco-haïtienne Élodie Barthélémy 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par

 

Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

Entrevue avec

Élodie Barthélémy

 

Artiste peintre franco-haïtienne

 

 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Fécondation in kwi", 1997.

 

 

 

 

© ​​​​Crédit photo : Portrait photographique de l''artiste Élodie Barthélémy par Ould Mohand.

 

 

 

Élodie Barthélémy est artiste-peintre franco-haïtienne née en Colombie où son père français fut diplomate. Elle a une œuvre picturale foisonnante et ouverte sur le monde. Elle nous parle à cœur ouvert de son parcours d’artiste et de ses réalisations. 

 

 

 

 

MDC –  Élodie Barthélemy, parlez-moi de votre parcours en tant qu’artiste-peintre ?

 

EB – Cela fait presque quarante ans que j’ai pris ce chemin. Je l’ai choisi adolescente avec comme objectif premier de mener une quête qui me mènerait jusqu’à ma mort. La peinture me semblait être la voie la plus longue, ce qui augurait un gage de longévité, effet escompté.

Je ne me suis pas trompée, je suis encore très loin d’être peintre. Je me donne encore cinquante ans si la vie m’accompagne jusque-là.

J’ai commencé adolescente par les installations et le modelage, si je résume : le volume, l’espace et l’amour de la poésie : Rilke, Baudelaire, Rimbaud, Michaux, Césaire et les amis de mes parents Jean Métellus, Roberto Armijo.

Puis ce fut la peinture aux Beaux-Arts de Paris dont je suis diplômée.

Depuis j’explore différents médiums : les tissus appliqués, les assemblages, les installations, la gravure, la performance, les œuvres participatives, en revenant régulièrement à la peinture comme un nécessaire retour sur soi.

 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Oliviers-Terre rouge", 2021. 

 

 

MDC – Votre technique de travail ? Les matières utilisées ? Bref tout ce qui relève de votre création artistique ? Vos sources d’inspiration ?

 

 

EB – Des lieux, matériaux et objets sont toujours à la source d’un travail. 

Un exemple de lieu ? J’ai séjourné pendant le confinement à Barjols, en Provence, où la terre de la garrigue est rouge. Cette couleur du sol qui m’entourait m’a connecté à différents lieux de ma connaissance en Haïti et au Honduras, à des souvenirs. Peindre sur le motif les oliviers croissant dans cette terre riche en bauxite échappait dès lors à une vision strictement locale et pittoresque. Cette perception en écho qui nourrit le sentiment de correspondance, de lien, d’union m’ancre dans le lieu et me permet d’y travailler durablement. J’y suis retournée à chaque saison.

Un exemple de matériau ? La calebasse. Avoir la rondeur de la calebasse entre les mains m’a amenée à explorer et partager les sensations et images liées à la grossesse afin de compenser une prise en charge hyper-technique et médicale de ce processus naturel. Ce travail m’a conduite à réinventer sans le savoir l’usage du masque ventral et à créer des impressions dont la matrice était des calebasses gravées dans l’exposition intitulée Fécondation in kwi en 1998.

Plus largement des lieux, des matériaux, des objets, peuvent faire surgir des rituels de passage : de la naissance à la mort en y incluant les chocs historiques et sociaux que l’on traverse ou dont nous sommes les héritiers.

Pour faire court :

Mes matériaux de prédilection sont : verre, terre, farine, calebasse, métal, tissu, fil, laine, racines, cheveux...

Les objets que j’affectionne : chapeaux, vêtements, paniers, chaises, bouteilles, outils…

Les rituels autour de l’enfantement, l’enfance, l’adolescence, la mort, le deuil, les ancêtres

Les problématiques liés à l’esclavage, les guerres, les migrations.

 

 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy et Laurent Grisel "La grande bugade", 2021. 

 

 

 

MDC – Considérez-vous que les arts puissent revêtir un cachet féministe tout en évoquant le merveilleux ?

 

 

EB – Le féminisme passe dans mon travail par l’évocation physique de gestes immémoriaux de celle qui lave, celle qui cuit et celle qui coud, celle qui aide (la sage-femme) chers à l’ethnologue Yvonne Verdier. 

Une œuvre intitulée « Terre nourricière » entre en écho avec votre question.

Je l’ai créée à la suite du tremblement de terre de 2010 qui a ravagé Haïti, pays meurtri qui avait déjà connu des émeutes de la faim lors de la crise boursière des produits céréaliers en 2008. 

Il faut savoir pour comprendre ce qui suit qu’Haïti est ma terre maternelle. Ma mère est ma mère nourricière. Haïti est donc ma terre nourricière.

Mais au-delà de mon lien avec Haïti, la terre nourrit les vivants humains et non humains. 

Le merveilleux qu’évoque votre question est celui emprunt de réalisme magique qui m’a tant marquée dans Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez et qui rejaillissait sous une forme tragique dans un reportage télévisé d’une chaîne française : Manger de la terre dans un marché haïtien pour couper la faim. 

Mon installation présentée à la galerie Agnès B puis au Pavillon haïtien de la Biennale de Venise dans une exposition intitulée Haïti Royaume de ce monde, titre emprunté à Alejo Carpentier, prit la forme d’un banquet avec de nombreux plateaux couverts de victuailles. J’avais façonné des galettes de terre parsemées de dents. Le merveilleux ? Cette artiste, cette femme que je suis, celle qui foule la terre et la paille puis la pétrit pour transfigurer la douleur et la perte en aliment. Ainsi cette terre qui dévorait ses enfants nourrirait la terre entière. 


 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Terre nourricière", 2011.

 

 

MDC – Quelle place faites-vous au féminin dans votre art ?

 

EB – Dans le Tao-tê-king, Lao-Tzeu calligraphie :

 

« L’Esprit du Val° ne meurt point

C’est le Mystérieux Féminin

l’huis du Mystérieux Féminin

Est racine de Ciel-et-Terre

Traînant comme une filandre à peine s’il existe

mais l’on y puisera sans jamais qu’il s’épuise

Et du ruisseau qui y coule. »

(Traduit par François Houang et Pierre Leyris)

 

Comme je l’ai évoqué précédemment, je fais beaucoup de places aux travaux auxquels les femmes sont assignées. Les gestes des lavandières, des couturières, des coiffeuses, ce qui relève du travail manuel dévolu aux femmes ont la part belle dans mon travail. Retrouver leurs gestes est ma façon de mettre en lumière le travail qu’elles accomplissent, en prenant soin de le sortir du cercle privé, en le partageant comme bien commun. 

Un exemple récent s’est déroulé lors du festival dédié à la poésie, à la performance et aux arts visuels des Eauditives en mai 2021, j’ai créé avec le poète Laurent Grisel la performance « La grande bugade : Lavons les avanies ! » autour du lavoir de la fontaine Saint Jean à Barjols. La grande bugade est le terme provençal pour la grande lessive qui permettait aux femmes d’écluser le gros du linge sale deux fois par an. Lors de notre performance participative, le public était invité à nous rappeler les expressions injurieuses de nos derniers présidents à l’égard du peuple. Nous les inscrivions sur des draps puis les lavions avec battoir, cendre, eau vive jusqu’à les sortir immaculés et essorés au son du chant repris par le public : Lavons, lavons les avanies ! Une sorte de catharsis sociale joyeuse par les bienfaits de l’eau. 

 

MDC – Est-il facile d’exister en tant que femme peintre par rapport aux peintres de l’autre sexe sur le marché de l’art ?

 

EB – Je constate avec satisfaction qu’il est plus facile aujourd’hui d’exister en tant que femme-artiste mais je dirai que cela vaut pour la génération qui m’a suivie. 

 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Entre deux ciels", Photographie par Anja Beutler, 2021. 

 

 

MDC – Peut-on considérer qu’il puisse exister une alliance entre l’art pictural et la poésie ?

 

 

EB – Une œuvre plastique peut prendre forme à partir d’un poème comme ce fut le cas quand je me suis éprise du célèbre poème « Se equivocó la paloma ». Ce poème écrit dans une période de grand désespoir par Rafael Alberti en 1941 à Paris, la guerre civile espagnole l’ayant contraint à l’exil, me procurait une sensation d’espace et d’improbable sérénité que je souhaitais partager. 

Nous étions entre deux confinements en 2020. 

La forme que j’ai trouvée est passée par l’interprétation de ce poème en LSF (Langue des Signes Française) commandée à la poétesse sourde Djenebou Bathily que j’ai filmée. Cette vidéo s’insérait dans une installation intitulée « Entre deux ciels » créée dans la cave d’une ancienne tannerie à Houdan, dans les Yvelines près de Paris. Elle répondait à un extrait de « Uruguay » de Jules Supervielle dont le livre ouvert était suspendu dans les airs, et dont on entendait la lecture enregistrée par le poète parlant Laurent Grisel. Cet extrait évoquait les nuages du ciel de la campagne uruguayenne qui sont comme des «animaux qui ne meurent jamais ». Cette cave accueillait le ciel bleui de la lune jouant avec un nuage calcifié, fossilisé surgissant du mur et le soleil métamorphosé en un cercle de livres irradiant de lumière chaude. Ces nuages qui ne meurent jamais peuvent évoquer tous ces poèmes, ces écrits, cette littérature qui nous maintiennent vivants et qui -pour ma part- m’ont éclairée pendant le confinement.

 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy et Laurent Grisel, "La grande bugade", 2, 2021.

 

 

 

MDC  – Vous avez eu une maman célèbre conteuse, quelles étaient vos relations avec elle ?

 

 

EB – Je l’ai présentée rapidement comme une mère nourricière. Elle est bien plus que cela. Mimi Barthélémy (1939 Port-Au-Prince 2013 Paris) était conteuse, chanteuse et comédienne, elle a écrit de nombreux recueils de contes, des spectacles et un roman. Elle a conté et chanté la littérature orale haïtienne partout en France, en Amérique latine et du Nord, à Cuba et ailleurs. J’ai eu la chance de travailler vingt ans à ses côtés comme scénographe de ses spectacles et illustratrice de certains de ses albums. Cela m’a permis de m’approcher de son soleil et d’être témoin de la conscience qu’elle avait de son rôle de conteuse et de l’importance de l’héritage qu’elle transmettait au public. J’ai reçu d’elle ce goût immodéré d’écouter les paroles qui vont à la source du vivant, des émotions, des sensations, des expériences fondamentales partagées, des archétypes du fond humain. Un bon terreau pour apprécier la poésie.

 

 

© ​​​​Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Petites annonces", 1998.

 

 

© Maggy De Coster & Élodie Barthélémy.
 

_____

 

 

Pour citer ces entrevue, dessins inédits
 

 

Maggy De Coster, « Interview avec l'artiste-peintre franco-haïtienne Élodie Barthélémy », dessins & photographies par Élodie Barthélémy & autres artistes, Revue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels & fictifs », n°2, volume 1 & Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 « Les merveilleux féeriques féministe & au féminin », mis en ligne le 9 mai 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/megalesia22/mdc-elodiebarthelemy

 

 

 

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