Christelle Reix, « La vague de sable », poème inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le 29 janvier 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/cr-lavaguedesable
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Maman,
Enfant, pour moi, tu étais la plus belle : perchée sur des talons hauts, le chignon impeccable, de la tenue, de la classe. Des heures entières à t'admirer et deviner quel était ton secret pour ne jamais rien froisser.
Enfant, j'ai envié ma sœur, cette insolente qui me prenait ma maman, qui squattait son sein et ses bras, monopolisait son attention, et me volait son temps.
Enfant, mon dieu que j'étais fière de notre ressemblance, du bout du menton à la couleur des yeux, jusqu'au miel des cheveux. J'aurais voulu être toi, n'exister que par toi.
Enfant, ta voix m'accompagnait le soir, récitant l'alphabet, me susurrant des contes mille fois imaginés, mille fois réinventés.
Enfant, tu soignais mes blessures, genoux écorchés, joues égratignées, petits maux sans gravité.
Enfant, tu savais consoler mes chagrins de petite fille qui perd ses jouets, ou se croit mal-aimée par des garçons très bêtes qui me faisaient marcher.
Enfant, tu décrochais la lune, faisais danser les étoiles devant mes yeux émerveillés.
Enfant, ta main dans la mienne, nos doigts entrelacés, j'étais reine du monde, et il m'appartenait.
Enfant, j'aurais pu tuer celui qui t'aurait contrariée.
Enfant, j'aurais voulu mourir pour t'avoir fait pleurer.
Enfant,
et c'est si loin déjà,
j'aurais donné ma vie pour ton éternité.
Adolescente, pour moi, tu es devenue haïssable : perchée sur tes talons trop hauts, le chignon jamais renouvelé, la tenue guindée, de la classe surjouée. Des heures entières à te détester et critiquer les heures que tu employais à repasser.
Adolescente, j'ai adoré ma sœur, cette indomptable qui embêtait ma mère, qui squattait ses jupes et ses bas, détournait son attention, et me donnait du temps.
Adolescente, j'ai refusé farouchement notre ressemblance, du bout du menton à la couleur des yeux, jusqu'au miel des cheveux. J'ai méprisé tous ceux qui affirmaient que j'étais ton portrait. J'aurais voulu être moi, n'exister que par moi, n'être née de personne, et surtout pas de toi.
Adolescente, ta voix m'exhortait le soir à aller me coucher, ne pas lire trop tard, préparer mes devoirs, réviser mes cahiers.
Adolescente, je cachais mes blessures, n'accordant qu'à moi-même le droit de me soigner.
Adolescente, les chagrins se sont faits clandestins, petite fille qui perd ses rêves d'enfant ou se sait mal-aimée par des garçons très bêtes qui me faisaient marcher.
Adolescente, la lune était trop haute, et les étoiles ne dansaient plus, la réalité, seule, m'entourait.
Adolescente, ton contact me dérangeait, et je prenais conscience que mon corps m'appartenait.
Adolescente, j'aurais pu te nier quand tu m'importunais.
Adolescente, c'est devenu un jeu que de te voir pleurer.
Adolescente,
et c'est si loin déjà,
j'aurais donné ma vie pour mon éternité.
Jeune adulte, ma haine s'est atténuée : perchée sur des talons moins hauts, les cheveux coupés courts, je ne voyais plus la classe ni la tenue guindée. Je ne te détestais plus, juste tu m'ennuyais.
Jeune adulte, ma sœur est devenue ton seul centre d'intérêt, encore à la maison, moi, je m'étais envolée.
Jeune adulte, notre ressemblance s'est atténuée, mes cheveux teints en noir me transformaient, et seuls les yeux bleus nous reliaient désormais. J'essayais d'être moi, d'exister avec moi, n'être née que de moi, et juste un peu de toi.
Jeune adulte, ta voix au téléphone me donnait des conseils, comment mener ma vie, plus comme ci, plus comme ça, préparer mon futur, être moins volage, plus adulte, responsable, devenir enfin sage.
Jeune adulte, je confiais mes blessures à des oreilles amies, et seul mon amoureux avait le droit de me soigner.
Jeune adulte, j'ai apprivoisé mes chagrins, laissé couler des larmes, seule auprès des hommes que je ne savais pas aimer.
Jeune adulte, j'essayais de décrocher la lune, et de voir danser les étoiles, en secret.
Jeune adulte, je ne venais plus te voir, trop loin, trop compliqué.
Jeune adulte, j'ai appris à me taire, et à laisser passer.
Jeune adulte, j'ai appris à mon tour ce qu'était que pleurer.
Jeune adulte,
et c'est si loin déjà,
j'ai compris que personne n'avait l'éternité.
Maman, à mon tour, plus de haine : à plat dans tes chaussures, les cheveux coupés courts, tu es devenue grand-mère.
Maman, ma fille est devenue mon seul centre d'intérêt, je lui aurais tout donné. Je t'ai abandonnée à ton rôle de mémé, encore jeune, mais un peu fatiguée.
Maman, c'est ma fille seule qui me ressemblait, du bout du menton à la couleur des yeux, jusqu'au miel des cheveux. J'oubliais qu'avant moi, c'était tout ton portrait.
Maman, ta voix au téléphone me donnait des conseils, comment élever ma fille, plus comme ci, plus comme ça, préparer son futur, être moins volage, plus adulte, responsable, devenir enfin sage.
Maman, j'évitais les blessures, je voulais être forte pour mon enfant, fière d'assumer, sans homme, sans toi.
Maman, j'ai écarté tout chagrin, laissé couler des larmes, seule auprès de ma fille qui m'apprenait à aimer. Tu étais tellement loin, j'avais tellement à me prouver.
Maman, j'ai décroché la lune et vu danser les étoiles dans ses yeux émerveillés. Les miens se sont ouverts à tout notre passé.
Maman, ma main dans la sienne, nos doigts entrelacés, j'étais reine du monde et il m'appartenait. Je ne venais plus te voir, trop loin, trop compliqué.
Maman, j'aurais pu tuer celui qui l'eût blessée. Tu étais protégée, rien ne pouvait t'arriver.
Maman, j'ai pleuré très souvent, cachée de ma fille, honteuse, comme en secret. Tu ne pleurais sûrement plus, tu étais trop âgée.
Maman,
et c'est si loin déjà,
j'aurais donné ma vie pour son éternité,
et oublier la tienne parce qu'on est ainsi fait.
Femme, aujourd'hui, tu es à nouveau belle : à plat dans tes chaussures, les cheveux teints de gris, de la tenue, élégante. Des heures entières à me rappeler combien je t'admirais.
Femme, je n'envie plus personne, j'aime tout simplement, et n'aspire qu'à une chose, nous redonner du temps.
Femme, heureuse de notre ressemblance, du bout du menton à la couleur des yeux, trois générations se répondent, nous sommes ton portrait.
Femme, ta voix au téléphone m'accompagne à nouveau, et j'aime que tu susurres des contes mille fois imaginés, mille fois réinventés, à ta petite-fille désormais.
Femme, je te raconte mes blessures, tu m'aides à les soigner.
Femme, je laisse parler mes larmes quand j'ai trop de chagrin, ça fait tellement de bien et ça ne coûte rien.
Femme, je décroche la lune, fais danser les étoiles, chaque jour devant mes yeux émerveillés, et je bénis le ciel que tu me l'aies transmis.
Femme, ma main ose la tienne, parce que c'est doux, parce que c'est bien.
Femme, je te souhaite paix et sérénité, consciente que rien ne nous préserve jamais.
Femme, j'espère ne plus jamais te faire pleurer.
Femme,
que je conjugue au présent,
je continue à grandir, lucide, car je nous sais, complices, mère et fille,
femmes,
pour l'éternité.
Ta fille.
***
Pour citer ce poème en prose
Christelle Reix, « Lettre à ma mère. Du je de l'enfant au je de la femme», lettre inédite, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le 29 janvier 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/cr-lettreamamere
Il est vrai, personne ne parle des fantômes en famine. Pour preuve, leurs suaires trop larges pour silhouettes émaciées. Comme si les mamans ou les couturiers de l’au-delà étaient en grève !
Au contraire des moines faisant bombance entre complies et mâtines, vous errez, anémiques, dans vos squelettes dégingandés. Vous n’avez même plus la force d’entrer dans une cuisine ou un cellier. Et quand, malgré tout, un soir de pleine lune, vous y parvenez, vous n’avez ni tire-bouchon, ni ouvre-boîte, ni même le tonus pour ouvrir le frigo. Votre voix porte moins que celle de la chouette : à peine un malheureux ouh, ououh… sitôt balayé par un vent mauvais.
Hanter n’est pas une sinécure, dans ces châteaux si coûteux à chauffer ! Des subventions pour les fantômes de garde ? Une écuelle de lait pour ceux de passage ? Vous n’y pensez pas ! Rares sont les chandelles en cette période de piètre conjoncture. Sans parler de vos chaînes, si difficiles à faire cliqueter.
Bien entendu, vos cousins de Valachie, les vampires, se portent un peu mieux, avec leur régime hémoglobiné. Mais certains, dit-on, se lassent de cette boisson peu variée. La cuisine des Balkans n’est plus ce qu’elle était ! Gris souris, les voilà chauves, comme s’il leur manquait des vitamines. Mais d’eux, nul n’a pitié !
Il est clair, si j’ose dire, que les barbe-à-papa sont nettement plus joufflus, voire obèses. Le diabète n’a en effet pas épargné ces faux spectres qui se bâfrent de sucre et se dandinent dans des foires ou sur les pixels de nos écrans. Laissons ces imposteurs dans leurs parcs thématiques.
Vous, mon pauvre Fantôme, vrai spectre trop candide, vous errez comme une âme famélique. Alors voilà : j’ai peut-être une solution. L’autre jour, j’ai trouvé, sur le rebord cotonneux d’un nuage, une étrange clef. Je crois bien qu’elle correspond à la serrure d’une porte un peu spéciale : celle du Jardin Premier.
À part un arbre fruitier et la trace d’un serpent bizarre, tout est à disposition. Le concierge, un ange gardien, est plutôt sympathique et le Grand Patron, tout le temps en voyage. Il y a de quoi faire bombance avec vos frères et vous requinquer un peu : le temps d’un ou deux millénaires.'
*Extrait de l'œuvre "Une brassée de lettres" de Claude LUEZIOR, 80 p., éditions tituli, Paris, 2016, isbn 978-2-37365-1.
***
Pour citer ce poème en prose
Claude Luezior, « Lettre à mon pauvre Fantôme », poème en prose reproduit de Claude LUEZIOR, Une brassée de lettres, Paris, aux éditions tituli, 2016 avec l'aimable autorisation de l'auteur et de sa maison d'édition, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le 28 janvier 2021.Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/cl-lettreaupauvrefantome
Mélomane accomplie, Christine Chatillon a rendu un hommage bien mérité au ténor allemand Jonas Kaufmann dans une trilogie poétique : « La plume et la colombe », « La voix d’airain »et « Au cœur du chant » BOD, 2020.
Ténor à la voix exceptionnelle, Jonas Kaufmann n’est pas moins inspirant. Aussi se fait-il « colombe » sous la plume de Christine Chatillon, émerveillée par sa voix inégalable. L’auteure se réfère à la signification de son prénom voulant dire : « colombe » en hébreu. Aussi considérait-elle le ténor comme une épiphanie, comme un insondable mystère. Dans « La plume et la colombe » (p. 53), nous lisons :
Cette voix m’appela comme un commencement,
Un cristal noir venait briser ma chrysalide ;
Un souffle me portait, j’étais une sylphide…
De cette belle voix, je naissais lentement.
Le lyrisme de la voix de ce prodige tombé du ciel induit la ferveur de l’âme de la poète et elle le mystifie si bien qu’elle semble le comparer au personnage biblique du même prénom, aussi s’exclame-t-elle encore dans « La plume et la colombe » (p. 25) :
Jonas, héros biblique au doux nom de mystère
Jonas, qui ignore être Muse de mes vers…
La force de ses mots est manifeste. Elle dénote la profondeur de la voix du ténor que la poète radiographie à l’aide de ses alexandrins.
Le ténor possède cet art phénoménal qui sait déclencher chez cette admiratrice des cascades d’émotions qu’elle consigne dans un poème de « La voix d’airain » (p. 24).
Lorsque la Terre chante, Jonas en est l’âme,
Car Jonas est larmes, Jonas en est cri.
Mes pleurs sur mon visages coulent sans un bruit :
Mahler ressuscité revient en une flamme.
C’est la voix d’un messie tant attendu, d’une icône, objet de vénération emplissant l’âme de la poète, colmatant les brèches laissées par les jours moroses. Et encore dans « La voix d’airain » (p.55), elle avance :
Il est né, cet Élu que la vie attendait.
Jonas nous offre l’or du héros, et de fait,
Dans nos cœurs bat son chant comme en une amulette.
Il est ce « singulier chevalier » qui nous offre le Graal de la musique par sa voix d’airain de ténor unique en son genre.
Le dernier volet de la trilogie, intitulé « Au cœur du chant » est en quelque sorte le reflet de ces temps troublés où les concerts en public sont annulés et remplacés par des concerts virtuels sans public. La mélomane est en empathie avec le ténor confiné donc réduit au silence. Elle exprime son ressenti, son manque, manque qui aiguise quand bien même sa créativité. Manque que laisse cette voix amie qui la berçait d’espérance (p. 44) : « Jonas, ton chant nous manque inévitablement ! » Subjuguée par cette voix qui la faisait renaître indéfiniment et réduite au silence, elle lance (p.50) :
Lorsque ta voix chante, elle mène aux confins
D’un monde qui se tait.
Ou encore :
J’en appelle à Jonas, j’en appelle à la beauté
De sa voix de velours, qui réchauffe les cœurs
À la page 56 nous pouvons aussi lire :
Voici venu le temps du manque insupportable
Le corps dont l’âme est faite a besoin de présence,
Lui qui, pour préserver sa mystique constance,
Est prêt aux longs voyages, qui maintiennent stable
Christine Chatillon ne tarit pas d’éloges pour son ténor favori aussi le pare-t-elle de tant de qualificatifs comme : « maître chanteur », « phénomène puissant », « précieux oracle », « singulier Tabernacle ».
Christine Chatillon évoque dans cette trilogie un ténor hors norme et met en évidence la complétude de son art.
***
Pour citer ce texte
Maggy De Coster, « Une trilogie poétique pour un ténor à la voix d’airain : Jonas Kaufmann », recension inédite, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le 27 janvier 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/mdc-trilogiepourkaufmann
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