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La traite des noirs
Marie-Laure [Gronardty-]Grouard
Poème choisi, transcrit, accompagné d’une brève présentation & d'une photographie de la poète par
© Crédit photo : Image de la lithographie signée Auguste Bry du portrait pictural de la poète Marie-Laure. Cette photographie a été prise par DS. en mars 2023 du recueil intitulé Essais en prose et poésies [par Marie-Laure] ; recueillis, publiés et précédés d'une notice biographique par M. Théodore de BANVILLE, Suivis de lettres...Version de l'image no 1.
Dite Marie-Laure, est une femme de lettres du XIXe siècle. Méconnue et peu étudiée, elle a laissé toutefois des écrits qui méritent notre attention au moins pour ce style affirmé et original qui les caractérise. Née Marie-Laure Gronardty-Grouard à Paris en 1822 (le 15 janvier), elle compose ses poèmes et proses sous son prénom composé Marie-Laure et décède bien jeune à Familly en 1843, emportée le 8 juillet par la tuberculose. On a d'elle : Les Églantines, W. Coquebert, 1843 et GROUARD, Marie-Laure (dite Marie-Laure), Essais en prose et poésies [Marie-Laure] ; recueillis, publiés et précédés d'une notice biographique par M. Théodore de BANVILLE, Suivis de lettres par MM. Chateaubriand, Jules Janin, Sainte-Beuve et mesdames Desbordes-Valmore, Amable-Tastu, Paris, Jules LABITTE, MDCCCXLIV/1844.
© DS., juin 2023.
La traite des noirs
Oh ! pourquoi vendaient-ils leurs frères ?
Pourquoi sur eux tant de mépris ?
Pourquoi tant de plaintes amères ?
Comme l'habit du Christ pourquoi les mettre à prix ?
La mort les épargnera-t-elle,
Ceux-là qui mettent l'homme au rang des animaux ?
Sera-t-elle donc moins cruelle ?
Et pourront-ils penser, sentir dans leurs tombeaux ?
Mais seront-ils donc plus qu'un reste de poussière
Par quelques siècles épargné ?
Pourront-ils retarder la mort, l'heure dernière ?
Oh ! non : quand Dieu le veut, bientôt ils ont régné ;
Bientôt ils ont suivi le destin qu'il faut suivre ;
Les enchaîneurs de liberté
Peuvent faire mourir, mais non se faire vivre
Par-delà le temps limité.
Rampez-vous toujours courbés au joug infâme ?
Hommes... ramperez-vous dans la fange traînés ?
Près d'eux resterez-vous plus lâches que la femme,
Ou pareils aux chevaux à leur char enchaînés ?
Pour entasser de l'or dans leurs mains déjà pleines,
Dites, ramperez-vous devant des étrangers ?
Non ; pour votre pays sillonnez seuls les plaines,
Votre brûlant pays aux forêts d'orangers,
Et ne vous courbez pas sous leur vil esclavage ;
Hommes, comme eux levez vos fronts,
Et que sur votre ardent rivage,
De ces tyrans maudits, rejetant les affronts,
Ensemble vous disiez : Vengeance aux vendeurs d'hommes !
Qu'ils soient attachés au malheur !
Qu'ils soient vendus aussi, qu'ils soient ce que nous sommes !
Qu'à leur tour ils disent : Horreur !
Mieux vaudrait errer sans patrie
Que d'être sous leur joug avec l'âme flétrie !
Pour étancher ta soif, pour apaiser ta faim,
Viens dans notre pays, viens, nos coups sont pleines,
Viens, esclave, avec nous partager notre pain ;
Pour le trouver ici tes mains seront sans chaînes...
De l'homme libre, ami, prends la noble beauté ;
Que ton âme bientôt heureuse,
De l'outrageant passé devenant oublieuse,
Sente en elle une voix qui dise : Liberté !
Mais pourquoi vendaient-ils leurs frères ?
Pourquoi sur eux tant de mépris ?
Pourquoi tant de plaintes amères ?
Comme l'habit du Christ pourquoi les mettre à prix ?*
* Orbec, Décembre 1839, III, pp. 387-390.
© Crédit photo : Image de la lithographie signée Auguste Bry du portrait pictural de la poète Marie-Laure. Cette photographie a été prise par DS. en mars 2023 du recueil intitulé Essais en prose et poésies [par Marie-Laure] ; recueillis, publiés et précédés d'une notice biographique par M. Théodore de BANVILLE, Suivis de lettres...Version de l'image no 2.
Le texte versifié ci-dessus est un poème humaniste et engagé politiquement pour l'abolition de l'esclavage. Il provient de l'ouvrage tombé dans le domaine public de GROUARD, Marie-Laure (dite Marie-Laure), Essais en prose et poésies [Marie-Laure] ; recueillis, publiés et précédés d'une notice biographique par M. Théodore de BANVILLE, Suivis de lettres par MM. Chateaubriand, Jules Janin, Sainte-Beuve et mesdames Desbordes-Valmore, Amable-Tastu (Paris, Jules LABITTE, MDCCCXLIV/1844, « III », pp. 387-390). La jeune et talentueuse poète Marie-Laure était atteinte de tuberculeuse, sa disparition prématurée a mis fin à sa capacité poétique de marquer son siècle par sa poésie très dense et partiellement gnomique. Ce poème intitulé « La traite des noirs » donne à voir une réflexion humaniste, philosophique, éthique, biopolitique et gnomique en forme de versification sur des problématiques comme l'esclavage, l'inégalité entre les humains, l'exploitation capitaliste des humains par les humains et le racisme. La poésie permet à la jeune poète de s'indigner, de se révolter et d'affirmer son refus total de l'exploitation servile d'un l'humain par son semblable en se basant sur la différence physique ou ethnique des personnes pour justifier l'existence des races humaines inégales, l'esclavage et le racisme. Elle défait dans ce beau poème les motifs superficiels qui racisent des humains au profit des dogmes de la pseudo-science racisalisante et raciste de son époque comme celle des siècles passés... Elle s'oppose au crime abject de la marchandisation des êtres humains et à leurs servitudes et asservissements. Son universalisme égalitaire transparaît sans concession. Cette poète abolitionniste et attachée à la pensée des Lumières fait plaisir à lire. Lisons, oui lisons ce poème et ses autres poèmes et écrits qui témoignent d'une grande âme au service de l'universalité des êtres humains et de leur égalité partout dans le monde.
© DS., juin 2023.
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Pour citer ce poème abolitionniste, gnomique & bipoépolitique de l'aïeule
Marie-Laure Grouard, « La traite des noirs », poème choisi, transcrit, accompagné d’une brève présentation & d'une photographie de l’autrice par Dina Sahyouni de GROUARD, [dite] Marie-Laure, Essais en prose et poésies [Marie-Laure] ; recueillis, publiés et précédés d'une notice biographique par M. Théodore de BANVILLE, Suivis de lettres... (1844), Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : HIVER-PRINTEMPS 2024 | NO I« Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes », 1er Volet & Revue Orientales, « Conteuses orientales & orientalistes », n°3, volume 1 mis en ligne le 16 avril 2024. URL :
http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientalesno3/megalesia24/ds-ml-traite
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