MDC — Sarah Mostrel, comment êtes-vous arrivée à la poésie puisque votre profession (ingénieur) de départ n’avait rien à voir avec la poésie ?
SM — La poésie m’est tombée du ciel ! J’avais déjà une sensibilité artistique par la musique, et en particulier le piano, que j’ai pratiqué toute mon enfance. Vinrent ensuite les mots, qui m’ont permis de déposer sur le papier des sentiments, des états d’être, des révoltes aussi que j’avais en moi. Le verbe m’est venu et m’a transportée dans les sphères de la poésie, qui permet d’exprimer le plus profond de soi, mais aussi la beauté du monde, perceptible à tout moment.
MDC — Selon Paul Valéry « L’essence de la poésie est la recherche de la poésie même ». Cette assertion trouve-t-elle sa justification dans votre poésie ?
SM — Le langage poétique est un art et comme tout art, il décrit, dénonce et tente d’éveiller le lecteur, auditeur, à une certaine finesse de la vie. C’est en tout cas dans cette esthétique, voire éthique, que j’écris. Décrire le fond de l’être, tenter de trouver des réponses ou au moins de poser les bonnes questions fait partie de mon processus créatif. La recherche du bon mot, du bon assemblage, non sans une association d’images souvent, est un travail ontologique qui part de la nature des choses vers son analyse.
MDC — Selon Cioran « Les poètes sont inutiles mais indispensables », ne pensez-vous pas que c’est plutôt la poésie qui est utile au poète ?
SM — La poésie est indispensable et j’ose espérer qu’elle l’est pour tous les humains. C’est une façon d’être, d’approcher la vie. Elle met un peu de délicatesse dans ce monde brutal. Il faut dire aussi que la poésie est diverse. Elle peut être engagée, tentant d’émettre un message politique, lyrique, romantique (en cela, elle est formidable car elle permet tous les excès), satirique, didactique, ludique. Elle est en fait un moyen de transmission, et est nécessaire pour le poète qui la manie bien sûr, mais surtout pour le monde, qui a besoin de cet essentiel…
MDC — Je veux croire que ce recueil de poèmes est de circonstance. Mais qu’est-ce qui vous l’a inspiré ?
SM — Les événements de la vie. La perte de proches. Ma quête vers la lumière, même dans les moments obscurs. Je m’accroche au Beau, même si dehors il fait gris et que dedans aussi, parfois. Emerger de la peine, donner une lueur d’espoir est le propre du poète qui est un passeur en quelque sorte. Je m’attèle aussi à rétablir l’inversion des valeurs de notre société contemporaine qui part à vau-l’eau.
MDC — À quelle fréquence écrivez-vous ?
SM — J’écris tout le temps, tous les jours, et parfois la nuit. Journaliste, j’écris tout d’abord dans le cadre de mon travail, dans la presse magazine. Ecriture bien sûr différente que l’écriture personnelle. La poésie, mais aussi les autres genres littéraires que je pratique (fiction dans le roman ou les nouvelles, prose dans les essais ou plus récemment le théâtre) sont de formidables moyens d’expression pour décrire, s’épancher, créer des personnages proches ou à l’opposé de ce qu’on est. La littérature ouvre sur les Autres.
MDC — Avez-vous un moment privilégié pour écrire ?
SM — Il fut un temps où j’écrivais essentiellement la nuit, lorsque mes enfants, petits, dormaient. Aujourd’hui, dès que j’ai un peu de temps ou d’ouverture sur mon temps personnel, je m’y mets. Je priorise mon expression artistique selon les échéances que je me fixe ou que l’on me fixe. J’aime le challenge et je réponds à beaucoup de propositions. Il faut alors parer au plus urgent. Restitution d’un manuscrit, réalisation d’une œuvre pour une expo (photo ou peinture), préparation d’un concert (j’ai notamment sorti six albums) etc. Beaucoup de travail, et de plaisir...
MDC — Question subsidiaire : Connaissez-vous des passages à vide qui vous plongent dans l’inquiétude ?
SM — Pas trop. Je n’ai pas le syndrome de la page blanche (ou de la toile blanche, dirais-je). Beaucoup de choses m’inspirent. La vie est d’une richesse infinie. La nature offre son éventail de beauté en permanence. Lorsque j’ai un passage à vide, je me ressource avec mes amis, je vais marcher, je voyage, je profite de l’offre culturelle qui ne manque pas. J’aime le théâtre, le cinéma, les musées, la musique. Je puise dans mes ressources, dans mon intérieur. La création m’est indispensable. L’art est un bien précieux.
MDC — Avez-vous éprouvé un sentiment de satisfaction après avoir terminé ce recueil et le voir publié telle une mission accomplie ?
SM — Oui, bien sûr. La concrétisation d’un travail me met toujours en joie. Et même si ce n’est pas mon premier ouvrage édité (j’ai dû publier une trentaine de livres), je suis toujours impatiente du résultat. L’objet est important. Je ne parlerais pas vraiment de mission accomplie, tout texte est perfectible et mettre le mot « fin » à un ouvrage n’est pas simple. Mais il est une étape. Son contenu est le reflet de la maturité acquise au moment où le livre est publié, de mon appréhension du monde que j’ai envie de partager à ce moment précis. J’ai eu la chance — et je remercie à cette occasion les Éditions du Cygne — d’orner ce recueil de mes dessins et encres. C’est une autre de mes facettes, et elle m’est chère. Elle est un plus dans l’entendement du livre. Je tiens aussi bien sûr à vous remercier, Maggy de Coster, ma préfacière, talentueuse poète et amie.
J’ai été à la fois touchée et flattée de faire la préface du recueil de ce recueil de poèmes car j’ai trouvé que c’était une marque de confiance de la part de Sarah Mostrel et je voulais lui prouver que j’étais digne de sa confiance comme les vingt-quatre auteurs précédents de tous genres littéraires confondus dont j’ai préfacé les livres.
Pour citer ce méta entretien poétique, inédit & illustré
Maggy De Coster, « Interview avec Sarah Mostrel » avec des illustrations des autrices, Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I « Inspiratrices réelles & fictives », 1er Volet, mis en ligne le 2 avril 2025. URL :
Alice Guy disait : « Le cinématographe était mon prince charmant ».
Ses contemporains l’aimaient bien. Elle a dirigé « le premier film de fiction » l’histoire du cinéma, « le premier péplum », et pouvait faire dessiner plus de vingt décors pour un seul film.
Nicole Lise-Bernheim, dans sa « Préface », à Alice Guy-Blaché Alice, Autobiographie d’une pionnière du cinéma (1873-1968), paru en 1976, annonce cinq cents films réalisés par Alice Guy, dont Un hanneton dans le pantalon (pp. 7-8). L’écrivaine souligne l’inaptitude de notre société à concevoir le génie féminin. Dans l’histoire future de la pensée féminine à travers les âges qui sera un jour écrite, au chapitre du XXè siècle, il y aura en lettres de feu le nom d’Alice Guy.
En 2021, une bande dessinée Alice Guy (scénario : José-Louis Bocquet, dessin : Catel Muller) participe à la réhabilitation de cette femme exceptionnelle, décédée en 1969 alors qu’elle est totalement oubliée et décorée de la Légion d’honneur. Comme beaucoup de films du cinéma muet, la plupart de ses films ont disparus et elle ne les a jamais revus.
Les réalisatrices du cinéma muet sont des anti stars oubliées derrière leurs caméras. Elles ont vraiment existé ! Elles devraient faire honneur au cinéma mondial. Ce n’est que depuis la prise de conscience en 2014 des violences faites aux femmes (voir La Malcontente) que les ouvrages sur Alice Guy sont inscrits dans les programmes scolaires. J’ai affronté cette « ignorance » pédagogique en 1993 en publiant Lire les femmes de lettres, longtemps absentes des manuels d’apprentissage littéraire.
Les noms de Dorothy Arzner, Germaine Dulac, Alice Guy nous reviennent parfois en mémoire, tels ceux des poétesses de la Belle Époque, effacés par Jean Cocteau et les Surréalistes. Mais sous les formules conventionnelles, l’influence, la puissance de l’art des pionnières du cinéma n’ont plus de puissance évocatrice. À l’inverse, les comédiennes telles Marie Pickford (aussi productrice), Gloria Swanson, Greta Garbo, Theda Bara, dite « la première vamp à l’écran », emblématisent la présence des femmes durant les trente ans du cinéma muet. Les stars féminines, dépersonnalisées, sont des marionnettes mises en vedette par des hommes : David W. Griffith, Mack Sennett (producteur célèbre), Léon Gaumont (« inventeur »), le Viennois Georg Wilhem Pabst, avec sa célèbre Loulou (le créateur et sa muse…) sont honorés, et ne le seraient pas s’ils étaient des femmes. Les visages maquillés, déifiés des actrices rappellent toujours la légende des origines, mais ce sont les hommes qui incarnent le cinéma muet, ce ne sont que des hommes auteurs de chefs d’œuvre.
L’étude d’Anne Bléger, Le Cinéma muet, une industrie qui fabrique des inégalités hommes-femmes, un art capable de renverser les hiérarchies de genres (https://hal.science/hal-03450292/document) stipule que « le cinéma, industrie patriarcale par excellence » (p. 52) laisse aux femmes des fonctions subalternes, comme pour les autres métiers de prestige. La présence de l’actrice Marie Pickford est l’exception qui confirme la règle, comme le sera plus tard celle d’Ida Lupino. En effet, Marie Pickford a fondé en 1919 les United Artists aux côtés de D. Fairbanks, Charlie Chaplin et D. W. Griffith. Le cinéma parlant d’abord, l’industrie de Hollywood ensuite ont évincé les œuvres des réalisatrices du cinéma muet car cette industrie naissante n’était pas prometteuse de gains fabuleux. C’est un cas archétypal de la discrimination dans la création artistique. Les femmes marquèrent de leur empreinte le domaine de la réalisation cinématographique, pour disparaître presqu’entièrement à l’arrivée du cinéma parlant. De leur carrière passionnante, de leur responsabilité dans l’industrie du film muet, il ne reste de ces « pionnières » que de rares témoignages, tous élogieux. Hormis les articles laudatifs de l’époque, et quelques interviews, un ouvrage leur a été consacré : Early Women Directors. Their role in the development of the Silent Cinema, par Anthony Slide (1977). Il rassemble et analyse les fabuleuses expériences de femmes exceptionnelles tombées sous de puissants couperets. Quelle est l’importance des images de la femme exacerbée par le star système face à l’intégrité et à la persévérance des réalisatrices du muet ? Le patriarcat de l’époque assignait les femmes avant tout au rôle obscur de ménagères, de mère procréatrices, de cuisinière à la chaîne, et en faisait de façon plus exceptionnelle des figures éclatantes, sortes de « déesses » alimentant les fantasmes des spectateurs masculins. L’irréparable duel de la maman et la putain, dont La rue dans joie de Pabst avec Greta Garbo est le soleil noir. Des femmes furent d’abord employées comme scénaristes : on en dénombre quarante-quatre en 1918. Puis elles s’octroient très rapidement des places importantes dans la presse : Adela Roger Saint Johns, Ruth Waterbury, Gladys Hall. La production et la vente des films sont aussi des secteurs qui ne sont pas verrouillés pour les femmes, où il fallait faire avec elles. Ainsi, Margaret Booth dirigea longtemps le département d’édition de la MGM.
En 1920, un ouvrage sur les « carrières féminines » alors possibles consacrait un chapitre au métier de réalisatrice ! Les débuts du cinéma ont ouvert un champ d’expression pour les femmes en dehors de l’industrie, un peu à la façon dont l’activité de « poétesse » fut un vrai métier de femme (voir mon article de 2011, souvent cité). L’industrie cinématographique américaine comptait alors plus d’une trentaine de femmes. Le cadre de cette chronique ne permet pas de présenter Lois Weber (1879-1939), « la réalisatrice sacrifiée par Hollywood », la scénariste Marion Fairfax (1875-1970) et tant d’autres. En plus, il y a wikipédia, la vitrine d’aujourd’hui, à la censure typiquement insidieuse. D’Alice Guy, l’incontestable pionnière, à Dorothy Arzner, elles réussirent à divulguer leurs idées sinon à les imposer, à remplir leurs tâche professionnelle et à faire respecter leur savoir-faire.
Agitons quelques noms ! Germaine Dulac (née à Amiens en 1882) est l’aînée. C’est une projection confidentielle dans une petite salle de la bibliothèque de cinéma du Forum des Halles (voir affiches) qui m’a fait reprendre ce dossier de jeunesse sur les « muettes » à l’image. Il ne reste que dix films sur les trente qu’elle a réalisés. Revoir un demi-siècle après La Souriante Madame Beudet (1923, 54 min.) et La Coquille et le Clergyman (1928, 44min.) qui m’avait éblouie quand j’étais étudiante de cinéma à Paris III, revient à en approfondir la connaissance.
Germaine Dulac n’a pas du tout la personnalité d’Alice Guy. Leurs œuvres sont complémentaires, et rendues possibles par la situation artisanale du début du cinéma. Germaine Dulac a écrit sur sa conception du cinéma, et a voulu faire un cinéma pur, en travaillant sur les moyens techniques.
Après avoir écrit des pièces de théâtre (voir wikipédia), Dulac exprime une création visuelle et des émotions au moment où la France est détruite par la Première Guerre Mondiale. Son style est expressionniste et ses thèmes sont très humains (cf. Âmes de fous, 1918). Ses films ont une musique visuelle, tel un leitmotiv qui porte les spectateurs. La Coquille et le Clergyman dont le scénario serait « d’après Antonin Artaud », n’est pas du tout dans la logique habituelle des récits du muet. Les Sœurs ennemies (1915) est un film aux thèmes féministes à la façon du « Message de Françoise Rosay aux femmes allemandes » (en majuscules), radiodiffusé le 29 novembre 1939 :
« Oui, ce soir, ma voix interdite ira jusqu’à vous, légère, immatérielle ; elle passera par-dessus la ligne Maginot, la ligne Siegfried, pour vous apporter un peu de vérité. Un peu de cette vérité qu’il vous est interdit d’entendre et que vous souhaitez tant apprendre ».
L’exposition que la Mairie du 9è arrondissement de Paris vient de consacrer à Françoise Rosay crée une relation forte entre les réalisatrices et muet et l’extraordinaire courage de « Die Rosay » d’annoncer aux « Femmes allemandes » :
« vous n’avez vécu que pour Hitler, vous souffrez par Hitler, le sort de vos enfants est entre les mains de Hitler, et
HITLER EST UN FOU ! » (voir encart)
Quelques vingt ans après Âmes de fous, écrit, produit et réalisé par une femme, Germaine Dulac, avec Ève Francis (1886-1980), la grande interprète du théâtre de Paul Claudel. Ce titre elliptique est totalement d’actualité pour une humanité menée par des fous, et aliénée par les écrans.
Aux États-Unis d’Amérique, Anita Loos (née en Californie, en 1895), est scénariste pour l’illustre Griffith dès l’âge de quinze ans. Elle est aussi romancière. Elle écrivit aussi des scénarios pour Douglas Fairbank, dont Son portrait dans les journaux, titre qui nous paraît doucement ironique, sur son mari John Emerson. Ses nombreux scénarios mériteraient une présentation analytique singulière. Elle compose aussi des comédies satiriques, telles Oh, you Women, Red Hot Romance, et écrit le célèbre roman traduit sous le titre Les Hommes préfèrent les blondes. Ses pièces et ses romans connurent de nombreuses adaptations cinématographiques. Certes, les États-Unis d’Amérique ne sont pas la France des Patriarches, où l’on verrait Anita Loos comme un Billy Wilder féminin. Elle peut se contenter du titre de « première scénariste des studios d’Hollywood qui a révolutionné le cinéma» (Elle, 13 avril 2024). Les formules conventionnelles expriment rarement la pensée d’une créatrice.
Dorothy Arzner (née à San Francisco, en 1897) a débuté comme simple sténographe chez Cecil B. de Mille, puis est devenue monteuse, scénariste et réalisatrice à partir de 1928. Elle est présentée aussi comme « productrice et pédagogue américaine », et « la première femme réalisatrice américaine ». Le titre « une pionnière à Hollywood » atteste de la récupération exagérée de ces créatrices qui sont toujours des cas particuliers, avec pour point commun le refus d’être assignée aux rôles de mères ou bien de vamps. Les films de Dorothy Arzner sont aussi très nombreux et contestent l’idéologie masculine dominante. Elle est passée au parlant, participant en tant que réalisatrice au célèbre Paramount en parade (1930), réunissant les vedettes de la maison Paramount, tel l’inoxydable et fabuleux Ernst Lubitsch, par un scénario de Joseph L. Mankiewicz. Il n’est pas aisé de traduire les titres de ses films en français. Ainsi, Fashions for Women est devenu La Chanson du bonheur (1927, avec la sublime Esther Ralston). Wild Party (1929) ne se traduit pas.
Alice Guy, née en 1873 à Saint-Mandé, près de Paris, fut tout d’abord la secrétaire de Léon Gaumont. Le cinéma débutait. Elle débuta avec lui. En 1896, l’intérêt de produire des films de Une amie d’Alice Guy, alors âgée de vingt-et-un ans, l’aida à écrire une nouvelle intitulée La Fée au chou (The Cabbage Fairy) qui plut à Léon Gaumont alors occupé à faire breveter ses inventions techniques.
Ce film projeté en 1896 est resté complètement absent des histoires du cinéma, qui célèbrent Louis Lumière et Méliès. En février 1904, La Fée au chou est cité comme ayant été réalisé par Henri Gallet, ancien directeur de cinéma chez Dufayd. Dans sa Filmographie universelle éditée en 35 volumes par l’IDHEC (Institut des Hautes Études Cinématographiques) à partir de 1963, le célèbre historien Jean Mitry impose un curieux titre : « Alice Guy et l’École Gaumont : Henri Gallet (en majuscules…). Il ne peut s’agir d’une imprécision pour un ouvrage aussi longuement composé. Relevez dans son Tome XVII – États-Unis 1920-1945 l’intitulé LES MAÎTRES (Ford, Wyler, Cukor, Hitchcock, Capra…). Hitchcock récemment confondu en tant que violeur, criminel sexuel. L’imposante bible de Mitry pâtit de l’absence de quotas, qui ont encore du mal à être appliqués en 2025. Dans des bibliothèques, le fichier « femmes » pour la création cinématographique renvoie à « veuve ». Pourtant, la différence de considération entre les femmes et les hommes ne devrait pas exister.
Alice Guy, dans son autobiographie, reprend les clichés communs à la profession. Voici comment elle dresse le constat de son rôle « inférieur » de secrétaire d’un grand homme :
« Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu [...]. M’armant de courage, je proposais timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis.
Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu ce consentement. Ma jeunesse, mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi.
Je l’obtins cependant, à la condition expresse que cela n’empièterait pas sur mes fonctions de secrétaire ».
« Les pantomimes lumineuses », les « phonoscènes » font florès quand Alice Guy est la première metteuse en scène du Comptoir de photographie Léon Gaumont. Ses muettes saynètes sont projetées au Cinéma Lumière sur les Grands Boulevards, à la Porte Saint Denis, probablement le plus ancien cinéma au monde. De 1895 à 97, Lumière, Pathé, Gaumont ont fait enregistrer par des subalternes d’innombrables petites scènes « de plein air » — qui évoquent l’infinie quantité de films youtube. En 1899, la clientèle de Gaumont réclama des « sketches comiques », et chargea de ce travail sa secrétaire Alice Guy, qui tourna « en amateur » dans les jardins de la propriété de Gaumont rue de la Villette. En octobre 1906, avec son mari Herbert Blaché, elle dirigea la succursale Gaumont. Germaine Dulac elle-même finit directrice adjointe des Actualités de la Gaumont, qui disposait jusqu’en 1914 d’un grand plateau (45m X 30m) à la Villette, considéré comme « le premier grand studio français muni d’un appareillage électronique » et « le plus grand studio européen » d’avant-guerre.
« Secrétaire, Agressée, Pute » sont les fonctions féminines que les femmes sont amenées à expérimenter (voir les travaux de l’artiste Alberto Sorbelli, notamment dans Tant de Philomèles en ce monde, LPpdm hors-série n° 4, sous ma direction). Tout est déployé, jusqu’au crime, pour éteindre la divine étincelle de l’expérience spirituelle féminine.
Qui n’a jamais su au XXè siècle que la première mise en scène au cinéma est l’œuvre d’Alice Guy ? Elle même l’ignorait, convaincue que le regard des créatrices fait tâche d’ombre. Une conquête féminine, aussi brillante soit-elle, dans les domaines de l’art et de l’esprit n’est jamais acquise une fois pour toutes. Alice Guy parle de « repos bien mérité ». Elle est taxée de « suractivité », voire de « dispersion » alors qu’elle a fait, dans ses films, d’un véritable génie féminin. Émigrée aux États-Unis où elle réussit à faire construire un admirable studio de cinéma, s’est éteint dans l’État du New Jersey en 1968. Elle qui n’avait pas de devancier n’a pas plus que Germaine Dulac les indispensables successeurs pour porter ses idées et l’origine d’une pensée véritablement féminine.
Le système ne laisse jamais place au doute. Il efface et marginalise des expériences rendues possibles par l’indépendance financière. Ainsi niée, régulièrement cassée, la connaissance féminine doit se consacrer à une recherche continuelle (cf. la quête d’Isis, déesse myrionyme).
Joseph Kessel était payé pour ses articles, alors que je suis obligée de quémander des places gratuites dans les cinémas en montrant les miens, ou ma carte d’handicapé, unique compensation d’un crime sexuel pratiqué par les policiers de Paris. Après mon bac, alors que j’allais chaque jour à la cinémathèque de Chaillot, j’ai constaté que je ne pouvais pas participer aux débats entre critiques parce que j’étais une femme. Je n’ai pu réaliser qu’un court métrage interactif, Rêve nu. La discrimination intellectuelle n’est pas près de changer, tandis que la censure misogyne se fait de plus en plus sournoise (« soft ») autant dans les malencontreux cénacles universitaires que dans les constellations des nouvelles technologies.
Reprise d’une étude plus développée et référencée commandée par la revue Filmographe, en 1977. Le recueil Cinévita atteste d’une connaissance sérieuse du cinéma des femmes (https://www.pandesmuses.fr/2017/cinevita.html, http://www.pandesmuses.fr/tag/camille%20aubaude/ et https://www.pandesmuses.fr/2016/03/philomele.html)
Pour citer ce texte illustré & inédit sur des créatrices du cinéma devenues nos inspiratrices
Camillæ ou Camille Aubaude, « Silence ! elles filment », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I « Inspiratrices réelles & fictives », 1er Volet & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 19 mars 2025. URL :
Hélène Frappat anime un ciné club au MK2 Beaubourg. Ces films illustrent la réflexion de cette écrivaine contemporaine sur la spécificité féminine dans l’art.
Le chef-d’œuvre de Kinuyo Tanaka Ô mes seins devenez éternels est traduit par Maternité éternelle. Il met en scène de façon dramatique la biographie d’une immense poétesse, Fumiko Shimojô. Une copie restaurée est projetée et commentée le 14 octobre. Ce film n’a jamais été montré à la cinémathèque de Chaillot où j’ai vu dans les années 1980 la plupart des chefs-d’œuvre du cinéma japonais, sauf celui-ci, alors qu’il aurait mieux accompagné que tous les autres ma vie de femme. J’ai longtemps eu chez moi une grande affiche de Tanaka (sur mon chauffe eau…). Je la voyais tous les jours, sans savoir que l’actrice fétiche de Mizoguchi a réalisé encore cinq autres films, jamais montrés dans les rétrospectives du cinéma japonais. Hélène Frappat nous apprend que Mizoguchi téléphonait aux producteurs pour leur demander de ne pas financer les films de Tanaka, une actrice aussi célèbre au Japon que Marlène Dietrich.
Maternité éternelle exalte la douleur d’une mère de deux enfants, un garçon et une fille, écrasée par un époux au chômage. L’homme exploite à fond sa femme pour élever les enfants, eux aussi tyranniques envers leur mère. Il moque avec vulgarité l’intérêt que manifeste sa femme pour la poésie dès qu’elle a un instant de libre. Au retour de son club de poètes, elle le surprend avec une autre femme. Alors qu’elle est frappée de stupeur, puis s’effondre en larmes, le mari lui signifie qu’une bonne épouse doit valoriser son mari et fermer les yeux sur ses infidélités. Ce type de diktat se lit encore en 2024 sous la plume du romancier japonais Murakami.
Ce film a sombré dans l’oubli et aurait dû y rester à cause de la mentalité despotique des hommes sur les femmes qu’il expose avec la somptueuse élégance d’une poésie écrite dans les étoiles. Le ressortir est l’acte de naissance d’un couple magnifique, celui de Kinuyo Tanaka, réalisatrice, et de Fumiko Shimojô, autrice de tankas, une forme brève de poésie japonaise. En conciliant deux choses inconciliables, Maternité éternelle construit des passerelles vers une autre intelligence de l’art.
Présenté comme le chef d’œuvre de Tanaka, cette vie d’une poétesse de tankas (forme brève) exprime des choses d’une importance considérable qui mériteraient une thèse. Je note que la notion de chef d’œuvre se colore aujourd’hui des thèmes de la féminité dans l’expression artistique. Un chef-d’œuvre de femme signifie encore « moins bon » qu’un chef d’œuvre dû à un homme. Hélène Frappat nous apprend au cours du débat qu’Alfred Hitchcock a violé une de ses principales actrices, Tippy Heydrey. Cette tension qui ne se lâche jamais entre les violences des censeurs et les œuvres de femmes engendre un mal-être. Les femmes telle Fumiko Shimojô qui doivent écrire en cachette de leur conjugalité, voient leur expression fragilisée, tandis que les censeurs sont injustement honorés — pensons à Stendhal plagiant Claire de Duras. Désigner un « chef d’œuvre de femme » est fait dans l’esprit de protéger des œuvres rendues « vulnérables » et déséquilibrées par la ségrégation sociale mais en fait très fortes.
La lecture d’Hélène Frappat est nouvelle et invite à d’autres lectures « amicales ». Il ne s’agit pas de faire preuve d’une quelconque habileté, encore moins de manipuler pour dominer. En revanche, les scènes fortes se succèdent, autant pour s’attacher aux racines de la psyché féminine que pour s’en libérer. Après les scènes de la joie de vivre avec des enfants à la campagne, Tanaka montre les corps morts qui sont conduits hors de l’hôpital où souffre la poétesse aux seins coupés1 ; les lamentations et les soins des morts s’inscrivent dans l’ordre cosmique. Les allusions des commentaires d’Hélène Frappat fabriquent un rapport furtif et assuré, nuancé et profond avec l’œuvre. Elles reconstruisent un corpus filmique dévalorisé au profit de la violence virile2. Les concepts inhérents à nos formations laïques sont temporaires, et à présent, ils ont l’atout de ne plus rejeter les clartés de la mystique.
Souffrir pour venir au monde, souffrir pour écrire. La poétesse est celle qui n’est pas vue, alors que ses poèmes font corps avec sa propre vision. Son corps est politique, les seins sont censés faire d’elle une femme, et Hélène Frappat considère la scène dans la baignoire où Fumiko montre ses seins coupés à une autre femme comme un « moment de subversion totale ».
Après l’opération, alors qu’elle se meurt, Fumiko vit une passion charnelle avec un journaliste de Tokyo qui a fait l’éloge de sa poésie tout en annonçant la mort certaine de la poétesse. C’est donc par la presse qu’elle apprend que le cancer du sein a atteint les poumons. L’insistance du journaliste pour obtenir des poèmes peut paraître morbide mais Fumiko y consent. La demande de ce bel homme venu de Tokyo profite à Fumiko, lui donne un surcroît d’existence. L’éternel féminin fait résonner dans ses poèmes portés par les sublimes images de Tanaka une langue commune à toutes les femmes. La notion de Goethe, magnifiée par Nerval sous les traits de la déesse Isis, s’allie à un autre grand thème : la maladie. L’engagement dans l’œuvre est acceptation de la mort. De toutes façons, c’est l’omniprésence de la mort qui fait penser l’écriture.
Par l’amour et l’œuvre poétique, la mort de Fumiko est le témoignage éternel de la poésie. Elle est le contraire de la mort de toutes les femmes qui doivent mourir dans les œuvres des hommes (voir mon Voyage en Orient), car elle ajoute au célèbre « désespère et meurs » de Chatterton, au sujet du poète, la maternité éternelle.
Chaque génération entretient avec ses moyens la fatale phobie des sexes en croyant tout réinventer. Ce n’est qu’une guerre de plus. À Hokkaido, le mode de vie de Fumiko est rural. La chirurgie paraît primitive. Or c’était il y a soixante-dix ans... Le groupe de poètes semble être le seul espace social l’égalité entre hommes et femmes est encouragée. L’intégration des femmes à une communauté réelle est suspendue à un idéal.
À présent, la génération des « Malcontentes » est prise dans une nébuleuse qui s’élève et s’abaisse en étant surtout happée par les faits dérisoires. Sortie du ghetto, la thématique des femmes retombe dans les clichés, s’enfonce dans des spéculations intellectuelles qui déclinent sous les formes presqu’outrancières la haine de soi. On croit inventer des lois qui n’ont pas la hauteur et l’à propos des lois de Charlemagne dans ses Capitula, qu’il faudrait connaître.
Et quelles images fabriquons nous ? La mise à nu de quelques rouages de la mécanique sociale du patriarcat fixe des mirages qui contiennent les germes de l’échec, comme le montre d’El Topo (1970). Inversement, au moment où la poétesse Fumiko doit être un cadavre, elle est tout sauf un cadavre. La magie s’accomplit.
Ce qui renvoie à l’actuel procès Pélicot, ultra médiatisé. La plaignante fut réduite à l’état de « belle endormie », autre grand thème illustré par Blanche Neige, et elle réussit à imposer au monde sa parole, comme une manière de star…
1. Du même registre que la langue coupée de la Princesse grecque Philomèle dans les Métamophoses d’Ovide, reconnue par les féministes américaines de la fin du XXè siècle comme l’allégorie de la poétesse privée de langue. Voir au Pan poétique des Muses le numéro hors série dirigé par Camille Aubaude sous le titre Tant de Philomèles en ce monde… voir http://www.pandesmuses.fr/2016/03/philomele.html et http://www.pandesmuses.fr/2016/03/table-des-matieres-du-n-4.html.
2. Le MK2 Beaubourg joue en même temps que le chef d’œuvre oublié de Tanaka tous les films d’Alejandro Jodorovsky. Je suis sortie presqu’au milieu d’El Topo (1970), et si j’ai regardé si longtemps ce spectacle d’horreurs, c’était dans l’espoir qu’elles s’arrêtent, puisqu’il s’agit d’un « saint » qui « s’engage dans la libération d’une communauté de parias » ; le propre fils du cinéaste âgé d’environ sept ans traverse à dos de cheval un village massacré (empalement, éviscération, et tutti quanti). Un colonel a une très belle servante sexuelle qu’il offre comme « des restes » quand il s’en lasse à des mercenaires aux faces cauchemardesques. Des prêtres sont violés et maquillés avec leur sang. Etc., etc. Cette complaisance dans la barbarie est justifiée par une critique sociale colorée de mystique. John Lennon et Yoko Ono ont produit ces imbéciles outrances.
Camille Aubaude (critique & images), « Maternité éternelle »,Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : AUTOMNE 2024 NUMÉRO SPÉCIAL | NO IV | « Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) », 1er Volet, & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 31 octobre 2024. URL :
Sarah Mostrel (poème audiovisuel), « Regards sur la ville », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2024 | NO III « Florapoétique », 1er Volet,mis en ligne le 30 juin 2024. URL :
RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION !
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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES (LPpdm) REVUE FÉMINISTE, INTERNATIONALE ET MULTILINGUE DE POÉSIE ENTRE THÉORIES ET PRATIQUES HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES 1er VOLET Crédit photo : Alphonsine de Challié, « beauty with pink veil...
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