29 janvier 2018 1 29 /01 /janvier /2018 16:25

 

Premier colloque 2017-2018 | III – La poésie et les poètes selon les aïeules |

 

III – 2 – Textes récents

 

 

Louise Labé, ses Sonnets et le « pleurer-rire »1

 

poétique : fonctionnalisme et symbolique

 

oppositionnels des quinquets2

 

 

 

Ouattara Gouhé

 

Université Alassane Ouattara

 

 

© Crédit photo : Ouattara Gouhé, Citation encadrée de Louise Labé.

 

 

 

Introduction

 

 

En se hasardant à quelque définition non fallacieuse, l’on dira de façon succincte, que le fonctionnalisme, d’apparence à la fois doctrinale et esthétique, est la théorie qui rattache l’œuvre d’art à son usage, c’est-à-dire au rôle qu’elle doit jouer du point de vue de la communicabilité. En rapport à un tel postulat, la fonction de la littérature, notamment celle de la poésie se concevrait tout aussi bien comme production langagière de « ce qui frappe en-dessous » après avoir frappé au-dessus. Allusion est faite ici à tout modèle langagier qui aurait un effet probant à l’arrière-plan d’une figure poétique obsédante.

 

Les vingt-quatre sonnets de Labé s’étaleraient comme un vaste champ passionnel et mythique régenté par un « dieu sinistre », l’Amour, associé à un comparse astral, le Soleil, dont l’éclat lumineux engendrerait le possible bonheur. En se situant dans la perspective cupidonesque, l’on doit considérer l’action des yeux au travers d’une écriture laissant transparaître, à l’origine, les flèches iriennes dirigées vers le cœur de l’être aimé. Mais les quinquets, par-delà l’obstination à la souffrance visible, auraient une autre activité plus subtile, celle consistant à procurer alchimiquement le ferment fluide et symbolique à la création poétique labéenne. Subtile opposition se dévoilant par l’intention de la poète à vouloir dégager du visible, c’est-à-dire de la douleur apparente, l’invisible pour l’art nécessaire et utile.

 

L’opposition tient donc, ici, de la pratique langagière consistant, à la fois, à montrer le réel et à le voiler délicatement, de sorte à donner au verbe poétique sa plénitude d’épanchement symbolique. Dans un tel cas, est-il possible d’appréhender aisément le type de fonctionnalisme à l’œuvre chez Labé ? Autrement dit, au texte de l’auteure transcrit en sonnets, une des formes les plus brèves qui soient, peut-on attribuer quelque vertu communicable ? L’a priori fondamental permet ainsi une analyse orientée vers la considération des sonnets de Louise Labé comme étant un réceptacle de présences permanentes et imageantes des yeux ; cette constance confère à l’écriture poétique une fonction presque « alchimique » qu’il convient d’évoquer pour aboutir à une sorte de réflexion sur la poétique de l’opposition.

 

 

Mots clés

 

Pleurer, rire poétique, exquise douleur, les yeux, fonctionnalisme

 

 

1 – Les Sonnets, un réceptacle de présences iriennes

 

 

Il s’agit, dans ce passage, de considérer la fonction des yeux que l’on pourrait situer à un double niveau de contraste : un stade purement béatifique et un autre absolument déstabilisateur.

 

1 – 1. La double occurrence des yeux

 

Comme s’il prenait la suite, à tout le moins, de la malheureuse scène de la perte des yeux du dieu Amour dans le Débat de Folie et Amour3, le Sonnet I donne aussitôt le ton de l’événement :

 

Cependant ces beaux yeux, Amour, ont su ouvrir

Dans mon cœur innocent une telle blessure,

Dans ce cœur où tu prends chaleur et nourriture –

Que tu es bien le seul à pouvoir m’en guérir.

 

La trame de ce qu’il convient d’appeler récit poétique, par sa teneur en dose historique, débuterait bien avec cette démolition réalisée précisément et habilement par le « beau » regard contrasté d’Amour. L’extrait ci-dessus révèle visiblement la fonction d’opposition de l’amour à la vie, à travers les yeux qui plantent leurs flèches au cœur et l’ébranlent, plutôt qu’ils ne le protègent. La confirmation semble faite au sonnet II dans cette apparence de complainte de la poète :

 

O beaus yeus bruns, ô regars destournez,

O chaus soupirs, ô larmes espandues,

O noires nuits vainement atendues,

O jours luisans vainement retournez :

 

O tristes pleins, ô desirs obstinez,

O tems perdu, ô peines despendues,

O mile morts en mile rets tendues,

O pires maus contre moy destinez.

 

O ris, ô front, cheveus, bras, mains et doits :

O lut pleintif, viole, archet et vois :

Tant de flambeaus pour ardre une femmelle !

 

De toy me plein, que tant de feus portant,

En tant d’endrois d’iceus mon cœur tatant,

N’en est sur toy volé quelque estincelle.

 

 

La présence contrastée des yeux n’aurait, entre autres intentions, que de montrer le bonheur d’aimer (« O beaus yeus »), mais aussi le malheur d’aimer (« ô larmes espandues »). À tel point que le symbole antinomique bonheur/malheur est un actualisateur de la vie avec tout ce qu’elle contient de dualité, de contraires, d’oppositions.

 

1 – 2. Une quête d’harmonie par la double fonction des yeux

 

Les yeux sont parsemés dans les Sonnets de manière absolument ambivalente : ils sont à la recherche du bonheur de l’amour, mais aussi du bonheur dans l’affliction. Les deux quatrains du troisième sonnet ont plutôt tendance à négliger ou occulter la présence de l’amour, signe objectif de bonheur, pour prendre le parti de la représentation des « deux yeux » envahis de part en part par l’immensité fondante de la douleur (« larmes », « rivières », « sources et fontaines ») :

 

Ô longs désirs, ô espérances vaines,

Tristes soupirs et larmes coutumières

À engendrer de moi maintes rivières,

Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

 

Ô cruautés, ô duretés inhumaines,

Piteux regards des célestes lumières,

Du cœur transi ô passions premières

Estimez-vous croître encore mes peines ?

 

On pourrait croire à l’absence de l’amour qui, pourtant et de façon subtile, s’investit dans les profondeurs plaintives de l’amante. Or, même si les tercets semblent énoncer un défi injonctif, Labé n’exclut pas l’intention d’opposer la passion heureuse de l’«Amour » à la passion affligeante symbolisée par les yeux :

 

Qu’encor Amour sur moi son arc essaie,

Que de nouveaux feux me jette et nouveaux dards,

Qu’il se dépite et pis qu’il pourra fasse :

 

Car je suis tant navrée en toute part

Que plus en moi une nouvelle plaie

Pour m’empirer, ne pourrait trouver place.

 

De ce point de vue, la question qui se pose est celle-là : quel fonctionnalisme accordé aux yeux ? Il convient de se résoudre à y relever une fonction « constative obsédante » de la douleur pour en appeler au manque : l’amour ou le bonheur de l’amour. On constate ainsi que l’amante dépitée, « navrée » devient insensible au mal pour se résigner à un possible bonheur issu de l’amour douloureux. De cette apparence oppositionnelle, la perception d’une recherche permanente d’équilibre compensatrice n’est pas à exclure (« Qu’encor Amour sur moi son arc essaie »). Le sonnet V semble illustrer cette quête symbolisée par le « travail » qu’exercent les yeux et qui consiste à jeter « plus de pleurs » avec la complicité absolue de « Claire Vénus » :

 

Claire Vénus, qui erres par les Cieux,

Entends ma voix qui en plaints chantera,

Tant que ta face au haut du Ciel luira,

Son long travail et souci ennuyeux.

 

Mon œil veillant s’attendrira bien mieux,

Et plus de pleurs te voyant jettera.

Mieux mon lit mol de larmes baignera,

De ses travaux voyant témoins tes yeux.

 

 

L’invite à l’amour est permanente, en ce que celui-ci est pourvoyeur à la fois de douleur et de bonheur, et d’une force réunificatrice cette fois, qui se situerait entre les deux énergies antinomiques et que l’on pourrait nommer harmonie. L’élément extatique « mieux » (V 5 et V 7) accorderait à l’œil le rôle de conjonction à l’intérieur de la contradiction ou du conflit. Le sonnet XXII rendrait bien compte de cette concordance harmonieuse que la poète conçoit dans sa puissance de manifestation cosmique (« Voilà du Ciel la puissante harmonie ») :

 

Luisant Soleil, que tu es bienheureux

De voir toujours t’Amie la face !

Et toi, sa sœur, qu’Endymion embrasse,

Tant te repais de miel amoureux !

 

Mars voie Vénus ; Mercure aventureux

De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;

Et Jupiter remarque en mainte place

Ses premiers ans plus gais et chaleureux.

 

Voilà du Ciel la puissante harmonie,

Qui les esprits divins ensemble lie ;

Mais s’ils avaient ce qu’ils aiment lointain,

 

Leur harmonie et ordre irrévocable

Se tournerait en erreur variable,

Et comme moi travaillerait en vain.

 

 

On se croirait en présence d’une opposition presque fatale depuis le vers 11 jusqu’à la clausule, mais celle-ci n’a de valeur que dans son application à l’individu esseulé, et n’aurait d’impact réel sur l’équilibre universel invoqué, dirai-t-on, par la poétesse. En outre, le rapport au mythe a le plus souvent constitué l’une des subtilités de l’écriture labéenne par sa fonction de facilitateur dans la rencontre de deux mondes. Selon Pierre Servet, « C’est par le recours aux mythes les plus ordinaires de l’écriture poétique et humaniste de la Renaissance que Louise Labé parvient à faire entendre sa voix, mythes aussi bien antiques (Sappho, Vénus, Orphée, Pallas et Arachné), que contemporains (la Laure de Pétrarque, la folie d’Erasme)4 ».

Le mythe peut tendre aussi ses ramifications vers l’allégorie qui manifeste le divin dans des formes beaucoup plus rapprochées du sujet plaintif, comme ce qui est illustré dans le sixième sonnet :

 

Deux ou trois fois bienheureux le retour

De ce clair Astre, et plus heureux encore

Ce que son œil de regarder honore.

Que celle-là recevrait un bon jour

 

Qu’elle pourrait se vanter d’un bon tour,

Qui baiserait le plus beau don de Flore,

Le mieux sentant que jamais vis Aurore,

Et y ferait sur ses lèvres séjour !

 

C’est à moi seule à qui ce bien est dû,

Pourtant de pleurs et tant de temps perdu ;

Mais, le voyant, tant lui ferai de fête,

 

Tant emploierai de mes yeux le pouvoir,

Pour dessus lui plus de crédit avoir,

Qu’en peu de temps ferai grande conquête.

 

 

La « claire Vénus » du sonnet précédent s’investit, dès lors, dans les démembrements que sont « clair Astre » et « Aurore » pour les noces virtuelles de l’amante et de l’amant dans l’éternité passionnelle. Ici encore l’œil mythique, dirait-on, fonctionne comme étant le témoin d’une orgie que l’on souhaiterait la plus extatique et béatifique possible, mais aussi comme un puissant et fabuleux conquérant auquel rien ne peut résister (dernier tercet).

 

De son interprétation mythique, la poétique de Labé se voudrait la certitude d’une aventure qui tente de s’affranchir de toute accointance avec l’homosexualité et la bacchanale. Il s’agit, avec l’œil, de voir ce qui n’a pas encore été vu, et que l’artifice langagier de l’écrivaine permet d’étaler : la vérité que les poètes masculins ont trop longtemps subsumée dans quelques parodies pétrarquistes.

 

 

1 – 3. Les yeux labéens et le pouvoir du « voyant »

 

Autant dire, comme au sujet du sonnet X, que la fonction des yeux labéens se dote du pouvoir du « voyant » qui sera clamé par Rimbaud trois siècles plus tard : « j’aperçois » (V1), « je te vois » (V4). Mais quelle est la vérité que la poète a pour devoir de discerner au sujet de l’amour-passion et de faire naitre par le langage ?

En se référant encore au sonnet X, il est fait mention, par deux fois, du terme vertu : « Et, de vertus dix mille environné » ; « Tant de vertus qui te font être aimé ». De façon inattendue, la question de l’éthique transparait dès lors qu’il est question de vertu, c’est-à-dire d’une sorte d’aptitude qu’a l’écrivaine à prendre en compte la dimension morale ou véridique dans ses propos concernant le lyrisme de la passion. Un article de Daniel Duport relève avec assurance cet aspect des choses :

 

Louise Labé choisit de toujours substituer au discours sur l’amour et au lyrisme conventionnel une parole vraie : ainsi réactivé, l’ethos imprime sa marque sur les ressorts du pathos. La fureur poétique, issue du corps et de l’émotion, […] qui préside au désordre du monde, commande un style naturel5.

 

En adaptant cette tirade à notre démarche, nous constatons que l’évidence pour Labé reste donc le discours de la sincérité autour de tout rapport passionnel ; sincérité que le cœur en folie et émoi ne peut exprimer mais, qu’à l’opposé, les yeux qui « voient » exposent le mieux :

 

Doncques, mes yeux, tant de plaisir avez,

Tant de bons tours par ces yeux recevez ;

Mais toi, mon cœur, plus les vois s’y complaire,


 

Plus tu languis, plus en as de souci.

Or devinez si je suis aise aussi,

Sentant mon œil être à mon cœur contraire.


 

Il faut convenir encore ici avec Daniel Duport pour dire que cette poétique des quinquets permet à Louise Labé d’« écart [er] les lieux communs néo-platoniciens sur les pouvoirs de la beauté au profit d’arguments issus de la « vérité des choses », comme la douleur, l’obsession et le rêve de fusion charnelle »6. Les yeux, chez Labé, auraient donc cette fonction révolutionnaire de rétablir le rêve d’une littérature donnant droit, dans ses productions, à la quête passionnée de l’amour vrai ; un amour concevable du point de vue de l’éthos et sans fioriture inventive. En conséquence, Chez Labé, la passion semble posséder ce « caractère moral » dont fait allusion Aristote au sujet de toute apparence de discours :

 

Les preuves inhérentes au discours sont de trois sortes : les unes résident dans le caractère moral de l’orateur (ethos) ; d’autres dans la disposition de l’auditoire, d’autres enfin dans le discours lui-même, lorsqu’il est démonstratif ou qu’il paraît l’être7.

 

Le dernier sonnet offrirait consécutivement la leçon sincère de ce qu’il convient de qualifier d’union « pure » :


 

Ne reprenez, Dames, si j’ai aimé,

Si j’ai senti mille torches ardentes,

Mille travaux, mille douleurs mordantes.

Si, en pleurant, j’ai mon temps consumé,

 

Las ! que mon nom n’en soit par vous blâmé.

Si j’ai failli, les peines sont présentes,

N’aigrissez point leurs pointes violentes :

Mais estimez qu’Amour, à point nommé,


 

Sans votre ardeur d’un Vulcain excuser,

Sans la beauté d’Adonis accuser,

Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses,


 

En ayant moins que moi d’occasion,

Et plus d’étrange et forte passion.

Et gardez-vous d’être plus malheureuses !

 

À l’évidence, la thématique de l’amour chez la poète envisage de considérer la présence de quelques éléments d’éthique sous la chrysalide de la vertu : la persuasion par exemple en appelle à l’inclination vers la vérité, donc vers la sincérité de l’énoncé (vv 8-11), le tout inscrit dans la patience qui conduit vers la passion extatique vraie. C’est pourquoi, chanter l’amour par les yeux larmoyants est poétiquement plus utile si l’on se réfère au conseil de l’auteure : « Et gardez-vous d’être plus malheureuses ! »

 

 

2 – Opposition et alchimie verbale des yeux

 

Il est bien possible que le spectacle offert par les yeux, laissant apparaître objectivement une esquisse d’opposition consensuelle, ait une autre utilité, purement poétique cette fois-ci. En fait, le lyrisme larmoyant de Louise Labé se voudrait un travail subtil de l’écriture qui prend forme dans l’« eau » de la douleur. Il ne s’agit pas pour autant de perpétuer la souffrance, mais de la transmuter en quelque pure ondulation que seul le langage poétique permet d’immortaliser. L’élément le plus approprié à cet effet reste le chant que la poète maintient au plus haut point dans ses trois cent-trente-six vers. De plus, le questionnement rythmé par les monèmes sonores /kƐl/ et /ki/ du Sonnet XXI suggère assurément sa détermination proclamée de transformer le vers de la douleur en cet « art [du chant] qui aide la Nature » (V 13) :

 

Quel chant est plus à l’homme convenable ?

Qui plus pénètre en chantant sa douleur ?

Qui un doux luth fait encore meilleur ?

Quel naturel est le plus amiable ?

 

 

Il s’agit donc, dans cette ultime partie, d’orienter l’analyse vers un mieux être octroyé par l’écriture labéenne à travers le chant poétique et aussi à travers l’art d’engendrer le lexique de la « joie » poétique.

 

 

2 – 1 – Le larmoiement des sons et le rythme de la nature

 

Certes, on pourrait noter au passage cette volonté manifeste de l’écrivaine à opérer un exhibitionnisme de son intériorité de façon narcissique, dès lors que les yeux marqués par l’expérience et l’anecdote en soumettent la preuve efficiente. Mais il convient de se focaliser davantage sur un lyrisme travaillé à la mesure du rythme de la nature, fut-elle humaine ou tout simplement universelle. Le sonnet XIV semble donner la mesure de l’univers chantant au rythme des « larmes épand[ues] » :
 

Tant que mes yeux pourront larmes épandre

À l’heur passé avec toi regretter :

Et qu’aux sanglots et soupirs résister

Pourra ma voix, et un peu faire entendre :


 

Tant que ma main pourra les cordes tendre

Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :

Tant que l’esprit se voudra contenter

De ne vouloir rien fors que toi comprendre :

 

Je ne souhaite encore point mourir.

Mais quand mes yeux je sentirai tarir,

Ma voix cassée, et ma main impuissante,

 

Et mon esprit en ce mortel séjour

Ne pouvant plus montrer signe d’amante :

Prierai la mort noircir mon plus clair jour.


 

De cette ligne musicale composée par les quatorze vers, on retient, par approche conventionnelle, la cadence eurythmique opérée par « tant que » depuis le début du poème ; cependant, la sonorité de « tant », plus précisément l’assonance en /ã/ qu’elle contient, est un élément expansif de mélodie dans l’ensemble du texte et à l’intérieur de la majeure partie des sonnets labéens. En nasalisant ainsi son texte à souhait par le jeu sur les cordes du luth, Louise Labé amplifie musicalement les vers dans leur entièreté.
 

Il semble évident que les sons convulsifs produits par la voix plaintive de l’amante qui pleure prennent la forme du chant rythmé, de façon dynamique, par le phonème vocalique /ã/. De ce point de vue, le vers se concevrait comme un réducteur phonique de l’image concrète de l’être larmoyant. Raison de plus pour que la poète adopte quelques supercheries formelles consistant à jouer avec les lettres-sons. Comme il est de constat, à la lecture du poème susmentionné et de plusieurs autres textes du recueil des sonnets, l’expansion de /ã/ s’accompagne d’occurrences accrues de la nasale /m/, des occlusives bilabiales sonores et sourdes /b/et /p/, auxquelles se mêlent les dentales /d/ et /t/. Les exemples sont patents lorsque l’on parcourt tous les sonnets d’un bout à un autre.
 

Ainsi présenté, le poème de Louise Labé devient un vaste champ sonore qui se manifeste par la conjonction d’une variété de phonèmes. À l’évidence, l’auteure maintiendrait cette volonté artistique d’opérer le transfert du désordre microcosmique vers l’harmonie macrocosmique exprimée par la variété du clavier universel.


 

 

2 – 2 – Des larmoiements à la « joie »


 

En évoquant la joie dans cette partie de notre analyse, référence est faite à la poétique troubadouresque d’accession à la félicité extatique de l’amour idéalisé. Par le biais de la métamorphose poétique, le fin’amor devient, en effet, chez les troubadours, le fondement d’une véritable ascension spirituelle. Autant dire que cette poésie initie une sorte d’évolution qui fait de l’amour un pouvoir privilégié d’accès à la plus haute spiritualité. L’amour ainsi métaphorisé par le langage poétique qui le porte à la perfection conduit tout droit vers un état quasi mystique, une extase du cœur que les troubadours nomment la « joie ».

Le code poétique courtois révèle, de ce fait, que le désir s’entretient de son insatisfaction, et la joie poétique n’est atteinte que par la conscience d’une possession inaccessible. En conséquence, ce sont les éternelles alternances du tourment et de la délectation qui nourrissent l’extase poétique et qui permettent à un certain poète nommé Guillaume d’Aquitaine de chanter la joie d’aimer :


 

Tout joyeux d’une joie d’amour

Plus profond que je n’y veux plonger.

Et puisque veux parfaite joie,

Tous mes efforts ferai porter

Vers la plus parfaite entre les dames,

La plus belle à voir et à entendre8

 

 

Pour le contexte, Louise Labé semble adopter, elle aussi, le code traditionnel courtois en procédant par une transmutation alchimique qui, de la résipiscence du désir accompli, débouche systématiquement sur l’écriture de la joie subtile, de l’extase. Il y a, autant chez Labé que chez Pétrarque, cette conception de l’écriture comme étant une expérience intimement liée à l’expérience amoureuse. Celui-ci semble projeter dans la Canzone la réflexion sur sa propre pratique poétique qui dévoile le lien étroit entre l’amour et l’écriture d’une expérience. C’est par un réseau triadique et métaphorique composé des éléments amour, dire et feu que le poète s’estime contraint au dire qui l’enflamme, sans que pour autant le feu de l’amour s’estompe. Au final, chez Pétrarque le feu de l’amour et le feu du dire s’entremêlent poétiquement afin de prétendre à la jouissance préconisée par l’écriture.

 

Dans les sonnets de Labé, le feu de l’amour est celui de l’alchimiste qui, avant l’action par l’écriture, produit la pierre philosophale : ici, la joie poétique d’amour qui est le ferment jointif du bonheur et de la souffrance. Aux « beaux yeux bruns » répondent les « larmes épandues » du sonnet II si l’on se situe simplement dans la concrétude de l’opposition. La joie des beaux yeux d’amour semble ainsi s’estomper pour laisser se perpétuer l’hydre de la douleur mordante.

 

Or, le subterfuge artistique de Labé consiste à maintenir justement cette joie par/dans les liens de l’écriture larmoyante ; un peu comme ce que laisse envisager la clausule du sonnet XIII : « Et d’un doux mal douce fin espérer ». L’artifice réside, entre autres, en l’emploi du réseau lexical de la douceur, de la tendresse et du bonheur à l’intérieur de ce qu’on pourrait qualifier de saumâtre symphonie des vingt-quatre sonnets. Plusieurs vers rendent ainsi compte de la présence subtile d’un bonheur plus spirituel qu’objectif :

Or, le subterfuge artistique de Labé consiste à maintenir justement cette joie par/dans les liens de l’écriture larmoyante ; un peu comme ce que laisse envisager la clausule du sonnet XIII : « Et d’un doux mal douce fin espérer ». L’artifice réside, entre autres, en l’emploi du réseau lexical de la douceur, de la tendresse et du bonheur à l’intérieur de ce qu’on pourrait qualifier de saumâtre symphonie des vingt-quatre sonnets. Plusieurs vers rendent ainsi compte de la présence subtile d’un bonheur plus spirituel qu’objectif :

SONNET I (Vers 1 à 3)

Si jamais il y eut plus clairvoyant qu’Ulysse,

Il n’aurait jamais pu prévoir que ce visage,

Orné de tant de grâce et si digne d’hommage

 

 

SONNET II (Vers 1)

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés

 

SONNET V (Vers 1 à 5)

 

Claire Vénus, qui erres par les Cieux,

Entends ma voix qui en plaints chantera,

Tant que ta face au haut du Ciel luira,

Son long travail et souci ennuyeux.

Mon œil veillant s’attendrira bien mieux

 

SONNET VI (Vers 1 à 3)

Deux ou trois fois bienheureux le retour

De ce clair Astre, et plus heureux encore

Ce que son œil de regarder honore.

 

 

SONNET VII (Vers 12 à 14)

Non de rigueur, mais de grâce amiable,

Qui doucement me rende ta beauté,

Jadis cruelle, à présent favorable.


 

SONNET IX (Vers 5 à7 et vers 9 à 11)

Lors m’est avis que dedans mon sein tendre

Je tiens le bien où j’ai tant aspiré,

Et pour lequel j’ai si haut soupiré

[…]

Ô doux sommeil, ô nuit à moi heureuse !

Plaisant repos plein de tranquillité,

Continuez toutes les nuits mon songe ;

 

SONNET X (Vers 12 à 14)

Et, ajoutant à ta vertu louable

Ce nom encor de m’être pitoyable,

De mon amour doucement t’enflammer ?

 

SONNET XI (Vers 1 à 2)

Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté

Petits jardins pleins de fleurs amoureuses

 

SONNET XII (Vers 12)

Lors que, souef9, plus il me baiserait

 

 

SONNET XIII (Vers 11 à 14)

Mais me voyant tendrement soupirer,

Donnant faveur à ma tant triste plainte,

En mes ennuis me plaire suis contrainte

Et d'un doux mal douce fin espérer.

 

SONNET XIV (Vers 6)

Du mignard Luth, pour tes grâces chanter

 

SONNET XVIII (Vers 5 et 6)

Las, te pleins tu ? ça que ce mal j’apaise,

En t’en donnant dix autres doucereus.

 

SONNET XXI (Vers 7)

Qui un doux luth fait encore meilleur ?

 

Comme il est de constat, et hormis quelques simples allusions au bonheur (sonnets VII, XIV, XXI…), la majeure partie des vers est doublement en rapport avec le lexique du mythe et une personnification proche d’un récit à la fois allégorique et mythique. Il a d’ailleurs été question, dans le courant de ce déploiement analytique, du mythe labéen lié à une sorte de recherche d’harmonie entre les contraires. De plus, le lexique de la présence des entités cosmiques qui s’y associe suggère l’acte d’élévation vers des sphères extatiques plus libératrices des contingences immédiates (sonnets I, V, VI…). Munie donc du tremplin inspirateur, c’est-à-dire la joie, la poètesse peut s’accorder pleinement à « Quelque travail » que l’écriture « assez [lui] donna ».

Le Sonnet IV se situerait ainsi à l’origine d’une poétique de combustion alchimique où le principe « feu » combiné à la « fureur divine » libère chez Labé la véritable « force] » de la création artistique :

 

Depuis qu’Amour cruel empoisonna

Premièrement de son feu ma poitrine,

Toujours brûlai de sa fureur divine,

Qui un seul jour mon cœur n’abandonna.

 

Quelque travail, dont assez me donna,

Quelque menace et prochaine ruine,

Quelque penser de mort qui tout termine,

De rien mon cœur ardent ne s’étonna.

 

Tant plus qu’Amour nous vient fort assaillir,

Plus il nous fait nos forces recueillir,

Et toujours frais en ses combats fait être ;

 

Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,

Cil qui des Dieux et des hommes méprise,

Mais pour plus fort contre les forts paraîtres.

 

Conclusion

 

Pour tendre vers une esquisse de conclusion, il convient d’évoquer le fait que Louise Labé comme la poétesse lyrique dont l’apanage, au travers des Sonnets, est de larmoyer véritablement, conséquence des tourments et afflictions dont elle fait étalage. Autant dire que les vers de ce grand texte ne donnent apparemment lieu à aucun accent de jubilation frénétique : ils semblent en appeler plutôt à une sorte de compassion ou sensibilité émotive profonde. Mais paradoxalement, c’est aussi par cette même écriture « sanglotante » de Labé que se profile et se dévoile une conception de l’art de l’exquise douleur.

 

 

 

Orientations bibliographiques

 

Berriot (Karine), Louise Labé. La Belle Rebelle et le François nouveau, Paris, Seuil, 1985.

Demerson (Guy), Louise Labé. Les Voix du lyrisme, Saint-Étienne/Paris, Presses de l’Université de Saint-Étienne/Éditions du cnrs, 1990.

Giudici (Enzo), Louise Labé. Essai, Paris, Nizet, 1981 ; « Louise Labé dans la littérature d’imagination », dans Littératures, 1984.

Labé (Louise), Œuvres complètes, éd. Enzo Giudici, Droz, Genève, 1981 ; Œuvres complètes, éd. François Rigolot, Paris, Flammarion, 1986.

Martin (Daniel), Signe(s) d’Amante. L’agencement des œuvres de Louïze Labé Lionnoize, Paris, Campion, 1999.

Mathieu-Castellani (Gisèle), La Quenouille et la lyre, Paris, Corti, 1998.

Matthews (Grieco Sara), Ange ou diablesse : la représentation de la femme au XVIe siècle, Paris, Flammarion, 1991.

Ruwet (Nicolas), « Un sonnet de Louise Labé », dans Langage, Musique, Poésie, Paris, Seuil, 1972.

Sabatier (Robert), Histoire de la poésie française, la poésie du Moyen âge, Paris, Albin Michel, 1975, p. 158.

Sibona (Chiara), Le Sens qui résonne — Une étude sur le sonnet français à travers l’œuvre de Louise Labé, Ravenna, Longo, 1984.

 

Notes



1 L’intitulé Pleurer-rire est, pour le contexte, emprunté à l’écrivain congolais Henri Lopès ; il ferait allusion aux personnages assombris par l’oppression, mais tout aussi capables d’accéder à l’allégresse par la dynamique de l’espoir.

2 À la considération argotique du terme quinquets, désignant les yeux, nous osons attribuer un sens purement poétique à caractère fonctionnel.

3 Le récit mythique de Labé présente Folie arrachant les « beaux yeux » d’Amour, de peur qu’il ne décoche l’une de ses flèches qui va l’atteindre au cœur.

4 Pierre Servet, « Comptes rendus », Revue Scientifique Persée, url.htt://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhen_0181-6799_1997_num_45_1_2184, p. 138.

 

5 Daniel Duport « Le naturel éthique de Louise Labé », Question de style n° 2, mars 2005, p. 6.

 

6 Daniel Duport, « Le naturel éthique de Louise Labé », Question de style n° 2, mars 2005, p. 7.

7 Aristote, Rhétorique livre I, chapitre II, 1356a, 3 [traduction Charles-Emile Ruelle, revue par Patricia Vanhemelryck], Paris, Le livre de poche, 1991, p. 83.

8 Robert Sabatier, Histoire de la poésie française, la poésie du Moyen âge, Paris, Albin Michel, 1975, p. 158.

9 Doucement

 

Lettre n° 13 | Articles & témoignages

 

***

Pour citer cet article


Ouattara Gouhé (texte et illustration), « Louise Labé, ses Sonnets et le « pleurer-rire »1 poétique : fonctionnalisme et symbolique oppositionnels des quinquets2 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Premier colloque international & multilingue de la SIÉFÉGP sur « Ce que les femmes pensent de la poésie : les poéticiennes » & Lettre n°13, mis en ligne le 29 janvier 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/1/sonnets-labe

 

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Premier colloque international & multilingue sur "Les théoriciennes de la poésie" de la SIÉFÉGP - Le Pan poétique des muses

http://www.pandesmuses.fr/colloques/theoriciennes-2017

 

 

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Rédaction de la revue LPpdm - dans colloques en ligne La Lettre de la revue LPpdm
23 janvier 2018 2 23 /01 /janvier /2018 13:28

 

Lettre n° 13 | Annonces diverses | Textes poétiques

 

 

Extrait de Clames de Claude Luezior

 

 

recueil de poèmes paru aux éditions tituli

 

 

en novembre 2017

 

 

 

Claude Luezior

 

Site officiel : www.claudeluezior.weebly.com/

 

Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur

© Crédit photo : 1ère de couverture de Clames, image fournie par Claude Luezior.

 

 

 

Le poème « grammaire » provient du recueil intitulé Clames des sortes de slams grammaire ») paru en novembre 2017 aux éditions tituli.

 

 

grammaire

 


 

à l’étuve

j’ai mis

quelques virgules

un semis de points

de points-virgules


 

au four

j’ai mis

quelques rimes

à la sauce

ancienne


 

au feu

j’ai mis

quelques impératifs

un semis de subjonctifs

trop chétifs


 

à l’eau

j’ai mis

quelques conjugaisons

aux entournures

qui me torturent


 

à la marinade

j’ai mis

quelques conditionnels

trop bedonnants

trop passionnels


 

à califourchon

j’ai mis

quelques suffixes

avec de la colle

d’adjectifs


 

à la fripe

j’ai mis

quelques reliques

de participes

trop passés

 


 

à la cave

j’ai mis

quelques règles

en sourdine

cent disciplines


 

à l’encan

j’ai mis

quelques tenailles

en vente, pas trop cher :

celle de ma grammaire

 

© CL

 

***

Pour citer cet extrait

 


Claude Luezior, « Extrait de Clames de Claude Luezior, recueil de poèmes paru aux éditions tituli en novembre 2017 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°13, mis en ligne le 23 janvier 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/1/grammaire

 

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Réception dans la presse

 

Nicole Hardouin, « CLAMES, Poèmes à dire, CLAUDE LUEZIOR, ÉDITIONS TITULI, Paris. 2017 »

 

Pour commander cet ouvrage aux éditions tituli

 

 

Recueil recommandé par Le Pan Poétique des Muses

Rédaction de la revue LPpdm - dans La Lettre de la revue LPpdm
21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 17:28

 

Lettre n° 13 | Muses au masculin

 

 

 

Driss Chraïbi inaltérablement

 

 

 

libre et libertaire

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre

 

© Crédit photo : Mustapha Saha, Portrait de Driss Chraïbi, peinture sur toile, 100 X 81 cm,

photographie par Élisabeth Bouillot-Saha

 

 

Contexte

 

 

Triste constat. En ce dixième anniversaire de la disparition de Driss Chraïbi (1926-2007), l’écrivain rebelle n’aura eu aucun hommage à la hauteur de son œuvre planétaire.

Le Salon du Livre de Paris, où le Maroc était l’invité d’honneur, a été une belle opportunité historique, piteusement gâchée par l’incompétence des organisateurs. Quelques colloques universitaires, marqués par leur élitiste confidentialité, au lieu d’amender cette pensée vivante, de fertiliser ses possibles inexplorés, de la propulser dans son devenir fécondateur, l’ont fossilisée dans la nébulosité des sempiternelles casuistiques. L’irrécupérable intelligence bute toujours sur l’indigente fanfaronnade culturelle. Je m’attendais, dans son propre pays, à une célébration institutionnelle qui l’aurait définitivement consacré comme inamovible bannière des lettres marocaines, comme inextinguible chandelle pour les générations futures. J’escomptais une initiative audacieuse d’édition de ses œuvres complètes enrichissant pour toujours les bibliothèques référentielles. Ses livres régénérateurs de la langue matricielle et de la littérature diverselle demeurent largement méconnus dans leur argile première. S’estompent encore une fois dans l’ambiante équivocité les inaltérables lumières.

 

 

 

Un auteur atypique

 

 

La trajectoire iconoclaste de Driss Chraïbi, convulsée, à chaque détour, par l’ironie socratique, déboussole les paramètres scientifiques, déroute les codifications académiques, déjoue, avec malice, les analyses critiques. Une littérature d’exil, creusant ses empreintes hors sentiers battus. Un capharnaüm de romances aléatoires, d’aventures homériques, de confessions épuratoires, de visions poétiques, de fulgurances prémonitoires, d’envolées mystiques, d’anecdotes sublimatoires, d’exultations fantasmagoriques, d’indignations fulminatoires, de déclamations catégoriques, d’investigations probatoires, de lucidités anthropologiques. Une quête perpétuelle d’inaccessibles rivages, l’imaginaire sans entraves pour unique territoire. Le donquichottiste assumé taquine l’impossible, l’œil rivé sur l’imprévisible. L’œuvre déclinée par éclats en puzzle chaotique, quand elle est saisie avec le recul panoramique, présente cependant une imposante cohérence esthétique, thématique, philosophique. L’auteur atypique, cultivant, toute sa vie, une marginalité savante, est entré dans l’histoire littéraire par la porte de traverse.

Dans sa vingtaine d’ouvrages, les audaces stylistiques, sous syntaxe classique, entraînent indifféremment le lecteur dans un flux et reflux aphoristique, où la saillie caustique guette au creux de chaque vague narrative. Les descriptions nostalgiques, les confessions pudiques, les déflexions mélancoliques, cachent immanquablement, dans leurs plis et leurs replis, d’inattendues réfutations sarcastiques. Dès que plume se montre prodigue d’épanchement romantique, le doute méthodique la rattrape. Le corps à corps de l’auteur avec l’inspecteur Ali, son jumeau golémique, vociférateur de vérités profondes, relève de la bataille épique. Chraïbi ne reconnaît que son double en digne interlocuteur. L’altruiste autistique, sans cesse désaxé par le cataphote sociétal, puise, au plus profond de ses meurtrissures, matière d’écriture. Le burlesque Inspecteur Ali, insoupçonnable perceur d’énigmes, se porte à son secours en pleine panne d’inspiration, endosse l’habit guignolesque des spécialistes du camouflage, couvre de son insolence la reconquête anxieuse de la terre natale, le dialogue rocambolesque des mœurs orientales et des mentalités occidentales, la dénonciation du phallocentrisme chicaneur, avant de liquider, au bout de six enquêtes désopilantes, son propre auteur.

 

 

Un esprit libre et libertaire

 

 

Tout au long d’une existence de risques et de doux fracas, Driss Chraïbi se constitue ses propres références éthiques, ses contremarques symboliques, ses balises sémantiques, reléguant la recherche désespérante et chimérique d’une identité culturelle aux armoires d’apothicaire. Peut-on se réduire à une étiquette langagière en guise de raison d’être ? La plume réfractaire aux dirigismes, rétive aux autoritarismes, revêche aux chauvinismes, cultive studieusement, autodérision en bandoulière, l’art du contre-pied, de la parade beuglante, de la répartie cinglante, et toutes les armes de tendre goguenardise des sensibilités à fleur de peau. Une sensibilité fiévreuse qui ne supporte que l’intime obscurité. La lumière se trouve au fond du puits.

Le chroniqueur désabusé des temps douloureux n’est jamais en quête de reconnaissance publique, la notoriété stimulatrice lui ayant été acquise dès son premier livre « Le Passé simple », descente identificatoire dans l’enfer de l’éducation castratrice, traversée purificatoire de l’archaïque purgatoire, genèse de la désobéissance épidermique. L’étudiant rebelle, le libertaire spontané, forge, par effraction, sa personnalité sociale dans la dissidence oedipienne, dans l’antagonisme frontal avec le père théocratique, l’affranchissement des cadènes matérialistes, l’émancipation des valeurs obscurantistes, la condamnation définitive des pesanteurs religieuses, des inégalités coutumières, des asservissements sexistes. Il brise instinctivement les loquets rouillés de l’identité séculaire, stérilisatrice de la diversité régénératrice. Il transcende, par l’écriture, l’appartenance à une double culture et surmonte, par la transgression des tabous stéréotypés, la schizophrénie récurrente des écrivains francophones.

Cette terre natale se drape de toilettes attractives, tantôt traditionnalistes, tantôt modernistes, se calfeutre dans son décorum touristique, étouffe, sous rituels immuables, ses luttes intestines. Regard implacable de l’autre rive, détecteur des tartufferies enturbannées. Dans « Succession ouverte », les funérailles du patriarche révèlent le vieux monde en décomposition, la nébuleuse inextricable des nomenclatures oppressives, la postérité venimeuse de l’hydre vampirique. La pensée libre butte sur les barrières physiques et métaphysiques, les sédimentations historiques, les œillères héréditaires. « L’Homme du livre » remonte « La Mère du printemps » jusqu’à la source arabique pour puiser, dans la révélation prophétique, l’espérance d’une nouvelle Andalousie, creuset d’une civilisation plurale et diversitaire.

 

 

Un écrivain d’avenir

 

 

Des chercheurs, amateurs des contextualisations fossilisatrices, s’évertuent d’autopsier l’œuvre de Driss Charaïbi comme un cadavre exquis, avant de l’enfermer dans un sarcophage de mausolée, oubliant, au passage, que sa littérature sacrilège creuse toujours son sillon démystificateur dans les réalités présentes. Dans la condescendance de la société coloniale, son livre-brûlot « Les Boucs », sur les damnés de l’immigration, dépouillés de leur amour-propre et de leur respectabilité, parqués dans des baraquements sordides, comme aujourd’hui leurs descendants dans les cités d’exclusion, dévoile l’intériorisation mentale de la dépendance aliénatoire et de la servitude volontaire. Critique incisive de l’idéologie d’intégration, des théories d’inclusion, légitimations légalistes de l’ostracisme programmé, et de la victimisation atavique, reproductrice du complexe de colonisé. Ces africains et maghrébins contraints de s’expatrier massivement pour se remettre à la solde de leurs anciens dominateurs sont bel et bien une factualité persistante. « L’Âne » pressent la faillite chronique des indépendances africaines, le développement du sous-développement des riches territoires livrés aux oligarchies corrompues. L’observateur des dérives politiques, le diagnostiqueur des impasses sociétales, l’explorateur des labyrinthes interculturels, demeure d’une actualité mordante.*

 

*Ce texte est sélectionné pour paraître dans un de nos numéros imprimés de 2018, © MS.

 

***

Pour citer ce texte

 


Mustapha Saha (texte et dessin), « Driss Chraïbi inaltérablement libre et libertaire », photographie par Élisabeth Bouillot-Saha, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°13, mis en ligne le 21 janvier 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/1/driss-chraibi

 

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Rédaction de la revue LPpdm - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 16:11

 

Lettre n°13 | Bémols artistiques

 

 

 

 

Les chefs-d’œuvre de

 

 

Mariano Fortuny au Palais Galliera

 

Maggy de Coster

Site personnel : www.maggydecoster.fr/

Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/

 

 

© Crédits photos : Robes Delphos de Mariano Fortuny, photographies prises

par Maggy de Coster

 

 

« Fortuny, un Espagnol à Venise » c’est l’intitulé d’une exposition au Palais Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris, organisée avec la participation exceptionnelle du Museo del Traje à Madrid et du Museo Fortuny à Venise.

 

© Crédit photo : Portrait de Mariano Fortuny, photographie prise par Maggy de Coster

 

Photographe, graveur, Mariano Fortuny après s’être orienté vers la peinture se tourne vers le textile vers 1906. Espagnol de naissance, ce styliste au doigt d’or, s’installe à Venise d’où son surnom de « Magicien de Venise ». Il se fait découvrir en 1911 à une exposition à L’Union centrale des arts décoratifs à Paris. La presse découvre ses créations (robes d’intérieur et d’extérieur, décoration d’intérieur) qu’elle plébiscite.

La robe Delphos, dont le plissé et l’ondulation sont inspirés de la toge de l’Aurige de Delphes, ne manque pas de séduire l’élite artistique que fréquente Marcel Proust. Une technique inventée par son épouse Henriette Nigrin, son étroite collaboratrice également.

 

© Crédit photo: Le châle Knossos de Mariano Fortuny, photographie prise

par Maggy de Coster

 

C’est dans sa résidence personnelle, le Palazzo Pesaro Orfei, à la fois atelier et musée que ses créations voient le jour. Intemporelles, ces dernières s’inspirent tant du Moyen Âge, de l’Antique gréco-romaine, de la Renaissance et aussi de l’époque arabo-andalouse de l’Égypte et de Byzance. Comme matières premières, il utilise le velours, la gaze mais aussi la soie importée du Japon. Les procédés d’impression sont multiples et complexes. Estampage à la planche en bois entre autres.

 

© Crédit photo : Une veste longue de Mariano Fortuny, photographie prise par Maggy de Coster

 

© Crédit photo : Une cape espagnole de Mariano Fortuny, photographie prise

par Maggy de Coster

 

Mariano Fortuny compte dans sa clientèle des personnalités riches et célèbres comme Isadora Duncan, la marquise Casati, Anna Pavlova, Alma Malher, Jeanne Lanvin et bien d’autres. Séduit par la coupe de son célèbre ami de styliste, Marcelle écrit dans La Prisonnière (1923) : « De toutes les robes ou robes de chambres que portait Mme de Guermantes, celles qui semblaient le plus répondre à une intention déterminée, être pourvues d’une signification spéciale, c’était ces robes que Fortuny a faites d’après d’antiques dessins de Venise. […] Avant de revêtir celle-ci ou celle-là, la femme a eu à faire un choix entre deux robes et non pas à peu près pareilles, mais profondément individuelle chacune et qu’on pourrait nommer. » ou encore « Le miroitement de l’étoffe d’un bleu profond, qui au fur et à mesure que mon regard s’y avançait, se changeait en or malléable par ces transmutations qui, devant la gondole qui s’avance, changent en métal flamboyant l’azur du Grand Canal. »*

 

© Crédit photo : "Avis du journal Le Figaro sur Mariano Fortuny", photographie prise

par Maggy de Coster

 

 

* Voir aussi : « Cette exposition « Fortuny, un Espagnol à Venise » (octobre 2017-7 janvier 2018) clôt la Saison Espagnole du Palais Galliera, ouverte avec « Balenciaga, l’œuvre au noir » au musée Bourdelle, suivie de « Costumes espagnols, entre ombre et lumière » à la Maison de Victor Hugo. »

 

 

Le texte ci-dessus a été sélectionné pour paraître dans le 2ème volet sur les femmes, peinture et poésie (sommaire à venir).

 

***

Pour citer ce texte

Maggy de Coster (texte et photographies), « Les chefs-d’œuvre de Mariano Fortuny au Palais Galliera », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°13, mis en ligne le 16 janvier 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/1/mariano-fortuny

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 10:32

 

Letter n°13 | Interviews/Lettre n°13 | Entretiens

 

 

 

Interview with Ibrahim Honjo

 

 

 

Tatjana Debeljački

 

 

© Photo credit/Crédit photo :  Ibrahim Honjo

 

 

Tatjana DebeljačkiGenerally speaking, what advice would you give us about author’s temptation ? Please provide an example of « what not to do ? »

 

Ibrahim HonjoWhen writing, authors encounter a variety of temptations that can be helpful in writing or which disorient the author, taking him/her in the opposite direction. In any case, we need to write the way we feel at that moment so that we do not to lose the idea and the coming thoughts and get lost in the idea itself. What we do not write down is lost. This is a « luxury » which an author cannot and should not allow to happen.

Everything we write needs to be left for some time to « age » and then it has to be re-done from time to time and improved. Personally, I work for 4-5 years on every book of poems. This means that I return to each poem several times as well as to each book as a whole, until I make sure that it is how I want it. Even so, when the book sees the light of day, I discover that I did not write something in that period the way I would write it today. That is why a poem is never finished, although it is a reflection of the moment in which it was created.

Each poem must have a message and a lesson. You do not need to write a poem so that everything fits well, and then the readers would be right to ask what the poet wanted to say. A poem must not be wonderful to the ear and empty in the spirit.

 

TDBalance of scenery of desire and ambition, beauty secret of success ?

 

IHDesire is not a direct ruler of thought. An author wants and tends to write as good a poem as possible, to write and publish a book that readers will be happy to read. Some succeed in doing so, some less, and there are those who fail. The path to success does not depend only on an author, although it is the basis, but also on a publisher who recognizes the quality and who is willing to invest money in marketing that work, because without good marketing there is no success. In my opinion, there are no other  special secrets of success. There are a number of subjective and objective circumstances. Today, the situation in the publishing industry is significantly different than it was 20 years ago. More and more publishers tend to make authors invest in their own work. The number of traditional publishers is decreasing from day to day. This led to hyper production. Books are more and more often self-published. We should not even talk about quality. Many books are published only because their authors thought it would make them rich, and in reality, only their publishers get rich, promoting self-publishing with the high cost of services paid by many authors who are trying to publish a book hoping that they will earn a lot of money. The real truth is that they usually lose even ten thousand dollars in their publishing ventures. In the end, they realize that there is no profit, but that it's still a nice feeling to have their own printed work in their hands. My personal ambition is to write and write. If one of them is published by a publisher someday, because my work is good and useful for other people, then it is a success. Therefore, the secret of success is in the high-quality educational work and the publisher's commitment to launching exactly this work into life.

 

 

TDCreation aims to leave a mark, the mark of faith in people and humanity, and this faith does not leave you ?

 

IHOf course, creativity is not the only purpose on its own. An author seeks his work to live in people and with people as long as possible, to leave a mark on the time in which the author lives. An author believes in what he offers to the readers of his work. He lives with this faith, but often during this author's life his/her work is not noticed nor accepted by a broader circle of the reading audience. Many creations become famous after the death of an author, and some never, meaning that some authors failed to leave the desired mark on people as a gift. And yet they died believing in people and humanity and hoping that someday, somebody would still discover the value of their creation and give it life.

 

TDDo you express ease of writing, the dominance of passion and culmination ?

 

IHIt is not easy to write in spite of the passion that the author feels in his writing. Writing is not just arranging letters, words, verses and sentences into one whole. Writing is the lust for the love of creation, which fills every pore of author’s body. It is a combination of feelings and life pictures that need to be woven into a creation which is acceptable primarily to the author himself, and to readers, framing the passion of writing in order to reach the culmination we strive for, and reach our own imaginary citadel.

 

TDOn the wings of the intimate, radiant empires remain in the curiosity of an author ?

 

IHAn author’s curiosity has no limits. It differs from author to author. Every author has his/her own dazzling intimate empire in which he/she closes themselves trying to extract the tiniest and most beautiful threads and give them to readers, the way he/she feels and experiences it. How much the author will succeed in this depends on his/her creative abilities and knowledge.

 

TDDo you feel that your writing process is continually evolving, or have you found a way for your memory to always readily work for you ?

 

IHIt is quite normal for the writing process to constantly evolve. Following my literary path, I noticed the progress of my creations. By writing, we actually learn to write and develop the writing process. This process starts with the first written verses or sentences and never stops as long as the author creates. Personally, I permanently seek and strive to perfect this process by nurturing such memory and keeping it ready to always be in line with my creativity.

 

TDAll poets were a little scared with insomnia in them ?

 

IHI would rather say that poets are afraid of themselves in their mind and that it causes insomnia that causes fear of a fall, but sometimes it helps them to write and sometimes it stops them. It is a fear of flying in the orbit of words, in which flying gets us to the final destination, a poem in which a poet can easily trip over his own words and break his wings if he does not ground himself/herself in time. So, we should know how to fly and ground ourselves on time.

 

TDWho is Ibrahim Honjo, in a civilizational and also in the artistic sense of consciousness and conscience ?

 

IHIbrahim Honjo is in every way an ordinary man who persistently tries to describe himself in this world and this world in him through personal experiences and the experiences of others. He is a man who loves people and humanity regardless of skin color, nationality and faith. A man who knows how to love and who strives for the idea that love rules the world or as the Bible says to love your neighbour and even your enemies. In my work, the theme is dominantly love, and love is also sprinkled in every poem regardless of the theme of them poem. In 2010, I created a simple formula for love LOVE + LOVE = LOVE. Unfortunately, I do not believe that this formula will come to life because there are many more people who cultivate hatred, which is not a characteristic of poets. A poet's heart is wrapped in love, so I can rightly say that poets are angels of love and they are in large numbers.

 


TDWhat inspires you most when writing ?

 

IHA poem is a description of a single moment that awakens by inspiration. The first written thought colours the moment of inspiration with different colors that I arrange according to shades and their similarities, interweaving them in poems. These shades have an inspirational character and lead me through the moment. Inspiration is not one-sided and it's not the same with writing all poems. These shades are always different and they always move the world inside me, leaving me to the world in which I live.

 


TDHave you ever been tempted to return and change your potential ?

 

IHThe ability to create is different from poem to poem. Sometimes it is stronger, sometimes weaker, which depends on the strength of the inspiration caused by the accumulation of emotions. Inspiration depends on the motivation to write something, and motivation by the very subject that spontaneously imposed itself on me, or it is a product of a desire to write a poem about it or to write something else. Certainly, I return to my writing from time to time, and I try to change everything to the best of my ability.

 

TDDo you enjoy with all senses with experience and passions of the gift ?

 

IHMy gift of writing is innate. When I discovered this gift as a high school student, I began to nurture and develop it. Indeed, with every pore of my being, I enjoy turning my experience into a poem or some other creative form (story, aphorism, novel, painting, photography, sculpture), bringing all the passion of writing, and sharing this experience with people unselfishly. My greatest pleasure is when a reader writes a message to me and says that my poem « opened » his or her eyes and helped him or her to understand and explain some things that were not entirely clear and acceptable. It's a really wonderful feeling and a great reward.

 

TDWhat can we expect from you in the near future on the creative agenda?


IHI have never specifically occupied myself with the future nor planned it because it is unpredictable. I'm trying to be objective and grounded, to remain in the framework of this day. Today is reality because it is here and it marks the time of the present. The future is close or distant, uncertain and unpredictable. It is just like a ray in my subconscious, as something that will come and become today. Desires are closely linked with today and with the future, even more with the future.

In the coming period I want to publish several books of poetry, a book of aphorisms, short stories and thoughts, a novel, « Some other pain and another laughter », to finish writing and publish my novel « Capitalism Yes, but ... » and to re-write and re-publish my autobiography, which was published in 2011by one of the largest American publishers, « Publish America. »

Gratitude to the gentleman with nice manners for an interview. Thank you all for giving me the opportunity to share this with the public.

 

***

 

Some poems by/quelques poèmes par Ibrahim Honjo

 

 

Ode to your eyes


 

In your eyes the color of blue pearl, Rebecca

red fish swim as rubies

all the way from Jerusalem

this landscape reminds me of

a plantation of lilies in the Netherlands

 

in your eyes I sometimes see

the promise of a million cracked open skies

in them resting subtle honesty

and dormant sparks of love

that I want to flare up in a blaze of passion

 

in your eyes waves of the Adriatic waters

in them the white Krka waterfalls

in them the waters of the Danube and Sava reflect

in them, the Plitvice Lakes

Atlantic, Pacific and the mighty Niagara Falls

 

your eyes exude a propagated smile

the morning dew and summer rain

illuminating the universe

and the infinite rainbows embracing the universe

from your eyes a secret like a bird will rush out

 

I feel, there will be a cloudburst soon

and I will not be there to stop it

and spare your eyes from filling with tears Rebecca

 

all this will remain a big secret

upon which the birds daydream in their cages

 

They dream of your eyes, Rebecca


 

***


Way to Eden


 

I will knit a scarf for you

from the wind

and string together

a necklace of haze

 

I'll make bracelets

of nocturnal shadows

 

I'll make you a bed

of the moon phase

 

cover you with my glances

and wake you up in the sun's rays

 

I'll wash you with drops of dew

from the most beautiful and aromatic flowers

 

I'll wrap you in the tender rhapsody

of my glistening silhouette

 

we will walk in fervent embrace

from here to Eden


***

 

Dreams the changed Ana 


 

I'll trick you and take you to the North Pole, Ana

there I will look after you as little drops of water in my palm

there I'll warm you up with love

I'll make the most beautiful city of ice in all colors for us

and decorate it with crystal dreams

I will keep you away from all spells and all earthly evils

I'll build you a big ice aquarium

with a million blue fish and a  million pearl shells

I'll make sleds from carved ice crystals

and drag them around the North Pole

up to the big ice star

while you dream our dreams

and hide us in them secretly

 

all will envy us that we have found shelter

for the two of us in unfulfilled dreams

coming true in unrationed bites of Mahalla

that always surprise

the playpen with large ice walls

that fire cannot melt

 

we'll sail on ice floes

that float toward Newfoundland

we'll play with penguins all night long

and eat fresh sea fruits

I will host the greatest earthly Ball

in your honor

once a month

we will dance with dolphins

and whisper to them the origin of life

in our undefined world

we will show them how we kiss each other

until the ice under our feet becomes

beautiful crystal figurines

 

Ana, if you dream about me tonight

pretend I'm holding you in my arms and kissing you

on our yacht of blue ice crystals

while the sun goes down in your heart

I'll bring you a handful of the most beautiful diamonds

hidden deep in the waters of Antarctica

and I will make the most unusual string of pearls for you

and dress your beautiful neck vividly

as I once did with oxeye daisies

I'll teach you how easy it is to love me

in all seasons

in all the constellations

 

Ana you know I do not lie to you

Keep hiding in your dream…

the one I enjoy most

and have a beautiful life

because I cannot hide from it

cannot protect against all Mahalla’s dangers

life is too short to allow it to dissipate around Mahalla

but those dreams with you are something else

 

something that could outlive even myself

 

 

***

 

 

The oldest cypress in Mahalla


 

I will not talk about the bey Karađoz

nor of the fountains in my backyard

I'll show you the oldest cypress in the world

we will sit and kiss at his roots

branched in all possible directions

we will hide in our glances

 

Cicadas will sing their famous song to us

we'll listen and learn the history written in stone

others will invent it and retell it

the way it should sound

right for them

altering facts about everything

 

do not be surprised if they accuse us

of treason and declare us heretics

 

continue to love me

 

the fact is

our cypress is strong and steady

I wish you and I to be like the cypress

and following consistently

united we’d grow tall

to reach the stars

 

***

 

Legend about my grandfather

 

 

My grandfather, whom I do not remember

has never had a fiddle

has never seen a piano

yet he played both at the same time

 

with a pitchfork he played the violin

with a hoe he chose the notes on the piano

he played better than Mozart and Beethoven

 

while playing he enjoyed invisible walls

in an imaginary castle

with him African and South American parrots were singing

deer and rattlesnakes were dancing the waltz

and Native Americans synchronized smoke signal rhythms

with each note

spreading peace on the planet

 

he taught his four hundred goats and three hundred sheep

to sing in the choir

when he played love songs

that he composed

picking pumpkins in the fall

and making brandy the first days of winter

 

about my grandfather the legend said

bears and lions smoked the peace pipe

and drank water from the same source

 

my grandfather was the first minstrel in Mahalla

also the first pianist and violinist

he played the violin that he made

out of the one maple tree that grew in front of our house

just to keep alive peace on the planet

 

so he made the biggest bridge between continents

that no one has ever used out of spite

they say when my grandfather shouted

from the top of the mountain

the world’s army lined up in an instant

and paid respect to those who they murdered

in sign of support, my grandfather hugged his sweetheart

and kissed her until the apples didn't bloom in Mahalla

and peace with peace did not fertilize in peace



 

***

Inferno


 

They danced, ate, drank, sang

I broke my own hands

broke my own feet

plucked my hair and ears

scratched my face

broke everything what was mine

eventually, I gouged my eyes out

took out my heart

and threw it in front of raging beasts

and allowed it to sweeten

 

I gave them all my insane blood

quenched their thirst

they were greedy and dirty

as small starving children

after a chocolate dessert

and it wasn’t enough to them

they wanted my bones too

 

naked and without a soul

that part of me was strong

and laughed at their greed

 

insanely, creepy in one single cry

Mahalla has turned into an echo

beasts have turned into balls

rolled down side streets

 

my skeleton has become an unruly scarecrow

so I stopped this madness

 

Mahalla was finally breathing more easily

and I peacefully drifted away to sleep

then woke up from this horror

and declared it Honjo’s inferno

***

 

To quote this poetic interview /Pour citer cet entretien poétique

Tatjana Debeljački, « Interview with Ibrahim Honjo », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°13, mis en ligne le 16 janvier 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/1/ibrahim-honjo

 

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