26 juillet 2021 1 26 /07 /juillet /2021 15:57

 

Lettre n°16 | Bémols artistiques (réception cinématographique) | Revue culturelle d'Europe 

 

 

 

 

 

 

Huitième épisode du reportage-feuilleton

d'Occupation du Théâtre de l'Odéon

 

 

 

 

 

 

Chronique d’occupation de l’Odéon.

 

 

Un violent désir de bonheur

 

​​​​​​

 

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste

 

Reportage photographique par

Élisabeth et Mustapha Saha

 

 

 

​​© Crédits photos : Reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de l'Odéon à Paris, avril 2021. 

 

 

 

 

 

Paris. Dimanche, 18 avril 2021. Les occupants de l’Odéon, interdits de musique dans leur agora, s’invitent sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, espace privé que la police ne peut investir. Une joyeuse kermesse avec une fanfare, des chanteurs, des clowns, des mimes, des turlupins, des fantaisistes, des cabotins. Une bannière rouge arbore « Un Violent désir de bonheur », long métrage du réalisateur Clément Schneider, sorti en 2018. Le titre du film devient slogan, précepte, oriflamme. Je prends des photographies. Illusion d’optique. Mes yeux lisent obtusément « Un violent désir de révolution ». Clément Valette, graphiste, me narre l’aventure. « La première version de l’image-affiche du film de Clément Schneider se présente sur fond blanc. Elle reprend des caractères avec empattements néo-classiques Didot, créés par le graveur Firmin didot en 1784, largement utilisés pendant la période révolutionnaire. Cette version est nerveusement soulignée avec des feutres usés. Notre affichette ne comporte aucune photographie pour laisser place à la poésie portée par l’inscription et permettre à l’imaginaire de chaque regardeur de s’approprier le rêve. En 2017, quand le film est sélectionné au Festival de Cannes, dans la section Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (ACID), nous décidons, avec Sarah Schneider, d’imprimer l’affiche en 80 x 120 cm et de la coller dans plusieurs emplacements du XIIIème au XIXème arrondissement de Paris.

En 2018, nous optons  pour une affiche de type cinématographique confectionnée par une agence. Au même moment, la directrice artistique Caroline Pottier, me contacte pour  une exposition commémorant  le cinquantième anniversaire de Mai 68 dans l’espace Oscar Niemeyer.

Je reprends, pour cette occasion, la version initiale en la mettant sur fond rouge. Je remplace les traits en couleurs par des traits en réserve et des biffures bleues. La sérigraphie est effectuée par l’atelier L’Insolante, situé dans le XXème arrondissement de Paris. 

 

« Le violent désir de bonheur » est  également  imprimé en pleine page du journal L’Humanité en juillet 2018 dans la série « Tenir l’affiche ». En 2018- 2019-2020, je rejoins  discrètement le mouvement des Gilets Jaunes, puis, avec plus d’engagement, le mouvement  contre la réforme des retraites avec le collectif « Formes Des Luttes », où des graphistes contribuent avec leurs productions spécifiques : les images. Nous produisons  des milliers d’autocollants pour les manifestations dans toute la France. Nous organisons des expositions, des workshops. Nous donnons des conférences. Pendant le confinement, ce collectif travaille  particulièrement sur les thématiques du « Monde d’après »  et de la «Santé publique ». Pour le 14 juillet 2020, je conçois une grande bannière. J’achète un tissu rouge de 1m50 sur 2m50 chez mon fournisseur habituel Toto à Barbès.  Je bricole un système pour lester et suspendre le tissu peint. Je peins le motif dans mon atelier. La nuit, une partie des fûts de lettres accrochés au mur déclenche un effet visuel magnétique, captivant. Je fabrique d’autres drapeaux dans le cadre des occupations de théâtres, « Rends l’art Jean », « Nos cultures nos futurs »… À chaque nouvelle création, la technique de monstration s’améliore. Une image vaut mille mots ».

« Formes des Luttes » accompagne le mouvement d’occupation des théâtres en mobilisant des graphistes, des dessinateurs, des illustrateurs, des plasticiens, pour créer des affiches, des tracts, des banderoles, des bombages, des stickers, qui parent les lieux culturels, les restaurants fermés, les entreprises désertées, les universités abandonnées. Flash-back. En mai 68, nous installons l’Atelier populaire à l'École des Beaux-Arts, dernier quartier général du Mouvement du 22 Mars. Notre révolution est une fête permanente. Des croquis, des légendes s’improvisent sur une plaisanterie, une drôlerie, un éclat de rire. Le pays entier est en grève. Sauf nous. Nous travaillons sans interruption. Dans la rage. Dans la joie. Nous sortons en sérigraphie entre deux et trois mille affiches par jour, qui sont aussitôt collées sur les murs parisiens. Plusieurs équipes s’occupent des tirages. L’assemblée générale, en fin d’après-midi, fait le tri. Personne ne signe son œuvre. Personne ne s’offusque du rejet de sa maquette. La pratique dans l’urgence dicte l’organisation. L’esprit soixante-huitard inspire le style. Les artistes, connus et méconnus, se portent volontaires par dizaines. Les créations sont entrées dans l’histoire. Leurs devises ponctuent toujours l’actualité.

La formule « Un violent désir du bonheur » est empruntée au livre de Jacques Lacarrière, « La plus  belle aventure du monde », éditions Or des Étoiles, 1998. L’auteur compare l’expérience cistercienne aux grandes utopies sociales du XVIIIème et du XIXème siècle. Robert de Molesme et Bernard de Clairvaux, les maîtres spirituels de cette branche réformée des Bénédictins, fondée en 1098, anticipent les phalanstères de Charles Fourrier et le principe d’horizontalité fraternelle, libertaire, égalitaire. La Charte de charité des cisterciens, Carta Caritatis, rédigée en 1114 par Etienne Harding, établit l’autonomie des monastères, librement gouvernés par leurs membres. La localité prime la centralité. Le champ grégorien, composante musicale de l’office monastique, illustre le dépouillement des formes et l’essentialité du contenu philosophique. L’amour est la seule façon de dépasser la nausée de soi-même et du monde. « En créant l’univers, Dieu n’a pas seulement donné à l’homme d’être, d’être bon, d’être beau, d’être bien à sa place, mais en plus, il lui a donné d’être heureux. De cette béatitude, seule la créature raisonnable est capable » (Aelred de Rievaulx (1110-1166), Miroir de la charité, traduction française éditions du Cerf / éditions de Bellefontaine, 1992. Aelred de Rievaulx : L’Amitié spirituelle, traduction française éditions du Cerf / éditions de Bellefontaine, 1994). 

Dans « Un violent désir de bonheur », la révolution se subjectivise. Elle n’est pas seulement une lame de fond collective. Elle est transformation personnelle, éclosion cognitive, floraison créative. Arrière-pays niçois. Un petit bout de territoire. Le bonheur n’a  nul besoin d’un grand espace pour générer un paradis terrestre. Pierres anciennes du cloître, parcourues de nervures, sur lesquelles se devinent mille écritures. Symbolique de l’olivier, arbre du pardon, choisi par Dieu pour annoncer à Noé la fin du déluge. L’olivier, emblème de résistance et de persévérance. N’est-ce pas avec un pieu d’olivier qu’Ulysse terrasse le Cyclope ? Le film historique  se fait sémiotique. Le jeune moine Gabriel s’ouvre aux idées révolutionnaires sans renoncer à sa quête spirituelle. Il trace son propre chemin. Il découvre les voluptés charnelles. Marianne, messagère de l’amour  et de la révolution, est noire. Muette, elle ne retrouve sa langue et son éloquence qu’au dénouement de l’histoire. Je pense à L'Évangile selon Saint Mathieu de Pier Paolo Pasolini. L’histoire existentielle d’un Christ humanisé. La passion divine  poétisée. Les prophètes sont substantiellement des poètes. Le rôle est proposé à des poètes, le russe Evgueni Evtouchenko, l’espagnol Luis Goytisolo,  l’américain Jack Kerouac. Ils refusent. Le personnage est finalement joué par un étudiant, Enrique Irazoqui. Le cinéaste use à satiété des zooms avant comme des projections dans le présent. Fusionnent le proche et le lointain. Le rôle de Marie âgée est tenu par sa propre mère, Susanna Pasolini. Le tournage se déroule dans le Mezzogiorno, toujours archaïque, toujours nécessiteux. J’ai bien connu Pier Paolo Pasolini. Ce film l’habitait comme une raison d’être jusqu’à sa fin tragique, en 1975. Je ne sais pourquoi j’ai identifié, instinctivement, l’auteur de Théorème au personnage de Gabriel. Comme une âme réincarnée. Le monde se chambarde, se renouvelle, se réorganise. Gabriel demeure dans le cloître, solitaire, ermite épanoui. Il témoigne aujourd’hui, sur écran, de la pérennité des convulsions salvatrices. 

 

Récit sonore. Labyrinthique rhizomique. Gilles Deleuze, fantomatique. Voix mythiques. Soixante-huit. Poésie Beat. Garage Rock. Patti Smith. Toujours active. Toujours créative. Dernier livre. Patti Smith : L’Année du singe, éditions Gallimard, 2020. À lire. Absolument. « Dix mille ans ou dix mille jours, rien ne peut arrêter le temps, ni changer le fait que j’aurai soixante-huit ans au cours de l’Année du Singe » (Patti Smith). Pérégrinations solitaires. Rêveries serpentaires. Méditations transitaires. Célébration de la littérature. De l’art. De l’imaginaire. L’inconsolable pleure les irremplaçables (Vladimir Jankélévitch). S’insère dans le film Marianne Faithfull. Je revisionne le film de Jean-Luc Godard, Made in USA (1966), où Marianne Faithfull  campe son propre rôle. Dédoublement. Schizophrénie d’époque.  Film patchwork. L’impérialisme américain. La guerre du Vietnam. Le marasme du tiers-monde. L’assassinat de Mehdi Ben Barka. Ma machine à remonter le temps me ramène encore une fois à l’été 68. J’accompagne mon ami Omar Blondin Diop, l’africain de la Chinoise, à Londres pour le tournage de One + One du même Jean-Luc Godard, avec Les Rolling Stones et des rescapés des Black Panthers. Mike Jagger et Keith Richards snobent Jean-Luc Godard, nous adoptent, nous, les égarés africains dans la tourmente européenne. Ils nous appellent « Grand frère » et « Petit frère ». Je n’ai pas encore vingt-ans. Omar Blondin Diop, assassiné en 1973, à vingt-six ans, dans l’ancienne escale de la traite négrière de l’Île de Gorée, dans les geôles de Léopold Sédar Senghor.  Senghor perd, à mes yeux, toute crédibilité historique. Son spectre littéraire entre en enfer. Omar Blondin Diop, toujours vivant dans les mémoires, torche éclairante des luttes présentes. 

​​​​​L’intemporalité révèle les similitudes, les simultanéités, les synchronicités. Qui aurait pensé voir des milliers d’étudiants français, en 2021, tenaillés par la faim, gueuser de la nourriture dans les soupes populaires ? Le télétravail, simulacre et simulation du travail, comme aurait dit Jean Baudrillard, devient souvent du « bullshit job », du « boulot à la con » (David Graeber).

Les vacataires, les intérimaires, les intermittents, les journaliers, les saisonniers, les artistes, les jeunes sortent par millions de la régulation sociale, vivotent dans les marges, s’oublient dans les périphéries.

Précarité programmée. Liquidation des services publics. Déculturation généralisée. Désocialisation méthodique. La technocratie applique, sans scrupules, ses modélisations déshumanisantes. Mûrissent, dans les interstices,  les raisons objectives d’une révolution. Les révolutions ne sont-elles pas elles-mêmes que perpétuels  recommencements, soumises aux aléas des déroutages, des tripotages, des maquignonnages. Le fantasme du grand soir a vécu. Les tzars s’anéantissent, la tyrannie bureaucratique perdure. Il n’est de salut que dans la démocratie directe, la transversalité réseautique, irriguées d’art et de poésie, sans intermédiations politiques, sans représentations parasitaires, sans spoliations crapuleuses. Le film « Un violent désir de bonheur » s’ouvre sur une musique des new-yorkais Last Poets, un groupe de spoken word, chanté-parlé ancêtre du rap, du hip-hop, du slam. Les Last  Poets surgissent  à Harlem en 1968, le 19 mai,  jour anniversaire de Malcolm X, assassiné trois ans plus tôt, un mois après le meurtre de Martin Luther King. Trois poètes de vingt ans, Gylan Kain,  David Nelson, Abiodun Oyewole, à l’origine. Les textes engagés s’inscrivent dans les idées révolutionnaires du Black Arts Movement et des Black Panthers. Black Arts Movement, vivier de centaines de talents exceptionnels, les écrivains et poètes Ishmael Scott Reed, Sonia Sanchez, Toni Morrison Carolyn Rodgers, Ntozake Shange, Alice Walker, Alex Haley, souvient-on du roman Racine…, les musiciens John Coltrane, Charles Mingus, Archie Shepp, Thelonius Monsk, Eric Dolphy…, les artistes plasticiens Betye Saar, David Hammons, Alvin Hollingsworth…, impossible de les citer tous. L'album fondateur de 1970, The Last Poets, est un marqueur incontournable des musiques afro-américaines. Le 22 mars 2019, date emblématique, concert des Last Poets dans l’Espace 1789 à Saint-Ouen dans le cadre du Festival Banlieues Blues. Passerelle entre la Révolution française et les révoltes américaines. Les Last Poets reprennent la lutte après vingt ans de silence.  Ils sortent un nouveau disque, Understand What Black Is, un brûlot militant. Mots incandescents sur jazz spirituel et reggae mystique. Rain of Terror : « America's a terrorist / Feeding of racism and greed / Not caring not sharing / But enjoying watching people bleed », « L'Amérique est un pays terroriste / Nourri de racisme et de vénalité / Gouverné par des égocentristes / Qui se glorifient de leur criminalité »  (traduction personnelle). Révolte tonnante et message de paix. « J'espère que nous sommes toujours observés comme des poètes qui  tentent de motiver les gens à considérer leur prochain avec amour, respect et gratitude. La voix des Last Poets est plus que jamais actuelle parce que les choses n'ont pas changé. Le système reste oppressif à l’encontre des minorités, des pauvres de toutes les couleurs, à l’encontre des noirs en particulier, abattus sans sommation, jetés en prison sans preuves. Ce que nous disions dans le passé est encore plus pertinent aujourd'hui. Une révolution est nécessaire » (Abiodun Oyewole).

 

Je m’entretiens avec l’auteur du film « Un violent désir de bonheur »,  Clément Schneider. Je m’étonne de la maturité de son œuvre. Il a à peine la trentaine. Je lui pose des questions sur ses motivations. Comment naît le sentiment révolutionnaire ? L’atmosphère sociale, le vent de l’histoire, l’étincelle poétique, certes, le cristallisent. Mais la tempête intérieure ? Comme germine la vision libertaire ? Le père de Clément Schneider est historien. Je lui raconte l’origine, la fulgurance de mon obliquité révolutionnaire. Je découvre à douze ans, dans la bibliothèque d’une institution jésuitique, un livre sur la Commune, relié en cuir rouge, illustré de gravures, avec la fameuse caricature d’Adolphe Thiers par André Gill, légendée « L’Homme qui rit ». Un monstre dans toute son horreur. Je me dis qu’il porte le même prénom qu’Hitler. Adolphe Thiers, père spirituel du fascisme. Avec le sinistre Arthur de Gobineau, auteur de l’abjecte « Essai sur l’inégalité des races, 1853 ». J’ai retrouvé plus tard l’ouvrage d’Armand Dayot, « L'Invasion. Le Siège 1870. La Commune 1871. D'après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles, autographes,  objets du temps », éditions Ernest Flammarion, 1910, une véritable brocante de la mémoire. Un livre, un seul livre, peut changer la vie. Une peinture aussi. Un film aussi.

Clément Schneider me dit : « Le rapport  au réel passe par la fiction. Le film historique est plus fictionnel que la fiction. La fiction est la meilleure lunette du factuel. Elle fait retentir l’événement plus fort. La fiction et la réalité sont deux facettes en miroir de notre  perception. Le cinéma est une invention de formes inédites pour mieux appréhender le réel. Ma vision transparaît dans mes tournages, prendre à contre-pied les stéréotypes du film d’époque, suffisamment caricaturés par les péplums, se dételer du réalisme pour donner plus de visibilité au réel, restituer au cinéma sa part littéraire, peut-être sa part maudite comme dirait Georges Bataille, rendre à la parole ses vibrations charnelles. J’ai présenté le film à des lycéens. Ils se sont instantanément identifiés au personnage de Gabriel. Ils se reconnaissent dans ses mots. Ils se questionnent. Ils se demandent ce qu’ils vont devenir dans la bourrasque historique. Gabriel est leur voix intérieure. Les résonances contemporaines peuplent le film. L’éminent  se calque sur l’antécédent. Gabriel est un relais, un commutateur, entre interrogations intimes  et transmutations extérieures.

Il ressent les secousses cataclysmiques sans  être dans leur épicentre. Il n’est pas figé dans une posture. Il est paradoxal, indiscernable, indomptable, parce qu’il est justement vivant. Il refuse de choisir entre la bure du moine et l’uniforme du soldat. Il évite intuitivement  de tomber dans les pièges du dilemme. Il se retrouve dans l’air du temps, dans la jeunesse particulièrement. La clé du film se trouve dans ces trois mots, antinomiques,  accolés, violence, désir, bonheur, trois notes qui forment un accord ». Clément Schneider voit le bonheur comme un désenvoûtement, un antidote, un  exorcisme face au futur calamiteux qui se profile. Face au néo-libéralisme schizomaniaque, qui détourne les prouesses technologique à des fins de surveillance et de contrôle, qui concentre les fortunes entre les mêmes mains, qui enferme les vieillards dans des mouroirs, qui abandonne les jeunes au bord de la route, qui relègue le bonheur aux antiquailleries romantiques.  Dans l’ambiance stressante, déprimante, angoissante, entretenue par le chantage pandémique, la recherche du bonheur est une résistance. Le bonheur résiste aux prestidigitations mercatiques. Le bonheur résiste aux manipulations sémantiques. Le bonheur résiste dans la fiction, qui lui ouvre les perspectives insoupçonnables, irrécupérables, de l’imaginaire.

Le bonheur, inconciliable espérance dans la crise sanitaire. Le bonheur, mot magique malgré tout.  Étymologie, bonum augurum. Bon augure. Mais, qu’est-ce que le bonheur ? Tous les philosophes, depuis l’antiquité grecque, ont mis en garde contre le traquenard matérialiste. Pour Epicure, il n’y a que les besoins naturels et nécessaires qui ouvrent le chemin de la félicité. Les besoins naturels et non nécessaires, et les besoins non naturels et non nécessaires, ne provoquent  que des évagations, des dépravations, des perversions. Se pressentent avec une anticipation millénaire les attrapoires de la société de consommation. « Ne va jamais croire qu’un homme qui s’accroche au bien-être matériel puisse être heureux. Celui qui tire sa joie de ce qui vient du dehors s’appuie sur des bases fragiles. La joie est entrée ? Elle sortira. Mais celle qui naît de soi est fidèle et solide. Elle croît sans cesse et nous escorte jusqu’à la fin. Tous les autres objets qui sont communément admirés sont des biens d’un jour. L’âme est plus puissante que la chance. Pour le meilleur ou pour le pire, elle conduit elle-même ses affaires. C’est elle qui est responsable de notre bonheur ou de notre malheur » (Sénèque, Lettres à Lucilius, Ier siècle de l’ère chrétienne, éditions Arléa, 2010). 

 

Dès qu’on pose l’hypothèse qu’un autre monde est possible, sans institutions répressives, sans économie ségrégative, le bonheur est un impératif éthique. Le paradis céleste se transfère sur terre. Pourquoi un monde différent, fondamentalement meilleur, serait-il impossible ? Il ne s’agit pas d’accepter de nouveaux droits, parcellaires, des réformes trompeuses, qui confortent au final le système liberticide. Il s’agit d’éradiquer la violence étatique. Rien ne justifie qu’un manifestant tranquille, désarmé, soit ciblé par un flash-ball, éborgné, mutilé. Rien ne justifie que son agresseur en uniforme bénéficie d’impunité totale. Cette injustice se reproduit dans toutes les structures pyramidales où l’idée même de bonheur est une transgression accablante. Pendant des siècles, les ambitions émancipatrices demeuraient théoriques parce qu’elles ne disposaient pas des moyens techniques de leur objectivation. La révolution numérique permet, désormais, des communications directes, des proximités interactives, à l’échelle locale, à l’échelle régionale, à l’échelle planétaire.

Des expériences autogestionnaires, d’autonomie radicale, s’échangent sans être des modèles dans ce « faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme êtres autonomes et considérés comme agents essentiels du développement de leur propre autonomie ».

 

Cornélius Castoriadis a pertinemment diagnostiqué  la plongée de la société technocratique dans l’insignifiance et du conformisme généralisé dans le délabrement culturel. L’individu, qui se privatise, ne se contente plus de « l’onanisme consommationniste de masse ».  Il se confond avec son fantasme de maîtrise rationnelle illimité du monde. Il se dissout dans son délire. Le néo-libéralisme, dépouillé de ses apparats étatiques, de ses grandiloquences discursives, apparaît aujourd’hui comme une abomination, une obscénité. Le bonheur de la musique, le bonheur de la littérature, le bonheur du théâtre, le bonheur de la culture, sont jugés, par l’expertocratie gouvernante, accessoires, superflus, inessentiels. Car, le bonheur et la liberté se rêvent au singulier comme idéalités, et se concrétisent au pluriel comme réalités. (Cornelius Castoriadis, la Montée de l’insignifiance, Les Carrefours du labyrinthe, éditions du Seuil, 1986).  

 

Marcel Mauss démystifie, une fois pour toute, l’affirmation capitaliste que les sociétés humaines, depuis les origines, sont régies par une économie de troc, qui s’est sophistiquée en économie marchande et en système monétaire. Le lien social dans ces sociétés premières, non-capitalistes, se tisse au contraire avec des dons et des contre-dons, avec la triple obligation de donner-recevoir-rendre. Le don codifie  toutes les institutions, familiales, économiques, religieuses, juridiques, morales, la production, la distribution, l’art et la culture. Le partage matérialise les relations sociales dans les deux rousseauistes, le bien commun et l’intérêt général. Le capitalisme, a contrario, autonomise l’économie, et le néolibéralisme, en définitive, la prééminence absolue de la finance sur toutes les autres considérations.  (Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, 1923 - 1924, éditions Presses Universitaires de France, 1968). (Maurice Godelier, L'Énigme du don, éditions Fayard, 1996).

Pierre Clastres démontre que de nombreuses sociétés amazoniennes ont sciemment choisi de fonctionner sans pouvoir étatique. Ces tribus  dédaignent toute emprise institutionnelle sur leur vie collective. (Pierre Clastres, La Société contre l’Etat, éditions de Minuit, 1974). Certaines de ces sociétés, économiquement égalitaires, sont cependant terriblement patriarcales. Les femmes sont reléguées aux taches subalternes, intériorisées, bafouées, brimées, maltraitées. Marcel Mauss et Pierre Clastres ont, malgré tout, jeté les bases théoriques d’une société délivrée des asservissements économiques et des assujettissements étatiques. Les sociétés égalitaires résorbent leurs tensions internes dans les légendes, dans un monde fantasmagorique.  Elles sont hantées par des guerres intersidérales imaginaires qu’elles réinvestissent comme exorcisations du mal et stimulations de la créativité artistique. Le peuple antiautoritaire, Piaora du Venezuela, étudié par Pierre Clastres et Joanna Overing, malheureusement réduit à vingt mille individus, rejette l’appropriation des biens communs par quiconque et pratique le consensus. Un exemple, parmi d’autres, d’une société libertaire, qui fonctionne parfaitement depuis des millénaires. La genèse mythologique de ce peuple le fait créer par un dieu maléfique, un bouffon cannibale à deux têtes. Ce dieu est, sans doute, l’ectoplasme éloigné d’un politicien, avide de pouvoir. Le pouvoir est perçu comme le mal absolu.  Les magiciens s’évertuent à repousser les attaques du dieu vorace et dément. Les objets d’art sont  des talismans, des totems, des fétiches. Les sorciers sont des artistes. Une théogonie qui sous-tend une dialectique de l’existence humaine, ballotée entre le mal et le bien, entre des pulsions animales et des exultations cognitives. Expériences exemplaires de l’humanité dépréciées par l’idéologie occidentale, qui ne s’arrache périodiquement à ses géhennes que dans  les révolutions sanguinaires. Certaines jeunesses empruntent aujourd’hui d’autres alternatives. Il leur suffit d’occuper les terrains laissés vacants par l’inculture gouvernante.

Beaucoup de jeunes italiens se détournent des usines, multiplient les squats, s’installent dans des quartiers et des villages autogérés, s’activent dans les mouvements sociaux solidaires, testent d’autres manières d’être et de vivre, impriment la recherche du bonheur dans leur trajectoire. L’exode révolutionnaire, au lieu de s’opposer frontalement au néo-libéralisme, aux dérives étatiques, préfère la retraite active, la défection collective. L’espace du travail traditionnel, présentiel, se rétrécit. Le champ du non-travail s’élargit pour accueillir les activités créatives. La sociabilité indépendante s’affirme comme une insubordination civile. Les précaires n’abandonnent pas pour autant leurs enclaves aménagés dans les dépenses sociales. Depuis que les puissances financières prennent directement les rênes du pouvoir, les grandes entreprises s’accaparent l’essentiel des aides publiques. La machine étatique aura beau perfectionné, technocratisé, technologisé ses outils de disciplinarisation, elle ne sera jamais la société. Les gouvernances étatiques, déjà étiolées par la prédominance des organisations internationales, se contournent  par les autogestions locales, régionales, urbaines. Les discours politiques tombent dans l’absurde. L’exécutif semble n’exister que par ses démonstrations répressives et ses indécentes exhibitions médiatiques.

Paul Lafargue, beau-fils antillais de Karl Marx, avait prévu que les politiciens, à la fin de leur règne, rempliraient une ultime fonction sociale dans le divertissement (Paul Lafargue, Le Droit à la paresse, 1880, éditions Le Passager clandestin, 2009). Le bonheur a horreur du contrôle étatique. Il sera dit que le bonheur a besoin de transversalité pour se déployer. C’est peut-être Jacques Prévert qui décrit le mieux le bonheur sans se donner la peine de lui tailler un costume théorique. 

 

Le bonheur, en partant, m’a dit qu’il reviendrait.

Par Jacques Prévert

 

« Le bonheur, en partant, m'a dit qu'il reviendrait...

Que quand la colère hisserait le drapeau blanc, il comprendrait...

Le temps du pardon et du calme revenu, il saurait

Retrouver le chemin de la sérénité, de l'arc-en-ciel et de l'après...

Le bonheur, en partant, m'a promis de ne jamais m'abandonner

De ne pas oublier les doux moments partagés,

Et d'y écrire une suite en plusieurs volumes reliés,

Tous dédiés à la gloire du moment présent à respirer...

« Le bonheur, en partant, m'a fait de grands signes de la main,

Comme des caresses pleines de promesses sur mes lendemains,

Il m'a adressé ses meilleurs vœux sur mon destin qui s'en vient,

Et je crois en lui bien plus qu'en tous les devins...

Le bonheur est un ange aux ailes fragiles, un colosse aux pieds d'argile,

Il a besoin d'air, de lumière, de liberté et d'une terre d'asile,

Je veux être son antre dès ses premiers babils,

Pour peu qu'il me le permette, le bonheur n'est jamais un projet futile...

 

 

« Le bonheur, en partant, avait le cœur aussi serré que le mien,

Son sourire en bandoulière, il est parti vers d'autres chemins,

Rencontrer ses pairs au détour des larmes et des chagrins,

Que versent pour un rien, tous ces pauvres humains...

Le bonheur, est parti, missionnaire, rallier d'autres fidèles,

Il veut plaider sa cause et convertir tous les rebelles,

Leur montrer à eux aussi, combien la vie est belle,

Si on lui laisse assez de place pour l'orner de ses dentelles...

 

« Le bonheur, en partant, m'a fait un clin d'œil,

Je sais qu'il reviendra, je ne porte pas son deuil,

Il ne fuit pas, il s'en va conquérant réparer d'autres écueils,

Pour me revenir encore plus grand, se reposer dans mes fauteuils...

Le bonheur, en partant, ne me quitte pas vraiment...

Je sais que même de loin, il éveille mes sentiments,

Il entend mes hésitations et m'oriente résolument et sûrement,

Le bonheur est une étoile qui me guide par tous les temps... »

 

​​© Crédits photos : Reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de l'Odéon à Paris, avril 2021. 

 

 

 

***

 

 

Pour citer cet épisode 

 

Mustapha Saha, « Chronique d’occupation de l’Odéon. Un violent désir de bonheur » article inédit, reportage photographique inédit par Élisabeth et Mustapha Saha, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 26 juillet 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/ms-unviolentdesirdebonheur

 

 

 

 

 

Mise en page par David SIMON 

 

 

© Tous droits réservés

 

Retour à la Table de Megalesia​​

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans La Lettre de la revue LPpdm
25 juillet 2021 7 25 /07 /juillet /2021 16:20

 

Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Varia de Poétextes 

 

 

 

 

 

 

 

Chante l’amour

 

 

 

 

 

Mona Gamal El Dine

 

Docteur en sciences de l'art (La Sorbonne Paris), Membre de la Société des Gens de Lettres, Membre du P.E.N Club International, Sociétaire des Poètes Français, Présidente de l'association ISIS Arts & Cultures, Fondatrice des Rencontres des Poètes pour la Paix, Membre de Cercle Universel des Ambassadeurs de la paix (Genève/Paris), Historienne de cinéma & Réalisatrice

 

 

 

Crédit photo :  Charles de Steuben (1788-1856), "Andalouse", Commons. 

 

 

 

L’amour parle, même à lèvres closes

(Proverbe allemand)


 

 

 

Il était un poème dont le thème, me rappelle quelques lettres d’amour

C’était un souvenir comme blanche neige et son prince

L’oiseau chantait une mélodie d’amour

Je ne suis capable que de te regarder...

Je peux seulement sentir ton odeur


 

J’ai peur de te dire

J’ai tourné sept fois autour des rosiers de l’oubli

Je t’ai vu dans les vergers silencieux

Renaissant de ses cendres


 

Chantant le jour et la nuit comme un rossignol joyeux

Je t’ai confié mes chagrins et mes larmes

J’ai appris à connaître tes ruses 


 

J’ai planté un cactus dans mon jardin

C’est difficile de dire « je t’aime »

 

Amour,

 

Tu m’as mis à l’épreuve

Je t’ai courtisé, caressé

 

Amour,

Je pense à toi, c’est tout ...

 

Amour,

plus que jamais, tu es mon destin ! 



 

© M. Gamal El Dine

 

***

 

Pour citer ce poème d'amour 

 

 

Mona Gamal El Dine, « Chante l’amour », poème inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 25 juillet 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/mged-chantelamour

 

 

 

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

 

 

© Tous droits réservés 

 

Retour à la Lettre n°16  

24 juillet 2021 6 24 /07 /juillet /2021 14:53

 

Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Réflexions féministes sur l'actualité

 

 

 

 

 

 

Bikini réglementaire pour

 

 

les championnats d'Europe

 

 

de Beach-Handball !!!

 

 

 

 

 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

© ​​​​​Crédit photo : Capture d'écran réalisée par la critique F. Urban-Menninger des joueuses norvégiennes de handball. 

 

 

 

 

 

Le monde marche sur la tête ! Alors qu'il faut couvrir sa poitrine pour entrer dans un musée comme ce fut le cas au Louvre ou s'abstenir d'allaiter en public pour ne pas offusquer certains esprits atteints de pruderie, la Fédération européenne de handball (EHF) déclare que « les joueuses doivent porter des bas de bikini (…) ajustés et échancrés » en ajoutant  que « les côtés doivent être longs d'un maximum de 10 cm » !

 

 

À qui profite ce règlement ? On peut légitimement se demander si l'objectif n'est pas pour ces messieurs de se rincer l'œil à moindre frais !

Les joueuses de l'équipe norvégienne, « ayant boudé » ce règlement ridicule, ont dû s'acquitter chacune d'une amende de 150 €, soit 1500 € pour toute l'équipe…

 

 

Bien évidemment, le short que les jeunes femmes ont arboré lors d'un match s'est révélé bien plus pratique qu'un bikini, hélas les machos ont encore frappé en s'appuyant sur un règlement qui fait davantage la part belle aux voyeurs qu'aux authentiques  amateurs de sport !

À nous de dénoncer comme la Norvège cet abus de pouvoir en montant derechef au filet !

 

© F. Urban-Menninger

 

 

Quelques références à consulter sur ce sujet :

 

***

 

Pour citer ce billet féministe

 

Françoise Urban-Menninger, « Bikini réglementaire pour les championnats d'Europe de Beach-Handball !!! », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 24 juillet 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/fum-bikinireglementaire

 

 

 

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

 

 

© Tous droits réservés 

 

Retour à la Lettre n°16  

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans La Lettre de la revue LPpdm Féminismes
23 juillet 2021 5 23 /07 /juillet /2021 10:42

 

Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Critique & réception

 

 

 

 

 

 

Firmaman​​​​ 

 

 

textes poétiques en prose de Jean-Paul Gavard-Perret. 

 

Ouvrage paru aux éditions Sans Escale

 

avec une couverture signée par Jacques Cauda

 

 

 

 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

© ​​​​​Crédit photo : Couverture illustrée du recueil "Firmaman" par Jacques Cauda. 

 

 

 

Écrivain, critique d'art, auteur de très nombreux livres, Jean-Paul Gavard-Perret se complaît, comme il l'affirme dans une interview donnée au magazine Openeye, « dans la jouissance de tripatouiller les mots ». Le titre de son ouvrage « Firmaman » illustre d'emblée la déclaration de l'auteur qui se dit également « fasciné par les images ».

 

Il est fréquent de rencontrer dans les écrits des écoliers, invités à rédiger un texte dit « d'expression libre », le mot «  firmament » élevé au rang de « firmaman », celui de « marraine » transformé d'un coup de baguette de fée en « ma reine ». C'est dire qu'avec son « Firmaman », Jean-Paul Gavard-Perret renoue avec cette pensée magique inhérente à l'imaginaire que l'on attribue aux enfants.

 

Mais très vite, l'auteur, à l'instar de George Bataille dans « Mme Edwarda » transgresse les conventions, voire les interdits pour aborder les thèmes de l'amour maternel et de l'inceste. Comme chez Bataille l'obscène et le divin cohabitent et se conjuguent dans la chair crue des mots où « Amour et haine à l'aine » débordent la page blanche et sa marge, transcendant le texte par-delà les mots. On songe à cette phrase de Bataille à propos de Mme Edwarda « Ce livre a son secret, je dois le taire : il est plus loin que les mots ». Et Jean-Paul Gavard-Perret d'en prolonger le mystère dans son texte « Les Edwarda » où il écrit « On voulut me retirer la langue, je la tire » ou encore « Que les Edwarda du futur fassent partie de moi ».

Pour Lacan, la figure de la mère ne peut se saisir de manière univoque, elle est double. On distingue la mère du désir et celle de l'amour maternel que le film de Jean Eustache « La maman et la putain » illustre parfaitement et qui trouve son écho dans « Firmaman ». « Mère putain se balance nue dans la salle à manger », lit-on sous la plume de Jean-Paul Gavard-Perret…

 

Cette plume court sur la page, la soulève, la pénètre de ses saillies érotiques de telle sorte que le corps fantasmé de la mère finit par s'incarner dans le corps du texte !

Dès lors, l'écriture désinhibée « déchire le voile de la langue » pour reprendre une expression de Beckett que l'auteur affectionne puisqu'il lui a consacré une thèse et dans ce recueil un poème en prose où l'on peut lire « La bouche broie l'annonciation du temps ».

Mais loin de produire « une musique du silence » comme chez Beckett, Jean-Paul Gavard-Perret fait retentir et imploser les cymbales de lumière du désir et  de l'érotisme débridé libéré de tout refoulement où les images abondent et où « les mots font l'amour » selon l'assertion d'André Breton en 1924 dans « Les pas perdus ».

Mais si « les mots font l'amour », ils le font avec humour chez notre auteur, « Histoire d'O vive et d'Ovide » en est un exemple ! Les jeux de mots foisonnent, se culbutent, fascinent, interpellent, nous font jubiler : « Et ça promet encore des embrouilles de ne pas travailler le terre pour en tirer les vers du nez », « Mère Deux Nids », « Con Prenez », « Princesse de Clèves Coeur », « Verte Tige »…

Car chez l'auteur les mots et les images s'enchaînent bien évidemment « sans chaîne » ! La loufoquerie se met de la partie jusqu'à faire trépider et disjoncter le texte « Ses orgasmes commencent à avoir fière allure. Parfois elle m'attend dans le coffre de la voiture où je l'ai ligotée. Ses mots ont devancé mes actes ».

Ces poèmes en prose qui peuvent déranger certains lecteurs comme le signale la quatrième de couverture nous invitent à une gymnastique de l'esprit et à appréhender par le biais d'une écriture époustouflante à sonder les fantasmes

indicibles, voire parfois inaudibles qui travaillent notre inconscient car derrière le paraître, les mots ont partie liée avec le « parlêtre » cher à Lacan ou pour évoquer Freud, on peut affirmer que le « ça » se met à parler... Nul doute que c'est le « ça » qui « déchire le voile de la langue », car sous la trame du langage tissée par le couple oxymore Éros et Thanatos se trame le jeu (je) obscur du ça qui s'invite dans le corps organique, voire jouissif du texte.

 

 

 

***

 

Pour citer ce texte inédit

 

 

Françoise Urban-Menninger, « Firmaman, textes poétiques en prose de Jean-Paul Gavard-Perret. Ouvrage paru aux éditions Sans Escale avec une couverture signée par Jacques Cauda », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 23 juillet 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/fum-firmaman

 

 

 

 

 

Mise en page par David Simon

 

 

 

© Tous droits réservés 

 

Retour à la Lettre n°16  

21 juillet 2021 3 21 /07 /juillet /2021 13:35

​​​​​

Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Chroniques de Camillæ/Poésie & Cinéma ou Chroniques cinématographiques

 

 

 

 

 

 

Agnieszka Holland,

 

 

Le Procès de l’herboriste,

 

 

avec Ivan Trojan, Josef Trojan

 

& Juraj Loj

 

 

 

 

 

 

 

Camille Aubaude

 

Site & blog officiels :

www.lamaisondespages.com/

https://camilleaubaude.wordpress.com/

 

 

 

 

Jan Mikolášek, un jeune homme tchèque d’une rare beauté, recueille le savoir d’une vieille femme pour guérir les êtres humains par les plantes. L’enseignement de cette femme est limpide : « Connais ta place, ne monnaie pas tes dons ». Elle est haïe par les gens de bonne réputation, bien qu’elle les soigne. Le père du jeune initié l’enferme dans sa chambre. S’ensuit une scène où, armé d’une hache, le futur herboriste rompt avec sa famille. Une scène digne d’entrer dans une anthologie, ce qu’on appelle couramment best off du genre.

 

 

Ce n’est pas la seule de ce film témoignant d’un immense talent et montrant les fortes strates de la fragile existence humaine, dont l’ombre peut s’effacer à chaque instant. La plus belle scène se déroule dans la forêt aux pouvoirs de magicienne, là où règne la lumière. Ce médecin pour qui la nature est son désir préférable, sa préfère âme, y vit des moments d’amour avec son assistant, dans sa belle automobile, qui suscite la jalousie. Les amants font mine de s’étrangler, mais le moment n’est pas venu.

 

Les scènes d’embauche puis de séduction de l’assistant sont aussi des scènes dramatiques et sacrées (mieux que best off, ou « anthologie »). Le désir charnel, les combats physiques et psychologiques, sur une assise de dépendance, mènent leur ronde éternelle pour séduire le spectateur, et le placer sur un pied d’égalité avec ce haut mage1.

 

 

Cette œuvre magistrale de la réalisatrice Agnieszka Holland contribue à faire comprendre et à rendre immortel Jan Mikolášek, sous les traits de l’acteur Ivan Trojan. Ce personnage doué, et beau à tous les âges, est né à Rokycany le 7 avril 1889, quand la Bohême faisait encore partie de l’ Empire Austro-Hongrois. Jugé en 1958, il sort de prison en 1963 ou 64, et meurt à Prague, le 29 décembre 1973, à l’âge de 84 ans. Il repose dans la ville phare des Alchimistes, au cimetière Olšany (Olšanské hřbitovy), près de l’occultiste tchèque Pierre de Lasenic. Bref, tout un monde d’imagination, qu’Agnieszka Holland transmet, sans le figer, pour créer une allégorie.

 

 

L’Herboriste devient « l’homme qui défia l’état », et les plantes sont « la passion d’une vie ». Les éléments de fiction s’établissent sur l’histoire vraie de ce médecin-guérisseur-chaman-herboriste qui gagnait la confiance des malades, et a dû affronter des torrents d’animosité. Quelles sont ses cohortes d’ennemis ? La face inverse des cohortes de malades, dans une façon de répons, entre chœur et soliste, aux forces de vie ; ce sont les anti-nature, les homophobes, l’être humain lambda, jaloux et délateur, qui instaure la tyrannie. L’Herboriste sait qu’il a ce mal en lui. Sa connaissance du mystère de l’univers se solde par une défaite totale. La dramaturgie explosive de cette fiction sert un sentiment d'amour homosexuel sincère et profond, créant des scènes de lumière dans un climat politique de ténèbres, puis d’obscurantisme totalitaire, avec la censure et la terreur.

 

 

 

Note

 

1. En quoi la bande annonce passe à côté de l’essentiel, car elle montre la prison alors que le spectateur espère au-delà de toute raison que l’herboriste restera physiquement libre.

Lien vers la bande Annonce https://www.youtube.com/watch?v=2G0KdrbTRoE  

 

***

 

 

Pour citer cette chronique cinématographique 

 

Camille Aubaude, « Agnieszka Holland, Le Procès de l’herboriste, avec Ivan Trojan, Josef Trojan et Juraj Loj ​​​​», Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 21 juillet 2021. Url  :

http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/ca-agnieszkaholland

 

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

 

Retour à la Lettre n°16  

Bienvenue !

 

RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION ! 

LUNDI LE 3 MARS 2025

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES

Rechercher

Publications

Dernière nouveautés en date :

VOUS POUVEZ DÉSORMAIS SUIVRE LE PAN POÉTIQUE DES MUSES  SUR INSTAGRAM

Info du 29 mars 2022.

Cette section n'a pas été mise à jour depuis longtemps, elle est en travaux. Veuillez patienter et merci de consulter la page Accueil de ce périodique.

Numéros réguliers | Numéros spéciaux| Lettre du Ppdm | Hors-Séries | Événements poétiques | Dictionnaires | Périodiques | Encyclopédie | ​​Notre sélection féministe de sites, blogues... à visiter 

 

Logodupanpandesmuses.fr ©Tous droits réservés

 CopyrightFrance.com

  ISSN = 2116-1046. Mentions légales

À La Une

  • À propos de « Sous le Ciel de Montmartre »
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Bémols artistiques | Critique & réception | Métiers du livre À propos de « Sous le Ciel de Montmartre » Article par Annpôl Kassis...
  • Quand la poésie grimpe la colline de Ménilmontant dans l’est parisien !
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Bémols artistiques / Agenda poétique Quand la poésie grimpe la colline de Ménilmontant dans l’est parisien ! Présentation du...
  • HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I | Inspiratrices réelles et fictives
    LE PAN POÉTIQUE DES MUSES (LPpdm) REVUE FÉMINISTE, INTERNATIONALE ET MULTILINGUE DE POÉSIE ENTRE THÉORIES ET PRATIQUES HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES 1er VOLET Crédit photo : Alphonsine de Challié, « beauty with pink veil...
  • Interview avec Hassina Takilt du magazine HORA 
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Voix / Voies de la sororité | Métiers du livre & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Entretiens Interview avec Hassina Takilt du...
  • Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025)
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Appels à contributions | Agenda poétique Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025) Crédit photo : Berthe (Marie Pauline) Morisot (1841-1895), « J ulie-daydreaming...
  • La Femme-volcan
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | II — « Poésie volcanique d'elles » | Florilège | Travestissements poétiques | Astres & animaux / Nature en poésie La Femme-volcan...
  • Poème de « La rivière cotonneuse »
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | I — « Rêveuses » | Florilège | Travestissements poétiques | Astres & animaux / Nature en poésie Poème de « La rivière cotonneuse...
  • Le cœur étincelant d’un joyaux
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier mineur | Florilège | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages Le cœur étincelant d’un joyaux Poème élégiaque par Françoise Urban-Menninger Blog officiel : L'heure...
  • Albert Strickler, poète de la grâce et de la lumière
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier mineur | Articles & témoignages | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages Albert Strickler, poète de la grâce & de la lumière Hommage / texte élégiaque par...
  • Il ne faudra plus raconter des histoires, récit de Sandrine Weil sous-titré Le livre de Jean, 1942-1945, un enfant dans les camps paru chez L’Harmattan dans la collection Graveurs de Mémoire
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Critique & réception | « Poésie volcanique d'elles » | Articles & témoignages Il ne faudra plus raconter des histoires, récit...