Crédit photo : "Mother Goddess" Madhya Pradesh or Rajasthan, India, 6th-7th cents, National Museum of Korea, Seoul, domaine public via Wikipédia.
La « Matripoétique »/« Matripoetic » et le « Patripoétique »/ « Patripoetic » sont deux nouveaux néologismes issus du suffixe -Poétique et des préfixes Matri- et Patr(i)- des termes latins « Mater », « Pater » et par extension« Patrimonium » et « Matrimonium »). Ces deux concepts du Poéféminisme tentent de déterminer avec précision plusieurs problématiques liées aux concepts du Patriarcat et du Matriarcat, du Patrimoine et du Matrimoineainsi que tout ce qui relève du père et de la mère, du masculin et du féminin*, des hommes et des femmes**, des masculinités, des virilités et des féminités, de la maternité et de la paternité, de la généalogie, (etc.) et à toutes leurs expressions dans la poésie, la poétique, la réception de la poésie et par expansion dans la littérature et les arts, voire à tout ce qui est considéré comme poétique.
Ces notions théoriques nomment ce qui existe déjà. Les « matripoétique » et « patripoétique » appartiennent au « Poéféminisme»/«Poefeminism » et ont été créées par moi (sic Dina Sahyouni) pour nommer, définir et analyser des pratiques et théories poétiques dans l'histoire de la poésie, dans la littérature et dans la poétique en général. Les traces du Pater et Mater comme du Matriarcat et du Patriarcat, du patrimoine et du matrimoine, du masculin et du féminin sont bien visibles dans la poésie, dans la poétique voire même dans le poétique et dans les études, l'histoire de la poésie et de sa réception. L'histoire de la poétique et celle de la poésie n'échappent pas au genre mais bien au contraire, elles en témoignent. Ces traces apparaissent aussi dans les représentations, les processus de la création et dans la genèse d'une œuvre poétique (cf. Le numéro spécial paru en 2014 du périodique Le Pan poétique des Muses ou les nombreuses publications sur la question du genre, de l'anglais gender, en poésie ou dans la littérature).
Prenons par exemple la thématique de la mer qui renvoie souvent à la mère chez les poètes ou les poèmes et écrits poétiques qui ont pour thème les pères et mères des poètes ou bien les parents d'autres personnes voire en parlant du matriarcat et de la Déesse mère (la matrice, la vie) ou de la poésie elle-même (voir plusieurs publications de la revue Le Pan poétique des Muses ainsi que le numéro 5 et la Lettre Mers/Mères). En outre, on peut penser aux poètes qui déjouent les féminins et les masculins dans leurs ouvrages...
Certaines œuvres poétiques sont ainsi marquées par une matripoétique telles celles de Marceline Desbordes-Valmore, Françoise Urban-Menninger, Camille Aubaude ou de Conceiçã Evaristo… Or, cela fabrique un lien commun ou un fil rouge entre des pratiques poétiques bien différentes tout en ouvrant de nouvelles possibilités de penser leurs ouvrages et les manières d'en parler.
Bien sûr, la « Matripoétique »/« Matripoetic » et le « Patripoétique »/ « Patripoetic » sont deux concepts pluridisciplinaires et auront de nombreuses utilisations possibles dans les études poétiques, littéraires, artistiques et dans maintes autres disciplines...
* J'ai déjà consulté le peu de textes disponibles en anglais et utilisant les préfixes latins « Gyno- » et « Andro- » pour former les termes « Gynopoetic » et « Andropoetic » pour désigner entre autres le féminin et le masculin dans la poétique. Je les traduis par « Gynopoétique » et « Andropoétique » tout en me référant au « Matri- » et « Patri- » pour formuler la « Matripoétique »/« Matripoetic » et le « Patripoétique »/« Patripoetic » qui permettent non seulement de renvoyer au féminin et au masculin mais aussi aux systèmes qui en découlent et même aux origines mythiques ou non de la poésie.
Dina Sahyouni,« Quelques lignes sur les notions de « Matripoétique » & « Patripoétique » de mon dictionnaire en construction », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poéféministes 2022 | « Calendrier du matrimoine poétique 2022 » & N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 23 décembre 2022. Url :
Françoise Urban-Menninger,« j’ai une voix en moi », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poéféministes 2022 | « Calendrier du matrimoine poétique 2022 » & N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 22 décembre 2022. Url :
La doxa Annie Ernaux atteint un sommet qui n’est qu’anéantissement. Tout est calibré pour les médias, à savoir un discours schématique, attendu, univoque, sans /e/ muet et ductile.
Pourtant j’aime ce que cette chère Annie Ernaux a matérialisé dans l’Ombre de la lumière. Elle a tant parlé, elle a tant « donné » que… La réussite de Son Nobel témoigne du goût profondément ancré en France pour la littérature.
Il n’est jusqu’à la colère d’un vieux et charmant poète du PEN Club pour faire usiner la machine, puisque tout est mécanisé, plus que jamais dans les balbutiements de l’ère cybernétique. Un chant du cygne, donc.
Le « j’ai vengé ma race », en parallèle au discours égotiste du bon Mabanckou « à voix nue » sur France culture, atteint bien son public. Lequel n’est ni lettré, ni cultivé, mais des années 70, comme vous, comme moi. Du Barthes et du Françoise Guyon, qui intègrent, désintègrent, jettent, récupèrent en tirant à boulets rouges sur ceux qui ne font pas partie du temple, que dis-je… ils envoient des boulets qui ne sont que reprises, échos, anadiplose — re-donc.
L’aspect si poussiéreux de ces artifices me reconduit à ma mère. Personnage que l’autrice de Passion simple pourrait être dans ma vie, puisque mes grands-parents normands tenaient une petite épicerie chez eux dans un hameau près de Dieppe. Annie Ernaux a écrit cela de façon dogmatique. Une digne et vraie copie d’agreg (= ad gregis) tout en cultivant une grandeur narcissique, et jamais pour faire rire. La narration épurée est convaincante. Certes, Annie Ernaux a remplacé une morte, tandis que ma mère a eu une sœur de lait, une double qu’il a fallu détruire, voiler, mais qui n’est pas morte, juste anéantie dans ces existences-là, obscures, sans émerveillement, chère Nol... Une morte, une voilée, voici les âmes amies qui poussent au sacrifice d’écrire. Et les rebondissement, les répétitions favorisent l’humour et l’auto-dérision.
Irai-je plus loin ? Ernaux ne parle pas de souillure. Sa réintégration est propre. Blanche. Elle a quitté le cloaque où macère sa jeunesse pour en recomposer un, qui est un foyer intellectuel. Je replonge dans une étude isiaque sur Herculanum, en réécrivant un mythe, mon mythe d’Isis, qui n’est pas une simple recomposition. Quelle puissance de vie dans ces ruines ! , d’après les pierres, et de rares inscriptions. La passion des archéologues est volonté de connaître le temps passé. J’y ajoute l’espoir de retrouver les vertiges de la Mater Deum…
Si Ernaux s’est circonscrite à elle-même et à sa famille, c’est qu’elle n’a pas la notion de bâtardise, de mélange, essentielle à la poésie, à ce qui chante et sonne dans une résonance sans raison.
Camille Aubaude,« Lettre à Nol 2 », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 19 décembre 2022. Url :
Lettre à Alain Finkielkraut, à la suite de son émission, Répliques, sur France Culture, le 17 septembre 2022.
Septembre 2022, le président de la République Emmanuel Macron a lu un discours sur la rafle du Vél d’Hiv que vous avez admirablement commenté en parlant de références non historiques. Je n’y reviens pas, puisque l’émission est en ligne. Les débats que vous présidez donnent du grain à moudre et des moissons chaleureuses qui servent d’antidote au poison de l’uniformité… Quand les apprentis-sorciers sont devenus banquiers…
Créatrice du mythe littéraire d’Isis, j’aime observer les dérives symboliques du « tout-monde » dont les turpitudes s’opposent à la « gelassenheit », la qualité de la vie qui vit, du laisser vivre. Je parle de « dérives » — voir le jeu de mots facile des poètes avec « des rêves » — pour les discours culturels du Président Macron qui reviennent périodiquement. Jean-Luc Godard lui conseillerait d’apprendre le latin et le grec, comme il l’a fait auprès de mes étudiants de cinéma à la FÉMIS, à la fin des années 1990.
Pour plaisanter, si on peut encore le faire, et laisser agir une pensée en étoile, je reprends l’expression d’un homme "retiré des affaires" sur le discours de repentance de M. Macron sur l’Algérie (février 2022) : « il baisse son froc ». Le grand théorème imposé, ressassé par le chef de la France fait de l’ennemi (et émir) Abd el Kader un Victor Hugo à la barbe fleurie, et ne tient pas compte du fait réel suivant : quand on tape Victor Hugo/Abd el Kader sur Google, on tombe sur un horrible massacre décrit dans un poème.
L’Algérie en février, Laval en septembre. Et après ?
Qui peut faire face à la déshérence ? La Maison des Pages d’Amboise, « creusée dans la poésie » recèle des objets magiques d’Alep mais côtoie des versets du Coran, payés fort cher par « la France » pour un pompeux « Jardin d’Orient » au château d’Amboise.
Fuyant les lâches harcèlements, je tente de survivre avec des poètes dans une église massacrée, parce qu’elle était rare, fine, subtile et belle. Louis-Ferdinand Céline y a soigné des blessés de la Grande Guerre, étant lui-même mutilé. Je n’ai cessé de penser à l’acte 3 de sa pièce L’Église une maison qui accueille tout, en vous écoutant. Hélas, la pertinence de vos interprétations s’est effondrée quand vous avez repris l’accusation d’antisémitisme adressé à Jean-Luc Godard. Tout en reconnaissant son importance dans le cinéma, fait que nul ne peut nier, vous laissez entendre qu’il faudrait mettre au rebut l’auteur de Pierrot le Fou.
En dialoguant avec les étudiants de la FÉMIS, Jean-Luc Godard annonçait sirupeusement, comme il savait le faire pour se gausser du conformisme suisse, que le métier de monteuse est féminisé parce qu’il y a des trous dans les pellicules des films... J’aurais pu monter au créneau, mais il était tellement plus intéressant de s’amuser avec un artiste délicat, allusif et sans dévotion. Si j’avais ressassé éternellement ce constat misogyne, ravalant les femmes à être monteuses et non créatrices, c’était pire que la provocation. Bien pire, car enchâssant une parole fugace pour la donner en modèle aux générations futures.
Quoi de pire que la fixité dans l’intelligence humaine ? Mieux vaut encore l’enfermement, le prix à payer dans une société où tout se marchande, jusque, sous Vichy, les Juifs français et les Juifs étrangers. « Le pire n’est pas toujours sûr » (titre d’un roman de Françoise d’Eaubonne). Clin d’œil au cri d’Edgar dans Le Roi Lear (je cite de mémoire) : « le pire est là quand on dit c’est le pire » !
The Franco-Swiss filmmaker and provocateur radically rethought motion pictures and left a lasting influence on the medium. Send any friend a story As a subscriber, you have 10 gift articles to give
Camille Aubaude,« Chronique Godard », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 17 décembre 2022. Url :
Jeanne Scrive naît à Paris le 15 avril 1857. Fille cadette d’un chirurgien militaire lillois, Gaspard-Léonard Scrive, qui fut médecin en chef de l’armée française durant la guerre de Crimée, et petite-fille d’un notaire strasbourgeois de confession protestante, elle est tôt orpheline ; placée sous la tutelle de Sophie Scrive-Debonte, sa grand-mère tendrement aimée, et de son oncle Louis Loew (magistrat dont l’histoire retient qu’il fut le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation lors de l’instruction, en 1899, de la requête en révision du procès Dreyfus), elle est élevée au couvent de Notre-Dame de Sion, à Paris. À l’âge de dix-huit ans, elle épouse Gaston Crapez, héritier d’une famille de notables du Mans ; elle en aura un fils, Fernand. Jeanne et son mari s'installent au château de la Vaudère, à Parigné-l’Évêque dans la Sarthe. C’est un élégant manoir construit sous la Restauration, entouré d’étangs, de bois profonds, et de grandes prairies plantées d’arbres fruitiers.
Toute sa vie durant, Jeanne aimera cette demeure et son domaine, continuant d'y séjourner même après son divorce, survenu en 1898. Elle lui emprunte le nom par lequel elle choisit de se faire connaître en littérature, et y joint la forme anglicisée de son prénom : Jane de La Vaudère, façonnant de la sorte un signifiant personnel qui lui permettra de se nommer et de s’accomplir, librement, comme femme de lettres. Elle devient aussi une personnalité parisienne de la Belle Époque, sollicitée par la presse, réputée pour son habitude de porter d’excentriques kimonos, recevant dans le faubourg Saint-Honoré parmi un décor fin-de-siècle soigneusement agencé où s’irisent, sous la douce lumière des vitraux, de hauts bouddhas d’or. Elle meurt à Paris, le 26 juillet 1908, vraisemblablement d’une pleurésie.
C’est par la publication d’un recueil poétique, Les Heures perdues, que Jane de La Vaudère entre sur la scène littéraire, en 1889. Elle laisse à sa mort, au bout d’une vingtaine d’années d’intense labeur, une production très abondante où dominent les romans, mais qui comprend aussi, outre la poésie, des œuvres dramatiques (« saynètes mondaines », pièces de circonstance ou plus ambitieuses, adaptations de certains de ses romans et d’une nouvelle de Zola : Pour une nuitd’amour). Il faut mentionner également sa collaboration avec de nombreux journaux, en particulier La Presse, auquel elle donne régulièrement, de 1897 à 1901, des articles et des contes mordants qui lui permettent de prendre position sur des sujets d’actualité, spécialement la condition féminine — dont la plupart des aspects suscitent sa vive réprobation.
On a insisté, non sans raison, sur le caractère éclectique de son œuvre, où se réfléchissent la plupart des obsessions, des thèmes et des pratiques littéraires de son temps. Ses romans et nouvelles témoignent en effet d’un usage virtuose, et parfois sans vergogne, de l’intertextualité, et apparaissent comme une sorte de palimpseste sans fin dont serait infinie aussi la liste des œuvres et des auteurs qu’il soumet à réécriture, prolongement, reprise, détournement, réélaboration. Mais une série d’oppositions sous-jacentes structure cet univers romanesque, dont il arrive d’ailleurs que les deux termes finissent par se contaminer l’un l’autre : occultisme et positivisme de la science ; brutalité du désir masculin et insatisfaction féminine ; humanité et animalité ; nature et artifice ; médecine et fatalité des hérédités morbides ; débordements passionnels et ascèse religieuse ; norme et déviances… De même, à la cruauté spectaculaire, sanguinaire, des civilisations anciennes, répond la cruauté légale, intériorisée, de la société moderne. Le recours à l’exotisme, dans le temps et dans l’espace, est fréquent : l’intrigue de nombreux romans est située en Turquie, à Java, au Japon, dans l'Égypte pharaonique, l’Inde des Grands Moghols, la Perse, le Siam, ou encore Babylone. S'il offre une prime de plaisir au lecteur (à la lectrice ?), ce décentrement par rapport à l’ici et maintenant sert principalement le projet concerté d’une écriture de l’excès qui procède de l’esthétique décadente — débauches, despotisme oriental, magie noire, abaissement de la femme au rang de « bétail d’amour », supplices, effusions de sang… Plus généralement, Jane de La Vaudère cultive une écriture où les identités vacillent et s’étiolent, s'hybrident et se brouillent dans un régime de confusions, d’inversions, mettant au jour le chaos au cœur de l’être et sa puissance malsaine de tératogenèse : plantes carnivores, fleurs impudiques, panthères amoureuses, gemmes précieuses d’origine humaine, hommes androgynes, femmes mutilées de leur pouvoir d’enfantement, harem masculin, passions nécrophiliques... On s’est d’ailleurs interrogé sur les motivations psychologiques qui conduisirent une frêle jeune femme de la bonne société, pieusement élevée par des religieuses, à s’emparer de tels sujets – une question qui ne manque pas d’intérêt, mais qu’il faut écarter pour le moment. Au demeurant, c’est un air bien différent que l'on respire dans ses poèmes.
Encouragée dans ses débuts par Victor Hugo, Jane de La Vaudère publie, la trentaine passée, quatre recueils poétiques : en plus de celui déjà cité, L’Éternelle Chanson (1890), Minuit (1892), Évocation (1893). Sa poésie est écrite en vers réguliers, octosyllabes ou alexandrins, et recourt aux formes fixes sans toutefois s’y contraindre. Il s’agit d’une production inégale ; La Vaudère, douée d’une grande facilité, laisse parfois sa plume tomber dans des grâces attiédies. C’est pourquoi, souvent, l’étroitesse du vers court lui réussit mieux, l’incitant à créer des images concises et à formuler des chutes ingénieuses. Considérée dans son ensemble, l’expression lyrique de La Vaudère tend à esquisser, sur un mode latent, son portrait moral, et à offrir au lecteur — en privilégiant une manière de gravité légère — un aperçu de ses options philosophiques, mais cernées d’interrogations vouées à rester privées de réponse, et toujours teintées de mélancolie.
Elle sait composer aussi des vers servant à l’évocation piquante de faits d’actualité, ou à la célébration des symboles de la modernité. Par exemple, une grève des cochers devient prétexte à la satire de l’aventure du général Boulanger, tandis que la tour Eiffel est comparée à une toile d’araignée géante où se promène, tel un insecte d’or, le soleil, et que l’Exposition de 1889 permet de chanter l’élégance flexueuse des danseuses javanaises, quoique exilées malheureuses. À l’occasion, le poème est même utilisé comme arme polémique : ainsi « La Vénus de Syracuse », sonnet placé en épigraphe du roman Les Demi-Sexes, pour répondre à la description tendancieuse que Maupassant, dans le récit de son voyage en Sicile, donne de cette statue. Au romancier imbu de la doctrine de Schopenhauer, qui juge que ce corps de femme, privé de tête, n’en symbolise que mieux la fonction et le piège — assurer la reproduction de l’espèce —, la poétesse fait savoir que les femmes, quand elles auront cessé d’être décapitées, pourraient ne plus se contenter de jouer les seuls rôles de comparses, amantes et mères, et vouloir se donner d’autres ambitions.
Un leitmotiv ne cesse de se faire entendre dans les poèmes de Jane de La Vaudère. Le bonheur, s’il existe, est toujours perdu. Il relève du passé ; de sorte que seule la mémoire peut nous le restituer, non sans révéler sa fragilité. Significativement, l’un des poèmes de L’Éternelle Chanson s’intitule : « Vers le passé ». Il est d’ailleurs des décors privilégiés qui semblent voués à de telles révélations : c’est le cas de Venise, la ville dont tout le présent gît dans le passé.
Si le bonheur est fugace et évanescent, rien ne peut cependant lui être opposé, et il convient de le cueillir, ne serait-ce que dans l’inconscience des premiers âges, avant que le souvenir permette d’en goûter la saveur authentique. Mais il ne faut pas en être la dupe. Quelle qu’en soit la forme, émerveillement enfantin, enchantement printanier ou vertige amoureux, il relève de ce spectacle chatoyant du monde que La Vaudère, peut-être sous l’influence du bouddhisme, considère comme une vaste illusion, un songe, voire un mensonge. Il ne s’agit pas d’y renoncer, seulement de le priser pour son caractère unique et la promesse de sa remémoration. L’amour en fait certes partie, surtout sur son versant de tendresse, mais il agit souvent à la façon d’un opiacé. S’il est source d’exaltation, c’est dans le cœur du sujet aimant, bien plus que dans l'objet aimé, qu’il puise son ardeur et son élan. Sa valeur, c’est d’être l’illusion suprême dans un monde illusoire, et de fournir le prétexte à des rituels et des enchantements que la mémoire métamorphosera en souvenirs gracieux.
Mais le voile de l’illusion est aussi tissé des fils du mal, omniprésent et omniforme. La Vaudère s’inquiète de la rédemption de la laideur et de la souffrance, dont le Dieu de la tradition chrétienne, s’il existait, ne serait que l’inquiétant démiurge. Elle lui oppose le devoir de compassion et de bienveillance, du moins à ses moments de vaillance, car il arrive que la lassitude ne lui inspire plus qu’une ironie navrée, qui fait par exemple tourner le spectacle d’une vieille femme et d’un bambin à l’allégorie du néant guidant l’espérance. Sa sollicitude est constante envers les animaux et les plus humbles des formes vivantes ; toute cruauté lui répugne, et elle trouve les images et le ton juste pour rendre haïssable la liturgie sanglante de la corrida.
L’histoire de l’humanité paraît condamnée : si la science triomphe, c’est aussi dans le perfectionnement des armes et des moyens de destruction, et la sagesse humaine ne connaît aucun progrès. A rebours de toute providence, c’est le hasard qui préside aux vies humaines comme au déploiement de l’univers. Et quand le spectacle de la nature suscite le rêve d’un âge d’or, c’est le procès moral des hommes qui est instruit en creux, et celui de l’ordre social, corrompu par l’argent, le culte des artifices, la soif de domination.
L’idée de la mort ne quitte pas la poésie de Jane de La Vaudère. Au dernier acte, nous savons tous que nous trépasserons. Mais la mort est ambivalente et cette menace peut devenir consolation. Il arrive d’ailleurs, dans une rêverie au bord d’une eau stagnante, que se formule à demi-mot le caractère désirable de la mort volontaire. La mort est gage de paix future, son bienfait s’apparente à celui du sommeil, encore que son mystère demeure et que soit inviolable l’ultime initiation qu’elle nous réserve. Chose remarquable chez une adepte des sciences occultes, la perspective d’une vie post mortem ne suscite parfois que dégoût et lassitude, et seule est souhaitée alors la mort comme extinction définitive. Qu’importe donc ce qu’aura été notre vie, si du moins la folie lui servit, ne fût-ce qu’une fois, de sagesse, et que de cette folie passée le parfum continue d’embaumer le présent, comme le suggère le sonnet « Volupté du souvenir », dans L’Éternelle Chanson :
Souviens-toi du moment où ton âme ravie
A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas :
Si c’était une erreur, ne la regrette pas,
Car cette erreur, enfant, a fait toute ta vie !
L’ineffable tendresse ardemment poursuivie,
Tu la connus, un jour, au moment des lilas :
Tu t’endormis joyeux, adorablement las,
Mais plus rien, depuis lors, n’éveillas ton envie.
Oui, les félicités qui viennent en chemin
Sont des fleurs que le vent enlève à notre main ;
Mais c’est déjà beaucoup de les avoir tenues !
Le présent s’amoindrit et semble se ternir,
L’avenir a l’attrait des choses inconnues ;
Mais le seul vrai bonheur nous vient du souvenir !
On pourra également se reporter à la notice bibliographique de la Bibliothèque nationale de France :
Pour citer ce texte inédit & illustré du matrimoine poétique
@JVaudere,« Découvrir Jane de La Vaudère », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poéféministes 2022 | « Calendrier du matrimoine poétique 2022 » & N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 16 décembre 2022. Url :
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N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Critique & Réception | Poésie & littérature pour la jeunesse Le récit « Souvenirs de Chine » écrit & illustré par Marie-Jeanne Langrognet-Delacroix vient de paraître aux Éditions Astérion...
N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Dossier | Florilège Annonces diverses / Agenda poétique Avis de parution du nouveau recueil bilingue français-espagnol d’Aurélie-Ondine Menninger : La sangre de las aves / Le sang des oiseaux...