14 novembre 2022 1 14 /11 /novembre /2022 15:47

N°12 | Poémusique des femmes & genre | Revue Poépolitique | Fictions féministes [Nouvelle rubrique]*
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De l'autre côté du tableau

 

 

 

 

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Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

 

​​​​Crédit photo : Charles-François, Marchal, "La foire aux servantes", Wikipédia.

 

 

J'ai écrit cet essai de fiction féministe l'été dernier en redécouvrant le tableau de 1864 cité ci-haut et peint par Charles-François Marchalécrit.

 

 

 

De l'autre côté du tableau

 

 

 

 

Quand je me suis retrouvée dans ce tableau intitulé « La foire aux servantes » dans le musée du Pays de Hanau à Bouxwiller, je me suis souvenue de ce jour où, dans ma tenue traditionnelle, une longue jupe verte, bordée d'un liseré rouge, un devantier brodé qui fermait ma chemise en lin blanc,

un large tablier d'une blancheur immaculée débordant sur mes hanches, je me suis présentée pour me louer chez un propriétaire terrien parmi d'autres postulantes.

 

Une oie batifolait à nos pieds et j'en fis part à mes compagnes, me comparant à cet animal volatile, bien plus libre que nous. Aussitôt, le fils de l'un des propriétaires, d'un geste péremptoire, me musela de sa large main pour me faire taire ou peut-être pour mieux étudier mon profil…

 

Il faut dire qu'à cette époque, je n'étais pas mal de ma personne, ma taille de guêpe, mon teint de pêche, faisaient tourner plus d'une tête quand je traversais le village pour me rendre au lavoir, un panier de linge sous le bras.

J'ai dû retenir la main de ma sœur dont le sang n'avait fait qu'un tour et dont le cou et le visage s'empourpraient sous son châle brodé car elle s'apprêtait à intervenir, je ne sais trop comment. D’ailleurs je n'ai jamais su quelles furent ses intentions à cet instant précis.

 

Tout ce dont je me souviens, c'est qu'à dater de ce jour-là, j'éprouvais du ressentiment pour nos maîtres qui se croyaient tout permis et nous traitaient à l'instar de cette oie blanche apeurée représentée sur le tableau.

 

Je revois ce propriétaire débonnaire dont le gilet rouge avait du mal à cacher le ventre proéminent et qui jaugeait mes sœurs d'infortune en leur indiquant avec les doigts de sa main grasse qu'il ne choisirait que trois d'entre elles.

 

N'étions-nous que du bétail aux yeux de ces messieurs en costume ? Je me pose cette question quand je nous contemple sur ce tableau où aucune d'entre nous ne sourit. Voilà tout notre destin en ce temps-là où il nous fallait nous louer pour survivre chez des propriétaires terriens du Pays de Hanau.

 

Combien d'entre nous ont-elles été abusées dans le silence hypocrite de la bien pensance d'alors.

J'entends d'ici les bigotes qui n'avaient d'autres chats à fouetter que de rapporter les derniers potins sur la place de l'église le dimanche matin…

 

Lorsque Charles-François Marchal m'a demandé de poser pour le tableau que lui avait commandé Napoléon III par l'entremise de George Sand, j'ai songé à la grande écrivaine féministe dont j’avais eu des échos alors que je servais à table lors de la saison dernière, peut-être allait-elle dénoncer cette foire humiliante qui s'apparentait, de loin sans doute, à celle des esclaves d'antan.

 

Que pouvait bien penser George Sand de ce Gsindemärik car elle aussi possédait des terres et avait grandi à la campagne. Avait-t-elle voulu, en commandant ce tableau, rendre hommage à cette société rurale qu'elle a idéalisée dans « La Mare au Diable » ou dans « François le Champi » ?

 

N' est-il pas surprenant qu'une autrice qui dénonce les oppressions dont les femmes sont les victimes, mette en lumière, en quelque sorte, cette coutume pour le moins humiliante, voire sexiste et décadente ?




 

Et pourtant rien d'étonnant quand on lit la lettre qu'elle adressa à Eugène Sue en lui déclarant : « Oui, c'est sur le peuple des campagnes qu'il faudrait pouvoir agir. C'est lui qui est l'obstacle et il ne sait pas qu'il trahit sa propre cause » ou plus loin encore, de pousser ce cri du coeur : « L'éducation du paysan est à faire ! »

 

Et bien oui, nous en avons fait du chemin, nous les femmes de la campagne depuis  votre constat, chère madame ! Mo-même durant de longues nuits, j’ai appris à lire et à écrire à la lueur d’une chandelle dans ma misérable chambre de bonne sous les toits mansardés d’une maison bourgeoise à Bouxwiller.

 

Qu'y-a-t-il de commun aujourd'hui avec les propriétaires terriennes, les éleveuses, les agricultrices, les viticultrices et les servantes représentées dans ce tableau réalisé en 1864 par le Parisien Charles-François Marchal ?

 

En ce XXIe siècle, je vous parle depuis l'autre côté de cette fameuse toile d'où je vous observe quand vous venez visiter mon musée, j'y analyse l'évolution du monde, ses progrès mais aussi la mise à mal de nos terres et de la planète tout entière au nom du consumérisme et du profit de quelques uns .

 

Les homme ne changent pas, ils n'apprennent rien des leçons de l'Histoire, de ses guerres meurtrières et destructrices…

 

Ce tableau a figé un fragment de ma vie mais aussi un temps révolu dont je ne regrette rien car c'est dans cette œuvre que j'ai enfin trouvé ma vraie place. Dans la pleine lumière qui m'éclaire, je vous vois comme vous me voyez et vous continuerez à  me contempler  toujours belle, jeune et immortelle et cela pour l'éternité alors que vous, mes visiteurs d’un jour, vous ne ferez que passer...

 

 

 

© Françoise Urban-Menninger

 

* © "Fictions féministes" est une nouvelle rubrique créée le 12 novembre 2022 pour répondre à la proposition de Françoise Urban-Menninger :


© Description : cette zone inclusive est ouverte aux auteures/autrices débutantes et confirmées qui écrivent des fictions poéféministes, écopoéféministes, zoopoétiques et féministes, etc. en inspirées des œuvres artistiques (peintures, sculptures, gravures, films, chansons, etc.)

Par LE PAN POÉTIQUE DES MUSES

 

 

 

***

 

Pour citer cet essai inédit de fiction féministe

 

Françoise Urban-Menninger, « De l'autre côté du tableau », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 14 novembre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no12/fum-delautrecotedutableau

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 12 Féminismes Muses et féminins en poésie
10 novembre 2022 4 10 /11 /novembre /2022 17:07

N°12 | Poémusique des femmes & genre | Dossier mineur | Florilège

 

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L'espoir &

 

 

Cette nuit d'hiver

 

 

 

 

 

 

 

Poèmes & peinture

 

Pierre Zehnacker

 

Poète, nouvelliste & artiste peintre

 

 

 

 

© Crédit photo : Pierre Zehnacker, peinture récente de femme de sa série sur les figures féminines, image no 2.

 

 

L'espoir

 

 

  Commencer comme on entrerait dans l'esprit d'une femme qui souffre, qui ne sait pas comment échapper à sa souffrance, et ne voit plus devant elle que de grands arbres se mouvant dans le noir, habités par les bourgeons de sa fièvre... Sentiment qu'une grande fleur pâle, aux reflets éteints, serait en train de l'étouffer, et que son âme prise dans les affres de son combat contre l'étrange maladie ne puisse plus exister que sous la forme d'une pénitence imposée par le prêtre chauve qui la confessa.

 

  Votre beauté, Madame, si effrayante à mes yeux, m'empêche de vous absoudre... Et c'était comme les paroles qu'un serpent répandrait, lancinant, dans la solitude de son âme. Elle ne se vante pas d'avoir connu l'amour, il ne lui en reste que des cendres, l'incertitude d'une mélancolie sans mémoire qui la dégoûtait d'elle-même. Il est des jours pourtant où semblait lui sourire la possibilité d'une renaissance. L'espoir la traversait du vol blanc de ses ailes, un frisson d'amour juvénile irisait les fleurs qu'elle contemplait, et alors un brusque sursaut d'amour-propre l'éloignait de son confesseur et du pli faussement onctueux de ses lèvres froides.

 

  Comme si sa douleur prenait les traits d'un enfant de lumière qui s'avance dans le calme du soir, tout en elle s'apaisait. Parfois, lorsqu'elle songeait aux trahisons qui l'avaient blessée, elle se sentait plus forte que le regret et la nuit. Il y avait à présent cette douceur un peu énigmatique qui ravivait la grâce de son visage comme si elle portait en elle la vérité d'un autre monde.


 

 

 

 

Cette nuit d'hiver

 

 

 

Ces maniérismes délicats de la pensée la plus perfide et du remords, comment s'en délivrer ?... Où trouver un peu de clarté, un soupçon d'estime de soi ?... À travers les méandres de quelle ville obscure, avons-nous dû traîner le fardeau de notre tristesse ?... Ce qui nous est proche, c'est le souvenir de la montagne, cette lumière sur la mer, et surtout ces grands oiseaux très blancs qui volaient dans les lointains de l'azur, pareils à des rêves de neige et de pureté sans mélange.

 

Et de notre liberté nous nous faisions une idée très précieuse, loin des falaises et de leur vertige... Et maintenant cette nuit d'hiver, notre histoire d'amour résumée en deux ou trois photos. Sur l'une d'elles, de la façon la plus étrange, tu ressembles à une madone aveugle, et sur une autre, on dirait que tu es une petite sœur amère, esseulée, perdue dans l'horizon d'une plage immense, de l'infortunée Charlotte Corday... Tu voulais écrire des oraisons funèbres au sujet de morts que tu ne connaissais pas. Tu évoques des cimetières, décris des pierres tombales, restitues des épitaphes, convoques des images. Comment ne pas aimer ta tête penchée, tes yeux mi-clos, la douceur infinie de tes lèvres ?... Étroite est la frontière entre l'amour et la mort, disais-tu, et je me sentais très seul, de nouveau, comme un homme abandonné dans la forêt des souvenirs... Je me souviens d'un wagon immobile dans la brume, un train pour Auschwitz, disais-tu, un train que ne prennent plus que les fantômes. Tu enseignais l'histoire à des élèves distraits, tu étais mécontente..

 

 

 

***​​​​

 

Pour citer ces tableau & poèmes en prose inédits

 

Pierre Zehnacker, « L'espoir » & « Cette nuit d'hiver », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 10 novembre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no12/pzehnacker-espoir

 

 

 

 

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10 novembre 2022 4 10 /11 /novembre /2022 16:13

N°12 | Poémusique des femmes & genre | Dossier mineur | Florilège

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La voix de l'ombre

 

 

 

 

 

 

Poème & peinture

 

Pierre Zehnacker

 

Poète, nouvelliste & artiste peintre

 

 

 

 

© Crédit photo : Pierre Zehnacker, peinture récente de femme de sa série sur les figures féminines, image no 1.

 

 

 

   Beauté de l'incarnation, de la naissance, de la floraison des âmes et des corps. Beauté de la transgression, de l'amour, de la métamorphose, grandeur de l'exil et de l'insoumission. Vision des roches, de l'aurore aux doigts de fée tissant la trame de nos rêves, angoisse des montres aux aiguilles arrêtées au bord du malheur et du dénouement, plainte obscure d'un rêveur endormi sous les saules, promenade avec l'ombre et la mort. Réveil du roi adverse sur l'échiquier de la névrose, refus des compromis, de la musique de fête foraine et des saints boniments... 

   Bonheur d'une matinée blême et sans extase, accommodation de la douleur au profil des visages, aux augmentations du désir, priorité à l’analphabétisme des songes, à la succession des empires, à la primauté de l'inexpérience. Anorexie des jardins de l'oubli, cantique de la délivrance et de la vipère bleue. Petite brochure du sommeil différé et des regrets. Miroirs sans réflexion, génuflexions sans prière, chœur des oiseaux de nuit au banquet des jeunes filles incomprises, établissement d'une nomenclature des secrets et des remords. Ne brandir aucun étendard en fermant les yeux. Boucler sa valise pour un voyage qui ne se fera pas, choisir de préférence les trains en retard, les serveuses contaminées par la mélancolie des dimanches sans âme... Les occasions manquées, les pouvoirs perdus, la métempsychose des tailleurs de pierre, les oraisons funèbres murmurées par les gargouilles les jours de grand vent. Ramasser une pierre polie par les vagues, y enfermer la voix de l'ombre.

 

 

​​​​***

 

Pour citer ces tableau & poème en prose inédits

 

Pierre Zehnacker (poème & peinture), « La voix de l'ombre », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 10 novembre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no12/pzehnacker-lavoix

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 12 Muses et féminins en poésie
6 novembre 2022 7 06 /11 /novembre /2022 18:35

N°12 | Poémusique des femmes & genre | Poétiser en cuisinant

 

 

 

 

 

 

 

 

Ode au champagne

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Judith Gautier (1845-1917)

 

Poème choisi & transcrit pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

 

 

Crédit photo : Affiche publicitaire pour le vin de Champagne, "Champagne, tribunes", image de Commons.

 

 

 

Poème Couronné à un concours sur le vin de Champagne

 

 

 



 

Ô Soleil, sois propice aux vendanges prochaines.

Roi de notre horizon, viens verser ta chaleur

Sur les pampres nouveaux, verdoyant dans les plaines,

Ô soleil, sois propice à la Champagne en fleur.


 

 

Car si tu nous manquais que deviendrait le monde,

Puissant philtre, sans ta pétillante gaîté ?...

Il n'est jamais, sans toi, de fête, ô liqueur blonde,

Sans le champagne point de toast ni de santé.


 

 

Que serait un festin sans la salve joyeuse

Des bouchons détonants hors des goulots dorés,

D'où la mousse jaillit, folle et capricieuse,

Mouillant les doigts parmi les rires effarés ?


 

 

Soit pour nous souvenir de quelque heure envolée,

Naissance ou mariage, ou fêter un succès ;

Pour envoiler d'oubli notre âme désolée,

N'est-ce pas toujours toi qu'il faut, cher vin français ?


 

 

L'on t'appelle d'un bout à l'autre de la terre,

Grâce à toi, notre nom est partout acclamé ;

Des neiges de Russie aux brouillards d'Angleterre,

De l'Inde à l'Amérique, il est partout aimé.


 

 

Jusque dans la débauche aux vulgaires ivresses,

En ces frivoles nuits dont on rougit au jour,

Ta magie encore prête aux vénales caresses

Un air de passion et des semblants d'amour.

 

 

Et même l'ennemi, pour boire à sa conquête

Et voir  monter l'esprit sous son crâne impuissant,

Doit tendre vers la France,ainsi qu'un pauvre quête,

Le verre dans lequel il a bu notre sang.


 

 

Gloire à toi, vin léger, vin doré, limpide

Qui réchauffe le cœur et met la flamme aux yeux,

Exalte le courage et rend l'homme intrépide,

Qui fait le pauvre riche et le triste joyeux.


 

 

Je te bois à la France, aux arts, aux républiques,

À la fraternité de tous, aux travailleurs,

À l'espoir, à l'amour, aux aïeux héroïques,

Aux luttes de l'esprit qui nous rendent meilleurs.


 

 

Ô Soleil, sois propice à la Champagne en fleur !

 

 

Le poème ci-dessus est un extrait, il provient de GAUTIER, Judith (1845-1917), Poésies (Les rites divins – Au Gré du Rêve – Badinages – Pour la Lyre), Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène FASQUELLE, Éditeur (11, rue de Grenelle), « Badinages », 1911, pp. 107-109. Le recueil cité appartient au domaine public.

 

***

 

Pour citer ce poème de l'aïeule

 

 

Judith Gautier,​ « Ode au champagne », extrait de GAUTIER, Judith (1845-1917), Poésies (1911), choisi & transcrit par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 6 novembre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no12/jgautier-odeauchampagne

 

 

 

 

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4 novembre 2022 5 04 /11 /novembre /2022 17:23

N°12 | Poémusique des femmes & genre | Sourires & rires  féministes

 

 

 

 

 

 

 

 

Le réveil-Matin

 

 

&

 

 

 Appartements à louer

​​​​​​

 

 

 

 

Élisa Fleury

 

Poèmes choisis & transcrits pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

 

 

Crédit photo : Henry Caro-Delvaille, "Portrait de jeune femme rousse", 1900, image de Commons.

 

Le réveil-Matin

Musique de Paul Henrion

 

 

I

 

Ma vieille tante Gribiche,

En fermant les yeux,

Ne laissa, n'étant pas riche,

Rien de précieux.

Hier on fit le partage

Du pauvre butin,

Et j'eus, pour tout héritage,

Son réveil-matin.

 

 

II

 

Or, cette Samaritaine

Vient mal à propos ;

Il faut à ma soixantaine

Beaucoup de repos ;

Pour que le sommeil m'abrège

Un triste chemin,

Voyons, à qui donnerai-je

Mon réveil-matin ?

 

 

III

 

Ce petit clerc de notaire

Que je vois là-haut

A, dit-on, beaucoup à faire,

C'est ce qu'il lui faut ;

Mais il lorgne la voisine,

Brune à l'œil mutin,

Qui lui tient lieu, j'imagine,

De réveil-matin.

 

 

IV

 

Ce monsieur, qui n'a ni rentes

Ni profession,

Suit les modes délirantes

De la fashion ;

Dans son logis que tapisse

Velours ou satin,

Les créanciers font l'office

De réveil-matin.

 

 

V


 

Cet autre, à l'œil de vipère,

Oui loge au grenier,

N'est bon époux ni bon père,

Il est usurier.

Au jour l'écho me rejette

Un son argentin,

Cet homme a dans sa cassette

Son réveil-matin.

 

 

VI

 

Voici la douce Marie

Dont le père est mort,

La pauvre enfant pleure, prie,

Soupire et s'endort ;

Orpheline, elle est sans armes

Contre le destin ;

Ne donnons pas à ses larmes

Un réveil-matin.

 

 

VII

 

Plus bas, quelle joie éclate ?

Bon, J'ai deviné,

L'heureux ménage d'Agathe

Compte un premier-né.

Dieu, quand il met sur la terre

L'ange ou le lutin,

Attache au cœur de la mère

Un réveil-matin.


 

 

VIII

 

Triste ou gai, dans cette vie,

Chacun a le sien,

Et personne, je parie,

Ne voudra du mien.

Si l'on me fait cette niche

J'irai, c'est certain,

Rendre à ma tante Gribiche

Son réveil-matin.

 

 

 

 

 

Appartements à louer

 

 

 

Vous, dont l'esprit tant soit peu satirique

Est à l'affût de nouveaux aliments,

Pour crayonner plus d'un tableau comique,

Amusez-vous à voir des logements.


 

 

Vous surprendrez Céline à sa toilette,

Ayant sur elle un peu moins qu'un peignoir ;

Plus loin Sainval à gants blancs et lorgnette,

Prêt à dîner avec un radis noir.

 

 

 

Que de tableaux je peindrais sans médire !

Car je vois tout, et j'ai, par ce moyen,

Presque toujours d'amples sujets de rire,

Et le plaisir de m'amuser pour rien.


 

 

 

Maint écriteau m'offre sur ses deux faces,

Pour occuper mon œil observateur :

Appartement et cave orné de glaces.

Que n'orne-t-on l'esprit du rédacteur ?


 

 

 

Le nez au vent, comme en entrant au Louvre,

Je veux d'abord m'adresser au portier :

Où donc est-il ? Enfin, je le découvre

Dans l'antre obscur que masque l'escalier.


 

 

 

Du vasistas, par où l'on vous épie,

Sort une odeur de chou, de cuir et d'ail.

Là, femme, enfants, chien, chat, lapins et pie,

Sont confondus dans le même bercail.


 

Un vieil argus, de l'œil dont il dispose,

Trace un béquet, lorgne entrer et sortir,

Chantant du nez : «  Tu n'auras pas ma rose. »

Ce n'est pas moi qui voudrais la flétrir.


 

Bref, nous montons ; j'entre au premier étages ;

Là, que d'apprêts ! quel chaos sans égal !

Un vieux rentier, grotesque personnage,

Donne aujourd'hui festin, concert et bal.


 

Sur chaque meuble on dépose à la hâte

Fleurs, fruits, rubans, pâtés, filets de bœuf ;

L'amphitryon, que cet exemple gâte,

Sur un melon pose un faux toupet neuf.


 

Moins bien logé qu'au Colisée à Rome,

Dans un salon qu'on traverse en dix pas,

Les conviés seront à l'aise comme

Des hannetons entassés dans un bas.


 

En pénétrant dans la pièce voisine,

Nous dérangeons la dame du logis.

Elle est coquette et fait, à la sourdine,

En brun foncé teindre ses cheveux gris.


 

Sèche et pincée, à côté de sa mère,

Évélina, qui se croit un Rembrandt,

Veut terminer le portrait de son père :

C'est bien plutôt celui du Juif-Errant.


 

Allons, Oscar, soyez donc raisonnable,

Dit le papa, grave comme un bedeau,

À son bambin qui, grimpé sur la table,

A grignoté déjà plus d'un gâteau.


 

À la cuisine on embroche, on fricasse ;

Pour s'illustrer, Babet, en un clin d'œil,

Fait des sirops avec de la mélasse

Et des sandwichs d'un reste de chevreuil.


 

En traversant la chambre de la bonne,

Je vois par terre un bouton en métal ;

Le coq gaulais m'apprend que la friponne

A du penchant pour un municipal.


 

Je sais aussi du portier, qui babille,

Que le papa, sans doter peu d'attraits,

Voudrait trouver un mari pour sa fille ;

Mais le brave homme en sera pour ses frais.


 

Bien des pardons, dis-je avec politesse,

En saluant ces sots prétentieux,

Qui m'ont fourni, chacun dans son espèce,

Quelques quatrains aussi stupides qu'eux.

 

Les poèmes d'humour ci-dessus sont des extraits, ils proviennent de FLEURY, Élisa (Madame), Album de poésies et chansons, par Mme Élisa Fleury, 2ème édition, Paris, Imprimerie Simon RAÇON et CIE, 1858, pp. 45-48 pour le premier puis pp. 50-52 pour le second. Le recueil cité appartient au domaine public. Ces deux poèmes représentent assez bien une manière humoristique de dire, dépeindre et penser la vie citadine et urbaine. Ils consituent ainsi un précieux échantillon de la Sociopoétique.

 

 

***

 

Pour citer ces poèmes humoristiques de l'aïeule

 

 

Élisa Fleury,​ « Le réveil-Matin » & « Appartements à louer », extraits de FLEURY, Élisa, Album de poésies et chansons (1858), choisis & transcrits par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 4 novembre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no12/fleury-reveil-matin

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 12 Humour Muses et féminins en poésie

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