31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

Poésie féminine et modernité

 

la crise du vers chez Louise Labé 

 

 

Ouattara Gouhe

Université de Bouaké

République de Côte d'Ivoire

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/68/Louise_Labé.png

 

Crédit photo : Louise Labé (1524-1566), Gravure  (1555) de Pierre Woeiriot (1532-1596), Wikipédia

 

Résumé

 

L’expression « crise de vers » est de Mallarmé et garde tout son sens dénotatif d’attaque en règle contre toute sorte d’institution en opposition à la nouvelle conception de l’écriture poétique. La vision poétique, sous ce signe, reflète l’anarchie, le désordre langagier dans le seul but de réinstaurer l’ordre supposé absent. Mais lorsque la modernité est hantée par le cri de la poésie féminine, la crise se singularise et prend la forme polémique ayant tendance à éclipser l’art qui se manifeste. Or, par-delà la controverse, la recherche de la vérité doit rester en permanence l’idéal de tout poète épris de modernité. En la matière, Louise Labé aura été une pionnière dont la franchise de la parole viendrait bousculer des normes préétablies.

 

Mots clés : crise de vers, métaphore, modernité poétique, poésie féminine, versification

 

Summary

 

The term « crisis of verse » is from Mallarmé and retains its denotative meaning of attack against any kind of institution in opposition to the new conception of poetic writing. The poetic vision, under this sign, reflects anarchy and disorder in language just to reinstate the order assumed absent. But if modernity is haunted by the cry of women's poetry, the crisis stands out and takes the form controversy tends to overshadow the art that manifests itself. However, beyond controversy, the search for truth must always remain the ideal of every poet in love with modernity. In the matter, Louise Labe has been a pioneer whose frankness of speech would disrupt pre-established standards.

 

Keywords : crisisofverse, metaphor, poetic modernity, women's poetry, versification

 

 

Introduction

 

 

Parler de poésie féminine sans le moindre souci d’une discrimination apparente du genre, ni d’une distinction fondamentale entre les productions textuelles, est une gageure encore inactuelle chez nombreux critiques de l’art littéraire. Le constat est, en effet, réel et permet d’affirmer qu’après Christine de Pisan, Louise Labé se trouve être l’une des rares femmes poètes à entrer dans le cercle très fermé, pourrait-on dire, de l’élite française en matière de poésie.

 

À en croire les études passées, comme celles beaucoup plus récentes, les raisons de la faible production féminine sont variées, selon que la femme, depuis lors, a été condamnée au statut social de l’être d’intérieur ou que, devenue poète, elle a été confrontée pendant longtemps à diverses hostilités de ses ″coauteurs″ masculins et des maisons d’édition. À cela, il convient d’ajouter les limites des hommes poètes qui se sont attardés, la plupart des cas, sur la représentation mythique de la femme, l’enfermant ainsi dans une sorte de passivité impropre à la créativité. La prise de conscience, une fois amorcée depuis l’ère christinienne renforcée par le labeur de Louise Labé1, les femmes littéraires et poètes modernes ont à prouver leur appartenance à l’évolution du langage poétique dénué de tout a priori. Il faut diriger donc le regard vers l’absolu de l’art considéré comme vérité immanente à toute production textuelle.

 

Tel se voudrait le contenu de cette autre « crise de vers » orientée fondamentalement vers la modernité ″gynécographique″ labéenne. En fait, quelle est la caractéristique fondamentale de l’écriture poétique de Louise Labé : une modernité simplement féministe ou profondément universelle ? Le ton est donné et permet à la présente approche d’infléchir la réflexion dans la perspective d’une investigation du langage particulièrement féministe et empruntant sa voie au mystère poétique, au sens de sacré essentiel.

 

 

1- Une crise personnelle : le lyrisme féminin masculinisé ?

 

 

L’allusion à la masculinisation pourrait s’expliquer aisément, en référence à la biographie de la Lyonnaise Louise Labé, par l’engagement viril et exceptionnel de la femme dans le combat réservé d’aventure aux hommes. Magalie Wagner soulignera à ce propos :

 

La légende veut d’ailleurs […] que le frère de Louise Labé, François, lui aurait enseigné l’escrime, et qu’elle se serait illustrée, en tenue militaire, lors de tournois, ainsi qu’au siège de Perpignan, sous le nom de « Capitaine Loys »2.

 

Cependant, il s’agit de porter l’intérêt, particulièrement, sur le simulacre du langage poétique qui a tendance à métamorphoser le réel en ″sur-réel″, c’est-à-dire en ce quelque chose qui, de façon analogique, se superpose symboliquement à l’objet et lui assigne un sens. Voilà donc le présupposé permettant d’affirmer, par exemple, que la poète3 médiévale, Christine de Pisan, comme sa consœur de la Renaissance, Louise Labé, est d’abord lyrique au travers de la souffrance et la douleur de la solitude exprimées; par la suite, elle s’évertuera à singulariser son poème dans une forme d’écriture tout aussi bien revendicative, combative que philosophique.

Avec Christine de Pisan, les tourments de la solitude sont à leur plus forte explosion langagière dans ses Cents Ballades4 :

 

Seulete suy et seulete vueil estre,
Seulete m'a mon doulz ami laissiée,
Seulete suy, sanz compaignon ne maistre,
Seulete suy, dolente et courrouciée,
Seulete suy en languour mesaisiée,
Seulete suy plus que nulle esgarée,
Seulete suy sanz ami démourée.

 

L’intensité de la douleur et la sincérité du ton de la complainte révèlent, à l’évidence, la personnalité féminine encline le plus souvent à la résignation face à la force destructrice de la souffrance. De plus, l’anaphore « seulete suy », l’allitération en [s] et les occurrences de [e] à la rime témoignent de l’intention de l’écrivaine à exposer, de manière patente, l’objet de son érosion intérieur. L’impression qui se dégage de la « dure » solitude est pourtant la solide formation d’une force de caractère identique à celle de l’engagement masculin. Ainsi se voit radicalisée la personne christinienne infortunée qui « de femelle devins masle »5 consécutivement, avec, sous la plume, une écriture dont la saveur renferme la satire tant sociale que littéraire, la morale et la philosophie.

La toute première invective de Pisan va à l’encontre du second Roman de la Rose6 où l’accent est mis sur la discrimination des sexes et le rabaissement honteux de la femme. Elle rétablit une sorte de vérité morale quant aux mauvaises conduites :

 

Et, quant je di homs, j'entens famme

Aussi, s'elle jangle et diffame;

Car chose plus envenimée

Ne qui doye estre moins amée

N'est que langue de femme male

Soit acertes ou par gale

Mesdit d'autrui, moque ou ramposne;

 

Au travers du Dit de la Rose7, Christine de Pisan prend ainsi le contre-pied des préjugés masculins au détriment de la femme, avec en appui, la mise en exergue de son identité de mâle et l’égalité dans les mœurs chez tous les êtres. À l’évidence, le lyrisme douloureux se transforme en un combat où la poète tente de moderniser son écriture par sa volonté de symbolisation du langage (« langue de femme male »). La convocation de quelques textes christiniens constituent un bref aperçu des mutations qu’opère la poésie, dès ses origines, sous la plume de la femme.

 

À la double tâche, consistant à la fois à méditer sa condition de femme et à innover dans l’art d’écrire, Louise Labé se consacrera volontiers, avec pour armes uniques  « Amour ([qui] inconstamment [la] mène) »8 et la plume. Il s’agit de convenir à l’idée plutôt généralisante de la pratique de l’engagement poétique qui n’a ni couleur ni sexe, mais provenant du souffle simplement inspirateur et créatif. De ce fait, l’on admettra que Louise, comme Maurice Scève ou certains contemporains de la Renaissance, a du recourir aux mêmes sources mythiques de l’écriture poétique et humaniste. Pierre Servet semble confirmer cette option dans une de ses analyses en affirmant :

 

C’est par le recours aux mythes les plus ordinaires de l’écriture poétique et humaniste de la Renaissance que L.L. [Louise Labé] parvient à faire entendre sa voix, mythes aussi bien antiques […] que contemporains […]9.

 

 

Si les références de Labé ont donc partie liée avec le mythe commun à tous les fonds lyriques de son temps, il ne faut tout de même pas renier sa touche originale en tant que poète aspirant à la modernité. D’un tel postulat, il est bien aisé d’examiner les lignes particulières de l’écriture qui n’engendre point seulement une passion naïve, mais dérive de la passion supérieure et éternelle. C’est à juste titre, pourrait-on dire, qu’« au réalisme serein du Débat Enzo Giudici oppose le caractère passionné des poésies »10. La référence allégorique de l’auteur à « Amour », en dépit de la pestilentielle saveur érotique (ce que voudraient faire croire certains critiques), garde l’élan d’un féminisme où la femme n’est plus l’objet mais le sujet de la création. À ce titre, l’écrivaine s’emploierait plutôt à la tâche consistant en la transfiguration d’un genre d’expression limitant la femme aux seules présences esthétique et mythique.

Elle construit un autre idéal d’absolu que manifeste l’être subtil figuré par l’amour dans ses élégies et sonnets. Louise Labé propose, en effet, un modèle poétique dans lequel l’esprit de l’amante, loin de se figer ou se résigner au sort, expérimenterait de lui-même l’élévation vers l’idéal qui est le « bien » :

 

Mon triste esprit, hors de moi retiré,

S'en va vers toi incontinent se rendre11.

 

De plus, le suprême bien dont il est question peut même s’obtenir dans le « mensonge », c’est-à-dire la faute :

 

ET si jamais ma pauvre âme amoureuse

Ne doit avoir de bien en vérité,

Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.

 

Cette logique de l’art qui s’instaure savamment aboutit à la pratique d’une poétique dévoilant la sincérité et la franchise dans les vers rythmés à la mesure du microcosme humain en action, comme exprimé dans le morceau suivant :

 

Baise m'encor, rebaise moy et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureus,
Donne m'en un de tes plus amoureus :
Je t'en rendray quatre plus chaus que braise12.

 

Il faut y noter, de prime abord, l’audace et la violence du lexique tombant comme une massue sur l’édifice langagier courtois et pudique du Moyen Age. Louise Labé devancerait ainsi Mallarmé et tous les symbolistes anarchistes dont l’intention première sera de porter un coup « aux mots de la tribu »13. Au lieu peut-être d’un « sens plus pur » à réserver au langage commun, la part est plutôt faite à l’élan de révolte et de cruauté profonde propice à la libération du verbe. Consécutivement, la crise personnelle amorcée chez Pisan s’opère désormais, avec Labé, selon une poétique prenant en compte la même force passionnelle et énonciative rencontrée chez ses confrères Scève ou Marot, dans la perspective d’un dépassement.

En seconde lecture, d’approche un peu plus stylistique, l’on imagine une femme non comblée par l’Eros (attribut du dieu Amour) et célébrant, à travers l’écriture poétique, la nouvelle victoire d’être aimée. La modernité pointe ainsi du nez chez Louise Labé avec un travail particulier sur le rythme qu’Henri Morier désignera, beaucoup plus tard, « rythme pur »14, en référence à la poésie symboliste à vers libre.

La rapidité du souffle émanant du désir se note, en effet, dans la ligne mélodique proposée par l’artiste et dont la mesure décasyllabique pourrait être dénombrée selon l’emplacement de l’hémistiche. Une brève analyse détaillée de chaque vers synchroniserait dans ce cas les points de vue sur le rythme moderne labéen :

 

bƐzә mǎ kɔR//RәbƐzә mwa /e bƐz

4//4 + 2

dɔnә mǎ ǣ//dә tƐ plY /savuRӨ

4//3 + 3

dɔnә mǎǣ//dә tƐ /plYzamuRӨ

4//2 + 4

Ʒә tǎ RǎdRƐ katRә//plY /ʃo kә/bRƐz
6//1 + 2 + 1

 

De l’agencement rythmique l’on aperçoit une forte concentration de syllabes de part et d’autre de l’hémistiche, comme si la poète désirait montrer au lecteur cette rafale, aussi rapide que violente, engendrée par la passion naturelle de la chair. L’art évocateur de dynamisme se trouve ainsi manifesté dans l’écriture poétique, afin de faire reculer ou même voler en éclat les limites contraignantes du mètre poétique à forme fixe. Rimbaud et ses contemporains auront eu le mérite d’assoir les théories d’une telle liberté de composition et de l’expérimenter, en rapport avec la profondeur du sentiment. Cependant, il convient d’accepter théoriquement Louise Labé comme figure, non seulement majeure, mais initiatrice, sans distinction de genre, d’une versification digne d’un mouvement de révolte, plutôt que d’apparence simplement féministe ou érotique. En plus, il s’agit d’admettre que le cri poétique de la femme n’est pas plus viril qu’humain et qu’à ce titre il conserve toute sa place sur le chemin de la modernité, en termes d’évolution continuelle des pratiques artistiques.

 

2- La réunion des corps, écho à la crise du vers

 

 

L’objectif central assigné à ce volet de l’analyse se situe dans l’investigation des figures et des éléments de modernité à travers la composition poétique de l’œuvre labéenne. Le concept de la « réunion des corps » doit s’appréhender ici comme la capacité de l’auteure à créer métaphoriquement des lexèmes dont le rapprochement produirait subtilement l’idée d’une harmonie textuelle. Sous cette perspective analytique, il est tout à fait opportun de recourir à « l’être-ensemble » et au « milieu de la ressemblance », expressions de Michel Deguy désignant le rapport entre l’éthique de la conciliation et les figures du langage qui la véhiculent au sujet engagé dans l’expérience de la parole poétique15. Louise Labé serait, en effet, la poète dont l’androgynie16factuelle constitue le moyen efficace pour révéler les finesses de l’art du ″mettre-ensemble″ figuré. D’ailleurs, une approche de Magalie Wagner semble apporter quelque précision quant à la spécificité mâle/femelle de l’écrivaine :

 

On touche là, probablement, aux intentions profondes de notre poétesse : à la périphérie des discussions visant à désigner lequel des deux sexes est supérieur à l’autre, qui alimentent pendant tout le siècle la fameuse « Querelle des Amyes », son propos ne serait-il pas de faire entendre que l’être « parfait » combinerait qualités féminines et masculines ? Cela, bien entendu, en réaction à ces conceptions communément admises, depuis Aristote et Galien, de la femme comme « mâle mutilé » ou « mâle imparfait »17  

 

L’union mâle/femelle, serait ainsi la perfection imagée suscitant chez Labé la nécessité de recourir à la poésie des figures et des symboles naturels de l’association tels le feu, l’eau, la terre et l’air. Pour établir la clarté à ce niveau, il faut se convaincre d’une forte présence dans les textes labéens d’éléments stylistiques comme l’amphibologie, l’antithèse ou l’oxymore. Or, ces figures qui sont sensées évoquer des rapports d’opposition, en apparences, véhiculent essentiellement l’idée de conjonction et d’harmonie.

À l’évidence, l’antinomie concentrée dans le sonnet VIII dont l’incipit est « Je vis, je meurs », révèle, de façon lyrique, les tourments d’une personne amoureuse en situation de manque à combler, mais se trouvant dans l’impossibilité de réaction. Pourtant, une seconde lecture est possible, nécessitant, pourle fait, la convocation du texte intégral :

 

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,
J'ai chaud extrême en endurant froidure;
La vie m'est et trop molle et trop dure,
J'ai grands ennuis entremélés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure,
Mon bien s'en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur18.

 

Les contradictions évoquées dans ce sonnet ne sont pas sans rappeler curieusement la dualité spleenétique de Baudelaire apparue trois siècles plus tard. Son « Hymne à la beauté »19 porte les stigmates d’une sorte d’idéalité dichotomique :

 

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô Beauté ? ton regard infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore;
Tu répands des parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

[…]

L’on s’apercevra, par la suite, que l’antagonisme baudelairien n’a de sens que s’il s’inscrit dans un contexte d’union, voire de fusion à un absolu nommé « Infini » :

 

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté, monstre énorme, effrayant, ingénu!
Si ton œil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?

Il poursuit, dans une sorte d’appel à l’universalisme :

De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds.

 

Parler d’influence entre Louise Labé et Baudelaire importe peu, car il convient de saisir chez les deux poètes, par le biais de l’écriture poétique, l’intention de la réunion des contraires en une figure suprême, comparable à celle d’éternité. Le vers subirait ainsi une crise qui passe nécessairement par la tentative de recherche de liens syntaxiques et lexicaux à valeur de totalisation, entendue comme l’assemblage d’éléments supposés opposés dans le creuset de l’harmonie première.

Il serait possible, par ailleurs, d’affirmer que l’interpellation initiale de Labé (« Je vis, je meurs ») est une façon de désigner le rythme cyclique de l’univers dont la réalité s’inscrit dans la dyade vie/mort ou mort/vie.

C’est donc avec l’idée de complémentarité dans l’opposition que la poète aurait écrit son texte saturé par l’occurrence de la conjonction « et », rythmant un vaste champ lexical d’antonymie. En référence au premier point de cette étude, il faut considérer l’importance du rythme chez la Lyonnaise comme expression ontologique de l’univers macrocosmique. D’où l’opportunité d’analyser le symbolisme des éléments primordiaux tels qu’ils apparaissent dans sa poétique sous les formes ignée (feu), fluide (eau), éthérée (air) et terrestre (terre).

L'œuvre poétique de Labé, pour ce qui est donné de voir dans les sonnets, est, en effet, un réceptacle d’images et de figures tant cosmiques que naturelles. L’eau se caractérise ici par son abondance liée aux larmoiements des yeux se baignant continuellement dans le liquide qui noie la poète. Le sonnet VIII en fait état : « …Je me brûle et me noie » (v. 1) et « Tout en un coup je ris et je larmoie » (v. 5). Ainsi, « les larmes épandues » depuis le sonnet II inonderont les deux tiers des vingt-quatre poèmes de Louise Labé. Mais, le plus remarquable reste l’omniprésence du feu précédant l’eau depuis « la chaleur » du premier sonnet jusqu’aux « mille flammes ardentes » du dernier.

Le feu de la poétique labéenne est d’abord l’ardente douleur d’un amour vain, mais aussi la flamme incandescente du désir de vivre, comme exprimé lyriquement dans le huitième poème où l’amante a « chaud extrême », même « en endurant froidure »(v.2). Autant dire que l’effectivité de la vie doit se concrétiser chez l’auteure par l’association de l’eau calmante et purificatrice à l’énergie destructrice mais surtout transformatrice du feu. Le résultat de la transmutation alchimique est la création d’un vers particulier dont la franchise déroute au plus haut point. De plus, la noyade dont il est question au sonnet VIII aurait tendance à garder la valeur mythique d’une poésie de la Renaissance, consistant à déifier l’univers de l’amour. L’on n’est alors nullement surpris de voir les sonnets XV et XIX imbibés d’eau par les naïades : « Les nymphes ja en milles jeux s’ébattent » (XV, 3).

Mais en fait, la nymphe, dans la poésie labéenne n’est qu’une transformation de Diane, fée des hauts-bois du sonnet XIX, pour répondre au besoin de renouvellement du vers. Ainsi, la nymphe empoignant la « flêche » (symbole de plume à écrire) de son double rêvassant percerait de part en part le blanc de la page :

 

Et lui jetai en vain toute mes flêches

Et l'arc aprés ; mais lui les ramassant

Et les tirant, me fit cent en cent brêches.

 

Certes, le risque d’érotisation est perceptible à travers ce tercet et l’on sait que toute la poésie de Labé se prête fort bien à cette prémonition. Pourtant, il faut bien convenir à l’idée que tout se passe dans l’imaginaire d’une artiste dont le subterfuge est de jongler avec les images et d’étaler les liens subtiles qu’elles comportent. Dans un tel contexte, le sonnet XV procède admirablement à l’association des quatre éléments dans un même huitain :

 

Pour le retour du Soleil honorer,

Le Zéphir l'air serein lui appareille,

Et du sommeil l'eau et la terre éveille,

Qui les gardait, l'une de murmurer

 

En doux coulant, l'autre de se parer

De mainte fleur de couleur nonpareille

Jà les oiseaux ès arbres font merveille,

Et aux passants font l'ennui modérer

 

L’on pourrait ainsi percevoir la tentative de recherche de l’harmonie poétique non présente dans l’amour concret et vain ; de prime abord, il s’agirait de préserver l’équilibre de la poète s’inscrivant dans celui de l’univers symbolisé par l’union des quatre principes primordiaux, le « Soleil » jouant ici le rôle du feu divin mythologique. Secondement, la mesure opérée doit avoir un impact majeur sur l’organisation formelle du poème et sur la beauté du vers. Il est donc question, par le biais de la jonction des images métaphoriques, de voir dans la poésie de Louise Labé une sorte d’intrications versifiées et calquées sur l’unité cosmique.

 

 

3 - De la crise du vers à la versification de crise

 

L’ultime partie de cette analyse est une tentative d’approche de la métrique labéenne, en vue de déceler les caractéristiques de modernité propres à l’écriture de l’auteure. La finalité d’une telle entreprise réside dans la possibilité de concéder à l’art poétique de Labé le crédit de l’innovation accordé si souvent aux « prouesses » des modernes issus des deux derniers siècles.

Afin de conserver le fil conducteur de notre approche, l’ensemble des vingt-quatre sonnets est encore convoqué pour une investigation des rimes et du lexique labéens. L’objectif fondamental serait, comme l’indique François Rigolot, de mettre en relief le « procédé si moderne du monologue intérieur »20qui s’adresse « intensément à notre sensibilité moderne »21. Or, l’éveil de cette possible émotivité passe nécessairement par l’effet que produisent les éléments rythmés du langage poétique. Ainsi, à l’exception du premier sonnet qui présente une structure dodécasyllabique, tous les autres sonnets sont décasyllabiques et majoritairement rythmés 4/6. L’on pourrait noter d’aventure, que dans le désordre émotionnel, le souci de l’harmonie du vers est toujours ardemment présent chez Louise Labé.

En dépit de la forte dose de tourment diffuse au sonnet I par le « poison » fatal du « Scorpion », la poète semble maîtriser à la perfection l’alexandrin que le classicisme formalisera un siècle plus tard. Quant aux rimes, l’allure embrassée est prégnante dans les deux quatrains initiaux de tous les poèmes(ABBA) et à la fin de la majorité des vingt-quatre sizains (DEED). En revanche, huit sonnets comportent des rimes croisées aux sizains(EDED) : il s’agit des sonnets VII, XIV, XV, XVI, XIX, XX, XXI et XXIII. De plus, cinq poèmes présentent une structure particulière par le panachage et la ″platitude″ des rimes à la fin des six derniers vers, comme suggéré à travers les schémas suivants :

 

sonnet I : EFGHCC

sonnet III : CDEDCE

sonnet VIII : CDCCDD

sonnet IX : CDECDE

sonnet X : CCCDDC.

 

Cette dernière remarque est de nature à interpeller la conscience sur la manière dont Louise Labé organise le langage poétique ou sur la façon dont les mots de la langue moderne de l’époque s’unissent pour créer l’effet. Le tout ne consiste pas à affirmer, le cas échéant, le caractère béotien22 d’une telle versification pour infirmer ou nier sa valeur d’originalité absolue. Par ailleurs, c’est au-delà du style considéré par certains détracteurs comme ″mal fait″ ou « mal dit » qu’il faut aller chercher l’essentiel du verbe, en s’accordant avec l’axiome de Beckett :

Dire, c’est mal dire. Il faut bien comprendre que ″dire c’est, mal dire″ est une identité essentielle. Il explique son opinion en ces termes :l’essence du dire est le mal dire. Mal dire n’est pas un échec du dire, c’est exactement le contraire : tout dire est, dans son existence même en tant que dire, un mal dire23.

L’intérêt des rimes susmentionnées réside dans l’aptitude de l’artiste Labé à observer la rigueur d’une composition poétique à la recherche d’harmonie, aussi singulière soit-elle. Plutôt que d’infléchir la réflexion dans le sens d’une possible perturbation de langage d’une poète en proie à la douleur et aux tourments, il faut opter pour l’autre versant de la pensée qui conçoit que l’on peut trouver l’ordre dans le désordre, la vérité dans le non-être du langage. L’on pourrait alors convenir à l’idée que la confusion des rimes est voulue et appliquée en toute lucidité à une poésie de la désunion composée par la lyonnaise. Le fait poétique se trouve ramené, dès lors, à cette sorte de crise présentant des figures de rupture dans le spectre de l’écriture. Berriot cautionnerait un tel propos, lorsqu’elle avance ceci :

La poésie ne fait donc que rejouer, semble-t-il, dans le simulacre de l’écriture qui est une forme d’exorcisme thérapeutique, une déchirure affective toujours décrite en termes de chute, d’exil, de séparation […]24

De toutes les façons, la crise de vers labéenne participe de la même clairvoyance dont « les poètes maudits »25 du XIXe siècle se sont prévalu pour imposer leur doctrine symboliste et artistique. Le postulat d’une poétique inscrite dans un « françois nouveau »26 constitue déjà les arrhes d’une modernité que Labé allie au tout du langage, c’est-à-dire au mot et à son autonomie structurelle. Il s’agirait de voir, par exemple, la manière dont l’inversion syntaxique est opérée chez elle, pour se convaincre de cette liberté accordée aux mots de s’organiser à l’image du ″désordre″ passionnel. Le sonnet IV porte les signes de ce qui pourrait être qualifié, à l’époque contemporaine, d’audace stylistique :

 

 

Depuis qu'Amour cruel empoisonna

Premièrement de son feu ma poitrine,

Toujours brûlai de sa fureur divine,

Qui un seul jour mon cœur n'abandonna.

 

Quelque travail, dont assez me donna,

Quelque menace et prochaine ruine,

Quelque penser de mort qui tout termine,

De rien mon cœur ardent ne s'étonna.

 

Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir,

Plus il nous fait nos forces recueillir,

Et toujours frais en ses combats fait être ;

 

Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise,

Cil qui des Dieux et des hommes méprise,

Mais pour plus fort contre les forts paraîtres.

 

Face à un tel étalage d’« anomalies grammaticales », il serait convenable d’observer la prudence de Rigolot qui y perçoit des signes par lesquels l’écrivaine aurait mis en jeu sa différence sexuelle27. Certes, mais l’analyse présente voudrait bien s’écarter d’une possible ″sexualisation″ de l’écriture poétique pour aborder l’aspect insolite de la parole qui commence son ″essentialisation″ avec « la Belle Cordière aux tresses blondes »28. Le langage surchargé (baroque à la limite) de Labé ne serait-il pas géniteur des pratiques poétiques fondées sur l’obscurité du vers ?

Le clair-obscur de Verlaine, appliqué à ses Romances sans paroles, est aussi tributaire des tourments de la passion amoureuse rencontrée chez la poète. Pourtant, le plus essentiel reste la volonté de rendre par l’écriture la profondeur de l’être en proie à la « double vie » évoquée au premier tercet du sonnet XVIII :

Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy et son ami vivra.

Ainsi en va-t-il du langage labéen, à la fois facile et impénétrable, à tel point que le lexique employé se déploie dans le mythe allégorique comme au sonnet XIX :

 

Diane étant en l'épaisseur d'un bois,

Après avoir mainte bête assénée,

Prenait le frais, de Nymphe couronnée.

J'allais rêvant, comme fais mainte fois,

 

Sans y penser, quand j'ouïs une vois

Qui m'appela, disant : Nymphe étonnée,

Que ne t'es-tu vers diane tournée ?

Et, me voyant sans arc et sans carquois :

 

Qu'as-tu trouvé, Ô compagne en ta voie,

Qui de ton arc et flêches ait fait proie ?

- Je m'animai, réponds-je, à un passant,

 

Et lui jetai en vain toute mes flêches

Et l'arc après ; mais lui les ramassant

Et les tirant, me fit cent en cent brêches.

 

Le mythe vient conférer au discours de Labé une parole de vérité enveloppée dans la chrysalide du mystère qui se voudrait pour autant naturel. Plus qu’une marque d’allégeance à une pratique scripturale ayant cours à la Renaissance, le mythe est pour elle un langage authentique où la nature, dans son acception universelle, non corruptible, prendrait place. Autant dire que, à travers la parole mythique et poétique, la Lyonnaise s’écarte d’une sorte de rhétorique laudative de la femme initiée par les poètes pétrarquistes29, afin de faire prévaloir une poétique plutôt critique. Son Débat de Folie et d’Amour30 est bien le fondement de cette option philosophique qu’elle répercute sur l’univers ″troublant″ des sonnets.

 

Conclusion 

 

La crise de vers labéenne revêt une double nature, à la fois cri féminin ou féministe et écriture de franchise et de vérité. Le second aspect dévoile chez Louise Labé le désir de modernité fondée essentiellement sur un drame personnel qui l’amène à adopter une poétique de transmutation langagière. Le mot prend alors la forme étrange d’un naturel que l’on peut qualifier d’éthique ; étrange par sa tendance à bousculer les normes et les usages littéraires, mais aussi éthique à cause de son opposition ouverte à la morale. Cette disposition fait du vers de la belle cordière une ligne philosophique prônant le non-être des choses, afin d’en appeler à la recherche de la vérité qui s’y trouve subsumée. La poésie de Labé a donc tendance à condamner la lyrique apocryphe de la plupart des poètes de la Renaissance, qui mettent leur art uniquement au service de la louange de la beauté. Aussi, face au subterfuge du langage tendancieux et trompeur de ses pairs, masculins en majorité, la poète apporte l’authentique empreinte de l’amour et de la beauté relevant d’éternité. De Baudelaire à Mallarmé, jusqu’aux auteurs dits postmodernes, la poésie aura eu, sans conteste, une solide source de breuvage grâce à l’écriture labéenne d’étendue métapoétique.

 

 

Notes

1 . Louise Labé, à l’instar de Christine de Pisan un siècle plus tôt, a fait de sa poésie un métier, supposant ainsi un travail sur la langue dans l’expression d’un lyrisme doublement et fermement engagé sur la voie de la libération de la femme et de la liberté de l’art.

 

3 Le féminin direct conviendrait de préférence à un féminin (au masculin) supposé indirect et périphrastique (« le poète femme » ou « la femme poète ») chez la plupart des critiques de la poésie féminine.

 

4 Maurice Roy, Œuvres poétiques de Christine de Pisan I : Ballades, Virelais, Lais, Rondeaux, Jeux à vendre et Complaintes amoureuses, Paris, éd. Firmin Didot, 1891, p. XXVII.

 

6 Le second volet de cette somme poétique et philosophique est composé par Jean de Meung dans la seconde moitié du XIIIe siècle.

 

7 Maurice Roy, Œuvres poétiques de Christine de Pisan II, Paris, Firmin Didot, 1891, p. 29-48.

 

8 Louise Labé, Sonnet VIII. Il convient de souligner que la présente étude prend appui sur les Œuvres complètes de Louise Labé, ouvrage établi par François Rigolot, Paris, Garnier-Flammarion, 2004. De plus, les vingt-quatre sonnets de Louise Labé constitueront le corpus majoritairement exploité au cours de notre analyse.

 

9. Pierre Servet, « Comptes rendus » au sujet des Œuvres complètes de François Rigolot, in Revue Scientifique Persée, url. htt://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1997_num_45_1_2184, p. 138.

 

10. Enzo Giudici, Louise Labé. Essai, Edizionie dell’Ateneo, s.p.a., Roma Librairie A.G., Paris, Nizet, 1981. Cité par Henri Weber, url. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhen_0181-6799_1983_num.

 

11. Louise Labé, Sonnet IX.

 

12. Idem, sonnet XVIII.

 

13. Stéphane Mallarmé, « Tombeau d’Edgar Poe », in Poésies, Paris, Gallimard, 2001, p.60.

 

14 Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, éd. PUF, 1961, p. 370-371.

 

15. Les deux expressions : « l’être-ensemble » et « milieu de la ressemblance » nous sont données en référence au Tombeau de Du Bellay de Michel Deguy, Paris, Gallimard, 1973.

 

16. Du grec andros « homme » et gunê « femme », l’androgynie désignerait ici la possibilité pour le langage poétique à décloisonner les contraires dans le sens de l’unité du verbe artistique. Cette pratique passe à tout point de vue par la métaphore affectionnée par Louise Labé.

 

17. Magalie Wagner, « Quand la femme prend les armes… : Renversement et travestissement dans les Œuvres Poétiques de Louise Labé », magalie-wagner-louise-labe-quand-la-femme-prend-les-armes.pdf-Adobe Reader

 

18 . Louise Labé, Sonnet VIII.

 

19. Charles Baudelaire, « Hymne à la beauté », Les Fleurs du mal, Paris,éd. Librairie Générale Française, 1972, p. 182.

 

20. François Rigolot, Œuvres Complètes, op. cit., p. 18.

 

21. Idem, p. 7.

 

22. De Béotie, nom d’une région de la Grèce antique dont les habitants avaient la réputation d’être sans goût, sans finesse. L’allure désordonnée qu’offrent les sizains de certains sonnets labéens pourrait jeter le discrédit sur la modernité de l’écriture.

 

23. Beckett cité par Alain Badiou in Petit Manuel d’inesthétique, Paris, éd. Seuil, 1998, p.153.

 

24. Karine Berriot, La Belle Rebelle et le François nouveau, Paris, éd. Seuil, 1985, p. 84.

 

25. L’expression peut être considérée ici comme une interpellation du poète Verlaine à ses pairs pour une prise de conscience des exigences de l’art moderne, plutôt qu’à des considérations profanes.

 

26. Cf. La Belle Rebelle et le Françoits nouveau de Karine Berriot.

 

27. François Rigolot, « Quel genre d’amour pour Louise Labé » in Poétique, numéro 55, septembre 1983, p. 303-317. 

 

28. Léopold sédar Senghor, cité à la quatrième de couverture de La Belle Rebelle et le François nouveau, op. cit.

 

29. Allusion est faite ici, notamment à Scève, Ronsard et, dans une moindre mesure, Du Bellay.

 

30. François Rigolot, Œuvres complètes de Louise Labé, op. cit.

 

 

Pour citer ce texte

 

Ouattara Gouhe, « Poésie féminine et modernité : la crise du vers chez Louise Labé », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », «  Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, texte mis en ligne le 31 octobre 2012. Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2poesie-feminine-et-modernite-la-crise-du-vers-chez-louise-labe-111577614.html/Url. http://0z.fr/eTyJC

 

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Auteur(e)

 

Ouattara Gouhe est  enseignant chercheur. Né le 17 avril 1959 à Kokolopozo dans la région de Sassandra, au Sud de la Côte d'Ivoire, Ouattara Gouhe a fait ses études primaires et secondaires dans cette ville côtière. En 1981, il obtient le baccalauréat série A4, puis il se lance, un an après, dans l'enseignement primaire publique de son pays. En 2010, il soutient une thèse de doctorat en lettres modernes, de spécialité poésie française. Depuis cette date, il exerce depuis son métier d'enseignant à l'université de Bouaké, en Côte d'Ivoire.

 

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Poèmes érotiques

 

 

Poèmes d'amour, Bongos

 

&  

 

Automne manqué

 

 

 

 

Sílvia Aymerich

 

 

 

Poèmes d'amour

 

 

 

À Ricard, l’éternel retour.

À l’enclume du cœur,

Métal d’une rare noblesse,

Tisonne mon sexe

et mes sens

Sans répit,

À perte d’haleine.

En vain,

Je me rebelle.

 

 

 


 

Bongos

 


À toi, le pressenti.

J’entends tinter la clé,

S’ouvrir la porte

Trois pas, un grand silence…

— Le geste pressenti

De la main qui les saisit—

 

Dedans,

Je maudis l’instant

Que tu m’as déjà pris

Et ceux que tu m' prendras

S’il est bien vrai que tu es déjà là.

 

Je ne m’égare pas:

Tes doigts tendus frôlent d’emblée

La peau lisse des tambours

Puis, sans attente, les paumes entament

Un battement débridé

Qui s’accélère et croît.

Derrière le mur

Je vois tes yeux atlantiques

Battre des paupières

Avec la même cadence

Encore

Et encore.

 

Pas de retour.

Mon sang frappe, déchaîné,

À la gorge,

Sous les temples,

Entre les hanches…

Et j’ t’imagine

M’envahissant la peau

Comme m’envahit ta musique:

Doucement, rythmiquement.

 

Dedans,

Je sens ton sexe se tendre

Comme tes doigts

Au-dessus des tambours

Et avec la même adresse

Retentir,

Et retentir…

 

 


 

Automne manqué

 

À Sergi, le tour des saisons

 

C´était un automne manqué :

Il nous léchait le corps,

Comme un jeune printemps.

Sans délai,

On s’est jurés

Amour éphémère

Et sexe éternel,

Résolus,

Sans compter que la tendresse

Survivrait à nos baisers.

 

 

 

Pour citer ces poèmes

 

Sílvia Aymerich,  « Poèmes d'amour », « Bongos » & « Automne manqué », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-poemes-d-amour-bongos-automne-manque-111553808.html/Url. http://0z.fr/bXTp8


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Auteur(e)

 

Sílvia Aymerich fait ses études au Lycée Français de Barcelone, « son berceau littéraire », puis obtient une première licence en Biologie et une deuxième en Philologie, avant de décrocher son diplôme de traductrice à l'Université de Perpignan. Parallèlement, elle commence sa carrière d’écrivaine. En 1985, elle reçoit le Prix Amadeu Oller décerné à de jeunes poètes et, par la suite, divers prix pour ses romans de voyages. Invitée par les écrivains suisses en 1994, elle traduit ses poèmes pour leur annuaire. À son retour, paraissent ses romans pour adolescents, plusieurs fois réédités dès lors. En 2009, elle présente le Projet Solaris à l’Université de Londres, puis fait un séjour en résidence à Hugoenea. En 2012, elle participer au Writers’ Camp organisé par le P.E.N Club Hongrois. Sans quitter la poésie, elle travaille à diffuser la science au moyen de la littérature.

 

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Amsterdam, Abertawe & Vienne

 

 

 

 

Sílvia Aymerich

 

 

Amsterdam

 


Le prestige de la vieille Europe

S’est écroulé devant tes propres eaux,

Amsterdam,

Sur la verdeur de tes parcs,

Sur des milliers de fleurs.

 

Je t’ai suivie en silence,

J’ai écouté le battement arythmique

De tes ponts…

(L’Europe se meurt)

Et malgré tout,

Paradis de réfugiés,

De sans-logis, d’apatrides,

Je te préfère

Sans maquillage,

Si honnête,

Si sincère.

 

 

 

 

Abertawe 

 


 

Tu portes des desseins de mer : le mal astre,

Des tempêtes qui irritent les ondes

Pour décharner ta côte escarpée

Si tes rochers hardis, tes marées subtiles 
laissent au découvert 
un coeur de coquille brisée.

 
On t’appelle Swansea,  
mais je sais que les montagnes 
n’oublient pas que tu es esclave 
et gardent, obstinément, 
la langue ancestrale. 
Elles sont peuplées par des hommes de mer

et de tendresse, 
qui ont autant de sel que toi dans les veines, 
et ne savent chanter qu’avec le cœur plein de vin, 
dans les tavernes. Un vent glacé leur gèle les tempes 
s’ils osent, à marée basse, 
traverser la mémoire.

 
Mais tu as choisi l’oubli, 
la sentence des siècles. 
Toi, fils cadet de Cymru, 
pays de la gentillesse.

 

 

 

 

Vienne


 

 

Un immense gâteau de noces

Pour la Kaiserin la plus belle d’Europe ! 

 

Une grande guerre,

Un empire qui meurt,

Fléchit son corps et libère,

Des palais sucrés, sans héritière,

Des parterres à la menthe et à la fraise…

–Shönnbrunn, ta belle fontaine,

Belvédère, ton histoire d’amour

N’étouffent plus les cris de la Mitteleuropa

 

Une petite paix,

Un Danube qu’il faut sauver,

Des gens venus de très loin

Fuyant le génocide,

Quelqu’un qui chante Dylan

Sur une place

Où un peuple a grandit

À force de respect. 

 

Hors Strauss,

Strauss, dans les nuées,

L’éclair sur ses doigts dorés,

Un immense gâteau de poupée,

Une valse pour sa bien-aimée :

Vienne, Vienne,

Vienne !

 

 

 


 

Pour citer ces poèmes

 

Sílvia Aymerich, « Amsterdam  », « Abertawe  » & « Vienne »  , in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012.

Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2amsterdam-abertawe-vienne-111550386.html/Url. http://0z.fr/dfBxy


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Auteur(e)

 

Sílvia Aymerich fait ses études au Lycée Français de Barcelone, « son berceau littéraire », puis obtient une première licence en Biologie et une deuxième en Philologie, avant de décrocher son diplôme de traductrice à l'Université de Perpignan. Parallèlement, elle commence sa carrière d’écrivaine. En 1985, elle reçoit le Prix Amadeu Oller décerné à de jeunes poètes et, par la suite, divers prix pour ses romans de voyages. Invitée par les écrivains suisses en 1994, elle traduit ses poèmes pour leur annuaire. À son retour, paraissent ses romans pour adolescents, plusieurs fois réédités dès lors. En 2009, elle présente le Projet Solaris à l’Université de Londres, puis fait un séjour en résidence à Hugoenea. En 2012, elle participer au Writers’ Camp organisé par le P.E.N Club Hongrois. Sans quitter la poésie, elle travaille à diffuser la science au moyen de la littérature.

 

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31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

  Dans tes yeux, Le mur

 

&


Elle comme la feuille au limbe d'or

 

 

Christophe Carrère

 

 

 

Dans tes yeux


 

Un nuage de feu vêtu de cendre brune

Y nage comme un cygne au fond d’un soleil noir ;

Le vent gorgé de neige a passé sur la dune,

Et la campagne en deuil étend son long mouchoir.

 

Le ciel en est la dalle et la mer en est l’urne.

Aucun navire, aucun refuge, nul espoir.

On y entend des cris d’agonisants ; Saturne

Est un plaisir auprès de ce qu’on y peut voir …

 

Le rouge à l’oranger en frange se délie ;

L’émeraude au torrent des larmes s’est polie,

Et l’orbe du miroir est brisé de rayons ;

 

Si bien que l’on dirait, quand la nuit diminue,

Le ventre d’un vitrail devant des papillons

S’énervant de toucher, sans l’atteindre, la nue.

 

 

  

Le mur

 

 

 

Comme triste est la nuit ! Comme le jour est pur !

Il semble qu’un oiseau de son aile de marbre

Ait frappé le soleil et fendu l’air d’azur :

La vague au ciel d’hiver se lève comme un arbre !

 

Sous une lune d’or qui tranche de son sabre

La lumière encor noire et sanglante est le mur

Où fut gravé son nom sous la date macabre …

Comme triste est la nuit ! Comme le jour est pur !

 

Lèvres, rappelez-vous comme elle vous baisait !

Et quand vous l’embrassiez comme elle se taisait !

Son cœur battait si fort qu’on l’eût dit son langage ;

 

Ses bras serraient si fort qu’on les eût dits les miens !

Nous étions l’un de l’autre et l’empreinte et l’image,

Et sa main dans ma main et mes yeux dans les siens.

 

 

   

Elle comme la feuille au limbe d'or

 

 

 

Depuis la source mince et jusqu’au lac énorme

Que boivent à longs traits les chênes précieux,

La feuille au limbe d’or, telle un astre difforme,

Chavire et se promène à la porte des cieux.

 

Ni des grèves le sable où brûle le soleil,

Ni des fraîches forêts les gerbes métalliques,

Ni l’herbe, ni la fleur, ni le bouquet vermeil

Ne troublent son sillage aux charmes italiques.

 

Dans la courbe neigeuse et douce de ses flancs,

Que berce mollement le vent de ses bras blancs,

Reste un peu de rosée ardente et parfumée ;

 

Et l’on dirait ainsi la gorge d’un flamant,

Muette au bord des eaux comme du firmament,

L’étoile paresseuse et la verte fumée.

 

 

 

Pour citer ces poèmes

 

Christophe Carrère, « Dans tes yeux  », « Le mur »  & « Elle comme la feuille au limbe d'or », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques: Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, textes mis en ligne le 31 octobre 2012.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-dans-tes-yeux-le-mur-elle-comme-111541707.html/Url. http://0z.fr/vpffg


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http://crp19.org/members/carrere

 

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Auteur(e)


 

 Christophe Carrère  est enseignant certifié de classe normale et chercheur associé aux Centres de recherche sur les poétiques du XIXe siècle (Paris III), sur la littérature française du XIXe au XXIe siècle (Paris IV) et au sein de l’équipe Zola (ITEM-CNRS) . Ses recherches actuelles sont circonscrites à la littérature française de la seconde moitié du XIXe siècle, le Parnasse, son histoire, son idéologie, ses relations avec le christianisme, le socialisme, le romantisme et ses prolongements dans le symbolisme. Elles gravitent autour de trois figures : Leconte de Lisle, Albert Samain et Poulet-Malassis, derrière lesquelles se profilent les ombres de Baudelaire et d’Ernest Renan.

Publications

Leconte de Lisle ou la passion du beau, Paris, Fayard, 2009. 688 p. Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre. Il s’agit d’une version abrégée et légèrement remaniée de sa thèse de doctorat ; « Leconte de Lisle et Zola », Les Cahiers naturalistes, Paris, Société littéraire des Amis d’Émile Zola et Éditions Grasset, n° 83, septembre 2009, p. 101 à 110; Auguste Poulet-Malassis, Lettres à Charles Asselineau (1854-1873), édition établie, présentée et annotée par Christophe Carrère, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances », 2013; Albert Samain, Œuvres, édition présentée, établie et annotée par Christophe Carrère, Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque du XIXe siècle », 2013-2015. 2 vol. En préparation.


Le Pan poétique des muses - dans n°2|Automne 2012
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

Critique & réception

 

L’amour servi avec des œufs

 

une approche multiple du texte 

 

« Les poules aux œufs d’or »

de

 

Françoise Urban–Menninger

 

 

 

Khalifa Baba Houari

 

 

 

 

 

 

En référence : le texte original reproduit (texte souligné, mis partiellement en italique et en gras, lignes numérotées, etc.) à des fins démonstratives avec l'aimable autorisation de Françoise Urban-Menninger :


1- C’était devenu un rituel qui semblait immuable. Presque chaque week-end, nous allions mon mari, les enfants et moi, rendre visite à mes parents qui vivaient dans leur maison située dans un village alsacien à proximité du Rhin et de l’Allemagne.

2- Le jardinage, quelques poules, une dizaine de lapins, la pêche au bord du canal ou de l’étang « Sans Souci », parfois, alimentaient, au propre comme au figuré, leur ordinaire.

3- Ma mère, soucieuse de notre bien-être, m’incitait à ramener, à chacun de nos passages, des boîtes à œufs vides afin qu’elle puisse à nouveau les remplir avec de « vrais œufs », ceux de ses poules qu’elle nourrissait au grain et avec des restes de salade et autres douceurs pour les bienheureuses gallinacées qui menaient la belle vie, vaquant insouciantes, entre la cour et le jardin jusqu’au jour où on les retrouvait rôties dans le plat vermeil sur la table endimanchée des grands jours.

4- Ma mère avait coutume de nous narrer une infinitude d’anecdotes qui avaient trait à ses poules et au coq à crête furibonde dont la psychologie particulière n’avait plus de secret pour elle. Les poules dormaient et pondaient dans l’ancienne écurie où elles avaient à leur disposition de vieux paniers garnis de paille où un leurre, un œuf en plâtre blanc, était disposé.

5- Ainsi les poules savaient-elles ce qu’on attendait d’elles…

6- Il est vrai que leurs œufs au jaune d’or éblouissant dû à l’ingestion de pissenlits au printemps n’avaient rien de comparable avec les œufs « industriels» des grandes surfaces, ce que ma mère n’oubliait jamais de nous faire remarquer.

7- Les œufs des poules de ma mère jouissaient dans la famille d’une réputation inégalée, on en parlait jusque dans le midi chez ses frères et ses sœurs qui élevaient les mêmes volatiles !

8- Pour ma part, je me remémorais parfois les poules de grand-mère qui, serrées dans le petit poulailler construit par grand-père près de la cuisine, picoraient des coquilles d’œufs pilées, ce qui ne manquait pas de m’interpeller et de me renvoyer à la fameuse question, à savoir qui de l’œuf ou de la poule avait précédé l’autre… Petite, j’observais avec tendresse les minuscules poussins, boules jaunes de plumes duveteuses, que grand-mère installait au soleil dans un petit parc grillagé, sans imaginer, jamais, que ces adorables peluches finiraient dans notre assiette !

9- Chercher les œufs avec un petit panier à anse était à cette époque-là un réel bonheur, déguster un œuf à la coque en était un autre, contempler grand-mère battre les œufs pour réaliser un de ces fameux flans au caramel dépassait le simple contentement, je dévorais littéralement la scène des yeux, appréciant par avance l’un de mes desserts préférés.

10- Aussi lorsque ma mère disparut une nuit, emportée par une embolie pulmonaire fulgurante, ce fut d’un seul coup et dans le même temps la fin de l’histoire des poules aux œufs d’or de mon enfance.

11- L’annonce du décès de ma mère en pleine nuit m’apparut tout d’abord telle une abstraction totalement déconnectée de toute réalité jusqu’à ce que, dans le magasin où je fis mes courses très tôt le lendemain matin, mon regard fut arrêté par un empilement vertigineux de boîtes d’œufs.

12- C’est à ce moment précis que mon cœur se rompit et que je revis un bref instant ma mère courir après ses poules, égrenant dans la lumière un épi de maïs, écartant d’une main le coq agressif et empressé qui se jetait sur les grains comme sur autant de pièces d’or.

13- Une douleur fulgurante et muette me cloua sur place, me coupant le souffle. Et mes yeux ne furent plus que deux ogives emplies de larmes.

14- Depuis lors, je ne peux voir des boîtes d’œufs sans qu’il émerge de ma mémoire l’image intemporelle de ma mère qui découpe l’horizon, me préparant, sur les bords de l’infini, une douzaine d’œufs frais, pondus du jour, à emporter dans l’une de ces fameuses boîtes à œufs qui renferment pour l’éternité la part belle de son âme. 

 

********

 


Un poète/une poétesse pourrait-il/elle se soustraire à son destin/souffle de poète/poétesse, quand il/elle métamorphose sa plume pour écrire de la prose, avec ses différents genres et styles ? Un poète/une poétesse est-il /elle plus ou moins libre qu’un « prosateur » face à ses choix littéraires (choix de sujet, de style, de traitement de son sujet…) ?

Ces questions posent un double problème : d’abord, celui de l’écriture et du degré du conscient et d’inconscient dans sa réalisation; ensuite celui de l’influence exercée sur les créateurs littéraires par ce qu’ils doivent être pendant la réalisation de leur destinée ! La plupart du temps, on n'est pas écrivain/poète parce qu’on le désire...

Ces questions sont aussi motivées par notre lecture du texte de Françoise Urban–Menninger, « Les poules  aux œufs  d’or ». Rappelant un texte ancien, celui de La Fontaine, ce texte nous a offert l’occasion de voir comment son intertextualité augmente sa charge interprétative. Et n’étant pas marqué génériquement, pour des raisons de présentation et de support de publication, il nous a poussé à faire des spéculations génériques en vue de le classer et de le comprendre dans sa profondeur en mettant en rapport la forme et le contenu.

Nous lui avons aussi appliqué la théorie des isotopies, ce qui nous a aidé à voir son fonctionnement interne, à continuer nos spéculations sur son appartenance générique, toujours dans le but de lui soustraire le maximum de sens, dans la poursuite de notre quête interprétative, et de revoir les réseaux de significations qu’il développe en traitant d’un sujet (celui de la mère) tout en prétextant de travailler sur un autre (celui des poules et de leurs œufs d’or).

 


Les résonances intertextuelles

 

 

Le choix du titre est d’une fonctionnalité de plus en plus intéressante dans la littérature, d’autant plus qu’il constitue une clef de lecture et d’approche du texte qu’il « présente » tel un couvre-chef distinctif (et qui s’était développé dans le temps pour prendre dans le journalisme une autre forme mais un nom synonyme qui est « le chapeau »). Le titre est aussi un élément d’interprétation qui cherche, motivé par l’auteur, à guider le lecteur dans une direction plutôt que dans une autre. Le titre est encore une invitation à la lecture, et dans ce cadre il est la première étiquette constitutive du paratexte (comme Gérard Genette en parle dans ses Seuils1).

Le titre aura une importance immanente que lui lègue son statut paratextuel; il aura une autre extrinsèque quand il est « lié », comme c’est le cas avec le texte de Françoise Urban–Menninger, avec une autre notion littéraire de la valeur de l’intertextualité.

« Les poules aux œufs d’or » renvoie directement à la fable de la Fontaine « La poule aux œufs d’or » ; mais, et bien sûr avec une variation qui doit nous interpeller non seulement pour le titre mais aussi pour le reste du texte comme on le verra plus loin. On passe du singulier au pluriel en gardant tous les éléments du titre de la fable. Cette « pluralisation » joue un double rôle :

  • elle montre que la « dose » du message (il est sentimental, nous y reviendrons) est en quelque sorte multipliée, amplifiée, pluralisée.

  • elle assure la valeur moralisante ou même moralisatrice du texte en le liant à une fable, et nous savons que la fable sans sa morale n’en est pas une.

Cette deuxième remarque se justifie par le système temporel employé dans la fable et dans le texte de Françoise Urban–Menninger : la fable de la Fontaine commence par le présent et se développe à l’imparfait et au passé simple pour se conclure au présent. Le texte des « poules aux œufs d’or » commence au passé, utilisant surtout l’imparfait, et se termine au présent dans un retour à la fois au temps de la narration et au moment présent de la réalité qui semble justifier la narration. Le fait de terminer au présent est significatif pour les deux textes : on sait que le fable a besoin du présent de vérité générale pour assurer la pérennité de la morale. Le présent dans le dernier paragraphe du texte d’Urban–Menninger aide à maintenir une idée d’intemporalité : « depuis lors, je ne peux voir des boîtes d’œufs sans qu’il émerge de ma mémoire l’image intemporelle de ma mère qui découpe l’horizon ».

Cette intertextualité, avec sa « pluralisation », joue un autre rôle que nous pouvons qualifier de perturbateur pour l’opération de l’interprétation (elle s’ajoute dans cette perspective à la question générique que nous traiterons de façon répétitive dans les autres points de cette approche). Le titre, avec sa force intertextuelle, semble mettre l’accent sur « les poules » alors que plusieurs indices textuelles et pragmatiques montrent qu’il n’en est pas ainsi. Nous revenons ici à la valeur de la titrologie comme elle a été adoptée dans le journalisme. Et comme nous l’avons dit plus haut que le titre est aussi un élément d’interprétation qui cherche, motivé par l’auteur, à guider le lecteur dans une direction plutôt que dans une autre, le titre a voulu jouer ce jeu de mener vers une première voie interprétative qui n’est pas la voix de l’auteure dans sa visée finale. Le texte vise-t-il vraiment à valoriser les poules et leurs œufs sachant que depuis le début du texte nous sommes sûrs qu’il ne s’agira nullement d’œufs en or ?

 

 

La question générique



Classer son texte, lui donner une étiquette générique, est une façon de le juger, d’une part, et de lui proposer une voie interprétative, d’autre part. Lui reconnaître une identité « tribale » qui le lie à d’autres textes pour lui procurer une reconnaissance « sociale ». Mais, puisque la question du genre est une affaire de convention, elle a connu dans les deux siècles écoulés diverses remises en cause motivées par l’idée de liberté plus qu’aucune autre !

On cherche à se libérer des contraintes pour retrouver des étendues expressives plus malléables. Ainsi trouve-t-on Baudelaire qui dit : « Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? »2

Françoise Urban–Menninger, poétesse qu’elle est, nous livre ici un texte narratif d’une longueur moyenne. Elle ne précise pas son genre. Le support de publication peut être responsabilisé dans ce cas : sur internet, beaucoup de facteurs se conjuguent pour priver le texte de son étiquette générique. Ceci nous donne alors l’occasion de faire le chemin inverse de la présentation classique allant du genre vers le texte. Nous questionnerons le texte pour qu’il puisse nous divulguer son appartenance générique. Si le titre nous renvoie à une fable, et si la structure intertextuelle nous a donné quelque ressemblance, surtout au niveau du système temporel et de l’arrêt de la narration pour introduire une réflexion dans la dernière partie de chacun des deux textes, d’autres structures nous empêchent de dire qu’il s’agit d’une fable : le réalisme de l’histoire, la stature des personnages et la fin du texte ne donnent pas de morales.

Le récit, puisqu’il s’agit bien d’un récit, nous ne parlons pas ici du genre, mais de l’ensemble des actes de parole basés sur la narration, ou à visée narrative, utilise un souvenir comme point d’encrage et le développe avec un retour en arrière et une projection dans le présent : ce qui l’empêche du point de vu narratologique d’être un « pur » récit ; s’ajoute à cela son image topographique courte. Un récit autobiographique ? On peut en faire l’hypothèse ! Mais la longueur exigée dans le récit autobiographique ne s’offre pas à ce texte, qui peut, le cas échéant, être un extrait ou un passage d’un récit autobiographique. Par ailleurs, le texte s’arrête sur un fait, non sur un événement : la visite de la mère qui se répète, le sentimentalisme que cela donne et qui est psychologiquement lié à un élément récurrent que sont les œufs « naturelles », la comparaison avec les œufs de la grande industrie.

Nous revenons à la phrase de Baudelaire citée en haut : « Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? », et face au texte d’une poétesse, nous pourrons faire une hypothèse générique qui n’est nullement dénuée de fondement : ce récit n’est-il pas un poème en prose ?

À le comparer avec certains textes de « Petits Poèmes en prose » de Baudelaire, on trouve certaines ressemblances qui nous permettent de justifier notre hypothèse : ainsi, si on s’arrête à la longueur du texte seule, nous pouvons le comparer à « La Chambre double » et au « Mauvais vitrier », si on parle du système temporel, on peut le mettre en parallèle avec « le Désespoir de la vieille » et si on veux insister sur les deux aspects, on peut le mettre en comparaison avec « le Vieux saltimbanque » et « les Tentations ou Éros, Plutus et la gloire ». 

On plus de ces comparaisons, avec les poèmes en prose de Charles Baudelaire, d’autres éléments structurels affirment notre hypothèse :

  • Le souffle donné à la phrase : hormis le premier, le quatrième, le huitième et le treizième paragraphes qui contiennent chacun deux phrases, tous les paragraphes avec des longueurs variées sont composés d’une seule phrase, nous y voyons le travail du souffle poétique. On peut opposer la souplesse poétique ici à la rigueur qu’exige éventuellement un récit en prose. Au huitième paragraphe, les trois points (de suspension) poussent à considérer les deux phrases comme une suite suspendue plutôt que deux moments énonciatifs séparés, le sens des deux phrases permet cette continuité, cette fluidité.

  • Consciemment ou inconsciemment, les paragraphes contenant deux phrases se trouvent à des intervalles presque réguliers : 1→ 4 →8 → 13 ; ce qui semble constituer une rythmique variant à une mesure presque fixe l’alternance « une phrase/deux phrases », avec une « cassure » finale qui irait à l’encontre de l’horizon d’attente : treize au lieu de douze.

  • La tonalité du texte : Françoise Urban–Menninger raconte-t-elle pour informer ou raconte-t-elle pour créer une impression et la faire partager dans une sorte de lyrisme très expressif ? Plus que « le fait », « l’émotion » semble motiver la création du texte. Le jeu qui fait passer de la qualité des œufs à l’importance de la mère participe à mettre en exergue cette intentionnalité poétique que nous avons supposée au texte.

 

 

 

  Le fonctionnement des isotopies

 

 

 

Tout texte est un tissage relationnel qui préfigure une ou plusieurs idées qui naîtront une fois qu’il est lu et interprété. C’est un tissage fait de matériaux différents dont les mots sont les plus importants. Le sens qu’il véhicule se base sur ces derniers, mais il s’arc-boute aussi sur des composants formels et non formels qui constituent le texte : les non-dits, les présupposés, les blancs, le rythme, les suggestions intertextuelles, la ponctuation, la stylisation, la mise en paragraphe, etc. Tous ses éléments participent chacun à sa manière, de son côté et à des degrés différents à produire du sens et à offrir des possibilités d’interprétation, ce que nous pouvons appeler : la surproduction du sens.

L’isotopie est un de ces éléments fonctionnels participant à la fois à la constitution du texte et à l’homogénéisation de ses éléments et de ses structures. « Par isotopie, dit Greimas ; nous entendons un ensemble redondant de  catégories sémantiques qui rend possible la lecture uniforme du récit, telle  qu'elle résulte des lectures partielles des énoncés et de la résolution de leurs  ambiguïtés qui est  guidée  par la recherche de la lecture  unique »3.  

PourFrançois Rastier, une isotopie est « toute itération d'une  unité linguistique.  L'isotopie élémentaire comprend donc deux unités de la manifestation linguistique. Cela dit, le nombre des unités constitutives d'une isotopie est  théoriquement  indéfini »4.

Le développement de cette notion s’est fait par l’insertion de tous les éléments se constituant en redondance et itération dans un texte. Il a permis l’ouverture d’autres espaces interprétatifs dans l’approche d’un texte.

Différentes isotopies traversent le texte de Françoise Urban–Menninger et jouent des rôles différents et multiples. Si nous nous laissons guider par le titre, nous penserons directement à celle liée aux poules. Vraiment, le nombre de mots se rattachant à cette isotopie (champ lexical, termes de rapport analogique) est digne d’attirer l’attention : quarante-trois termes qui nouent des relations marquant toutes les manifestations liées aux « poules ». On a dans le texte, grâce à ces mots des réseaux de sens où les « poules » sont le maître-mot qui assure la solidité des rapports. Ces réseaux de sens constituent un supra-texte offrant des sens qui ne peuvent pas apparaître dans la linéarité du texte, ni même dans une approche traditionnelle du commentaire composé.

La poule, animal de la basse-cour. Les animaux se trouvent près des hommes, avec d’autres animaux de la basse-cour à savoir les lapins, dans le jardin et profite de ce côtoiement pour leur nourriture : épis de maïs égrenées, restes de salade et autres douceurs.

La poule et le coq. La relation entre les poules et le coq est conflictuelle dans le texte : il s’agit du «coq agressif et empressé », du « coq à crête furibonde ». Cette relation peut apparaître intéressante en vue du nombre : multiple (pluriel) pour les poules et unique (singulier) pour le coq. Nous reviendrons sur une isotopie phonique lié au coq.

La poule et les œufs. Ces deux mots sont les plus présents dans le texte, ce qui participe à la justification du titre. Une remarque de taille fait qu’ils sont moins présents dans les derniers paragraphes que dans les premiers cédant la place à l’isotopie concernant la mère. C’est ce qui nous a permis de dire plus haut que le texte est lyriquement lié à la mère, nous pouvons même ajouté qu’il lui est dédié en souvenir, et c’est encore pourquoi nous avons opté pour son classement générique sous l’étiquette de poème en prose.

La poule et les oeufs comme nourriture. Les poules ainsi que leurs produits, les œufs, sont présentes dans le texte comme aliments et nourriture, comme produit de consommation présenté avec deux aspects différent : le côté naturel, on dira volontairement « bio », et le côté « industriel » mis entre parenthèses parce que ce ne sont pas de « vrais œufs ». Les poules, «on les retrouvait rôties dans le plat vermeil sur la table endimanchée des grands jours »; alors que les poussins on les observait « sans imaginer, jamais, que ces adorables peluches finiraient dans notre assiette ! » les œufs « dégustée à la coque »  offraient « un autre bonheur », elles servaient aussi à « réaliser un de ces fameux flans au caramel ».

La poule et l’écologie. La vie des parents est « alimentée au propre comme au figuré » par des éléments de la nature avoisinante. La comparaison avec des éléments industriels tend positivement vers ce qui est naturel. Les grands-parents, ainsi que les parents, menaient cette vie proche de la nature, une vie où on trouve un bonheur multiple : celui de ramasser les œufs ou de les déguster sous différentes formes qui leur préservaient leur naturel. Cette forme de vie traverse toutes la France  du « village alsacien à proximité du Rhin et de l’Allemagne » où vivait la mère « jusque dans le midi chez ses frères et ses sœurs qui élevaient les mêmes volatiles ! »

La poule, les oeufs et l’industrie. À l’opposé de ce qui est naturel, se place ce qui est industriel : « il est vrai que leurs œufs au jaune d’or éblouissant dû à l’ingestion de pissenlits au printemps n’avaient rien de comparable avec les œufs « industriels» des grandes surfaces, » l’opposition se trouve renforcée lorsqu’on sait que consommer de « vrais œufs » participent du « bien-être » dont la mère est « soucieuse ». 

Il faut rappeler qu’à partir du dixième paragraphe le flux des mots appartenant à l’isotopie concernant les poules diminue pour laisser la place à des occurrences de la deuxième isotopie sémantique, celle liée à la mère. Celle-ci bien sûr traverse  tous le texte depuis le début jusqu’à la fin : « la part belle de son âme » ferme le texte.

Si les occurrences de cette isotopie sont moins nombreuses que celles de la précédente, elles se caractérisent plus par leur caractère répétitif, ce qui en ferait une sorte de leitmotiv, un chant en l’honneur de la mère (c’est pourquoi, aussi, nous avons préféré parler d’un poème en prose).

Comme une sorte de refrain, le mot mère revient huit fois, et plus si on compte les autres formes qui le reprennent ; et chose remarquable, nous oserons même dire bizarre, le mot père est absent du texte, même si la narratrice/poétesse parle de « rendre visite à ses parents qui vivaient dans leur maison » alsacienne  (cela, de passage,  infirme la théorie oedipienne de Freud). Dans la même perspective, le mot « grand-mère » se répète trois fois face à une seule utilisation du mot « grand-père ». Est-ce le féminisme (connaissant l’engagement, au moins littéraire, de la poétesse) ? Est-ce à cause d’une absence effective du père ? Ou est-ce dans cette perspective de placer la mère par-dessus tout ?

Le mère est aussi présente à l’ouverture de cinq paragraphes (3, 4, 7, 10, 11). Une fois encore, la distribution attire notre attention sur son rythme : 1→ 3→3→ 1. Nous continuons à trouver des systèmes de rythme intérieurs et inhérents à la constitution du texte, ce qui renforce notre point de vue sur la question générique du texte.

Ce rapport entre 1 et 3, que nous avons mentionné en parlant des grands-parents, nous permet d’ajouter une autre interprétation se liant à la présence quasi obsédante de la mère :  le fait qu’il se répète sous deux formes, lexicale et rythmique valorisent cette présence qui continue à peser de son poids dans la vie de la narratrice/poétesse des années après la mort de la mère : cette dernière, si elle est morte physiquement,elle ne l’est pas symboliquement ; elle continue son existence avec un élément dont on ne peut se séparer, la nourriture et précisément les œufs conseillés (quotidiennement) par tous les diététiciens du monde.

L’isotopie, bien qu’elle a « négligé » le père comme nous l’avons remarqué, ne cesse pas de marquer, de continuer et de renforcer les liens familiaux : la visite des parents se tenait chaque week-end ; une autre fois on retrouve un rythme constant (hebdomadaire) ; toute la famille y participe : « mon mari, les enfants et moi » ; quatre générations sont présentes dans le texte : les enfants, la narratrice/poétesse et son mari, la parents et les grands-parents ; les liens restent tissés entre les frères et les sœurs de la mère (les oncles et les tantes de la narratrice/poétesse).

L’absence du père et la forte présence de la mère peut trouver son explication ou plutôt sa justification dans l’intérêt que portait la mère à la narratrice/poétesse et aux siens : « Ma mère, soucieuse de notre bien-être ». L’idée de cette relation est renforcée, dans le texte par une reprise presque synonymique qui ouvre et clôt le texte : « C’était devenu un rituel qui semblait immuable », « Depuis lors, je ne peux voir des boîtes d’œufs sans qu’il émerge de ma mémoire l’image intemporelle de ma mère qui découpe l’horizon ». On remarque la redondance rituel/immuable et depuis lors/intemporelle, en plus d’un glissement dans le système temporel qui va de l’imparfait au début du texte au présent à sa clôture. L’intérêt s’explique aussi par le fait que les poules sont « ses poules » ; il faut noter que cette occurrence se répète trois fois dans le texte.

Les poules, c’est l’affaire des femmes dans la famille : la grand-mère avait, elle aussi ses poules : « les poules de grand-mère qui, serrées dans le petit poulailler construit par grand-père près de la cuisine », sauf que là le grand-père est présent, ce qui n’est pas le cas du père.

Une isotopie morpho-phonétique nous a interpellé par sa résonance phonique. Il s’agit de « coq, coque, coquille… ». Elle se présente comme une sorte de gradation mais sur le plan phonique, et est liée à la première isotopie, celle de la poule. Dans le texte, elle se présente dans l’ordre «  coq… coquille… coque » auquel nous trouvons une sorte de musicalité grâce à la redondance et à la variation.

 

Texte riche, au niveau de la forme comme au niveau du contenu, « Les poules  aux œufs  d’or » de Françoise Urban–Menninger, nous a offert l’occasion de mettre en pratique des approches émanant de champs et de théories critiques différents. Elles ont toutes participé à saisir le texte dans sa profondeur, il est vraiment profond tant il offre des possibilités interprétatives multiples. L’intertextualité a permis de valoriser les poules et leurs œufs en mettant en comparaison indirecte le produit alimentaire naturel et le minerai de haute valeur. La question du genre a montré que la frontière entre les genres est devenue dans notre époque presque invisible, malgré qu’il y ait des éléments structurels qui nous ont permis de justifier nos spéculations à propos du genre du texte. L’étude des isotopies empruntée à la sémiotique (Greimas et Rastier) nous a permis de trouver des réseaux de significations centrés sur la mère et sur ses poules, et sur leurs œufs.

 La mère ou les œufs ? Le texte nous a mis face à un phénomène qui traverse certains textes (narratifs ou argumentatifs surtout, mais qui peut se trouver dans d’autres types). Il s’agit de ce que nous pouvons appeler « le conflit des sujets » dans le sens de ce dont on parle, non celui de l’acteur agissant. Nous espérons avoir le temps et les possibilités d’y revenir pour l’approfondir et le traiter scientifiquement.

 

 


Notes


1. Gérard genette, Seuils. Paris,  Éditions du Seuil, 1987.

2. Charles Baudelaire, Préface de Le Spleen de Paris, A Arsène Houssaye, 1869

3. Algirdas Julien Greimas, Du sens, essais sémiotiques, Éditions du Seuil, 1970, p. 188.

4. François Rastier, « Systématique des isotopies », in Essais de  sémiotique poétique,  p.  82.

 

 

Pour citer ce texte

 

Khalifa Baba Houari , « L’amour servi avec des œufs : une approche multiple de la nouvelle « Les poules aux œufs d’or » de Françoise Urban–Menninger », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques: Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012.

Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-l-amour-servi-avec-des-oeufs-une-approche-multiple-111531815.html/Url. http://0z.fr/O_sKx

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Auteur(e)

 

Khalifa Baba Houari est né à Méknès en 1964. Il y a suivi ses études primaires, secondaires et universitaires. Il a fait sa formation professionnelle en tant que professeur du secondaire du français langue étrangère à l’École Normale Supérieure de Méknès et à l’École Normale des Garçons à Douai en France. Homme de culture de caractère à la fois humaniste et encyclopédique, il écrit (en arabe, français et parfois en anglais) des poèmes, pièces de théâtre, nouvelles, romans et scénarios. Critique littéraire, il aime travailler en profitant de tous les courants et de toutes les écoles et les théories de la critique. Il a publié quelques-uns de ses écrits (création littéraire et critique littéraire) dans des journaux, des revues marocains et arabes. Il publie également des textes par le biais de son site web en arabe. Il a l'attention de publier ses manuscrits (plus d’une dizaine dans des domaines différents du savoir et de la création littéraire) sans y donner une grande importance (l’exemple de Kafka l’a toujours tenté). Khalifa Baba Houari est aussi traducteur arabe-français et vice-versa (il traduit par plaisir les œuvres de ses amis). Une de ses traductions est publiée chez Édilivre. Pédagogue et didacticien, il s’intéresse à l’enseignement et à ses problèmes. Il a publié en ligne un Précis grammatical qui traite de la grammaire française. Passionné d’art dramatique, il a écrit, monté et mis en scène plusieurs pièces de théâtre surtout pour enfants.Vouant son intérêt au travail associatif, surtout dans le domaine culturel, il dirige, étant le président de l’Association Chorouq Méknassi, l’organisation de trois activités annuelles nationales et arabes (on commence l’ouverture sur l’international) : la rencontre de la nouvelle, le colloque sur la poésie et le festival du patrimoine populaire.

 

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