31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

Invité de la revue

1ère partie 

 

Pour un parallèle intempestif

 

Poètes norvégiennes


contemporaines / grecques anciennes

 

 

Michel Briand

Université de Poitiers

 

 

 

 

On propose ici une expérience dont le résultat n’est pas vraiment prévisible, variable selon la lectrice / le lecteur, les auteurs rapprochées, le moment choisi pour tel ou tel parallèle … Le terrain de jeu est un peu balisé, simplifié, mais mouvant : un ensemble de poèmes norvégiens contemporains et grecs anciens, en langue originale et dans une traduction inédite, dont le point commun est double, l’aspect fragmentaire et le genre (féminin) de l’auteur (et du locuteur « lyrique » ?), deux questions immenses, à creuser toujours.

 

D’une part, d’abord, un choix arbitraire et réduit de poèmes brefs, issus de recueils contemporains publiés, entre 1968 et 2009, en Norvège et signés : Sidsel Mørck, Tone Hødnebø, Eldrid Lunden, Hanne Aga, Ellen Einan. Des noms peu connus en France, d’auteurs parfaitement reconnues chez elles. Entre un et neuf pour chacune, et des écritures, formes, forces, sensations, réflexions, questions, douleurs, jouissances, couleurs, à la fois variées à l’extrême et comparables. Des textes d’abord écrits et publiés, parfois lus à l’oral voire mis en scène, rarement. Un goût pour l’expérimentation et la méditation, la rigueur réflexive et l’aquarelle diffuse, l’affirmation d’un « je » trouble ou net et les flux explosifs ou souples d’une nature diverse et forte, ou d’un corps fragile, un univers peuplé de formes brèves aux tonalités claires ou sombres, et de figures denses et légères, pensives souvent, cruelles aussi, féministes et sentimentales, politiques et morales. Un Nord vécu et fantasmé, contemporain, au féminin donc, mais à l’humain, aussi.

 

D’autre part, ensuite, un choix tout aussi réduit mais dont l’arbitraire est d’abord celui du temps passé (de l’immense naufrage de qu’on appelle la poésie grecque ancienne), de poèmes anciens composés entre les VIe et IIIe siècles avant notre ère : Cleoboulina, Praxilla, Erinna, Corinna, Anytê, Moïro, Nossis. Des noms peu connus en France, ou ailleurs, même si quelques collections de qualité les ont rassemblés et transmis. Et, volontairement, pas les fragments, plus nombreux, de Sappho, la plus glorieuse (et traduite) d’entre elles, dont l’ombre (et la lueur) les survole. Et là aussi entre un poème (mais d’une trentaine de vers) et une douzaine (mais longs de quatre vers seulement en moyenne), pour chacune. Quitte à se répéter : encore des écritures, formes, forces, sensations, réflexions, questions, douleurs, jouissances, couleurs, à la fois variées à l’extrême et comparables. Et quitte à se contredire, en revanche, des poèmes (plutôt que des textes) d’abord chantés, voire dansés, au moins pour les plus anciens, et un goût fort pour les rites et l’énigme, parfois de l’épopée, souvent de la mythologie et de la religion, de l’humour aussi, en même temps que du deuil. Un Sud méditerranéen, vécu et fantasmé tout autant, antique, féminin sans doute, bien autrement.

 

Et le choix a été fait, même si la lectrice / le lecteur suivra le chemin qu’elle / il veut, de présenter les norvégiennes avant les grecques, pour renforcer la comparaison, la rencontre, en désamorçant l’effet historique, évolutionniste parfois, d’une présentation chronologique, qui fixerait les unes aux origines, archaïques et / ou hellénistiques, et les autres à la fin des temps, modernistes ou post-modernes. Cette expérience se veut en effet « intempestive » (ou « inactuelle » ?, ou mieux encore « à contre-temps », voire « à contre-courant »), en référence à ce que dit Friedrich Nietzsche dans ses Unzeitgemässe Betrachtungen, en particulier dans la deuxième « considération », intitulée Vom Nutzen und Nachteil der Historien für das Leben (« De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie »)1. À ce sujet, au-delà des interprétations célèbres, et contradictoires, qu’en donnent les philosophes (M. Heidegger, H. White, et ensuite), on renvoie ici également aux usages plus liés à l’esthétique ou à la théorie littéraire qu’on peut en lire chez Evelyne Grossman & Paola Marrati, « Qu’est-ce qu’une pensée intempestive (de Deleuze à Lynch) ? »2, ou surtout dans les travaux suggestifs où Sophie Rabau développe la pratique et la théorie appliquée d’un « lire au futur », par exemple au sujet des rencontres décrites par de nombreux auteurs anciens, modernes et contemporains avec Homère lui-même, (de Lucien de Samosate à Howard Baker en passant par Fénelon, Swift, Dante, ou Borgès …)3.

 

Ce qui est proposé ici, c’est donc à la fois de lire une poésie norvégienne contemporaine à la lumière d’une poésie grecque ancienne, mais aussi de (re)lire, à l’inverse, l’antique en toute conscience du contemporain, et même d’imaginer ce que cette rencontre, vive surtout si elle crée des effets réciproques, permettrait encore de lire, écrire, créer et penser, au futur. Ce jeu, dont l’auteur de ces lignes ne fournit que le matériau de base et le dispositif initial, relève ainsi d’un certain « anachronisme » assumé et contrôlé, tel que l’a théorisé, chez les hellénistes, Nicole Loraux, dans son article qui a fait date, « Éloge de l’anachronisme en histoire »4, mais aussi, en littérature ou en esthétique, S. M. Eisenstein, W. Benjamin ou Didi-Hubermann5. Ce qu’on proposerait d’ailleurs volontiers de compléter, ou radicaliser, par une pratique aussi contrôlée d’un « anatopisme » encore à définir.

 

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant, il n’y a ici aucun déni à l’égard d’une tout aussi nécessaire étude des contextes anthropologiques, culturels, historiques, religieux, politiques, sociaux, cognitifs, qui, bien évidemment, amènent à ressentir d’abord les différences et spécificités de ce qui est comparé, en particulier pour les modalités pragmatiques de l’énonciation poétique (réellement chantée ou d’abord écrite dans un livre, pour désigner deux pôles)6. Variations qui permettent d’ailleurs souvent, du fait que de toute façon, nous modernes, nous lisons tout cela, de découvrir ensuite d’autres similitudes, insoupçonnées7. Une différence générale qui semble confirmée aussi, paradoxalement, par ce qui sépare un corpus pour quel le lecteur francophone (ou anglophone) n’a pas d’accès direct à une pourtant riche bibliographie critique ou médiatique, pour la poésie norvégienne vivante8, alors qu’il bénéficie, pour la poésie grecque disparue, de (parfois trop ?) multiples médiations, dont on peut au moins, pour le contemporain, signaler les introductions et traductions (inspirées) d’Y. Battistini (prés., trad. et notes), Poétesses grecques. Sapphô, Corinne, Anytê …, Imprimerie Nationale Éditions, 1998, ou les commentaires et traductions plus retenues de I. M. Plant (ed.), Women Writers of Ancient Greece and Rome. An Anthology, Equinox, London, 2004. Une différence cependant qu’on tient à nuancer ou décaler enfin, en affirmant que les poètes grecques sont des fictions9, comme tout auteur, du point de vue du XXIe siècle, qui n’est pas toujours celui d’Y. Battistini, par exemple, voire, en vocabulaire foucaldien, des fonctions-auteurs10. Mais elles ne le sont guère moins (ni plus ?) que leurs analogues norvégiennes.

 

D’où d’ailleurs, pour la fin, un ultime préalable. Le travail de traduction présenté ici ne se veut ni strictement philologique, au risque de la platitude, ni totalement libre, à l’autre risque de l’infidélité totale. Il ne s’agissait pas de produire des textes de langue française qui, s’ils n’étaient pas présentés en regard des « versions originales », auraient pu prétendre avoir été directement composés en français, sans trouble donc, et on espère bien que les poèmes français traduits de S. Mørck, T. Hødnebø ou E. Einan, ont quelque chose d’étrange et d’étranger, norvégien en l’occurrence, en même temps que d’universellement spécifique, comme on souhaite aussi que ceux d’Erinna, Corinna ou Nossis, sont encore grecs, et donc aussi universels, autrement. On a lu, par exemple, la Poétique du traduire d’Henri Meschonnic (Verdier, 1999), et on sait bien que traduire, c’est aussi écrire. Et même si, dans ce qui est offert ici à la lecture, on imagine que rien n’est au dessus de tout soupçon, on espère que parfois les effets de variance dans l’ordre des mots et de la pensée, les jeux de sonorités et de syntaxe, les divers souffles de poètes à la fois profondément liées à une culture et à une langue, en même temps que chacun très particulier, incomparable au fond, seront un peu mieux ressentis, facilitant à peine, mais tout de même, l’appréciation de textes que même qui ignore leur langue a le droit de goûter immédiatement, au mieux pour le plaisir.

 

 

Préalables formels

 

 

Les textes norvégiens sont directement tirés des publications dont les dates sont indiquées, ou bien des recueils complets, quand il y en a, comme pour E. Einan. Les textes grecs sont dans la version des Poetae Melici Graeci, édités et numérotés par D. L. Page, dans celle des éditions les plus reconnues de l’Anthologie Palatine, pour les épigrammes, ou encore, pour Erinna, suivant le volume III des Select Papyri, publiés par le même D. L. Page, chez Loeb, en 1970.

 

Pour les poètes grecques, on propose des datations du type « avant notre ère » : certes, il s’agit de neutraliser une désignation courante, culturellement orientée, mais surtout d’éviter un biais méthodologique qui fait parfois oublier que par exemple les philosophes dits présocratiques ne sont pas à définir par rapport à Socrate. Pour les poètes norvégiennes, la question se pose moins. Par ailleurs, dans la brève présentation individuelle qui suit, les titres des poèmes présentés ici sont indiqués entre crochets, à la fin de chaque notice.

 

Enfin, on a choisi aussi de faire comme si le mot « poète » pouvait se mettre facilement au féminin, sans suffixation particulière. C’est évidemment discutable et le mot « poétesse » est aussi très beau. Il acquiert cependant parfois un caractère marqué qu’on a préféré éviter. La langue, à cause aussi, de la multiplicité de ses usages, ne rend pas encore bien compte de ce que l’on voudrait dire, en termes de genre et d’humanité. Qui proposera une solution queer ou post-féministe à ce sujet est bienvenu-e.

 

 

 

Cinq poètes norvégiennes contemporaines : 23 poèmes


 

Sidsel Mørck, née en 1937, est l’auteur de poèmes, mais aussi de nouvelles et de romans pour la jeunesse comme pour les adultes. Son engagement social reconnu la porte à la fois vers le féminisme et l’écologie. Parmi les quinze recueils de poèmes publiés (dont 6 de barnedikt, poèmes pour la jeunesse) : Et ødselt sekund (Une somptueuse seconde), 1967 - Dager kan vokse (Les jours peuvent allonger), 1969 - Byliv (Vie urbaine), 1980 - Hver eneste natt (Absolument chaque nuit), 1990 - Vi sover ikke (Nous ne dormons pas), 1997 … [Kvinne / Femme]

 

Tone Hødnebø, née en 1962, publie à la fois de la poésie lyrique et moderniste et des essais critiques. Elle a traduit Emily Dickinson de l’anglais en norvégien, Skitne lille hjerte (Pauvre petit cœur), 1995. Parmi les six recueils poétiques publiés : Larm (Tapage), 1989 - Pendel (Pendule), 1997 - Et lykkelig øyeblikk (Un instant de bonheur, choix de poèmes), 2005 - Nedtegnelser (Notes écrites), 2008 … [Måkene / Les mouettes, Blaff / Souffle, Blått / Bleu]

 

Eldrid Lunden, née en 1940, est une figure marquante de la poésie moderniste. Premier professeur en « écriture créative » (skrivekunst) dans l’histoire de l’enseignement supérieur norvégien, elle a publié divers essais critiques, d’abord autour de la revue Profil, et, parmi 13 recueils poétiques, en nynorsk (néo-norvégien) : f. eks. juli (p. ex. juillet), 1968 - hard, mjuk (dur, tendre), 1976 - Gjenkjennelsen (Reconnaisance), 1982 - Flokken og skuggen (La troupe et l’ombre)… On renvoie aussi à une étude critique en anglais : Unni Langås, Dialogues in Poetry. An Essay on Eldrid Lunden, Scandinavian Women Writers vol. 3, 2010. [Løysing / Solution, 5 poèmes sans titre de hard, mjuk / dur, tendre, et 2 poèmes sans titre de Gjenkjennelsen / Reconnaissance]

 

Hanne Aga, née en 1947, vit à Tromsø, en Norvège du Nord. Son oeuvre mêle modernisme et lyrisme et associe volontiers poésie, musique, cinéma et performance spectaculaire. Parmi 9 recueils publiés : Skjering med lyset (Coupure de lumière), 1981 - Forsvar håpet (Protège l’espoir), 1983 - Gå i skuggen, vent på vinden (Marche à l’ombre, attends le vent), 1993 - Som om ein ny dag skal komme (Comme si un nouveau jour venait), 2008. [2 poèmes sans titre de Forsvar håpet / Protège l’espoir]

 

Ellen Hainen, née en 1931, à Svolvær (Lofoten), a surtout travaillé comme aide ménagère et publié son premier ouvrage, tard, en 1982, Den gode engsøster (La douce sœur de prairie), avant une douzaine de recueils, rassemblés dans le volume (Samlede dikt) édité en 2011, par le poète Jan Erik Vold. E. Hainen se veut autodidacte et développe une langue personnelle, empreinte de références quasi-animistes à des esprits familiers, aux animaux, aux plantes … Sa voix est reconnue comme l’une des plus significatives dans la poésie contemporaine nordique. Parmi ses œuvres : Jorden har hvisket (La terre a murmuré), 1984 - Hestene våker i duggtoneengen (Les chevaux veillent dans la prairie au son de rosée), 1989 - Noen venter på bud (Quelqu’un attend un message), 2009, ensemble d’où sont tirés les 9 poèmes présentés ici. [Vi er ånder / Nous sommes des esprits, Om en tid / Dans un temps, Elsk meg / Aime-moi, Noen venter på bud / quelqu’un attend un message, En dag en løve / Un jour un lion, Nattbåt / Bâteau de nuit, Jeg samler føll / Je rassemble des poulains, Så vente / Alors attendre, Så er vi mange / Alors nous sommes nombreux).



Sept poètes grecques anciennes : 35 poèmes


 

Cleoboulina de Rhodes (VIe s. av. ne). Citée par Aristote, Plutarque, Athénée, elle a laissé trois énigmes ou devinettes, de tonalité à la fois pathétique et comique, et n’a rien à envier à la Sphinge. Son existence réelle n’est pas assurée et une quatrième énigme est autant attribuée à son père, Cleoboule, l’un des sept Sages, qu’à elle-même : le père de douze fils qui ont chacun soixante filles, les unes blanches, les autres noires (réponse : « l’année »). [3 énigmes].

 

Praxilla de Sicyone, en Corinthie (Ve s. av. ne). On présente ici cinq des huit fragments transmis par la tradition, en omettant trois brefs fragments étiologiques sur Carneios. Célèbre en son temps, auteur d’hymnes, dithyrambes et scolies (chants à boire), on lui attribue des innovations métriques (le vers praxilleion, et les quatre premiers mots du fr. 754 sont inscrits sur un vase béotien de 450 av. ne. [5 fragments d’hymne, dithyrambe, chanson à boire …].

 

Erinna de Rhodes ou de Tenos (IVe s. av. ne ?). Le poème présenté ici (recomposé, par son titre, en thrène émouvant), redécouvert en 1928, est le plus long des quatre fragments issus d’un poème de 300 hexamètres, Le Fuseau / Alakata. On lui attribuait aussi trois épigrammes, dont deux funéraires en mémoire de la même jeune Baucis (AP VI, 352, VII, 710, VII, 712). Cette poète, contemporaine de Sappho, a fait l’objet, dès l’époque hellénistique, d’un débat critique vif sur son style raffiné, précurseur de l’alexandrinisme. [Adieux à Baucis].

 

Corinna de Tanagra (VIe/Ve ou IIe s. av. ne ?). On lira ici deux poèmes transmis par des papyri du IIe s. av. ne, fr. 654, partagé en deux composantes mythologiques, et fr. 655, peut-être le début de cinq livres de Récits (si tel est le sens de ϝεροῖα). La tradition philologique signale des « nomes lyriques » et épigrammes, et donne quelques 40 fragments, certains minimaux. Plutarque, Pausanias et Élien font naître Corinna à la fin du VIe siècle, suivant la rivalité violente qui l’aurait opposée à Pindare, vaincu cinq fois (elle serait la « truie béotienne » de sa VIe Olympique, v.89). La critique moderne la situe à la fin du IIe siècle. Son dialecte béotien, sa virtuosité métrique et son registre quasi-épique la distinguent. [La joute de l’Hélicon et du Cithéron, Les filles d’Asopos, fragment de Parthénée].

 

Anytê de Tégée, en Arcadie (IIIe s. av. ne). On lira ici huit épigrammes, choisies comme représentatives parmi les 21 conservées. Ce corpus, en dialecte dorien, moins fragmentaire que d’autres, permet d’apprécier une œuvre assez influente dans l’Antiquité et reconnue pour ses innovations de ton, de syntaxe, de style, une vive intensité visuelle et sonore, et une alliance d’humour et de pathétique engagé. On peut regretter d’autant plus la disparition de son œuvre épique et mélique. [8 épigrammes, votives, funéraires, descriptives …].

 

Moïro de Byzance (IIIe s. av. ne). Deux épigrammes votives ont été conservées d’une œuvre qui comprenait aussi notamment des textes en hexamètres (un Hymne à Poséidon, un poème à Mnémosyne, p. ex.). Moïro était reconnue en tant qu’exégète d’Homère, comme l’indique Athénée (XI, 490e) à propos d’une affaire de plagiat universitaire dont elle aurait été victime, sur le chant XII l’Odyssée. [2 épigrammes votives].

 

Nossis de Locres, en Grande-Grèce (IIIe s. av. ne). Les douze épigrammes conservées sont présentées ici. Habitée de figures féminines, humaines / divines, vivantes / mortes, souvent comparée à Sappho, cette voix met en scène une femme à la fois respectable et sexuée, comme sa lectrice impliquée, et a quelque chose d’aussi hellénistique qu’italien aux yeux de critiques comme Y. Battistini, qui la rapproche de la peinture pompéienne, revue par Pascal Quignard. [12 épigrammes amoureuse, votives, funéraires, descriptives]

 

 

Notes

 

1. À lire en français dans la traduction de Pierre Rusch, publiée chez Gallimard, « Folio Essais »,  en 1990.

2. Rue Descartes, 1/2008 (n° 59), p. 2-5, en introduction à un volume intitulé Gilles Deleuze, l’intempestif.

3. Sophie Rabau, En présence de l’auteur. Quinze (brèves) rencontres avec Homère, à paraître aux éditions Belin, « Antiquité au Présent », en 2012.

4. Nicole Loraux, « Éloge de l'anachronisme en histoire », Le genre humain n° 27, éd. Seuil, 1993, p. 23-39, repris dans Les voies traversières de Nicole Loraux. Une helléniste à la croisée des sciences sociales, numéro commun Espaces Temps Les Cahiers n°87-88 et CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés, 2005, p. 128-139.

5. Des pratiques similaires se développent, depuis plus d’un an, dans le séminaire « Anachronies », qui se tient régulièrement à l’ENS-Ulm, et tel qu’il est présenté, avec de riches références critiques, sur le site www.fabula.org.

6. Sur le pôle « chanté », on lira avec grand profit, parmi d’autres travaux des mêmes auteurs, la synthèse (fondatrice) de Claude Calame, Florence Dupont, Bernard Lortat-Jacob & Maria Manca, La voix actée. Pour une nouvelle ethnopoétique, Paris, Éditions Kimé, 2010.

7. Sur le rapport entre genre et « littérature » grecque, je renvoie à mon étude, Michel Briand « « Construction des genres, rites et fictions : de l’épinicie au roman grec », p. 225-240, dans le dossier « Questions de genre et de sexualité dans l’Antiquité grecque et romaine », Lalies 32, 2012, PENS-Ulm, p. 141-240, Sandra Boehringer & Michel Briand (dir.), ainsi qu’à la synthèse initiale de S. Boehringer, « Le genre et la sexualité. État des lieux et perspectives dans le champ des études anciennes », p. 145-167 (en particulier la p. 157 où il est à nouveau question, à propos des travaux de John Winkler cette fois, de « lire à contre-courant », against the grain).

8. Pour une première approche en français, on signale l’ouvrage de référence d’Éric Eydoux, Histoire de la littérature norvégienne, éd. PU de Caen, 2007, en particulier dans le chapitre « De la fin des années 1960 à nos jours », la partie Trente années de poésie, p. 357-367, qui dialogue avec d’autres analyses sur La « littérature des femmes ». La masculinité en question, L’après « littérature des femmes », Le post-féminisme, ou encore le modernisme, le post-modernisme, et des Promesses d’avenir.

9 . Sandrine Dubel & Sophie Rabau, Fiction d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours?, éd. Honoré Champion, Paris, 2001.

10. Claude Calame et Roger Chartier, Identités d’auteur dans l’Antiquité et la tradition européenne, éd. Million, Grenoble, 2004.

 

Suite...

                               

Pour citer ce texte


Michel Briand, « Pour un parallèle intempestif. Poètes norvégiennes contemporaines/grecques anciennes » (1ère partie), in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012. Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2pour-un-parallele-intempestif-poetes-norvegiennes-contemporaines-grecques-anciennes-110785224.html/Url.http://0z.fr/wZC2S

 

Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent


http://www.aplaes.org/node/289

 

http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/docannexe/fichier/5221/Briand.pdf

 

Auteur(e)


Michel Briand est professeur de langue et littérature grecques à l’Université de Poitiers, équipe de recherche EA 3816 FoReLL (Formes et représentations en linguistique et littérature). Domaines de recherche et d’enseignement: poésie et fiction, rhétorique, histoire des représentations et du corps, dialogue des arts et danse, dans l’Antiquité grecque et dans les références modernes et contemporaines à l’Antiquité. Nombreux travaux p. ex. sur Homère, Pindare, la poésie alexandrine, Lucien de Samosate, le roman ancien, la relation texte/image, le genre, le regard, la danse, Paul Valéry…

   

 

Le Pan poétique des muses - dans n°2|Automne 2012
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

 

Le secret de l'ange

 

Dialogue improbable de l'âme et du corps

&

Lettre « Cher inconnu »



Aurélie-Ondine Menninger

 

 

  http://www.editinter.fr/Resources/UNE%20VIRGULE.jpg

 

 

Le secret de l'ange


 

 

un ange
bleu de froid
attendait
la langue gelée
que quelqu'un lui ouvre sa porte
car il était venu en messager

mais il ne pouvait parler

il avait pris froid en descendant
il avait perdu les mots
en quittant les nuages
il ne bougeait pas
telle une statue de sel
sculpture de glace ou de cristal


personne ne lui ouvrit jamais
il mourut
avec ses mots devenus blancs
et s'effaça dans le silence de son secret perdu
sans que personne ne sache pourquoi
il avait fait ce long si long
voyage

 

 


 

 

 

Dialogue improbable de l'âme et du corps


 

— « Connaissez-vous, je vous prie

le chemin de l'âme ? »

 — « Non, je regrette »
 « ..Le corps, je ne conçois que le corps... »

 — «  Mais qui êtes-vous donc ? »
 — «  ...Enfin, qui êtes-vous donc ?... »

Je suis celui qui ne vous aima jamais
je suis votre amant »
« ...Je suis celui qui ment, qui ment, qui ment... »

 —«  connaissez-vous, peut-être alors, le chemin de l'amour ? »

 —« Le chemin de l'amour ? »
 « ..Jamais entendu parler... »

 —« Alors...Où allez-vous ? »

—« Je suis le corps qui vous tente »
 —« et vous êtes ce que vous cherchez tant»

Un intervalle de silence sépara d'une éternité
l'âme du corps



Puis ils se séparèrent sans se souvenir jamais

d’un impossible échange

dont le vent souleva l’écho hors du temps

 

 

 

Lettre « Cher inconnu »

 


Lettre à un inconnu du 10 avril 2011
Début de soirée, seule, terrasse de « La corde à Linge »

 

 

Cher inconnu,

 

 

 

Dommage que vous n’ayez pas posé la question…

Je vous aurais invité à ma table, j’avais prévu déjà quelques réponses… Et c’est peut-être mieux ainsi, car, avec vous, je n’aurais pas été « correcte ».

 

Êtes-vous seule à cette table ?

Non, voici « regret » en face de moi portant une robe noire. Elle s’est faite belle pour l’occasion. Et « tristesse » à mes côtés, que vous ne voyez pas non plus car il n’est pas dans vos desseins de la voir…

 

Qu’auriez-vous répondu à cela ?

Je n’en sais rien — j’aurais souhaité que vous vous manifestiez.              

Ce ne fut pas le cas.

Pour mon rendez-vous, je n’étais, de toute façon, pas aussi belle que je l’aurais souhaité.

À peine réveillée, mon visage avait l’air sauvage comme devait paraître fou mon regard pas fraîche, je manquais d’expression et, blessée à la jambe gauche, ma démarche était moins fluide que d’habitude.

Je n’étais donc pas tout à fait prête à entrer en scène. Et vous non plus, puisque vous ne l’avez pas fait.

Remarquez que j’aurais pu être une anti-héroïne de P. Lagerkvist, celle de « Noces », amoureuse au pays des âmes — mais « au pays des âmes », seulement.

Trop de répliques ont manqué à  mon répertoire de « femme-aimée-imaginaire » — pas assez imaginaire pour la légèreté de l’histoire, trop fantasque pour la beauté des « répliques ».

Un arbre, seul, me tint compagnie,en prime, mon imagination ; placé en verrière : le petit verre de Pinot noir, et les initiales gravées : N & A négation de moi-même peut-être…

 

J’aurais tant aimé que vous vinssiez, votre silence était un supplice mais, enfin, c’est mieux ainsi vous ne me quitterez pas. Et je vous embrasse.

 

Votre

        Âme

 

 

 

 

   

Pour citer ces poèmes

Aurélie-Ondine Menninger, « Le secret de l'ange », « Dialogue improbable...  » & « Lettre ''Cher inconnu''  »  , in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31   octobre 2012.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-dialogue-improbable-110641336.html/Url. http://0z.fr/zvjgV


Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent

http://presse.alsace-alsace.fr/culture-et-expositions/communique-3819-poemes-aurelie-ondine-menninger

http://www.librairiedialogues.fr/livre/1886247-une-virgule-dans-un-sac-de-pierres-poemes-aurelie-ondine-menninger-editinter

Auteur(e)

Aurélie-Ondine Menninger est doctorante en Lettres et prépare  actuellement une thèse sur la place du tango dans la littérature mondiale sous la direction de l'universitaire Michèle Finck.

Parallèlement, elle rédige des articles sur les expositions et les autres manifestations culturelles pour le journal bi-hebdomadaire Les Affiches-Moniteur. Aurélie-Ondine Menninger a déjà publié un recueil de poésie Une virgule dans un sac de pierres aux éditions Éditiner et illustré par elle-même.

 

Le Pan poétique des muses - dans n°2|Automne 2012
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

 

 

Dagny Juel*

 

 

 

Ingrid Junillon**

 


  http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1d/DJP.jpg

 

  Crédit photo : Dagny Juell (image wikipedia, commons)


 

 

Dagny Juell1 Przybyszewska (1867-1901) fut une figure en tous points emblématique de la génération Fin-de-Siècle. Elle est restée dans l’histoire littéraire pour son union sulfureuse avec le poète polonais Stanisław Przybyszewski, et comme égérie du cercle berlinois Zum Schwarzen Ferkel dans les années 1890. Son destin tragique – elle devait être assassinée en 1901 par son jeune amant à Tbilissi, quelques jours avant son 34e anniversaire – achève ce portrait d’héroïne décadente. Mais derrière le mythe de la femme fatale et de la muse, un autre drame se joua en sourdine, celui d’une poétesse étouffée par un entourage trop célèbre.

 

Dagny Juel était une artiste. Née dans une famille de notables norvégiens, seconde dans une fratrie de filles, elle a reçu une éducation complète mais libérale. Venue à Christiania (Oslo) pour étudier la musique, elle y fréquente les jeunes bohèmes, parmi lesquels les futurs grands poètes symbolistes du  nord (S. Obstfelder, W. Krahg). Dès cette époque, elle est remarquée pour sa grande beauté et ses manières libres. Ayant fait la connaissance du peintre Edvard Munch, c’est certainement sur ses conseils qu’elle part à Berlin, pour parfaire son éducation musicale en compagnie de sa sœur qui deviendra chanteuse d’opéra. Au printemps 1893, elle est introduite par Munch dans le cercle cosmopolite Zum Schwarzen Ferkel (Au porcelet noir), qui se réunit dans l’auberge baptisée ainsi par August Strindberg. L’écrivain suédois est un des piliers de ce cénacle, tout comme le poète polonais Stanislaw Przybyszewski. Autour de ces deux personnalités explosives, des poètes (Richard Dehmel, Adolf Paul…), des intellectuels (Julius Meier-Graefe…), des artistes (Munch, Gustav Vigeland…) forment une des avant-gardes les plus fécondes de Berlin, dont la fièvre créatrice se nourrit des théories de Nietzsche et de Darwin, de la naissance de la psychanalyse et des spéculations ésotériques.

Dagny bouleverse l’équilibre établi en séduisant immédiatement les membres du cercle.  Après une très brève liaison avec Strindberg, c’est au magnétisme du polonais qu’elle-même succombe. Le 18 août de la même année, Dagny et Stucha se marient. Leur foyer sera, pendant leurs quatre années à Berlin, un des hauts lieux de la bohème. Pendant que Przybyszewski fascine l’auditoire par ses interprétations enflammées de Chopin, Dagny règne en muse sur le cercle. Le rancunier Strindberg la surnomme Aspasie, d’après l’hétaïre antique, compagne influente de Périclès qui encouragea les grands penseurs grecs. Il insiste avec malveillance sur les relations troubles vers lesquelles la beauté sensuelle de Dagny l’entraîne, autant que son mariage qui s’avère destructeur. Le sataniste Przybyszewski prône les délices pervers du triangle amoureux ; son ancienne maîtresse Marta Foerder, dont il a déjà deux enfants, ne lui en donne-t-elle pas un troisième après son mariage ? La situation connait une fin tragique en 1896 avec le suicide de Marta ; soupçonné d’homicide, Przybyszewski est arrêté puis relaxé. Les vicissitudes de cette union dévorante nourrissent les essais littéraires de Dagny : dans le poème en prose Rediviva, comme dans ses courtes pièces de théâtre Le Péché, La plus forte, Ravnegård.., la jalousie, le caractère illusoire du bonheur amoureux et le rapport de forces entre les sexes sont des thématiques récurrentes – tout comme elles le sont à cette époque dans les écrits de Strindberg et les tableaux de Munch. Autre sujet de souffrance pour Dagny, son statut déclaré de muse se révèle être une cage dorée et une piètre compensation au fait que ses propres ambitions artistiques ne parviennent pas à s’épanouir dans l’ombre de son mari au génie encombrant. Sa production littéraire restera modeste, avec la publication de trois drames, un recueil de poèmes et une nouvelle.

 

Entre 1894 et 1898, la famille – qui s’augmente de deux enfants - se partage entre Berlin et Kongsvinger, chez les parents de Dagny. En Norvège, le couple continue de fréquenter les cercles littéraires, et fait la connaissance d’Ibsen : le vieux poète et dramaturge s’inspirera d’eux dans sa dernière pièce, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts (1899) qui traite de la confrontation tragique entre le sculpteur Rubek et son modèle et muse, Irène, qu’il a autrefois trahie dans sa quête de gloire.


C’est dans ces années-là que Dagny écrit ses pièces de théâtre en un ou deux actes. La plus forte (1896) est publiée mais refusée par le Théâtre de Kristiania. Le péché est créé en octobre 1898 à la Scène Intime Libre de Prague, et publié en tchèque dans la Moderní Revue ; traduit en russe, il sera monté par Meyerhold en 1906 dans son théâtre ambulant La Société du Nouveau Drame. Le couple de poètes exerce ainsi une influence importante sur les avant-gardes pragoises, polonaises et russes. En 1898, il s’installe à Cracovie où Przybyszewski devient le chef de file du cercle La Jeune Pologne, dirigeant la revue Życie. Dagny continue d’inspirer les jeunes membres du cercle : comme Munch autrefois, les peintres modernistes Stanisław Wyspianski et Wojciech Weiss, entre autres, font son portrait.

 

1900 marque la rupture définitive entre les époux ; Dagny revient dans sa maison familiale à Kongsvinger. C’est là qu’elle publie un recueil de poèmes sous le titre Sing mir das Lied vom Leben und vom Tode (« Chante-moi le Lied de la vie et de la mort », citation d’un vers de Richard Dehmel). Sa production poétique, en vers comme en prose, s’inscrit de plein pied dans l’esthétique symboliste et néo-romantique scandinave : un sentiment mélancolique omniprésent, l’intrusion du rêve et de l’imaginaire jusqu’au surnaturel, la célébration lyrique d’une nature souvent anthropomorphe, en intime communion avec les destinées humaines. Son poème Quand l’orage s’abat sur la maison… s’avère un des premiers poèmes modernistes de Norvège.

 


Au printemps 1901, Dagny s’établit à Varsovie. Peu après Pâques, elle part avec son fils Zenon et son jeune amant Władisłas Emeryk en voyage en Géorgie. Dans des circonstances encore troubles, le 5 juin, à Tbilisi, Emeryk l’abat d’une balle avant de retourner l’arme contre lui. De ses anciens admirateurs, c’est Munch qui lui rendra l’hommage le plus loyal, témoignant dans un article avec tendresse et nostalgie de leur amitié :  « Elle allait parmi nous droite et libre, nous encourageant et parfois nous consolant, comme seule une femme peut le faire, et son apparition avait un effet apaisant et en même temps stimulant. C’était comme si sa seule présence donnait de nouvelles impulsions, de nouvelles idées, et réveillait le besoin de créer qui sommeillait »2.

 

 


 

Sources

 

* Voir aussi la présentation en anglais de Dagny Juel sur le site du Kvinnemuseet, dans sa maison familiale de Rolighed à Kongsvinger : url. http://www.kvinnemuseet.no/?q=node/47.

** Je tiens à remercier Lisbeth Chumak, du Musée de la Femme de Kongsvinger, ainsi que Helle Waahlberg, pour leur aide amicale.

 

 

Bibliographie

 

Dagny Juel, Samlede tekster, Kulturforlaget, BRAK, 1996.

 

Monographies

M. Nag, Kongsvinger-kvinne og verdensborger; Dagny Juel som dikter og kulturarbeider, Kongsvinger 1987.

M. K. Norseng ; Dagny Juel, kvinnen og myten, Londres-Seattle, 1992.

K. Valla, Skuddene i Tbilisi – i fotsporene til bohemen Dagny Juel, Kagge Forlag, Oslo 2006.

L.C. Hovelsaas Nerli, Gotisk modernisme og kvinnelig Subjektivitet i Dagny Juel Przybyszewskas forfatterskap, mémoire de master, Université d’Oslo, 2011.


 


Notes

1 Le patronyme d’origine de Dagny est Juell mais elle le transformera en Juel.

2 E. Munch, Kristiania Dagsavis, 25.06.1901.

 

 

 

 

Pour citer ce texte


Ingrid Junillon, « Dagny Juel » , in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-dagny-juel-110346896.html/Url. http://0z.fr/JVYLb

Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent

 

 http://www.lr2l.fr/agenda/ingrid-junillon-edvard-munch-face-henrik-ibsen.html

 

Auteur(e)


Ingrid Junillon, née en 1972, est spécialiste de la culture scandinave. Elle a publié sa thèse d'histoire de l'art, Edvard Munch face à Henrik Ibsen : impressions d’un lecteur, ainsi que plusieurs articles sur l’art et la littérature symboliste. Elle a enseigné dans différentes universités et est actuellement directrice des expositions au musée Fabre de Montpellier.

 

 
Le Pan poétique des muses - dans n°2|Automne 2012
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

 

 

Dagny Juel : textes choisis

  

  Ingrid Junillon

      Textes traduits  


 


REDIVIVA

 



Je veux raconter l’étrange histoire de ma vie. Peut-être certains ne la trouveront-ils d’ailleurs pas si étrange – peut-être d’autres personnes ont-elles vécu la même histoire, mais je n’ai jamais rien entendu de tel, si bien que je pense être la seule qui puisse contempler ce destin mystérieux et si horriblement tragique.

Mais d’abord un bonheur infini !

Je le vis et je sus aussitôt qu’il devait m’appartenir, que ce serait la grande, la profonde raison d’être de ma vie. Nous savions tous les deux, que la vie ne vaudrait d’être vécue que si nous pouvions être ensemble.

Et je fus à lui, et il fut à moi, et celle qui se trouvait entre nous – nous la tuâmes. Oh, il ne s’agissait pas de se glisser pour la poignarder en plein cœur –  ni de lui tirer une balle dans la tête. Non - nous savions simplement, avec une certitude souriante, qu’elle devait disparaître, qu’il ne pouvait en être autrement - elle était un obstacle pour nous (chacun peut comprendre cela) – elle n’était d’aucune utilité pour nous – elle n’était d’aucune utilité pour personne – et c’est ainsi qu’elle tomba malade et mourut. C’était si limpide – elle devait mourir naturellement – notre amour infini nous rendait si puissants – omnipotents – tout pliait devant nous. Et donc elle mourut et nous fûmes libres ! Et le bonheur vint véritablement – il ne fuit pas, effrayé, notre amour impitoyable – il nous suivit, nous étreignit, et je crus qu’il était notre ami juré, notre protecteur – ce n’est que maintenant que je comprends quel jeu cruel il menait avec nous.

Nous traversions les royaumes et les pays de la félicité. Là où nous étions, le soleil brillait, un vent doux et rêveur  caressait fleurs et feuilles. Et nous n’étions jamais las de cet amour – jamais la haine ne vint ni la souffrance pour nous dresser l’un contre l’autre – non, cela aurait été  si ordinaire – pas assez cruel – pas d’une cruauté  assez raffinée. Elle - la morte, nous l’avions oubliée, nous nous rappelions à peine son nom, - elle n’existait plus dans notre vie.

Et pourtant – et pourtant – quelque chose hantait parfois un recoin de mon esprit, un mystère appelait parfois à grands cris, quelque chose de mon passé me regardait de ses yeux caves et insondables, et je pouvais parfois percevoir un ricanement déchirant, d’une terrifiante étrangeté, jusque dans les nuages du ciel orageux, jusque dans les cris des mouettes en mer.  

Et puis – et puis advint cette nuit, cette nuit longue et sombre où je me réveillai et vis, emplie de terreur – je la vis – elle – assise au bord de mon lit. Du fond de la nuit obscure, je vis très distinctement – avec une certitude glaçante, foudroyante, que c’était elle.

Elle était revenue d’entre les morts ! et elle allait vouloir se venger – elle allait satisfaire sa haine, sa haine que nous croyions morte avec elle.

Mais je ne lus trace d’aucune haine, d’aucun désir de vengeance dans ses traits livides. Immobile, sans expression, elle fixait la chambre de ses yeux vides – comme le Destin lui-même.

Elle ne me quitta plus – chaque nuit –  chacune de ces nuits de terreur sans sommeil, elle vint s’assoir à  mon lit, et je n’ai jamais vu d’autre expression sur ce visage marqué  par la mort que cette raideur placide – ce froid spectral, impitoyable, de la mort. Et je pouvais tendre les bras vers elle et l’implorer ou rester couchée et la menacer –

« Oh, va-t-en ! va-t-en ! que veux-tu ici ? qu’espères-tu obtenir ? à quoi cela te servirait-il, que je te le rende ? ne brise pas ma vie – ou si tu veux brise la, mais va-t-en ! »

Elle s’établit pour de bon chez moi, jour et nuit elle restait là, assise près de moi, et lorsque nous nous enlacions lui et moi, elle était toujours là, dans nos étreintes, et je sentais ses bras froids, ses bras froids de morte autour de lui – autour de moi.

Mais lui ne voyait rien – ne sentait rien, et je décidai de la défier – elle ne piétinerait pas mon bonheur –  non, jamais je ne pourrais l’accepter. Je la provoquais, la raillais – « Alors mon amie – est-ce que ce n’est pas finalement pour toi que c’est le pire, de voir ton aimé dans les bras d’une autre ?! Suis nous, ma chère, si cela peut te divertir ! » Et je lui lançais un regard triomphant, dédaigneux, riant lorsque je mettais mes bras autour de son cou et que je l’embrassais, lui – mais mon baiser se glaçait sous ce regard vide et terrible – sous cette indifférence affreuse de la mort.

Maintenant je sais qu’elle ne me laissera jamais en paix – jamais elle ne me quittera – je sens même qu’il faut qu’elle reste à mon côté jusqu’à ce que mon souffle s’éteigne à son tour – jusqu’à ce que mon sang se glace et mon regard devienne vitreux, - car elle est mon destin, mon destin impitoyable, auquel je ne peux échapper.

Berlin, Décembre 93 – 

 

*   *


Le vent est une caresse brûlante dans les profondeurs de la nuit

Des milliers d’yeux féroces s’agitent en un frisson,

La terre endormie rêve, gémit d’angoisse,

Sentant ce baiser sur sa bouche inerte. 

 

Une danse tourbillonnante de feuilles dorées !

Le dernier jeu…

Mes cheveux d’or : une couronne de flammes !

Et bientôt si blanche….  

 

La terre ouvre son large giron

Et des flots bouillonnants s’en échappent :

Fleurs étincelantes

Dans la splendeur de l’arc-en-ciel,

Sang et feu !

Avec la puissance de l’effroi

Ils tendent les bras vers les astres de lumière. 

 

Le vent est une caresse légère dans les profondeurs de la nuit,

Des milliers d’étoiles d’or s’agitent en un frisson,

La terre endormie rêve, esquisse un sourire

Sentant le baiser sur sa bouche close.

 

*   *    *

Et la tristesse de tout cela,

Oh mon âme … 1 

 

Debout au piano, elle chante.

Il l’écoute, confortablement installé dans son fauteuil.

Elle chante, perdue au fond d’elle-même, submergée par ce sentiment qui emporte son âme vers les nuées, vers le soleil. Temps et espace s’évaporent dans une brume lumineuse, passé  et avenir se rencontrent sur les cimes bleutées de l’éternité. 

La note lève ses ailes délicates et s’échappe, voletant rêveusement dans la pièce, furetant,  puis revient dans un soupir.

De nouveau elle soulève ses ailes blanches et, légère comme la poussière du soleil, elle s’envole vers les étoiles et se mêle à elles, étoile à son tour.

Et maintenant la note déploie ses larges ailes ; elle vogue majestueusement au-dessus de l’immensité de la mer, au-dessus des montagnes et des sommets, plus haut, toujours plus haut, vertigineuse, abandonnant tout, tout – voilà qu’elle a atteint le soleil !

Le chant s’est tu, elle reste pâle et le regarde, anxieuse. Elle sent, elle sait qu’elle s’est trahie, que son chant l’a dévoilée, l’a mise à nu. Sa souffrance, ses désirs, ont décoché leurs flèches si loin, le laissant si loin derrière.

Mais il n’a pas pâli, « tu as chanté brillamment » dit-il imperturbable, « tu n’avais jamais aussi bien tenu le la ». 

 

*   *    *


Quand l’orage s’abat sur la maison – la nuit –

Et que la porte s’ouvre avec violence :

Je vois debout, dans l’embrasure,

L’Angoisse, aux cheveux gris – l’Angoisse sans pitié….

Mais je n’ai pas sur moi l’épée qui pourra la décapiter !

 

Quand la lune vengeresse se glisse dans la maison

– la nuit – et que la porte s’ouvre sournoisement :

Je vois se tendre, dans l’embrasure,

Une main longue – une main morte…

Mais je n’ose pas, je n’ose pas la serrer !

 

Quand le soleil hurle dans le ciel

- le jour – et crache ses lames d’or

dans la pièce :

Alors la porte s’ouvre grand et je vois

l’embrasure comme la gueule d’un fauve !

 

 

Cliquez sur les photos pour les agrandir et lire les textes dans leur version originale  (photos en vrac) :

 

etlatristesse leventestunecaresse-1
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rediviva2-2 rediviva3



 

 

 

Note


1. En français dans le texte. Les textes originaux ont été publiés dans Dagny Juel, Samlede tekster, Kulturforlaget Brak, 1996.


 

Pour citer ces poèmes


Ingrid Junillon (trad.), « Dagny Juel : textes choisis » , in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31  octobre 2012. Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-dagny-juel-textes-choisis-110342761.html/Url. http://0z.fr/9-8pU

Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent

 

http://www.lr2l.fr/agenda/ingrid-junillon-edvard-munch-face-henrik-ibsen.html

 

Auteur(e)


Ingrid Junillon, née en 1972, est spécialiste de la culture scandinave. Elle a publié sa thèse d'histoire de l'art, Edvard Munch face à Henrik Ibsen : impressions d’un lecteur, ainsi que plusieurs articles sur l’art et la littérature symboliste. Elle a enseigné dans différentes universités et est actuellement directrice des expositions au musée Fabre de Montpellier.

 

 

 
Le Pan poétique des muses - dans n°2|Automne 2012
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

 

 

 

Encre

 

&

 

Survole

 

 

 

 

 

Jo. Hanna  

 

 

 

 

 

Avant


Avant,

Je brisais la coquille des porcelaines

Contre la pierre noire de l'obsidienne.

Je chantais des litanies aux démons sombres

Et contais aux sirènes,

Les secrets de la mer.

 

Je vivais d'eau, de feu, de sang

Et quelquefois me nourrissais d'amour.

Mais de l'amour,

On ne me laissait que les restes...

 

Je ramassais des jeunes hommes,

Hagards,

Endormis sous les chênes,

Attirés là par mes sortilèges,

Pour leur avouer ma solitude

Et partager avec eux,

Mes abîmes.

 

Après les avoir séduits,

Le plaisir qu'apporte la pureté mensongère,

Les mots de tendresse,

Les regards enflammés par le corps

Et ses murmures

Bien vite me lassaient.

 

Ayant pris soin de me blesser le cœur auparavant,

Je l'abandonnais, bien évidemment,

À la folie...

Je lui avais promis de nombreux sacrifices,

Elle, me permettait de la maîtriser.

C'est pourquoi,

Malgré tout ce que les hommes des mondes fermés pouvaient dire,

Je n'étais pas folle.

 

Non.

 

J'avais la sagesse de ceux qui ont appris le langage du vent.

 

Longtemps, longtemps, il avait soufflé dans ma tête

Mais lui aussi,

J’avais fini par l'apprivoiser.

Voilà ce que j'étais

Quand l'ombre n'avait pas encore laissé place

À ma lumière.

 

 

 

Serpente


 

 

Serpente...

Sagesse du saint en prière.

Sous la voute,

Des salamandres se dorent au soleil.

Elle

Songe

Au regard sombre

Du jeune homme croquant la pomme

Rouge, sang dans les veines,

Souffle de vie, sel de la mer.

Le mal s'étiole en couleurs divines

Opales, moins pâles

Que l'aube

Malhabile.

 

Serpente...

Sent sur ton corps qui rampe

Le contact de la pierre, de la boue, de la terre,

Sent,

Le venin dans l'essence de ton être:

Ce poison qui arrache aux tortures de l'errance

Les hommes qui se perdent.

 

Le mal n'est pas si mauvais que cela...

Il susurre à l'oreille avec la douceur habile,

Des doigts de sylphes.

Naïades, nymphes, sœurs des profondeurs,

Le mal véritable n'est pas si mal.

Il est juste sauvage.

 

Songe...

Elle semble asservie par son amour,

Élevée dans les sphères

Semblables aux nuées ancestrales

Où siègent dieu

Et ses anges de lumière.

 

« Je suis moi même un ange mais mes yeux sont de braise.

Je murmure savamment aux lobes des sirènes,

Leur offrant la beauté

Dont elles se parent,

En rêve,

Le regard prisonnier des glaces qui les reflètent.

 

Je suis moi aussi un ange...

Ne crois pas leurs mensonges!

Je ne suis pas d'ombre!

Juste l'inconscience,

Les méandres de la connaissance.

 
Tu devines, Aurore ou Crépuscule,

Les failles où je m'immisce,

Plus sacrées que les saints de Palestine.

 
Je suis moi même un ange, le favori de Dieu,

Issu des rayons violents frappant la poussière,

Ocre des déserts,

Terres solaires,

Sécheresse des rivières,

Canaan et Jérusalem.

 

Mais l'homme a voulu me détruire, il ne comprend pas l'étrangeté...

Une femme trop belle,

Un nain, une sorcière rousse parlant aux arbres,

Ou l'enfant noir chevauchant un balai,

Ils ont tout rejeté, aveuglés, aveuglés qu'ils sont par la pureté.

 

Elle est trop blanche! Trop idéal! Elle n'existe qu'en Galaad... 
Moi je la souille, je lui mets des parures

À leur pureté

Issue des déchirures.

 

Elle n'existe pas! M'entends-tu?!

Leur pureté est dégradée parce qu'ils m'ont oublié. 
Parce qu'ils ont oublié que j'étais un ange.

Stupidité de leur colère... ils ont cru que j'étais l'inverse de Dieu,

Son contraire.

Mais nous sommes liés, lui et moi,

Nous sommes un.

Une pièce a toujours deux cotés...

 

Ils m'ont oublié mais je sais comment m'immiscer.

J’ai la nature comme substance,

Je suis la force et l'innocence...

Et je serpente...

 

 

 

 

 

 

 

Pauvre idole


À l'ombre des saules,

Assise, trempée,

Et la pluie sur le visage,

Les yeux grands ouverts,

Je suis objet de souffrance, cause de malheur.

 

L'innocence peut elle faire peur?

L'insouciance n'est pas d'ici,

C’est le souffle d'un ange aux ailes trop déployées...

 

Pose tes yeux sur le corps que tu ne pourras jamais posséder

Et adore-le!

Tente,

Inlassablement,

De conquérir un geste,

Un regard

Qui fera trembler ton âme?

La chute peut être une purification...

 

L'ascendance du ciel m'a fait courber les épaules

Et devant l'âcre lueur des jours,

J’ai dû me brûler les yeux.

A l'ombre des saules, je me suis reposée la peau:

A vif, la couverture charnelle s'était dépouillée 

Pour mieux se transformer en éther.

Bien que j'abîmasse mes lèvres

À l'eau des fontaines cristallines,

La pudeur m'a fait perdre l'usage du langage.

Les iris mortes ont parcouru les prairies

En quête de vie délaissée.

Le vent, à l'image des falaises,

M’a volée ce qui me restait d'âme

Pour en faire don à la mer,

Sa délicieuse idole.

 

Les yeux vides, les lèvres sèches, le corps meurtri,

Mon esprit a bien dû s'élever vers d'autres sphères

Pour exister

Loin

De la déchéance de la chair.

 

Amie des pierres,

J’ai appris leurs mystères

L'esprit toujours plus fort, l'expérience des sens s'est décuplée:

Le bruissement de la fleur qui s'ouvre,

L’ardeur du soleil,

La douceur de l'aube,

Étaient à mes yeux,

La joie

Et je me mis à chercher cette musique dans tous les jardins

Sauvages des lieux solitaires.

 

J'ai presque haï les hommes pour pouvoir les fuir...

N’étais-je pas la cause de leur malheur?

Le diable aux yeux de cendre

A pris l'apparence de la beauté

Pour tenté de me séduire...

 

Mais je l'ai ignoré.

 

Aucune onde ne devait perturber ma quête.

 

Dieu,

De n'être plus une créature soumise à la fatalité,

M’a reniée.

Les Muses

Ont voulu me noyer dans des songes...

Mais les illusions n'étaient que des trêves,

Sans repos.

 

Non.

 

Ma quête

Était la vérité brute,

L’abrupt

De l'univers

Dans sa plus pure essence...

 

Dispersée, je me suis perdue,

 je me suis perdue.

« (Je me perds, Je se perds, se perdre, devenir unis,

Vers un autre, une autre!

Je, me perds... indéfini) »

 

Le chant des hommes m'émeut souvent

Et je m'assoie aux abords des villages pour écouter

Et tenter de comprendre...

Mais leur monde, ne m'appartient plus.

 

 

 

 

 



 

Survole


 

Si je me mêlais à la danse,

Je serais la colombe,

Venue, il y a des millénaires,

Des pêchers fleuris du désert.

 

Je frémirais sous les ailes des violons ancestraux

Charmant les hommes devenus femmes 

Dans la folie des pas.

 

Sans me blesser,

Le cristal se brisera sous mes pieds ;

Nacre de mes pieds sur le sol.

 

(Dans la danse le ventre s’anime… 

Tous ceux qui me regardaient comme une proie deviennent victime

de la musique de mes mains dans l’air.)

 

L’air chargé du parfum des corps qui s’élancent…

Je serais la colombe de vos nuits

Blanches.

Celle qui dort tout le jour

Dans les marbres ciselés de la Médina, 

Aime se transformer en princesse mystérieuse…

*****

Je suis l’air du violon…

Il survole les montagnes du bord de mer

Où paissent les moutons du sacrifice. 

Leur âme a été sauvée.

Je survole les villes bleues

Où les couleurs pigmentent les ruelles

Étroitement aquatiques

Et je frémis

Quand me mêlant à la fumée,

Mon haleine devient

la menthe fraîche du souk qui s’éveille.

Vous !

M’avez dévêtue mille et une fois de vos regards !

Indécence soulevant le pli de mes robes secrètes,

mais sombres.

Et pourtant…

J’ai gardé mon mystère.

Car je sais un recoin de minaret

où mes ailes retrouvent leurs blancheurs, 

dès que le nom d’Allah est prononcé.                                                                 

*****

Je suis l’amie des femmes murmurantes qui murmurent

leurs secrets aux puits où elles perdent leur jeunesse,

(leur âme aussi ?),

Non, pas leur âme.

 

J’aime le frôlement de leur peau

Brune et sèche

Sur les feuilles encore rêches

De l’olivier à l’automne.

Je me cache dans les branches pour écouter la voix des oubliées.

*****

Tambours, tambourinent,

Les mains

Frappent plus forts, plus vite

Pour convoquer la musique.

Elle émerge de la terre, là où le feu et la mer

Se mêlent…

Là,

Où « les éternités différentes de la femme et de l’homme » se répondent

Et s’aiment,

Enfin.

Je suis le cri des femmes enfin poussé.

Le roulis des gazelles.

Avec moi, libérées,

elles s’envolent

sur mes ailes, je leur montre leur pays,

Sa beauté discrète mais sauvage :

 (« Jamais elles n’auraient dû le voir, ce doit être écrit quelque part ? »)

Les cèdres parfumés,

Les crocus du safran qui s’ouvrent sous la claire lumière.

Elles s’émerveillent,

De voir le monde vidé des barreaux,

Elles, s’enivrent, 

De la lavande sauvage,

Violence bleutée qui peuplent les falaises noires

de la Méditerranée.

Nous volons au dessus des lagunes,

Surprenant l’envol des cormorans,

Quand le pêcheur conduit sa barque rouge et or

Au milieu du couchant.

Elles, s’accrochent

Aux plumes blanches de mes ailes pour ne pas tomber,

Attirées par l’outremer de l’océan

Désormais Atlantique.

Leurs larmes coulent et se brisent

Mais je reste silencieuse devant le tremblement muet de leur âme.  

 

Cela fait longtemps que leurs chevelures flottent,

Libérées par les vents.

Les voiles sont tombés dans les cascades.

Ils se sont transformés 

en poissons multicolores.

 

Arrivent les oasis…

Je me rapproche des palmiers, qu’elles puissent cueillir les dates,

Qu’elles puissent mêler leurs rires

Aux sucres de la terre.

Et je pleure de joie de les entendre chanter.

Elles, dansent

Sur mes ailes,

Pour elles,

Pour le ciel, 

Pour les hommes un peu,

Mais pas pour ceux qui enferment la beauté,

Et pour le soleil…

La lumière jaillit et nimbe mes ailes. 

 

 

 

Pour citer ces poèmes 

 

Jo. Hanna, «    Encre » (volet de poèmes) & « Survole » (extrait de l'ensemble ''Lumière''), in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes», « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre», n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-encre-survole-110274944.html/Url. http://0z.fr/RYSs3

 

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....

Auteur(e)


Jo. Hanna, est le nom de plume de Johanna Treilles, est chanteuse et poétesse. Originaire de l’île de la Réunion, où elle vit actuellement, elle est l’auteure de deux recueils de poésie, Je sais l’Autre, Poèmes guerriers et d’une pièce de théâtre contemporain. De nombreux voyages en Asie, ainsi qu’un séjour de cinq ans en Europe ont inspiré certains de ses poèmes en leur donnant une dimension plutôt universel que régional même si des écrits plus récents se tournent désormais vers la langue maternelle, le créole. La mort, la vie et la transcendance animent le « je » féminin, personnage central de cette prose poétique.

 

Le Pan poétique des muses - dans n°2|Automne 2012

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