En avant-première d'Introspection |
Entretien avec Marie-Josée Desvignes
à l'occasion de la parution de son livre Requiem* |
© Crédit photo : Requiem - Couverture de l'éditeur
Dina Sahyouni — Vous écrivez pour la jeunesse, que représente pour vous l'enfance ?
Marie-Josée Desvignes — J'ai écrit effectivement un roman pour la jeunesse qui va paraître en janvier 2014 aux éditions Les Lucioles. Mon enfance est une terre inconnue que j'aurais voulue belle. L'enfance représente donc pour moi un lieu rempli d'êtres fragiles dont je me sens toujours proche. La plupart des auteurs pour la jeunesse ont la nostalgie de cette époque où on leur racontait des histoires. Pour moi qui n'ai pas eu cette chance, c'est après avoir lu et aimé C.S. Lewis (l'auteur du monde de Narnia mais aussi de Surpris par la joie), Lewis Carrol ou les frères Grimm, c'est à dire très tardivement, que j'ai eu envie d'écrire pour la jeunesse. Mais c'est aussi sûrement parce que j'avais à cœur de transmettre mon amour de la lecture (déjà en enseignant) que j'en ai fait le sujet de ce premier roman jeunesse (fantasy) sur fond de quête initiatique.
DS — D'après vous, comment peut-on transmettre aux enfants la poésie des aïeules ?
M-JD — Le désir de transmettre la littérature et la poésie en particulier fait partie de mon cheminement. Je crois qu'à part Andrée Chédid (fort représentée dans les « récitations » en primaire), les enseignants qui ne sont pas tous poètes, ni tous curieux de la poésie qui plus est celle des femmes, n'ont pas tous spontanément cet élan à transmettre la poésie.
D'ailleurs, il faudrait que celle-ci ne soit pas partagée qu'à l'école. Mais combien de parents lisent la poésie ? Combien lisent celles des femmes ? Il faut avoir un goût particulier pour cet art qui est justement un art de l'enfance.
Les enfants savent très tôt jouer avec les images, les sonorités du langage, l'invention des mots. Lorsque je fais écrire les enfants dans mes ateliers-poésie, je repars enchantée de la savoir si vivante à leur contact. L'enfance garde longtemps ce goût qui perdure encore un peu, une fois entré dans l'adolescence où les questions liées à l'autre et à la rencontre poussent ces encore-jeunes à s'épancher dans des petits mots qu'ils échangent, pour disparaître complètement une fois préoccupés d'entrer dans la vie active.
La seule réponse que je peux apporter à celle-ci qui en englobe tant d'autres à commencer par la définition même de la poésie, serait que les éditeurs eux-mêmes accordent davantage de place à ce genre, et que chaque auteur se fasse un peu poète. Ce serait un défi. On glisserait alors dans chaque livre un poème de l'auteur. Mais la poésie elle-même reste un mystère, il y a beaucoup de gens qui disent aimer la poésie et tout autant à dire qu'ils ne la lisent pas.
Il y a donc déjà toute une éducation des adultes à redevenir enfant... À moins que nos filles, à force de défendre la poésie s'y emploie elles-mêmes dans l'éducation qu'elles donneront à leur progéniture.
D'une manière plus générale, vous posez la question de la place des femmes dans la littérature, et je crois bien que c'est à nous de la prendre cette place, par exemple en écrivant des manuels d'Histoire de la littérature des femmes (tout genre confondu) en privilégiant la poésie (anthologies), la défendre avant qu'on la considère encore comme au XXe siècle encore comme un art de l'épanchement féminin (cf. Les Muses françaises, anthologie de femmes poètes, Alphonse Séché, 1908). D'ailleurs je pense que les sites se développent autour des femmes-poètes par des femmes-poètes. Voilà un moyen sans doute pour la transmission, car les jeunes, garçons et filles, sont nombreux à s'y aventurer.
DS — Requiem est un récit poétique explorant le vécu douloureux d'une femme qui donne naissance à un bébé mort-né. Pourriez-vous nous en parler?
M-JD — Chaque poète a une définition de la poésie. Et c'est peut-être pour cela qu'il y a toujours autant de querelles au sein même du milieu.
Pour moi la poésie ne réfléchit pas à ce qu'elle peut dire ou ne pas dire. Elle est le lieu d'un dire absolu, et parfois indicible autrement. Elle peut donner à voir une violence tout autant qu'une émotion fragile et paisible pour transcender un vécu, un moment délicieux ou un dire tragique. Elle peut être tout autre chose aussi.
J'écris de la poésie depuis longtemps et tous mes textes étaient emprunts de cette violence à dire un indicible. J'avais un quelque chose à dire, qui toucherait les femmes plus sûrement par le vécu intime. J'avais d'abord voulu le faire sous la forme d'un roman mais c'était mon vécu et je ne pouvais (ne voulais !) le mettre à distance. Le dire de Requiem n'est pas seulement celui d'une naissance tragique, c'est avant tout celui d'un deuil impossible, comme l'est celui de parents qui ont perdu un proche en mer.
Certains veulent enfermer la poésie dans une objectivation dénuée d'émotions, d'autres s'y complaisent, il me fallait trouver ce juste milieu, ce lieu d'un dire violent, émouvant débarrassé d'apitoiements.
Je peux dire aussi ce que Requiem n'est pas. Ce n'est ni un témoignage, ni un recueil de poèmes qui se liraient aléatoirement. C'est un récit car il propose une immersion dans la mer et le mystère de la naissance, c'est un long poème dont la tragédie n'a trouvé que ce chemin pour se dire.
DS — Pourquoi avez-vous écrit ce livre, s'agit-il d'un hommage, d'un cri, d'une nécessité existentielle, etc. ?
M-JD — C'est sans doute un hommage, il est dédié à mon fils Julien. C'est un cri, dans lequel pourront se reconnaître toutes celles (et elles sont nombreuses) qui ont perdu un proche sans possibilité de le pleurer. C'est une nécessité existentielle peut-être, pour moi d'essayer de passer à autre chose, mais pas une thérapie comme on dit trop souvent de l'écriture ou de l'écriture de la souffrance. Heureusement, il y a bien d'autres moyens moins douloureux que la publication pour guérir mais il y a aussi des maladies dont on ne guérit pas de « ce temps qui ne passe pas » (l'expression est de Pontalis)
DS — Qui est Marie-Josée Desvignes dans Requiem, comment se raconte-t-elle par le biais de la poésie ?
M-J D — Elle est toutes les femmes qui se sont vu retirer le droit d'exister au travers d'un acte qui, à cette époque, il y a trente ans, serait aujourd'hui puni par la loi. Elle pose la question du sacré de la vie. Aujourd'hui, une loi permet les interruptions médicales de grossesse à sept mois légalement, mais surtout, elle permet de donner une sépulture à l'enfant. J'ai vécu cette naissance comme un meurtre dont j'aurais été complice (car il s'agissait bien d'une IMG mais le cadre pour reprendre l'enfant était flou encore). Et avant moi, il y en a eu tant et tant. Nos mères et grand-mères peuvent nous en parler encore.
DS — Une dernière question s’il vous plaît : avez-vous des publications prévues pour l’année 2013-2014 ?
M-JD — Oui comme je l'ai dit plus haut, un roman fantasy en direction des adolescents est à paraître en janvier prochain aux Éditions Les Lucioles. C'est un plaidoyer pour la défense de la littérature et du patrimoine culturel. Mon petit héros, dyslexique et pourtant au QI supérieur à la moyenne, va se voir confié dans un autre monde, la mission de récupérer les livres qui ont été dérobés au petit peuple des muets afin de les soumettre... (le titre est justement : Le petit peuple des muets, 1.Chroniques du pays sans retour). J'ai pris beaucoup de plaisir à l'écriture, il m'a diverti durant l'écriture de Requiem, et le passage que je préfère est celui où je fais naitre un personnage du nom de Clemens Brentano, un auteur totalement oublié aujourd'hui, contemporain des frères Grimm, poète et conteur lui aussi et qui aurait rêvé sa vie durant de devenir un personnage de roman, un rêveur et un éternel enfant. Un hommage pour moi.
Je suis actuellement sur l'écriture d'un roman et je finalise également un recueil de poèmes dont le titre est De l'ombre à la lumière.
*Entretien électronique
Pour citer ce texte |
Dina Sahyouni & Marie-Josée Desvignes, « Entretien avec Marie-Josée Desvignes à l'occasion de la parution de son livre Requiem », Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°3 [En ligne], mis en ligne le 22 septembre 2013. Url.http://www.pandesmuses.fr/article-entretien-avec-marie-josee-desvignes-requiem-120221563.html/Url.http://0z.fr/K9WJc |