13 février 2022 7 13 /02 /février /2022 15:25



Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Florilège / Poésie érotique (pour le premier poème) 

 

 

 

 

 

 

 

Blanche colombe

 

 

&

 

 

Le permis de CONNERIE 3764 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monique-Marie Ihry

 

Site & blog officiels : https://www.ihry.fr & http://www.aujardindesmots.unblog.fr

 

 

 

​​​​​​​​​​​Crédit photo : Delmira Agustini, "Frangipanier blanc - Îlets Pigeon", domaine public, Wikimedia. 

​​​​

 

Blanche colombe

 

 




 

Je décidai un jour de goûter enfin au plaisir inédit.

Logée dans les tréfonds du satin de l’alcôve,

abandonnant mon âme au désir d’un grand fauve,

je me laissai aller au délice interdit…

Le bellâtre m’enseigna d’emblée sur un ton érudit

comment me prosterner devant son crâne chauve…

Son sexe n’était plus en fait qu’une chagrine guimauve.

Ô, enfer, damnation ! On me l’avait pourtant prédit.

J’avais tant rêvé de lui, en vain j’espérais son amour,

or, il n’était qu’un dandy fort et petit,

de surcroît sans humour,

sur le carrefour encombré du grand âge.

Il était bien plus âgé que moi,

‒ jeune et blanche colombe ‒

blonde ingénue,

désespérément nue,

sage,

blottie dans son émoi

dans l’alcôve prisonnière

d’un cortège insensé de pédantes chimères.

Il insista pourtant, m’agrippant par la main,

me promit un miracle, un divin lendemain

avant de s’en aller pour toujours 

me dit-il suppliant, 

dans la tombe… 

!

 

 

 

​​​​​Crédit photo : "Pigeon paon blanc", domaine public, Wikimedia. 

​​​​

 

 

 

Le permis de CONNERIE 3764  



 

Pas besoin de permis pour devenir CON,

on ne naît pas CON, on le devient.

 

Question 1 : le devient-on par mimétisme ?

Sans doute. Ce virus étant très contagieux,

il conviendrait d’éviter 

de fréquenter de trop près la bêtise !

Tout compte fait, le mot « bêtise » 

est trop puéril à mon gré,

je n’emploierai dorénavant d’autre substantif 

que celui de « CON » ou sa déclinaison « CONNERIE »

(en majuscule de surcroît, et bien évidemment).

 

Question 2 : Un CON peut-il être gratifié d’amateurisme ?

À cela je répondrai catégoriquement : « Non. » : 

quand on est CON on l’est tout à fait,

à des degrés différents, il est vrai

− encore que – lorsque le mal est fait

les limites sont très incertaines

et tendent vers l’infini de l’incommensurable…

L’idéal serait de repérer ces individus très rapidement

afin de ne pas tomber dans leurs griffes assassines,

ce qui est en l’occurrence

une tâche d’envergure promettant

bien des échecs.

 

La vie est ainsi faite,

certains sont des êtres bons 

et bien d’autres infects,

à nous de faire au mieux

dans cette grande jungle suspecte

des humains…

Quand on est CON, on le reste,

c’est certain… !

 

Question 3 : Est-il de bon ton d’être CON ?

Voilà une question,

plutôt CON, je l’avoue

m’autorisant à me demander

si la CONNERIE serait ‒ elle aussi ‒

un virus très CONtagieux…

Il semblerait qu’en cette période difficile,

il vaudrait mieux être CON que covidé !

 

Depuis toujours, le monde a ses travers.

Aujourd’hui, les hommes 

ont leurs défenses à l’envers,

c’est l’enfer dans la tête du poète, 

même un troisième rappel de vaccin

ne dispense pas du Covid,

et on n’a même pas encore inventé

un vaccin nous préservant de la CONNERIE !

 

Pas besoin de permis pour être CON,

pas besoin d’autorisation pour être covidé,

quand on est CON, on le reste,

quand on est rattrapé par le Covid 

on fait ce qu’on peut pour s’en débarrasser 

sans séquelles…

Les CONS sont fiers de l’être et le restent,

les covidés espèrent rester vivants.

La CONNERIE quant à elle est immuable

et transmissible,

les CONS sont malsains et incurables,

que dire de plus sinon : « Évitons-les ! »

(dans la mesure du possible).

 

La CONNERIE n’est que trop contagieuse,

au royaume souverain des CONS

les rivalités sont redoutables.

Imaginez un concours

permettant aux CONs de rivaliser,

où celui qui remporterait la meilleure note

se verrait décerner le droit

de décimer tous ses CONcurrents !

Ne rêvons pas,

nous sommes tellement habitués

à évoluer dans un monde peuplé 

de ces preux énergumènes 

que ‒ pour un peu ‒ s’ils n’existaient plus

nous serions CONjointement 

COMplètement désorientés !

 

Cette seconde décennie du XXe siècle

a bien mal commencé. 

Nous sommes désormais CONfrontés 

à deux uniques injonctions de CONtagion

assassine :

  • devenir CON 
  • ou être covidé… 

Face à ce choix insensé et sans appel,

la poète ‒ à défaut d’autres maux ‒ 

n’ayant plus de tête ni de mots,

espère quant à elle

et ‒ sans grande CONviction ‒

être en mesure de pouvoir encore

se retirer à temps de la chagrine 

COMpétition… !


 

 

***


Pour citer ces poèmes humoristiques inédits

 

Monique-Marie Ihry, « Blanche colombe » & « Le permis de CONNERIE 3764 », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 13 février 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/mmi-blanchecolombe

 

 

 

 

 

Mise en page par David Simon

 

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11 février 2022 5 11 /02 /février /2022 13:47



Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier mineur | Articles & témoignages | Revue Matrimoine

 

 

 

 

 

 

 

 

Retrouver Rosemonde Gérard

 

 

 

 

 

 

 

Fanny de Rocquigny

 

Présidente de l'académie Internationale de Lutèce

 

 

 

 

 

Crédit photo : Eugène Pascau (1875-1944)"La robe à ramages. Mme Edmond Rostand" née Rosemonde Gérard (1866-1953), Wikimedia, domaine public. 

 

 

Cette conférence a, entre autres, été donnée au Sénat, Palais du Luxembourg, à Paris, dans le cadre de l’ALFOM (Académie Littéraire de France et d'Outre-Mer).

 

Le nom de Rosemonde Gérard est lié pour moi à un souvenir d’enfance, de poésies apprises et récitées au pied de la crèche vivante que nous, enfants, figurions, devant les flammes dansantes de la cheminée.

    Transportons-nous dans le temps pour faire revivre un autre souvenir. C’est l’hiver 2005-2006. J’opère des rangements dans notre maison de campagne héritée des parents. Les armoires recèlent des trésors : des manuels de classes enfantines, par exemple, sur le dessus de la pile, on avait soigneusement enveloppé mon livre de poésies en dixième. Je l’ouvre et c’est « Noël » de Rosemonde Gérard :

 

« Ainsi qu’ils le font chaque année

En papillote, les pieds nus

Devant la grande cheminée

Les bébés roses sont venus.

 

À minuit, chez les enfants sages,

Le joli Jésus, qu’à genoux

On adore sur les images,

Va les mains pleines de joujoux,

 

Du haut de son ciel bleu descendre,

Et de crainte d’être oubliés,

Les bébés roses dans la cendre,

Ont mis tous leurs petits souliers

 

Puis leurs paupières se sont closes

À l’ombre des rideaux amis…

Les bébés blonds les bébés roses

En riant se sont endormis….. »

 

Aux petits, les maîtres donnaient un poème de jeunesse : « Noël » appartient au premier recueil de poèmes de Rosemonde Gérard, « Les Pipeaux » publié en 1889, l’année de ses vingt-trois ans, qui obtiendra le prix de poésie Archon-Despérouses décerné par l’Académie Française.

 

D’autres vers me reviennent à l’esprit, très connus, l’évocation rêvée d’un vieux couple fidèle :

 

 

« Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille

Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,

Au mois de mai, dans le jardin qui s’ensoleille

Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants

Comme le renouveau mettra nos cœurs en fête

Nous nous croirons encor de jeunes amoureux

Et je te sourirai, tout en branlant la tête

Et nous ferons un couple adorable de vieux »

(…)

« Et comme chaque jour je t’aime davantage

Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain,

Qu’importeront alors les rides du visage

Mon amour se fera plus grave et plus serein »

 

Ces vers là viennent aussi des « Pipeaux » tirés de « L’éternelle chanson ».

Rosemonde Gérard, oui bien sûr, a été l’épouse d’Edmond Rostand, la mère de l’écrivain Maurice Rostand, et du biologiste Jean Rostand, académicien comme son père. Femme de lettres célèbre, auréolée de la gloire de son époux, elle lui a survécu longuement. Il me semble me rappeler aussi qu’elle a été assez moquée comme figure des lettres parisiennes aux côtés de son fils le poète Maurice Rostand, mais j’ai l’impression que l’on ne parle jamais d’eux. Comment me rafraîchir la mémoire ?

 

    Vite un dictionnaire pour vérifier les dates de Rosemonde Gérard. Rien dans le Petit Robert des Noms Propres (édition 1994).

Le Larousse Encyclopédique en deux volumes (édition 1993), mentionne Rosemonde Gérard à la rubrique « Edmond Rostand » comme son épouse, l’auteur des « Pipeaux » et « la mère de Maurice poète et Jean scientifique et philosophe ». La date de naissance fournie est inexacte 1871 (je vérifierai plus tard aux Archives de Paris qu’elle est née en 1866) celle de décès 1953 est exacte.

Un peu déçue par la bibliothèque familiale, je me dis que cela serait plus facile à Paris. J’aimerais bien lire du Rosemonde Gérard, elle a beaucoup écrit. INTERNET  annonce la sortie chez SÉGUIER en 2006 d’une biographie :    « Rosemonde Gérard, la fée d’Edmond Rostand » de Laurence Catinot-Crost (publié en juillet 2006) dans la collection Empreinte.

    Je ne savais pas que je me lançais dans une aventure, à la recherche d’un auteur disparu. J’ai affronté l’ignorance complète de tous les libraires, et de quelques bibliothécaires de moins de cinquante ans, leur expression perdue à l’énoncé du nom de Rosemonde Gérard.

Entre-temps un parcours du combattant dans les librairies et les marchés de vieux livres, la réserve centrale des bibliothèques municipales parisiennes, des commandes à l’aide d’INTERNET, m’ont permis de dénicher la plupart des ouvrages poétiques de Rosemonde Gérard et de les goûter. J’ai fouillé les biographies d’Edmond Rostand, remué un peu l’état civil de mes personnages, décidé de trouver moi-même les réponses aux questions que je me posais. J’espère un jour redessiner la silhouette effacée de Rosemonde Gérard. Pourquoi priver les jeunes générations de la lecture d’une poésie de qualité très accessible en sa fraîcheur et sa simplicité d’inspiration ? Pourquoi mutiler l’histoire littéraire en occultant une œuvre qui pendant des années a rencontré la sensibilité du public ? S’il m’arrive d’évoquer la poésie de Rosemonde Gérard, je rencontre souvent des sourires méprisants. On condamne sans appel (et probablement sans l’avoir lue) une poésie raffinée, qui se déploie avec aisance sur les chemins balisés de la métrique classique, toute de sentimentalité, sans prétention, sans message, une poésie de musicienne facile à mettre en musique (et cela a été largement fait, Cécile Chaminade, Tiarko Richepin, pour ne citer que quelques compositeurs).

 

Revisitant l’œuvre poétique de Rosemonde Gérard, j’ai été frappée par l’espacement dans le temps des deux premiers recueils. La publication des « Pipeaux » en 1889 n’a été suivie par celle de « l’Arc en ciel » qu’en 1926. Viendront ensuite les « Féeries » en 1933, « Rien que des chansons » en 1939, les « Muses françaises » en 1943. Qu’a fait Rosemonde Gérard entre 1889 et 1926 ? Du théâtre en collaboration avec son fils Maurice Rostand, la première publication d’« Un bon petit diable » (qui fut un grand succès) date de 1912. 1913 vit la création à l’Opéra Comique de la « Marchande d’allumettes » féerie musicale, toujours en collaboration avec Maurice Rostand, sur une musique de Tiarko Richepin. En 1925 c’est la « Robe d’un soir » pièce en 4 actes en vers qu’elle a signée seule. La « Robe d’un soir »sera suivie de nombreuses pièces de théâtre. Que signifie cette longue pause dans l’écriture poétique d’un écrivain si prometteur et dont le premier recueil les « Les Pipeaux » avait connu un succès durable, et qui une fois remise à l’écriture a beaucoup publié ?

 

    Il est toujours difficile de séparer l’œuvre de la vie d’un écrivain. L’histoire de Rosemonde Gérard ne fut pas banale et mérite que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour la qualité de l’environnement littéraire qui a été le sien dès l’enfance. Les circonstances de la venue au monde de Rosemonde Gérard restent assez mystérieuses. À la mairie du 8è arrondissement de paris, l’acte de naissance N°456 rédigé le 8 Avril 1866, déclare « Louise Rose Etiennette présentée et reconnue être du sexe féminin, née à Paris rue Tronchet 21, le cinq du courant à neuf heures du matin, fille de père et mère inconnus » une mention marginale du 7 Janvier 1868 précise que « Par acte reçu en cette mairie , le 6 Janvier 1868, Louis Maurice Fortuné Comte Gérard s’est reconnu le père de l’enfant enregistrée ci contre , N°456 ».

 

 

 

Crédit photo : Ernest Hébert (1817-1908), "Rosemonde Gérard", Wikimedia, domaine public.

 

 

 

Cette enfant naturelle a donc une ascendance paternelle illustre puisque le père qui la reconnaît est le fils du Maréchal Gérard. Maurice, Étienne Gérard (1773-1852) général en 1809, baron d’Empire, s’est distingué en 1812 en Russie, fut blessé à Leipzig, s’est rallié à Napoléon pendant les 100 jours, contribua à la victoire de Ligny, dut s’exiler, revient en France en 1817, élu député de Paris dans l’opposition libérale (1822-1827) participe aux journées révolutionnaires de 1830. Le roi Louis Philippe le fit Maréchal et ministre de la guerre en 1833, il fut nommé président du Conseil en 1834. Il avait épousé (vers 1816) à Bruxelles , Louise, Rose, Aimée de Timbrune de Valence (dite Rosemonde) petite fille de la fameuse Madame de Genlis, qui fut une femme de lettres célèbre et la préceptrice du futur roi Louis Philippe et aussi la maîtresse du duc d’Orléans, son père, Philippe Égalité.

Le père de notre Rosemonde, Louis Fortuné Gérard est né en 1819. Il fut soldat et s’arrêta au grade de colonel. Il mourut en 1880, ne s’étant jamais marié, il laissait les ¾ de sa fortune (considérable) à sa fille naturelle reconnue, la mineure Rosemonde Gérard (elle avait alors 14 ans). La tutelle dative fut attribuée à Louis Alexandre Comte Legrand par un conseil de famille dont faisait partie Alexandre Dumas fils et Leconte de Lisle (amis de Louis Fortuné).

    Rosemonde Gérard était fière de ses origines paternelles et a consacré un beau poème à sa grand mère Rosemonde de Valence, dont elle a volontairement adopté le surnom. À propos de son arrière-arrière-grand-mère la Comtesse de Genlis, elle écrira un livre en prose « La vie amoureuse de Madame de Genlis » 1926 Ernest Flammarion. Un livre haletant, débordant d’enthousiasme pour l’aïeule vénérée. Elle chérissait les quelques souvenirs hérités de « l’éblouissante Félicité » son petit bureau, sa harpe (qui lui a inspiré un ravissant poème dans « les Féeries » Fasquelle 1933).


 

LA HARPE DE MADAME DE GENLIS

 

« Comtesse aux yeux dorés, je l’ai toujours connue

Cette harpe ; elle était près de votre portrait,

Chez mon père ; et, déjà, sa langueur ingénue

Faisait un peu semblant de garder un secret.

 

Cette harpe, elle avait orchestrée votre vie ;

Et, confidente d’un roman cher et fatal,

Elle savait si votre fille Pulchérie,

Par les soins de l’amour, avait du sang royal ?

 

Cette harpe, elle avait, sur ses cordes légères,

Conservé tous les noms des danseurs éphémères

Qui vous environnaient d’un éternel désir ;

 

Et, quand on la regarde, on croit par fois entendre

Un arpège qui va, silencieux et tendre,

De vos premiers serments à vos derniers soupirs »


 

    Mais qui élevait la petite Louise Rose Étiennette cette enfant officiellement sans mère ? Elle vivait chez une Madame Lee, née Sylvie Perruche, qui se disait sa tutrice et qui était veuve de l’anglais William Lee, avait un salon littéraire réputé l’Hôtel du 107 boulevard Malesherbes.

 

    Sylvie Perruche (1833-1903) jurassienne, fille de Charles Édouard Perruche garde général des eaux et forêts en retraite et de Claudine Lacroix, est née à Ivory (arrondissement d’Arbois). Les poèmes de Rosemonde Gérard évoquent une jolie femme aux yeux bleus, à la magnifique chevelure, artiste douce et triste. Sylvie Perruche épousa le riche William Lee (de 38 ans son aîné, veuf d'Élisabeth Knigtstley). Le mariage de William Lee eut lieu le 25 mai 1861 à Paris 9e et reconnurent les deux fils qu’ils avaient eu précédemment, Edgar et Williams en 1858 et 1860. Pourquoi Sylvie Perruche, jeune fille de condition moyenne est-elle montée à Paris ? Williams Lee aurait contracté une maladie mentale, les époux ont dû probablement se séparer avant le décès de Williams Lee (dont j’ignore la date). Sylvie Lee vivait elle encore avec son époux, quand elle a conçu la petite Louise Rose Étiennette ?

    Si Sylvie Lee n’a jamais reconnu légalement sa fille Rosemonde Gérard et sur le faire part de son mariage avec Edmond Rostand (le 8 avril 1890), madame Lee parlait du mariage de Melle Rosemonde Gérard sa pupille, les contemporains se doutaient qu’elle était la véritable mère de la jeune fille. Plus tard Sylvie Lee s’est installée chez le jeune couple Rostand et elle était officiellement présentée comme la mère de la jeune femme. Rosemonde, fille très aimante, se souviendra de sa mère dans cinq poèmes émouvants des « Féeries ». De madame Lee, chez les Edmond Rostand, on s’accorde à dire que c’était une charmante vieille dame pieuse et discrète qui n’offrait absolument pas l’image d’une femme ayant pratiqué la galanterie. Cette généalogie compliquée renforcera chez Rosemonde, une disposition naturelle à primer les élans du cœur. La petite Rosemonde n’a pas été une orpheline maltraitée. Portraiturée de bonne heure, elle fut envoyée au couvent des dominicaines de Neuilly, où elle reçut une excellente éducation. Très douée pour la poésie, elle versifiait avec une grande facilité et sa joie de vivre s’exprimait avec enthousiasme. Dans le salon de madame Lee, elle rencontrait Alexandre Dumas fils, Leconte de Lisle à qui, dès l’âge de douze ans elle montrait ses productions. Lui l’emmenait réciter ses vers devant Heredia, Henri de Régnier, la pléiade des poètes du Luxembourg.

Leconte de Lisle, parrain de Rosemonde dédia à sa filleule ce quatrain flatteur :

 

« Vos vers que j’aime Rosemonde

Sont purs, mystérieux et doux

Rien de plus adorable au monde

Si ce n’est vous »

 

    Il disait à Jules Claretie : « Elle a beaucoup de talent, Rosemonde Gérard et ses airs de pipeaux ont de lointains airs de Mozart ». Jules Claretie était à la fois administrateur de la Comédie Française et un chroniqueur réputé. Jules Claretie disait lui-même « ses pipeaux sont un des volumes de vers que je rouvre avec le plus de plaisir quand je veux, par les temps de neige, sentir le parfum des lilas ».

Cette jeune fille brillante et fortunée prend des cours de musique avec Jules Massenet (qui sera son témoin de mariage), des cours de diction avec Maurice de Féraudy de la comédie française. Rosemonde aurait aimé être comédienne mais l’avenir pour elle c’est le mariage. Un prince charmant se profile à l’horizon. Elle a rencontré Edmond Rostand en vacances avec sa famille à Luchon (en 1886). De deux ans plus jeune qu’elle, ce marseillais a été envoyé faire des études à Paris par son père (le très sérieux Eugène Rostand, président de la Caisse d’Épargne de Marseille et de l’Académie de Marseille, poète à ses heures). Il commence des études de droit mais surtout écrit des vers et remporte dès 1887 le prix annuel du maréchal de Villars proposé par l’Académie de Marseille, sujet : « Deux romanciers de Provence, Honoré d’Urfé et Emile Zola ». Contre toute attente le jeune Edmond Rostand fit surtout l’éloge d’Honoré d’Urfé, ressuscitant « l’Astrée ».

    L’inclinaison naissante des deux jeunes gens tous deux passionnés de poésie, de théâtre (ils remportent des succès sur la scène en amateurs de qualité), est encouragée dès le début par les parents d’Edmond Rostand, convaincus que cette blonde beauté fera le bonheur de leur fils en lui apportant compréhension et équilibre sur le plan littéraire avec ses dons poétiques , sa joie de vivre et sa solide position financière.

    Madame Lee sera plus réservée craignant que le jeune homme ne soit surtout tenté par la fortune de Rosemonde et ses relations littéraires. De santé fragile, Edmond est souvent mélancolique. Sylvie Lee a freiné la décision tout en recevant aimablement à Paris Edmond Rostand qui liera amitié avec son futur beau frère William Lee. Tous deux écriront ensemble un vaudeville en prose « Le Gant rouge » qui sera joué à Paris quinze fois sans grand succès.

La correspondance abondante, hélas non datée, de nos deux fiancés retrace leur dialogue constant. Tous deux écrivent, et se consultent mutuellement. Pour Rosemonde, d’une nature heureuse et confiante, désireuse de partager ce bien être intérieur et l’émerveillement devant les choses les plus simples, écrire est un plaisir spontané. Edmond, extrêmement doué lui aussi, est beaucoup plus torturé. Il lui faut mener des études de droit avec succès pour tranquilliser sa famille marseillaise et en même temps s’attaquer à de nouvelles rédactions, la passion du théâtre le taraude. Rosemonde a très tôt adopté une attitude de soutien et de réconfort vis-à-vis d’un fiancé qui gémit beaucoup. On sent chez elle une force de caractère et un optimisme qui manquent cruellement à Edmond. À sa mère, Sylvie Lee, Rosemonde déclare « il sera un jour à l’Académie Française, j’en suis sûr … Il a un talent fou. Fou ! Fou ! ». Elle avait pressenti le génie d’Edmond. Elle gardera toujours son estime pour l’œuvre de l’écrivain, même une fois le couple défait. Elle aura l’élégance d’en dire toujours du bien. André Bourin dans son livre « Paroles d’écrivains » (publié à la Table Ronde en 2006) redonne le texte des « Nouvelles littéraires » du 31 Août 1950. Il rendait visite à Rosemonde Gérard, veuve d’Edmond Rostand dans le contexte de la reprise de l’Aiglon au Théâtre Sarah Bernhardt (on fêtait le cinquantenaire de la pièce). Je cite longuement cet entretien, en rappelant bien que Rosemonde Gérard est octogénaire quand elle évoque la première rencontre à Luchon.

 

« Nous nous montrâmes nos premiers vers, timidement. En sa présence j’eus soudain la révélation de ce qu’était l’intelligence »

 

On les jugea trop jeunes, l’un et l’autre, pour les marier tout de suite. Quatre années s’écoulèrent. Enfin la cérémonie eut lieu le 4 Avril 1890. Quelques mois auparavant Rosemonde Gérard avait publié « Les  Pipeaux ».

 

 

« Et ensuite ?

– Ensuite rien. Tant que mon mari a vécu, je n’ai pas écrit. J’étais auprès de lui tellement émerveillée que je n’aurai pu faire un seul vers. C’est seulement après sa mort, en 1918, que j’ai écrit d’autres poèmes….

– Et que vous avez composé un livre de souvenirs sur Edmond Rostand ?

– Oui, mais ce livre je ne le trouve pas bien, je l’ai fait parce que je devais le faire, parce que seule je le pouvais et que je savais qu’il l’attendait de moi. Mais j’aurais voulu qu’il soit beaucoup plus digne du poète de l’Aiglon.

– N’avez-vous jamais collaboré avec votre mari ?

– Collaboré, non. J’ai pu l’aider de mon amour, de certains conseils parfois, c’est  tout. J’ai eu un peu plus d’influence sur mon fils Maurice et encore ! Il est certains degrés de talent ou de génie qu’on ne peut pas aider et Edmond Rostand était de ceux-là. Il me racontait ses projets, il m’en entretenait longuement, il essayait sur moi en quelque sorte. Mais dans son travail créateur, il était seul… »

 

Quelle modestie, quand on sait l’immense aide apportée à son époux par Rosemonde Gérard pendant des années ! Fiancée, elle obtint que l’éditeur Lemerre (celui des Pipeaux) publiât le premier recueil de poèmes d’Edmond Rostand « les Musardises » (à compte d’auteur). Le livre sortira peu de temps après « Les Pipeaux » (début 1890) suscitant une critique verbale sévère de Leconte de Lisle, qui concédait à Edmond Rostand une « virtuosité incroyable », mais il était violemment choqué de ses audaces rythmiques. Dans « les Musardises », la section intitulée « le livre de l’Aimée », propose des vers dédiés à Rosemonde Gérard dont ceux-ci :

 

« Dessous sa grande ombrelle rose

Elle est toute rose. On dirait

Un peu d’une très pâle rose

Q’un soleil couchant rosirait

Un rayon qui descend tout rose

À travers le rose satin

Avive joliment son teint…

Et sa main blanche qui se pose

Sur le long manche de bambou,

Les petits cheveux de son cou,

Sa nuque blonde, tout est rose,

Mais d’un rose, d’un rose fou. »

 

    Pour la petite histoire, Edmond Rostand supprimera « Le livre de l’Aimée » dans la nouvelle édition des « Musardises » de 1911, le remplaçant par des poèmes de jeunesse. Mais j’anticipe, restons dans les années de l’amour heureux.


 

L’heure du mariage arrive enfin. Que dire de ce couple de poètes, sinon qu’ils portaient en eux la perspective d’un bonheur rare. Rosemonde très éprise était disposée à tout sacrifier pour promouvoir l’œuvre de son époux. Elle sera une mère très tendre pour leurs deux fils et une épouse incroyablement dévouée et patiente, réconfortant son neurasthénique d’époux, assurant les tracas administratifs, de leur gestion familiale. S’occupant de tout, elle lui évitait les soucis matériels, conservant les brouillons jetés ou reconstituant les vers déchirés, elle accueillait de bonne grâce les visiteurs et facilita les rencontres utiles à son époux, et savait faire respecter l’isolement et le silence qu’il exigeait  dans ses périodes de dépression.

C’est elle, Rosemonde, qui a écrit la première fois à Sarah Bernhardt pour lui demander un rendez-vous pour son mari (en 1894). Il s’y rendra seul pour parler à la grande comédienne de son projet de la Princesse Lointaine et ce sera le départ d’une grande amitié. Edmond Rostand qui connaîtra des triomphes éclatants avec Cyrano de Bergerac et l’Aiglon, et sa réception à l’Académie Française, était un timide et ne recherchait pas la vie mondaine. Leurs amis parisiens étaient Jules Renard, Jean Richepin, Catulle Mendés, le critique littéraire Lucien Mühlfeld. Sarah Bernhardt deviendra une très grande amie et une interprète illustre du théâtre des Rostand père et fils.

Revenons un instant à Cyrano pour rappeler les circonstances (très célèbres) de la création  de l’œuvre au Théâtre de la Porte Saint Martin que l’acteur Constant Coquelin loua à l’aide du commanditaire Floury dont l’apport fut grossi par les deux cent mille francs or que Rosemonde prit sur sa dot. Il y eut l’épisode  de la répétition des couturières où Maria Legault, l’interprète de Roxane se prétendit malade, que Rosemonde Gérard remplaça au pied levé connaissant le rôle par cœur (comme du reste la pièce entière) et s’en tira magnifiquement. La Première de Cyrano de Bergerac, le 27 décembre 1897, fut un triomphe et le ministre des Finances, Louis Cochery (qui représentait le Président Félix Faure) vint au 4° acte remettre à Edmond Rostand, ce poète de 29 ans, la croix de la Légion d’Honneur, devant son épouse et ses parents en larmes.

En 1935 dans son Edmond Rostand, Rosemonde Gérard évoquait l’originalité de Cyrano de Bergerac dans le paysage théâtral de cette fin du 19°siècle, où régnaient Emile Augier, adversaire avec son théâtre bourgeois du romantisme, Alexandre Dumas fils , dont je m’empresse de dire que j’admire l’œuvre théâtrale empreinte de force dramatique dans la satire de la Société, qu’il souhaite moraliser, réformer – le théâtre à thèse fait une guerre impitoyable à l’hypocrisie. Labiche, successeur de Scribe a produit des Vaudeville endiablés – c’est le théâtre de mouvement par excellence. Victorien Sardou (cf. Madame Sans Gêne a donné des pièces historiques d’une certaine qualité mais sans génie. Les contemporains et on pense bien sûr au metteur en scène André Antoine jouaient beaucoup les écrivains de l’Europe du Nord naturalistes Strindberg, Ibsen, Tolstoï, Hauptmann….. Le théâtre libre fondé en 1887 fut suivi en 1890 du Théâtre d’Art en réaction contre le théâtre naturaliste (avec Paul Fort pour fondateur). Le théâtre de l’œuvre avec Lugne Poe prendra la relève avec les symbolistes, mais donnons – nous le plaisir de lire Rosemonde Gérard.

 

EDMOND ROSTAND

Fasquelle Éditeurs 1935

 

Cyrano a été joué dans tous les pays, Cyrano a été traduit dans toutes les langues. Et, quand je dis dans toutes les langues, cela ne veut pas seulement dire dans la langue parlée dans chaque pays mais dans le langage que chacun parle dans son cœur. Cyrano a été traduit dans tous les cœurs…..

On y oubliait tout. On y trouvait tout. Et, comme dans la forêt de Chantecler, où le poète nous montre qu’il entend bien que la Bécasse elle-même ait le droit d’interpréter le chant du Rossignol, tandis que la plus petite midinette sentait son cœur se déchirer entre Christian si beau et Cyrano si intelligent , tous les pauvres soupirants de la terre , et même ceux auxquels un physique ingrat et grotesque interdisait le baiser , et même ceux dont le nez semblait un roc , un pic , un cap, ou une péninsule…tous pouvaient , interprétant le divin chef d’œuvre , le traduire, dans le secret de leur cœur , en langage éternel d’espoir !....

 

Depuis longtemps, on était mal à l’aise. On voguait, enveloppé des brouillards  d’une fade esthétique dont on ne s’échappait que pour se meurtrir sur des récifs de laideur réaliste. On en avait assez de ces mystères pleins de vide ; on en avait assez de voir des acteurs jouer de dos avec les mains dans leurs poches sous prétexte de vous rapprocher de la vraie terre …. On avait besoin de voir, de face, des yeux éclairés par un vrai ciel. Cyrano a redonné tout cela ! Ce diable d’homme qui, tout seul, va en combattre cent, et qui va ramasser l’écharpe blanche dans l’endroit le plus dangereux, et qui tient tête à tout le monde et même à son propre cœur ( puisqu’il sait vaincre son amour avec son sacrifice ) ; ce cœur inépuisable qui ne veut rien que toujours donner , et qui, ayant tant parlé d’amour pour un autre , se tait éternellement pour lui-même ; ce héros qui va toujours plus loin que la vie dans l’amour et dans la mort, nous redonna tout ce dont nous avions besoin, et , par un hasard providentiel, il nous le redonna au moment juste où nous en avions besoin. Et, comme chacun l’écoutait avec                                     son cœur, chacun sut bientôt par cœur tous les mots qu’il disait….    

 

       

Au mois de mars 1900, quelques jours après la première de l’Aiglon (le 15 mars 1900 au théâtre Sarah Bernhardt), Edmond Rostand souffre d’une grave pleurésie qui le maintiendra au lit un mois entre la vie et la mort. Rosemonde le soigna, le jour comme la nuit avec un grand dévouement. Le Professeur GRANCHER envoya Edmond se reposer au Pays basque, à Cambo. Rosemonde commença d’abord par louer la villa ETCHEGORRIA. Edmond s’attachera à CAMBO et y fera construire, de 1903 à 1906, une magnifique villa ARNAGA.

 

Le 30 mai 1901, Edmond Rostand était élu à l’Académie Française au fauteuil d’Henri de BORNIER (poète et dramaturge patriote). Paul Hervieu et Rosemonde Gérard ne ménagèrent pas leurs démarches et visites.

La réception à l’Académie Française d’Edmond Rostand ne se ferait qu’en 1903 (le 4 juin).

L’année 1903 se termina avec la mort de Madame Lee, le 11 novembre, laissant sa fille Rosemonde inconsolable. Edmond se met à l’écriture de Chanteclerc, tout en surveillant minutieusement les travaux d’Arnaga, demeure bâtie apparemment pour les grandes réceptions qui furent assez peu nombreuses. Pourtant le manuscrit de Chanteclerc est enfin terminé. Son écriture fut interminable. Début 1906, la famille Rostand s’installe à Arnaga. Je cite Pierre ESPIL : « la maison du bonheur était prête mais le bonheur serait il au rendez vous ». Rosemonde était délaissée, trompée par son mari. Elle ne l’ignorait pas. Donnons la parole encore à Pierre ESPIL : « il faut dire à sa décharge que depuis qu’il était immortel, Rostand était littéralement poursuivi, traqué par des admiratrices dont certaines avaient toutes les audaces…….

Il était cependant un domaine où Rosemonde s’avérait aussi irremplaçable qu’indispensable : c’était celui du travail poétique. Son mari avait pris l’habitude de n’écrire qu’à son ombre et sur ce plan, il n’avait confiance qu’en elle. Edmond et Rosemonde déambulaient  de compagnie dans le parc, en improvisant de grandes tirades d’alexandrins avec force gestes romantiques. Rosemonde notait au vol ce premier jet que le poète reprenait par la suite, et auquel il imprimait une forme définitive. Cela dans les bons jours, quand Rostand parvenait à secouer son asthénie et le découragement où il se sentait sombrer.S

Henry Bordeaux de passage à Arnaga en 1908 (suivi de près par Pierre Loti) trouve Rostand en dépression. Pourtant le manuscrit de Chanteclerc est enfin terminé.

 1909 les répétitions commencent. Hélas le fameux acteur, Coquelin, quitte cette terre et sera remplacé par Lucien Guitry qui n’aura pas la même vivacité dans le jeu.

C’est au milieu des inondations parisiennes de 1910, le 7 février, qu’est enfin créé Chanteclerc devant une salle archicomble, c’est une représentation tapageuse où la scène des crapauds est sifflée. On dit que pendant le spectacle Edmond et Rosemonde se sont éclipsés sous les combles et là ils ont eu une scène d’explication pour constater la détérioration de leur ménage. Edmond reconnaît ses infidélités Rosemonde est lasse. Il n’est pas question de divorce mais ils mèneront maintenant une vie indépendante.

Chanteclerc est un demi succès, mais Edmond Rostand reste un phare de la vie parisienne, les invitations redoublent pour les Rostand. Edmond  Rostand est recherché par les politiques : Armand Fallières, Joseph Caillaud, Louis Barthou, Poincaré, Clemenceau, Gaston Calmette. Edmond et Rosemonde vont chez Etienne de Beaumont ou aux réceptions de d’Elisabeth de Clermont-Tonnerre. Edmont fait la connaissance d’Anna de Noailles qui promet une visite à Arnaga.

Au printemps 1910 Edmond Rostand retourne à Cambo avec Jean. Rosemonde et Maurice restent à Paris pour des tractations avec le Théâtre du Gymnase pour faire jouer « Un Bon Petit Diable » féerie en vers écrite avec Maurice. C’est Fasquelle qui publiera la pièce comme le premier recueil de vers de Maurice « Poèmes ». Le Bon Petit Diable, crée au Gymnase le 22 décembre 1911, est très bien accueilli et joué pendant plus d’un mois. La précoce renommée de Maurice lui attirait beaucoup de jalousies reportant sur lui l’envie que déchaînait la gloire de son père.

Tiarko Richepin, un des fils de Jean Richepin, faisait son service militaire à Bayonne. Les Rostand l’invitèrent à l’Arnaga. Gai, séduisant, et excellent musicien il apportait un souffle de jeunesse à Arnaga. Rosemonde se remet à la musique sur le piano offert par Massenet et succombe au charme de ce beau garçon. C’est le début d’une liaison qui devait durer longuement. Rosemonde est toujours très belle. Tiarko Richepin qui a 20 ans de moins qu’elle, l’a certainement aimée, même si cette liaison lui apportait aussi des avantages profitables pour sa carrière. « l’Arc en Ciel » recueil de 1926 publié chez Fasquelle résonne des échos de cette passion de l’âge mûr.



 

L’HEURE QU’IL EST

 

Tu dis : «  Quelle heure est-il,….. » et, d’un cri amoureux,

Je répondis : « Mais il est l’heure que tu veux.

L’heure que tu voulais sera celle qui sonne ! »

Alors, tu t’écrias : «  O trop tendre Personne,

Je ne marque pas l’heure avec ma volonté.

Qu’elle heure est-il ?…

-J’ai répondu la vérité :

Puisque, lorsque tu dors, c’est la nuit éternelle ;

Puisque, lorsque tu veux qu’un beau jour ait des ailes,

On s’aperçoit soudain qu’on est au lendemain ;

Puisque, parfois, tu n’as qu’à me presser la main,

Pour verser l’infini dans uns humble seconde ;

Puisque, lorsque tu pars, je sens trembler le monde ;

Puisque, quand tu reviens de n’importe où, j’entends

Même au cœur de l’hiver tous les cœurs du printemps ;

Puisque, si tu le veux, je souris et  je pleure ;

Et, puisque brusquement ce ne serait plus l’heure

Que de mourir si tu me refusais tes bras,-

Il est donc, tu vois bien, l’heure que tu voudras ! »



 

Rosemonde s’était remise à l’écriture avec le Bon Petit Diable, elle poursuivit avec la Marchande d’Allumettes (qu’elle avait aussi écrite avec son fils Maurice Rostand). Elle demanda à Tiarko Richepin de mettre en musique le drame poétique qui sera créé à l’Opéra Comique en 1913. Le bonheur transpire mais Edmond fait comme s’il ne s’apercevait de rien, Maurice dans le secret approuve sa mère. Il l’adorait. À l’époque des représentations de Chanteclerc et d’un Bon Petit Diable il s’est fait un nouvel ami Jean Cocteau (qu’il amènera bien sûr en visite au Pays Basque) avec lequel il a fondé une revue Schéhérazade. Hélas Jean Cocteau allait lui créer des problèmes en organisant une soirée libertine à Arnaga en l’absence des parents (c’est Pierre Espil qui raconte cette anecdote). Hélas des commérages entraînèrent une plainte déposée à la gendarmerie d’Espelette qui fut très gênée d’enquêter à Arnaga. Edmond Rostand très surpris de cette affaire, obtint facilement que l’on l’étouffe. En revanche il eut une dispute mémorable avec Maurice qui, chevaleresque, ne voulut pas charger Jean Cocteau et rompre avec lui comme son père le lui demandait. Dans cette histoire, Jean Cocteau perdit une préface d’Edmond Rostand qui aurait pu patronner son livre de vers La danse de Sophocle. Plus grave encore, Edmond et Maurice s’éloignaient l’un de l’autre encore bien davantage.

    La guerre n’arrangea en rien les rapports familiaux. Edmond Rostand avait souhaité s’engager. Rosemonde s’était débrouillée pour faire réformer ses fils, elle aurait voulu obtenir la même chose pour Tiako Richepin et, grâce à ses relations, avait réussi à le faire verser dans le service auxiliaire à Biarritz.

Jean Richepin vint à Cambo faire une scène épouvantable refusant que son fils soit « embusqué » et le sermonnant au sujet de « cette captieuse Dalila qui aurait pu être sa mère ». Edmond Rostand au début du conflit avait voulu rester à Paris. Louis Barthou lui conseilla de retourner à Cambo avec tous les siens. Deux automobiles s’ébranlaient vers Cambo, Edmond, Rosemonde et leurs deux fils, dans l’autre Anna de Noailles, son fils Anne-Jules, sa mère la Princesse de Brancovan et un vieux maître d’hôtel. Voyage difficile, Anna toujours exaltée, se fait prendre pour une espionne. Edmond trouve un téléphone pour demander à la préfecture de libérer la poétesse.

 

 

Crédit photo : Rosemonde Gérard travaillant, Wikimedia, domaine public.

 

 

 

    Anna de Noailles écrit des poèmes à Arnaga qui seront publiés un jour dans « les Forces Eternelles ». Elle accompagne Rostand à l’hôpital de Larresorre pour des visites aux blessés, pour les illettrés il rédige leur courrier. Rosemonde est aussi infirmière à Larressore aux côtés de Madame Louis Barthou. Maurice et Jean écrivent dans l’ombre des poèmes pacifistes.

    Le 22 janvier 1915, Edmond et Rosemonde se rendent à Marseille aux obsèques d’Eugène Rostand, père d’Edmond que préside leur oncle Alexis Rostand, frère du défunt. Il regarde au dessert le journal local et le passe à Rosemonde qui est sa voisine de droite. « Le fils de M. Jean Richepin de l’Académie Française, a été transporté dans une ambulance à l’arrière ». Rosemonde a un malaise. Elle sort de table et va se reposer dans une chambre, pour revenir quelques instants plus tard avec sa valise et quitter la maison mortuaire. L’affront est public, c’est grave, pour la belle famille de Rosemonde. Elle s’est sabordée ce jour-là.

    C’est en février 1915 que Sarah Bernhardt a été amputée d’une jambe. Elle viendra faire une visite à Arnaga. La réception fut très gaie, Sarah étant plus pétulante et vaillante que jamais. Malgré son amputation elle ne vivait que pour la scène. Elle demanda une pièce à Maurice Rostand, il écrivit pour elle « La Gloire », qu’elle créa.

    Edmond Rostand avait alors une dernière maîtresse, Mary Marquet que lui avait présentée la grande Sarah Bernhardt. Mary Marquet devait reprendre le rôle du duc de Reichstadt dans l’Aiglon, ce qui irrita Sarah Bernhardt. Mary Marquet est auprès de lui le 11 novembre 1918 à Paris, en plein délire. Quelques jours plus tard il s’alite, c’est la grippe espagnole. Près de son lit de mort Mary Marquet, Rosemonde et ses deux fils, Madame Simone la comédienne, l’abbé Mugnier que son avant dernière maîtresse Anna de Noailles lui a dépêché. Il meurt le 2 Décembre 1918. C’est à Rosemonde Gérard et à ses fils que les condoléances furent envoyées de souverains et des Chefs d’États.

    Rosemonde, veuve, allait vivre de longues années à Paris avec son fils Maurice et mener une existence d’une femme de lettres pour laquelle elle était faite. Accumulant les publications et les conférences elle a tenu un salon littéraire où elle réunissait la baronne de Pierrebourg, le poète François Porché, Tristan Bernard, Anna de Noailles, la princesse Lucien Murat, Fernand Grégh, Jacques Chardonne, Charles du Bos, Paul Valéry, Henri Bataille, Paul Claudel, Jean Giraudoux, plus tard Colette, Léon-Paul Fargue…Elle écrit du théâtre, siège dans le jury du prix Femina. Elle est quelquefois sur la scène en temps que comédienne. Elle est surtout revenue à sa vocation première de poète. Avec son fils Maurice, on la rencontre toujours très soignée, chapeau à voilette avec un oiseau bleu qui le décore. Maurice est aussi maquillé et d’une élégance vestimentaire un peu étrange.

    Si c’est une pièce de Rostand, il ne faut pas s’asseoir à côté d’elle. Elle la récite par cœur en même temps que les acteurs. Rosemonde Gérard meurt le 8 juillet 1953. Elle est inhumée au cimetière de Passy à Paris.

 

© F. de RÉlément figure

 

***

 

Pour citer ce témoignage inédit 

 

Fanny de Rocquigny, «  Retrouver Rosemonde Gérard », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 11 février 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/fdr-rosemondegerard

 

 

 

 

 

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Épitaphe pour nos sœurs

 

 

 

&

 

 

 

Le chœur des femmes

 

 

 

 

 

 

 

 

Textes & photographie par

 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

 

© Crédit photo : Françoise Urban-Menninger, "Rose", image prise dans le jardin de la poète féministe & engagée. 

 

 

 

Ces poèmes s'accompagnent de l'image d'une rose prise dans mon jardin...

N'oublions pas nos sœurs victimes de féminicides en ce début d'année, il ne faut pas que ces meurtres deviennent des faits divers !

 

Épitaphe pour nos sœurs


 

 

elles s'appelaient Jacqueline

Alexandrine Sabrina ou Roseline

elles tenaient leur main serrée

sur leur cœur qui palpitait comme un oiseau

 

 

 

la peur se lisait dans leurs yeux

leurs corps marbrés signaient leur douleur

aujourd'hui on ne les entend plus

ce sont nos sœurs disparues

 

 

 

elles ont quitté cette nuit

qui dévorait leur âme et leur esprit

il ne nous reste que leurs cris

à mettre en épitaphe

 

 

 

sur une tombe parmi les fleurs

pour ne pas oublier leur souffrance

qui nous traverse sous la peau des mots

et s'inscrit dans la chair du poème*

 

* Ce poème élégiaque & féministe est paru dans le calendrier féministe de 2021.

 

 

 

 

Le chœur des femmes

 

 

 

le chœur des femmes

fait corps dans le ventre de la terre

où brûlent encore les bûchers des suppliciées

condamnées pour sorcellerie


 

 

le chœur des femmes

reprend leurs cris

dans celle longue nuit d'agonie

qui traverse nos écrits


 

le chœur des femmes

fait corps avec toutes celles

qui aujourd'hui se consument

sur les bûchers de l'obscurantisme


 

 

mais le chœur des femmes

est aussi un corps de lumière

qui éclaire chacune d'entre nous

dans le vif-argent de notre esprit

 

 

© F. Urban-Menninger

 

 

***

 

Pour citer ces poèmes élégiaques & féministes

 

Françoise Urban-Menninger (poétextes & photographie par), « Épitaphe pour nos sœurs » & « Le chœur des femmes », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Festival de Poésies Féministes 2021 | « Cinquante poèmes féministes » recueil collectif paru en 2021 aux éditions PAN DES MUSES DE LA SIÉFÉGP & Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 9 février 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/concoursfeministes/ns2022/fum-epitaphe

 

 

 

 

Mise en page par David Simon

Dernière mise à jour le 11 février 2022. 

 

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