Le réveil-Matin
Musique de Paul Henrion
I
Ma vieille tante Gribiche,
En fermant les yeux,
Ne laissa, n'étant pas riche,
Rien de précieux.
Hier on fit le partage
Du pauvre butin,
Et j'eus, pour tout héritage,
Son réveil-matin.
II
Or, cette Samaritaine
Vient mal à propos ;
Il faut à ma soixantaine
Beaucoup de repos ;
Pour que le sommeil m'abrège
Un triste chemin,
Voyons, à qui donnerai-je
Mon réveil-matin ?
III
Ce petit clerc de notaire
Que je vois là-haut
A, dit-on, beaucoup à faire,
C'est ce qu'il lui faut ;
Mais il lorgne la voisine,
Brune à l'œil mutin,
Qui lui tient lieu, j'imagine,
De réveil-matin.
IV
Ce monsieur, qui n'a ni rentes
Ni profession,
Suit les modes délirantes
De la fashion ;
Dans son logis que tapisse
Velours ou satin,
Les créanciers font l'office
De réveil-matin.
V
Cet autre, à l'œil de vipère,
Oui loge au grenier,
N'est bon époux ni bon père,
Il est usurier.
Au jour l'écho me rejette
Un son argentin,
Cet homme a dans sa cassette
Son réveil-matin.
VI
Voici la douce Marie
Dont le père est mort,
La pauvre enfant pleure, prie,
Soupire et s'endort ;
Orpheline, elle est sans armes
Contre le destin ;
Ne donnons pas à ses larmes
Un réveil-matin.
VII
Plus bas, quelle joie éclate ?
Bon, J'ai deviné,
L'heureux ménage d'Agathe
Compte un premier-né.
Dieu, quand il met sur la terre
L'ange ou le lutin,
Attache au cœur de la mère
Un réveil-matin.
VIII
Triste ou gai, dans cette vie,
Chacun a le sien,
Et personne, je parie,
Ne voudra du mien.
Si l'on me fait cette niche
J'irai, c'est certain,
Rendre à ma tante Gribiche
Son réveil-matin.
Appartements à louer
Vous, dont l'esprit tant soit peu satirique
Est à l'affût de nouveaux aliments,
Pour crayonner plus d'un tableau comique,
Amusez-vous à voir des logements.
Vous surprendrez Céline à sa toilette,
Ayant sur elle un peu moins qu'un peignoir ;
Plus loin Sainval à gants blancs et lorgnette,
Prêt à dîner avec un radis noir.
Que de tableaux je peindrais sans médire !
Car je vois tout, et j'ai, par ce moyen,
Presque toujours d'amples sujets de rire,
Et le plaisir de m'amuser pour rien.
Maint écriteau m'offre sur ses deux faces,
Pour occuper mon œil observateur :
Appartement et cave orné de glaces.
Que n'orne-t-on l'esprit du rédacteur ?
Le nez au vent, comme en entrant au Louvre,
Je veux d'abord m'adresser au portier :
Où donc est-il ? Enfin, je le découvre
Dans l'antre obscur que masque l'escalier.
Du vasistas, par où l'on vous épie,
Sort une odeur de chou, de cuir et d'ail.
Là, femme, enfants, chien, chat, lapins et pie,
Sont confondus dans le même bercail.
Un vieil argus, de l'œil dont il dispose,
Trace un béquet, lorgne entrer et sortir,
Chantant du nez : « Tu n'auras pas ma rose. »
Ce n'est pas moi qui voudrais la flétrir.
Bref, nous montons ; j'entre au premier étages ;
Là, que d'apprêts ! quel chaos sans égal !
Un vieux rentier, grotesque personnage,
Donne aujourd'hui festin, concert et bal.
Sur chaque meuble on dépose à la hâte
Fleurs, fruits, rubans, pâtés, filets de bœuf ;
L'amphitryon, que cet exemple gâte,
Sur un melon pose un faux toupet neuf.
Moins bien logé qu'au Colisée à Rome,
Dans un salon qu'on traverse en dix pas,
Les conviés seront à l'aise comme
Des hannetons entassés dans un bas.
En pénétrant dans la pièce voisine,
Nous dérangeons la dame du logis.
Elle est coquette et fait, à la sourdine,
En brun foncé teindre ses cheveux gris.
Sèche et pincée, à côté de sa mère,
Évélina, qui se croit un Rembrandt,
Veut terminer le portrait de son père :
C'est bien plutôt celui du Juif-Errant.
Allons, Oscar, soyez donc raisonnable,
Dit le papa, grave comme un bedeau,
À son bambin qui, grimpé sur la table,
A grignoté déjà plus d'un gâteau.
À la cuisine on embroche, on fricasse ;
Pour s'illustrer, Babet, en un clin d'œil,
Fait des sirops avec de la mélasse
Et des sandwichs d'un reste de chevreuil.
En traversant la chambre de la bonne,
Je vois par terre un bouton en métal ;
Le coq gaulais m'apprend que la friponne
A du penchant pour un municipal.
Je sais aussi du portier, qui babille,
Que le papa, sans doter peu d'attraits,
Voudrait trouver un mari pour sa fille ;
Mais le brave homme en sera pour ses frais.
Bien des pardons, dis-je avec politesse,
En saluant ces sots prétentieux,
Qui m'ont fourni, chacun dans son espèce,
Quelques quatrains aussi stupides qu'eux.