30 mars 2022 3 30 /03 /mars /2022 17:40


Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier mineur | Florilège

 

 

 

 

 

 

 

 

A bé cé dé dée…

 

 

 

 

 

 

 

Chantal Robillard

 

Art. Wikipédia​​​​​​

 

 

 

 

Crédit photo :  Capture de l'image de la femme-fleur ou une allégorie de la fleur "Pensée" Grandville Fleurs, image libre de droits. 

 

A bé cé dé dée…



 

Aigle audacieux, autrement dit Andrée ROBILLARD, ma mère, est née et décédée à Langeac dans sa maison.

 

Brunoy est une ville où elle habita une dizaine d’années, sur la route de Brie, face au bois de La Grange.

 

Camille était le prénom de sa mère, Chantal celui qu’elle me donna.

 

Dédée était son diminutif, qu’elle utilisait plutôt qu’Andrée.

 

« Ensemble nous avons marché »… souvent, sur les chemins entourant Langeac.

 

Fruits et fromages elle appréciait, bien frais.

 

Guider le fil pour piquer sur sa machine à coudre était un de ses plaisirs.

 

Hubert SIOZADE, son père, jouait du banjo ; elle apprit le violon mais n’aimait pas le pratiquer.

 

Ile d’Amour, Langeac : nous y allions souvent en promenade ; cet été encore y avions fait plusieurs escapades et bu des rafraîchissements, sous les ombrages.

 

Juan-les-Pins la voyait revenir en juin ou en septembre ; en février 2006, pour ma convalescence, nous y étions encore et allions de banc en banc sur le bord de mer.

 

Kayaks et canoës se pratiquaient à Duingt, à Oye-et-Pallet, certaines de nos colonies de vacances SNCF, où elle travaillait parfois comme intendante.

 

Langeac était son port d’attache : sa sécurité, son lieu d’enfance et de jeunesse, puis de retraite après de longues années à Paris.

 

Mère elle fut trois fois et eut la douleur de perdre son plus jeune enfant en 2000.

 

Nice est la ville où nous allions faire des courses ou retrouver ses parents à « la Californie » ; elle tint à venir m’y chercher à l’aéroport, puis me raccompagner, en ce premier trimestre 2006, avec Papa.

 

Opérée après un cancer du sein à 40 ans, elle resta fragile du côté droit, que les rayons cobalt avaient bombardé.

 

Pra-Loup lui apportait, l’hiver, le soleil qui lui manquait tant chaque fin d’automne ; ce fut là qu’elle apprit à pratiquer le ski, la quarantaine passée.



 

Qui me faisait de jolies robes fleuries et à plis, dans mon enfance et mon adolescence ?

 

Rouge, orange, vert vif, turquoise, étaient ses couleurs préférées.

 

Scrabble, jeux, mots croisés, mots fléchés, jeux de mots et calembours, tout ce qui jouait avec la langue lui était bonheur. C’est de famille !

 

Tirer l’aiguille, coudre, ravauder, repriser, arranger des vêtements pour les rendre plus élégants, mieux « tombants » : je l’aurai souvent vue un fil en main, qu’elle coupait avec ses dents, un tissu glissant sur les genoux, son dé au doigt, ma Dédée.

 

Uruguay, Brésil, Pérou, Colombie, Amériques ou encore Antilles, Egypte, Chine, Vietnam, Cambodge, Laos et tant d’autres pays… elle aura beaucoup voyagé, passée la soixantaine. Auparavant, ses étés étaient consacrés aux colonies de vacances.

 

Visiter, voyager, donc, mais aussi… valser ! et surtout danser la « valse à l’envers », avec son cher Serge.

 

Wagons de voyageurs, ou de marchandises, les trains auront rythmé sa vie depuis toujours; elle m’a souvent raconté que dans son adolescence elle lavait à s’en user les mains les « bleus de travail » tout noirs de son père cheminot.

 

Xylophone, claviers, tambours, elle aimait les percussions ; et, bien sûr, l’accordéon joué par son frère Raymond SIOZADE, dont elle était fière.

 

Yaourts et soupes de légumes furent ses menus, chichement avalés, des dernières semaines. Mais ce 31 décembre 2006, peu avant de tomber en sommeil, elle dégusta 10 huîtres de bon appétit, et du gigot, suivi d’une part de bûche aux myrtilles. Un beau dernier repas !

 

Zébrées, rayées, à pois, mais toujours colorées, ses tenues étaient toujours très « classe », ses chaussures, sacs, foulards, colliers, assortis ; elle avait ce côté chic des de Vergezac, auprès desquels elle va désormais reposer.

 

 

© Chantal ROBILLARD, 08-01-2007.

 

 

***

 

Pour citer ce poème élégiaque inédit
 

Chantal Robillard, « A bé cé dé dée… », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 30 mars 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/cr-abecededee

 

 

 

Mise en page par Aude 

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13 février 2022 7 13 /02 /février /2022 15:25



Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Florilège / Poésie érotique (pour le premier poème) 

 

 

 

 

 

 

 

Blanche colombe

 

 

&

 

 

Le permis de CONNERIE 3764 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monique-Marie Ihry

 

Site & blog officiels : https://www.ihry.fr & http://www.aujardindesmots.unblog.fr

 

 

 

​​​​​​​​​​​Crédit photo : Delmira Agustini, "Frangipanier blanc - Îlets Pigeon", domaine public, Wikimedia. 

​​​​

 

Blanche colombe

 

 




 

Je décidai un jour de goûter enfin au plaisir inédit.

Logée dans les tréfonds du satin de l’alcôve,

abandonnant mon âme au désir d’un grand fauve,

je me laissai aller au délice interdit…

Le bellâtre m’enseigna d’emblée sur un ton érudit

comment me prosterner devant son crâne chauve…

Son sexe n’était plus en fait qu’une chagrine guimauve.

Ô, enfer, damnation ! On me l’avait pourtant prédit.

J’avais tant rêvé de lui, en vain j’espérais son amour,

or, il n’était qu’un dandy fort et petit,

de surcroît sans humour,

sur le carrefour encombré du grand âge.

Il était bien plus âgé que moi,

‒ jeune et blanche colombe ‒

blonde ingénue,

désespérément nue,

sage,

blottie dans son émoi

dans l’alcôve prisonnière

d’un cortège insensé de pédantes chimères.

Il insista pourtant, m’agrippant par la main,

me promit un miracle, un divin lendemain

avant de s’en aller pour toujours 

me dit-il suppliant, 

dans la tombe… 

!

 

 

 

​​​​​Crédit photo : "Pigeon paon blanc", domaine public, Wikimedia. 

​​​​

 

 

 

Le permis de CONNERIE 3764  



 

Pas besoin de permis pour devenir CON,

on ne naît pas CON, on le devient.

 

Question 1 : le devient-on par mimétisme ?

Sans doute. Ce virus étant très contagieux,

il conviendrait d’éviter 

de fréquenter de trop près la bêtise !

Tout compte fait, le mot « bêtise » 

est trop puéril à mon gré,

je n’emploierai dorénavant d’autre substantif 

que celui de « CON » ou sa déclinaison « CONNERIE »

(en majuscule de surcroît, et bien évidemment).

 

Question 2 : Un CON peut-il être gratifié d’amateurisme ?

À cela je répondrai catégoriquement : « Non. » : 

quand on est CON on l’est tout à fait,

à des degrés différents, il est vrai

− encore que – lorsque le mal est fait

les limites sont très incertaines

et tendent vers l’infini de l’incommensurable…

L’idéal serait de repérer ces individus très rapidement

afin de ne pas tomber dans leurs griffes assassines,

ce qui est en l’occurrence

une tâche d’envergure promettant

bien des échecs.

 

La vie est ainsi faite,

certains sont des êtres bons 

et bien d’autres infects,

à nous de faire au mieux

dans cette grande jungle suspecte

des humains…

Quand on est CON, on le reste,

c’est certain… !

 

Question 3 : Est-il de bon ton d’être CON ?

Voilà une question,

plutôt CON, je l’avoue

m’autorisant à me demander

si la CONNERIE serait ‒ elle aussi ‒

un virus très CONtagieux…

Il semblerait qu’en cette période difficile,

il vaudrait mieux être CON que covidé !

 

Depuis toujours, le monde a ses travers.

Aujourd’hui, les hommes 

ont leurs défenses à l’envers,

c’est l’enfer dans la tête du poète, 

même un troisième rappel de vaccin

ne dispense pas du Covid,

et on n’a même pas encore inventé

un vaccin nous préservant de la CONNERIE !

 

Pas besoin de permis pour être CON,

pas besoin d’autorisation pour être covidé,

quand on est CON, on le reste,

quand on est rattrapé par le Covid 

on fait ce qu’on peut pour s’en débarrasser 

sans séquelles…

Les CONS sont fiers de l’être et le restent,

les covidés espèrent rester vivants.

La CONNERIE quant à elle est immuable

et transmissible,

les CONS sont malsains et incurables,

que dire de plus sinon : « Évitons-les ! »

(dans la mesure du possible).

 

La CONNERIE n’est que trop contagieuse,

au royaume souverain des CONS

les rivalités sont redoutables.

Imaginez un concours

permettant aux CONs de rivaliser,

où celui qui remporterait la meilleure note

se verrait décerner le droit

de décimer tous ses CONcurrents !

Ne rêvons pas,

nous sommes tellement habitués

à évoluer dans un monde peuplé 

de ces preux énergumènes 

que ‒ pour un peu ‒ s’ils n’existaient plus

nous serions CONjointement 

COMplètement désorientés !

 

Cette seconde décennie du XXe siècle

a bien mal commencé. 

Nous sommes désormais CONfrontés 

à deux uniques injonctions de CONtagion

assassine :

  • devenir CON 
  • ou être covidé… 

Face à ce choix insensé et sans appel,

la poète ‒ à défaut d’autres maux ‒ 

n’ayant plus de tête ni de mots,

espère quant à elle

et ‒ sans grande CONviction ‒

être en mesure de pouvoir encore

se retirer à temps de la chagrine 

COMpétition… !


 

 

***


Pour citer ces poèmes humoristiques inédits

 

Monique-Marie Ihry, « Blanche colombe » & « Le permis de CONNERIE 3764 », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 13 février 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/mmi-blanchecolombe

 

 

 

 

 

Mise en page par David Simon

 

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4 février 2022 5 04 /02 /février /2022 17:34

 

Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Florilège

 

 

 

 

 

 

 

 

Quatre poèmes de distancias & 

 

Ova Completa

 

 

 

 

 

 Textes de la poétesse & photographe avant-gardiste argentine

 

Susana Thénon (1935-1991)

 

 

Traduction par

Blanche Turck

Université de Bordeaux

 

Illustration par

 

Mégane Julsonnet

 

 

 

 

© Crédit photo :  Illustration  réalisée par Mégane Julsonnet. 

 

 

Il s'agit d'un florilège de quatre poèmes traduits qui expérimentent différentes formes d'humour...

 

 

 

31. poème avorté dans une administration publique


 

 

 

tôt          tôt

ma          nie          ma

main          umanien

par ici

première porte

à droite s’il vous plait

tirez poussez

il n’y est pas il est parti non

pas autant à droite s’il vous plaiiitt

ou il se sera trompé de        AIIITT

savian          dolive

oui ?           aussilo          in          que  s’il vous plait ?

sa          vian        delà-bas après les escaliers

oui ?          tard        tôt          togo           il est introuvable

vous voyez ? il n’est pas là          je voulais

sommité           tré revenez demain pas

plus           ma          nie        tôt

plait-il ?

RIENH



 

Traduction de la distance n°31 d’après Susana Thénon, La Morada imposible, distancias (1983), « 31 », Tomo I [recueil non-traduit en français], Buenos Aires, Argentine, Ediciones Corregidor, 2001, 294 p.








OVA COMPLETA*

 

 

Philosophie signifie « viol d’un être vivant ».

Le mot vient du grec philoso, « très coupant »,

et de fie, 3e personne du verbe fier, qui signifie

« faire confiance » mais également « prêter sans frais ad referendum ».

Cette activité est pratiquée par les dénommés friends

ou « Confrérie des Souriants »,

les garants – bien entendu –,

ceux qui sont vraiment aux manettes et ceux qui pensent l’être

au sein de la colossale mosquée de Si-Seulement.

 

Une fois la philosophie partie en fumée,

se présentent par ordre d’apparition : 

 

le vendeur de tacos le commissaire le procureur

le médecin légiste l’avocat de service le reporter photo

le secret de l’instruction Max Scheler une famille voisine

un psychiatre deux gardiens

 

Au fond, on trouve encore : 

 

1 cul-de-jatte 1 prêtre

1 badaud blasé 1 sadique 1 calcomaniaque du Racing

1 (UN) exemplaire de l’Érasme Illustré pour Enfants

 

Et encore,

bien profond : 

 

le souvenir d’une phrase célèbre l’oubli de cette 

phrase célèbre suivi de l’oubli de tout ce qui

est célèbre et ce qui ne l’est pas sauf ton cul

 

Philosophie signifie « viol d’un être vivant ».

 

quand ta peine est purgée 26 ans plus tard

tu reprends la pratique ou d’autres te la mettent



 

Traduction de « Ova Completa » d’après Susana Thénon, La Morada imposible, Ova Competa (1987), « Ova Completa », Tomo I [recueil non-traduit en français], Buenos Aires, Argentine, Ediciones Corregidor, 2001, 294 p.

 


 

LA MUSIK 

 

 

un Allemand se pointa

observa

et immédiatement créa le

Concentus Musicus Araucanus

 

Un jour je sautai du lit et pensai

j’irais bien écouter un concert

 

on donnait la sonate en mi bémol

pour deux harpes et flûte de pan pastorale

 

je m’habillai d’un imperméable en organza

et d’une rasade d’un parfum français

en ma possession depuis la Première Guerre mondiale

 

je pris la 106

ratai l’arrêt

ça n’a pas d’importance il était tôt

le timbre de la 106 faisait drelin-drelin

une femme à l’air triste me demanda vous descendez ?

non madame

moi je déchois

 

je revins sur mes pas

lorsque j’arrivai il ne restait plus que

le Paradis derrière le pilier

mais bon

c’est mieux que rien et poussière tu redeviendras poussière

 

le programme annonçait ritornelli

cantorum danse macabre

et encore ritornelli

je m’étais pointée pour lui

et un Kyrie Gloria

 

tiens bon

c’est ça la culture

mot signifiant :

que certains labourent leurs champs et qu’il en sort des plantes

et que d’autres labourent leur cerveau et qu’il en sort les frères Karamazov

 

c’est ce qu’on a dit à Chéri

qui suit des études de Lettres

 

on lui a dit bien d’autres choses

mais le concert commençait déjà 

et je suis ici pour raconter le concert

 

j’adore raconter des concerts

c’est beaucoup plus culturel que de passer des diapositives 

de Florence et dire te souviens-tu Carlos

lorsque tu perdis une chaussure dans le Baptistère ?

 

pourquoi faut-il

que les joueurs de harpe soient toujours des femmes

 

avec des tuniques vertes elles encadraient

le joueur de flûte de pan

un noir tout maigre

qui ressemblait à Leguisamo

 

le concert n’était pas mal

assez bon

c’est de toute beauté ce pizzicato

dit mon voisin à sa voisine

et il dit aussi contrepoint ricercare

et timbre (celui de la 106 fait drelin-drelin)

et il ajouta cantus firmus et Guillaume de Machaut

 

entretemps allez savoir pourquoi

le noir tout maigre

qui ressemblait à Leguisamo

me rappela le casino

(je devrais dire « de Montecarlo » mais je ne sais pas mentir)

de Miramar

 

rien ne va plus Leguisamo aboyait

sous les ritornelli des jetons

la danse macabre du zéro

et le tapis de jeu firmus firmus

comme la roche tarpéienne          (c’est ça la culture)

ça rime avec ruine pompéienne          (c’est ça la culture)

et avec la blonde Madeleine         (celle de l’élite et la populaire)

 

en fin de compte

vous aurez constaté mesdames et messieurs

que la Musik n’adoucit pas seulement les mœurs  

mais qu’en plus elle

rend les petits poulets fous

favorise les associations d’idées

et permet de se vautrer sur un divan

pour raconter le concert



 

Traduction de « Ova Completa » d’après Susana Thénon, La Morada imposible, Ova Competa (1987), « Ova Completa », Tomo I [recueil non-traduit en français], Buenos Aires, Argentine, Ediciones Corregidor, 2001, 294 p.

 

MOHAMMED KAFKA LIBRAIRE 

 

 

 

ou Thyself ?

− épuisé

100 000 exemplaires en deux mois

− et Cowself ?

− en édicion bilingue 

copto-hongrois

avec le copte c’est possible 

il existe des cours

on dit que cela ressemble beaucoup au québécois

claro

il n’y a rien de comparable à Cowself en vieux saxon

mais il s’est volatilisé

purement et simplement

il n’en reste plus un seul

je peux vous offrir en échange

le Quichotte d’Avellaneda

− je me débrouille comment avec Cowself ?

− ou un porno médiéval

XIIe siècle you know

en promotion je peux également vous proposer

une partition d’Arthur Hailey Opera Omnia en langue rustique

et Les vies parallèles se caressent

du Pseudo Pluton et comme si cela ne suffisait pas

deux peignes de poche un tire-bouchon une

estampe de Luther

 

pour aujourd’hui seulement




 

Traduction de « Ova Completa » d’après Susana Thénon, La Morada imposible, Ova Competa (1987), « Ova Completa », Tomo I [recueil non-traduit en français], Buenos Aires, Argentine, Ediciones Corregidor, 2001, 294 p.

 

©. S Thénon (poèmes), B. Turck (sélection & traduction), la publication de ces extraits traduits se fait avec l'aimable autorisation des ayants droit/cause et de la maison d'édition.

 

***

 

 

Pour citer ces extraits traduits & inédits 

 

Susana Thénon (poèmes), Blanche Turck (sélection & traduction inédites), Mégane Julsonnet (illustration inédite), « Quatre poèmes de distancias et Ova Compléta », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 4 février 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/bt-distancias-ovacompleta

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro Spécial 2022 Humour Muses et féminins en poésie
25 janvier 2022 2 25 /01 /janvier /2022 13:27


Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Articles & témoignages ​​​​​​

 

 

 

 

 

 

 

 

La disconvenance dans

 

 

La Princesse Printanière

 

 

de Madame d’Aulnoy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Emilie Cauvin

 

Doctorante à l’Université de Nice, Littératures d’Ancien Régime

 

 

 

 

 

Crédit photo :  Gravure de Madame d’Aulnoy, domaine public, photographie fournie par F. Urban-Menninger.

 

 

 

 

 

 

Tenir salon au XVIIème siècle pour une femme n’est pas seulement se soucier des canapés et autres petits-fours pour ses convives : il s’agit bien plutôt de recevoir en divertissant ses hôtes. Loin des « dîners presque parfaits » télévisuels d’aujourd’hui, les salonnières du XVIIème siècle avaient pour objectif de divertir, avec intelligence, un public mondain, en lui proposant des occupations qui titillent son esprit. C’est avec ses Contes de fées que Madame d’Aulnoy entend amuser ses pair(e)s.

 

La Princesse Printanière1 est un récit où la jeune héroïne, frappée d’une malédiction à sa naissance, est emprisonnée dans une tour. Cependant, même si l’auteure semble livrer de prime abord un conte d’avertissement, Madame d’Aulnoy rédige en réalité un conte pétri d’humour.

 

En effet, la Princesse Printanière découvre le monde à travers le prisme de l’amour. Mais quel amour…. Le lecteur d’aujourd’hui s’attendrait à une romance digne d’un Walt Disney où le Prince ne peut être que charmant, n’ayant pour autre rôle que de délivrer la Princesse de ses malheurs, avant de l’épouser. Si la Princesse Printanière est bel et bien enfermée dans une tour jusqu’à ses presque vingt ans, Madame d’Aulnoy interpelle tout de suite son public par l’emploi de métaphores et comparaisons usées : « les ruisseaux de larmes coulaient sur le plancher »2, « le roi et la reine ne la voyaient jamais sans pleurer de joie »3, « elle se prit à pleurer tant et tant, qu’elle en avait les yeux gros comme le poing »4… Autant d’indices qui signalent aux auditeurs qu’une rupture va intervenir. En effet, il est question d’un amour né… d’un petit trou creusé dans la muraille de la tour : « elle regardait sans cesse au petit trou »5.

 

La disconvenance est à son comble puisque précédemment dans l’histoire du conte de fées, c’est l’homme et non la femme qui observe l’autre sans être vu6 : c’est le Prince, chez Charles Perrault, quelques mois auparavant7, qui espionne Peau d’Âne cachée dans sa maisonnette, et non l’inverse. Surpris, le lecteur-auditeur ne cessera d’être amusé en constatant que la Princesse Printanière tombe amoureuse du premier venu, qui est l’ambassadeur d’un prince, et non le Prince lui-même. Ce choix indécent au regard des hiérarchies sociales de l’époque relève d’un comique social appuyé par une onomastique savoureusement étudiée. Le sous-fifre du Prince porte le nom de « Fanfarinet » qui allie le terme de « fanfaron » au diminutif rabaissant « et » qui transforme le patronyme en un hypocoristique plaisant.

Ce voyeurisme étonnant de la part de la jeune fille participe de ce que Jacques Chupeau a appelé « l’équivoque enjouée »8 pratiquée bien avant les « livres du second rayon »9 du XVIIIème siècle, et qui nécessite une lecture à second degré. La Princesse est devenue une femme instruite aux choses de l’amour et c’est bien ce qui frappe de stupeur car elle n’est pas sortie de sa tour en vingt ans : « Enfin elle en dit tant que ses femmes étaient bien en peine où elle en avait appris la quatrième partie »10.

 

Elle en devient une jeune femme désirante : « Printanière à cette vue se sentit si hors d’elle qu’elle n’en pouvait plus »11. Mais cette expression du désir est contrebalancée par la formule rieuse de Madame d’Aulnoy : « tant elle était affolée »12. Cet « affolement » des sens provoque bien évidemment le rire de l’auditoire.

Princesse voyeuriste, mais aussi extrêmement entreprenante, la Princesse Printanière prend les devants en s’adressant à Fanfarinet :

 

« Elle lui dit tout bas : ‘J’ai des sentiments pour vous que vous ne devineriez jamais […] mais honni soit qui mal y pense. […] au lieu de vous épouser au nom de votre maître, je vous épouserai au vôtre : je sais que vous n’êtes pas prince, vous me plaisez autant que si vous l’étiez […] Nous nous sauverons ensemble […] et j’aurai le plaisir de vivre avec vous »13.

 

Cette audace aurait pu avoir pour objectif de définir la Princesse comme une dévergondée mais la remarque éminemment drôle qui reprend la devise des chevaliers de l’Ordre de la Jarretière « honni soit qui mal y pense » dédramatise la scène. L’héroïne exprime encore une fois dans le récit ses désirs :

 

« on en causera d’abord, et puis quelque autre fera comme moi ou peut-être pis ; on me laissera en repos pour parler de celle-là, et j’aurai le plaisir de vivre avec vous »14.

 

Le public ne peut qu’en conclure que l’ironie est à l’œuvre. L’auditeur, complice, se délecte de ces marques de mise à distance qui contribue à faire retomber la pression dramatique.

La Princesse Printanière décide de tout : c’est elle qui oblige ses dames de compagnie, par un odieux chantage au suicide, à forer la tour :

 

« Quand la princesse les vit en si bon train de s’affliger, elle prit un couteau et dit tout haut : ‘Ça, ça, je suis résolue de me tuer tout à l’heure, si vous ne trouvez le moyen de me faire voir la belle entrée de Fanfarinet ; jamais le roi et la reine ne le sauront : avisez ensemble, si vous aimez mieux que je m’égorge dans cette place, que de me donner cette satisfaction’ »15, « Enfin elles conclurent qu’il fallait faire un trou à la tour »16.

 

C’est elle aussi qui décide de s’enfuir sans vraiment prendre le temps de savoir qui est l’ambassadeur, ni prendre en compte son avis d’ailleurs. Mais, le lecteur-auditeur amusé sait déjà que la consultation des hommes est inutile puisque lorsqu’ils ne sont pas préparés, ils sont mièvres et impuissants à réagir : c’est ainsi qu’est présenté le père de l’héroïne.

 

 

 

 

 

 

Crédit photo : Illustration de La Princesse Printanière de Madame d’Aulnoy, domaine public, photographie fournie par F. Urban-Menninger. 

 

 

 

 

 

Le Roi lui-même appelle du surnom ridicule, mais non moins drôle, sa fille « Ma petite brebiette » et la narratrice ajoute tout aussitôt entre parenthèses « (car il lui donnait toutes sortes de noms d’amitié) »17. L’humour est également présent lors de la tentative de prise de parole du Roi qui tente d’annoncer à ses sujets la disparition de sa fille : « Comme le roi n’avait pas eu le temps de préparer sa harangue, il demeura trois heures sans rien dire »18.

La Princesse sait qu’elle n’a rien à attendre de personne et qu’elle est maîtresse de son destin : elle s’enfuit avec Fanfarinet. La disparition aurait pu paraître funeste mais c’était sans compter la gaieté de la narratrice. Les soldats partis à la recherche des fuyards ne proposent pas une récompense en monnaie sonnante et trébuchante à qui aurait des indices mais offrent un fatras d’objets qui n’a aucun sens :

« Qui veut gagner une belle poupée, des confitures sèches et liquides, des petits ciseaux, une robe d’or, un beau bonnet de satin, n’a qu’à nous enseigner la princesse Printanière que Fanfarinet emmène »19.

 

On est même peut-être en droit de se demander s’il s’agit d’une poupée réelle ou bien plutôt de la princesse ainsi désignée...

 

Arrivés sur l’île toute utopique des Ecureuils, les protagonistes commencent à voir poindre les méfaits de l’amour irréfléchi. Le lecteur-auditeur est maintenant certain que cette découverte se fera sous le sceau de l’humour.

Toute à sa passion, la Princesse se voit opposer par son prétendant une réplique plus que désobligeante : « Je n’y vois rien à manger : quand vous seriez plus belle que l’Aurore, cela ne me suffirait pas, il faut de quoi se nourrir »20. Les références aux personnages de Perrault éveillent l’esprit de l’auditoire : Peau d’Âne prépare un gâteau à offrir au Prince dans lequel un anneau glissera ; la fille de la Belle au bois dormant, prénommée « Aurore », a pour grand-mère et père des ogres, et donc, devient potentiellement un repas pour cannibales qui aurait été « façonné » par la princesse21. Ces clins d’œil animent la curiosité du public : que fera donc la Princesse Printanière pour trouver, à son tour, de la nourriture pour son amant ? Elle cherche, sans succès, « elle revint bien triste »22, finit par se contenter de « feuilles et [de] quelques hannetons »23, sans se plaindre.

 

C’est alors que Fanfarinet se révèle au grand jour et comble l’horizon d’attente des lecteurs alertés du caractère nocif de l’amant : « j’ai les dents bien longues, et l’estomac bien vide »24, « Puissiez-vous, lui dit-il, trouver un loup qui vous mange »25 et enfin « Il me serait indifférent, répliqua-t-il, que vous mourussiez, si j’avais ce qu’il me faut »26.

L’auteure avait pourtant prévenu lors d’une parenthèse à valeur bien plutôt de mise en exergue : « voilà ce que c’est d’aimer les garçons, il n’en arrive que des peines »27. Si le lecteur d’aujourd’hui sourit à ces intrusions d’auteure, il faut imaginer l’hilarité produite à la lecture, à haute voix, du conte dans les salons mondains.

Madame d’Aulnoy aurait pu arrêter là les malheurs de la jeune Princesse mais elle se plaît à expliciter toute la niaiserie dont fait preuve son héroïne. Cette dernière trouve des expédients : au bord de l’inanition, la princesse rencontre miraculeusement l’aide d’un buisson qui lui offre du miel et qui lui recommande pourtant « ne sois pas assez simple pour en donner à Fanfarinet ». Évidemment, pour la plus grande joie du public, la Princesse n’écoute pas le buisson magique. La sentence est immédiate, mais pas de la part de la féérie, elle vient de son prétendant : « Sans la remercier ni la regarder, il lui arracha et le mangea tout entier, refusant de lui en donner un petit morceau »28. Le génie humoristique de Madame d’Aulnoy tient dans la poursuite de la phrase de Fanfarinet : « il ajouta même la raillerie à la brutalité : il lui dit que cela était trop sucré ; qu’elles se gâteraient les dents, et cent autres impertinences semblables »29. « Cent », rien que cela… L’hyperbole, pourtant, ne tient pas lieu de leçon à la demoiselle qui donne à son infâme fiancé le secours offert par un chêne bienveillant et bon conseiller : « prends cette cruche de lait et la bois sans en donner une goutte à ton ingrat amant »30Évidemment, et c’est ce qui entretient la plaisanterie, Fanfarinet vide la cruche sans la partager « Il prit rudement la cruche, il but tout d’un trait, puis la jetant sur des pierres, il la mit en morceaux »31. Encore une fois, la conteuse ravit l’attente de son auditoire en ajoutant malicieusement dans les propos de Fanfarinet une chute humoristique : « disant avec un sourire malin : ‘Quand on n’a pas mangé, l’on n’a pas de soif’ »32. Les adeptes du sarcasme en redemandent ! C’est ce que Madame d’Aulnoy fait mine d’offrir lors d’un troisième don merveilleux. Un rossignol fournit à la Princesse Printanière « des dragées et des tartelettes de chez Le Coq »33. Le public a dû s’esclaffer de rire en raison de cette allusion au meilleur pâtissier de Paris de l’époque. L’oiseau met lui aussi en garde l’héroïne : « mais ne sois plus aussi imprudente pour en donner à Fanfarinet »34. La Princesse se laisse-t-elle encore une fois avoir par ses sentiments ? Et bien non ! C’est ce qui laisse le public dans l’expectative. En effet, « La Princesse n’avait pas besoin de cette défense pour s’en garder ; elle n’avait point encore oublié les deux derniers tours qu’il lui avait faits »35. Le lecteur-auditeur, surpris, assiste à une montée en puissance du drame :

 

« Le goulu Fanfarinet l’ayant aperçue manger sans lui, entra dans une si grande colère, qu’il accourut les yeux étincelants de rage et l’épée à la main pour la tuer »36.

 

La Princesse se rend invisible grâce à une pierre magique volée à sa propre mère et échappe à un sort funeste. Mais Madame d’Aulnoy fait de nouveau basculer dans l’humour son récit par l’arrivée inopinée de soldats du Roi venus récupérer la Princesse.

 

Leur procession militaire n’a rien de sérieux :

« l’amiral fait battre les tambours, les timbales ; l’on sonne les trompettes, l’on joue du hautbois, de la flûte, du violon, de la vielle, des orgues, de la guitare : voilà un tintamarre désespéré, car tous ces instruments de guerre et de paix se faisaient entendre par toute l’île »37.

 

À la drôlerie du bric-à-brac s’ajoute celle de la couardise de Fanfarinet :

« À ce bruit la princesse alarmée courut vers son amant pour lui offrir son secours : il n’était pas brave ; le péril les réconcilia bien vite »38.

 

Les amants triomphent grâce à la magie d’invisibilité.

La nuit tombe, les dangers ne sont pas tous écartés. Le prétendant, affamé, devient loup…. Comme celui du Petit Chaperon Rouge de Charles Perrault qui fit paraître son conte quelques mois plus tôt ? Loup ou ogre cannibale comme dans La Belle au Bois dormant ? Peut-être bien, peut-être pas… C’est là tout l’art de Madame d’Aulnoy qui mêle le drolatique à l’équivoque dans son conte de fées. Alors que Fanfarinet s’apprête à tuer la Princesse « le bras levé, prêt à lui percer le sein de son épée »39, Madame d’Aulnoy brise en un clin d’œil rieur tout le tragique de la scène en livrant l’explication du geste du prétendant : « la voyant si grassette et si blanchette, et ayant bon appétit, il voulait la tuer pour la manger ». Les suffixes des adjectifs sont l’indice de la gaieté de ce conte, qui oscille sans cesse entre humour noir et comique affiché.

 

La Princesse riposte et tue Fanfarinet d’un coup de poignard. Elle se retrouve seule dans cette île, la peur la gagne, comme elle gagne peut-être aussi l’auditoire. Mais ce serait sans compter l’alacrité du style de ce conte : interviennent tout de suite deux fées, chacune dans un chariot tiré par « six grosses poules huppées, un coq servait de cocher, et un poulet gras de postillon » ou par « six chauves-souris ; un corbeau servait de cocher, et un escarbot de postillon ». Le burlesque est à son comble dans cette construction en miroir du beau mais comique carrosse, et du laid mais non moins drôle attelage. Un combat impromptu et hilarant « d’un quart d’heure »40 seulement (le ton épique est dès lors mis à mal) se déroule sous les yeux de la Princesse qui voit se battre deux femmes, une magnifique fée contre une sorcière, la fée Carabosse. Il s’agit ici de la première apparition de ce personnage qui connaîtra une fortune littéraire incontestable. Elle est décrite ici comme une « petite magotine affreuse, dont l’habit était de peau de serpent, et sur sa tête un gros crapaud qui servait de fontange »41. La référence à la coiffure de l’éphémère maîtresse de Louis XIV, sur la tête d’une guenon qui plus est, ne pouvait que faire rire aux éclats un public de cour. C’est cette mise à distance du féérique, par la rupture du pacte narratif, qui concourt à la dédramatisation, et partant, au comique du récit42. Madame d’Aulnoy n’installe donc pas son conte dans l’enchantement du conte de fées mais dans la dérision, voire dans la parodie de ce type narratif émergent.

 

À ce titre, la morale, loin de blâmer la facilité avec laquelle la Princesse Printanière s’est donnée au premier venu, étonne et fait rire ses lecteurs-auditeurs : l’héroïne épouse son prétendant initial, le fils d’un roi, en lui cachant sciemment ses mésaventures licencieuses, avec la complicité des gens de sa Cour !

 

« L’on n’eut garde de conter l’aventure de l’enlèvement [au Prince], cela lui aurait peut-être donné quelques soupçons : on lui dit d’un air fort sincère que son ambassadeur ayant soif et voulant tirer de l’eau pour boire, était tombé dans le puits et s’y était noyé »43.

 

Qui s’attendrait à un tel happy end ? Il faut donc en conclure tout logiquement que ce n’est pas l’intention moralisatrice qui anime les contes de Madame d’Aulnoy comme l’indique d’ailleurs Aurélia Gaillard : « il faut se débarrasser du préjugé qui veut que ces ‘Moralités’ délivreraient une quelconque ‘morale’ »44.

Par cette « Joyeuse immoralité du dénouement »45, Madame d’Aulnoy se place là où on ne l’attendait pas et contrevient aux préceptes moraux supposés du conte, mais également aux préjugés à l’égard des femmes qui se doivent d’encenser la vertu.

Madame d’Aulnoy inscrit le conte de la Princesse Printanière dans la disconvenance, et peut-être même l’inconvenance. Ce penchant pour la discordance46 reflétait celle de sa propre vie : Madame d’Aulnoy avait été condamnée pour avoir fomenter un complot à l’encontre de son époux, après un mariage forcé alors qu’elle n’avait que quinze ans et son mari trente de plus. Ce goût pour l’écart ajoute donc au burlesque de ce récit. Madame d’Aulnoy affirmait d’ailleurs écrire des « bagatelles »47 :

 

« Vous n’offrez que des jeux, et votre unique affaire

N’est que de divertir en tâchant de lui plaire [à Madame] »48.

 

À moins que sous cette apparente disconvenance à l’égard de la vertu, Madame d’Aulnoy ne condamne une réalité encore à l’œuvre en 1697 : le mariage précoce du Duc de Bourgogne avec Adelaïde de Savoie, âgée de 12 ans seulement49. Car comment expliquer le message de la moralité en vers alors que la Princesse Printanière n’est finalement pas punie pour ses agissements :

 

« A quelque chose qu’Amour nous puisse assujettir,

Des règles du devoir on ne doit point sortir ;

Et malgré le penchant qui souvent nous entraîne,

Je veux que la raison soit toujours souveraine :

Que toujours maîtresse du cœur,

Elle règle à son gré nos vœux et notre ardeur »50.

Les destinataires de cette moralité ne seraient donc pas tant les jeunes gens pleins de fougue que les barbons dictés par leur « ardeur », plus que par leur « raison ».

 

Se jouant de la bienséance, Madame d’Aulnoy offre dans La Princesse Printanière un art de la disconvenance en adéquation avec un burlesque féérique assumé. C’est cet écart entre l’attendu et l’inconvenant qui témoigne de tout l’humour de la conteuse, comme le regrettait l’abbé de Villiers pour qui Madame d’Aulnoy est une dame

 

« qui a fait des contes de fées, et qui est la première à se moquer et des libraires et des lecteurs qui les ont achetés. Elle dit partout que c’est la plus mauvaise marchandise du monde ; mais enfin, on en veut, dit-elle, on me les paie bien, j’en donnerai tant qu’on en voudra »51.

 

Force est de constater que l’on en veut toujours aujourd’hui.

 

Après lecture de La Princesse Printanière, qui pourrait encore se figurer les Contes de fées du XVIIème siècle comme des récits destinés à des enfants ? Et qui pourrait encore se faire une image bien lisse et bien sage des conteuses qui s’affirment en tant qu’auteures à part entière dans la sphère littéraire, comme le prouve l’œuvre de Madame d’Aulnoy ?

 

©E. Cauvin

 

 

 

 

Bibliographie 

 

 

 

– CAUVIN, Emilie, Notes de Lectures sur Les Contes de fées de Madame d’Aulnoy, Agrégations 2022, Independently published, 2021, 151 p. ; Notes de lectures sur Les Contes en prose de Charles Perrault, Capes 2022 et 2023, Agrégations 2022, Independently published, 2021, 99 p.

– CHUPEAU, Jacques, “Sur l’équivoque enjouée au grand siècle : l’exemple du Petit Chaperon rouge de Charles Perrault”, XVIIe Siècle, 150, 1986, p. 35-42.

– GAILLARD, Aurélia, MAISONNEUVE, Lauriane, Charles Perrault, Contes, Marie-Catherine d’Aulnoy, Contes de fées, Atlande, 2021, 254 p.

– HENRIOT, Emile, Les livres du second rayon, irréguliers et libertins, Grasset, 1926.

– JASMIN, Nadine, Naissance du conte féminin. Mots et Merveilles : les contes de fées de Madame d’Aulnoy, Paris, Champion, collec. « Lumière classique », 2002, 864 p.

– PERRAULT, Charles, Contes, édition de Catherine Magnien, Le Livre de Poche, « Les Classiques de Poche », n° 21026, 2006, 319 p.

– ROHOU, Jean, « Le burlesque et les avatars de l’écriture discordante (1635-1655) », in Burlesque et formes parodiques dans la littérature et les arts, Actes du Colloque de l’Université du Maine Le Mans (du 4 au 7 décembre 1986), réunis par Isabelle Landy-Houillon et Maurice Menard, Biblio 17-33, Papers of French Seventeenth Century Literature, Seattle – Tubingen, 1987, p. 349-350.

– VILLIERS, L’abbé de, Entretiens sur les contes de fées et sur quelques autres ouvrages du temps, pour servir de préservatif contre le mauvais goût, Paris, Collombat, 1699.

 

 

Notes

 

 

1 La Princesse Printanière dans Madame D’Aulnoy, Contes de fées, édition Constance Cagnat-Debœuf, Gallimard, Folio classique, n°4725, 2008, pp. 133-157. Les prochaines mentions de ce conte dans les notes se feront sous la forme suivante : La PP.

2La PP, p. 146.

3La PP, p. 137.

4La PP, p. 138.

5La PP, p. 139.

6 CAUVIN, Emilie, Notes de lectures sur Les Contes en prose de Charles Perrault, Capes 2022 et 2023, Agrégations 2022, Independently published, 2021, 99 p.

7 Le recueil des Contes des fées de Madame d’Aulnoy et les Contes de Charles Perrault ont été publiés en 1697, à quelques mois d’intervalles.

8 Jacques CHUPEAU, « Sur l’équivoque enjouée au grand siècle : l’exemple du Petit Chaperon rouge de Charles Perrault », XVIIe Siècle, 150, 1986, p. 35-42.

9 Emile Henriot, Les livres du second rayon, irréguliers et libertins, Grasset, 1926.

10 La PP, p. 139.

11 La PP, p. 139.

12 La PP, p. 143.

13 La PP, pp. 142-143.

14 La PP, p. 143.

15 La PP, p. 138.

16 La PP, p. 139.

17 La PP, p. 143.

18 La PP, p. 146.

19 La PP, p. 148.

20 La PP, p. 149.

21 « Il s’en consola bientôt avec sa belle femme et ses enfants ». Perrault ne précise pas la nature de la consolation mais rappelle dans la phrase précédente que le Prince est fils d’ogresse, PERRAULT, Charles, Contes, édition de Catherine Magnien, Le Livre de Poche, « Les Classiques de Poche », n° 21026, 2006, p. 200.

22 La PP, p. 149.

23 La PP, p. 149.

24 La PP, p. 149.

25 La PP, p. 149.

26 La PP, p. 150.

27 La PP, p. 149.

28 La PP, p. 151.

29 La PP, p. 151.

30 La PP, p. 151.

31 La PP, p. 151.

32 La PP, p. 151.

33 La PP, p. 152.

34 La PP, p. 152.

35 La PP, p. 152.

36 La PP, p. 152.

37 La PP, p. 153.

38 La PP, p. 153.

39 La PP, p. 154.

40 La PP, p. 155.

41 La PP, p. 154-155.

42 Nadine Jasmin, Naissance du conte féminin. Mots et Merveilles : les contes de fées de Madame d’Aulnoy (1690-1698), Paris, Champion, collec. « Lumière classique », 2002, p. 69.

43 La PP, p. 157.

44 GAILLARD, Aurélia, MAISONNEUVE, Lauriane, Charles Perrault, Contes, Marie-Catherine d’Aulnoy, Contes de fées, Atlande, 2021, p. 135.

45 Nadine Jasmin, Naissance du conte féminin. Mots et Merveilles : les contes de fées de Madame d’Aulnoy (1690-1698), Paris, Champion, coll. « Lumière classique », 2002, p. 324.

46 Jean Rohou, « Le burlesque et les avatars de l’écriture discordante (1635- 1655)”, in Burlesque et formes parodiques dans la littérature et les arts, Actes du Colloque de l’Université du Maine Le Mans (du 4 au 7 décembre 1986), réunis par Isabelle Landy-Houillon et Maurice Menard, Biblio 17-33, Papers of French Seventeenth Century Literature, Seattle – Tubingen, 1987, p. 349-350.

47 Madame D’Aulnoy, Contes de fées, édition Constance Cagnat-Deboeuf, Gallimard, Folio classique, n°4725, 2008, p. 51, 108, 215, 251.

48 Seconde Épître à Madame, Madame D’Aulnoy, Contes de fées, édition Constance Cagnat-Deboeuf, Gallimard, Folio classique, n°4725, 2008, pp. 353-354.

49 Emilie Cauvin, Notes de Lectures sur Les Contes de fées de Madame d’Aulnoy, Agrégations 2022, Independently published, 2021, p. 100.

50 La PP, p. 157.

51 P. de Villiers, Entretiens sur les contes de fées et sur quelques autres ouvrages du temps, pour servir de préservatif contre le mauvais goût, Paris, Collombat, 1699, p. 71.

 

 

***

 

Pour citer cet article inédit 

 

Emilie Cauvin, «  La disconvenance dans La Princesse Printanière de Madame d’Aulnoy », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 25 janvier 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/ec-ladisconvenance

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro Spécial 2022 Humour Muses et féminins en poésie
20 janvier 2022 4 20 /01 /janvier /2022 14:39


Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Articles & témoignages 

 

 

 

 

 

 

 

Les policiers italiens refusent

 

 

de porter un masque rose !

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte par

 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

Crédit photo :  Image de masque canard FFP2, domaine public, photographie fournie par l'auteure. 

 

 

 

Un masque canard FFP2, oui ! Mais rose, non !

 

Alors que, comme je l'ai écrit dans mon article sur la couleur rose, celle-ci valorisait la virilité au Moyen-Âge (voir « Non, le rose n'est pas la couleur des filles ! »), les policiers italiens estiment que « la couleur rose n'honore pas leur uniforme »…

Et de réclamer du blanc, bleu, azur ou noir !

 

Fort heureusement, les enseignants italiens se sont empressés de déclarer qu'il étaient prêts à arborer cette couleur car après tout n'est-il pas préférable de voir la vie en rose plutôt qu'en noir ?

 

 

 

© F. Urban-Menninger

 

 

***

 

Pour citer ce témoignage inédit

 

Françoise Urban-Menninger, « Les policiers italiens refusent de porter un masque rose ! », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 20 janvier 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/fum-masquerose

 

 

 

 

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