Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Florilège
Le rire au Paradis
Marie-Jeanne Langrognet-Delacroix
Crédit photo : Caroline Delestres, Woman Playing a Harp, domaine public, Wikimedia.
Au temps du Paradis, elles dansaient nues
les jeunes filles, faisant la ronde tout le jour en attendant
le soir où les garçons viendraient chanter
puis dormir avec elles sous le ciel étoilé.
Tant de bonheur exaspérait Satan
cherchant moyen d’assassiner
cette harmonie du genre humain.
Soudain, il siffle, le Serpent, à la géniale Idée !
Décollant de son corps dizaines de sonnettes,
il en orne le Pommier Sacré, l’Arbre de la Connaissance !
Le seul arbre interdit !
Ensuite, débitant ses sornettes, il y conduit les jouvencelles
et fait chanter les pommes.
« Oh ! Seigneur ! Des pommes musicales, est-ce possible ?
Quelle merveille ! »
Les filles éblouies en perdent la raison et la plus jeune
tend le bras oubliant l’Interdiction.
« Oh ! Mon Dieu ! Que c’est bon ! »
Alors, elles s’en gavent, en bavent, impatientes de partager
avec les garçons du soir ce tant mélodieux fruit.
Enroulé sur sa branche, Satan rigole à longs grelots :
« Ah ! Les décervelées ! Qu’est-ce qu’on va s’amuser !
……………….
Les voici, ils avancent les beaux garçons fringants,
les cheveux dénoués le long des corps dorés
minces et musclés mais sans excès,
visages fins, regards tendres et rieurs.
Ils ont apporté flûtiaux tambourins et cymbales
et appellent de loin leurs aimables compagnes
qui répondent à hauts cris ! Et les voici à quelques pas mais…
pourquoi soudain ces rires étonnés, effrontés, effrénés puis déchaînés ?
Elles les arrêtent un instant : « Attendez, attendez, on veut voir ! »
Voir quoi ?... Voir ce qu’elles n’ont jamais vu !
Elles s’étonnent, s’interrogent riant à gorge déployée !
Rire bientôt tonitruant et désignant le bas-ventre de leurs frères :
« Là, là, qu’est-ce que vous avez ? » « Où ça ? »
« Mais là, ce truc entre vos jambes. »
Ils regardent et s’étonnent : ils ont toujours eu ça
pour se soulager du trop plein de nectar.
Et les filles, s’approchant mais pas trop près, plaisantent
pour savoir à quoi d’autre ça pourrait servir.
La plus futée chuchote son idée aux autres.
Alors la rigolade tourne à l’orage et elles se sauvent.
Satan, jouissant de la panique, observe les garçons
qui s’examinent avidement : sexes nus, certains redressés,
d’autres abaissés, des petits, des longs, des minces et des gros.
Jamais encore ils ne s’étaient ainsi observés et comparés.
Soudain, un désir fou soufflé par le Démon enfle et s’élance.
Une course irrésistible les lance vers les filles déjà enfuies,
rieuses, moqueuses mais quelque peu peureuses !
Toute la nuit alors a retenti de cris,
avec en fond sonore les glapissements du Serpent.
………………………………………….........
Quand il se réveille, Dieu le Père se désole
mais il ne peut pas réparer ça.
Il peut seulement rendre le Diable utile.
Alors, d’une voix de tonnerre, il commande dans les nues :
« Croissez et multipliez-vous ! »
Mais des plus misogynes, il hurle dans sa fureur :
« Toi, Femme, tu as ri, alors tu enfanteras dans la douleur. »
***
Pour citer cette fable inédite
Marie-Jeanne Langrognet-Delacroix, « Le rire au Paradis », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 27 novembre 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/ns2022/mjl-lerireauparadis
Mise en page par David Simon
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