Numéro Spécial | Printemps 2022 | Instant poétique avec...
El tango / Le Tango
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© Crédit photo : Maggy De Coster, Casa Borges en Argentine, image no 1.
El tango
© Crédit photo : Maggy De Coster, Casa Borges en Argentine, images no 2, no 3 & no 4.
¿Dónde estarán? pregunta la elegía
de quienes ya no son, como si hubiera
una región en que el Ayer, pudiera
ser el Hoy, el Aún, y el Todavía.
¿Dónde estará? (repito) el malevaje
que fundó en polvorientos callejones
de tierra o en perdidas poblaciones
la secta del cuchillo y del coraje?
¿Dónde estarán aquellos que pasaron,
dejando a la epopeya un episodio,
una fábula al tiempo, y que sin odio,
lucro o pasión de amor se acuchillaron?
Los busco en su leyenda, en la postrera
brasa que, a modo de una vaga rosa,
guarda algo de esa chusma valerosa
de Los Corrales y de Balvanera.
¿Qué oscuros callejones o qué yermo
del otro mundo habitará la dura
sombra de aquel que era una sombra oscura,
Muraña, ese cuchillo de Palermo?
¿Y ese Iberra fatal (de quien los santos
se apiaden) que en un puente de la vía,
mató a su hermano, el Ñato, que debía
más muertes que él, y así igualó los tantos?
Una mitología de puñales
lentamente se anula en el olvido;
Una canción de gesta se ha perdido
entre sórdidas noticias policiales.
Hay otra brasa, otra candente rosa
de la ceniza que los guarda enteros;
ahí están los soberbios cuchilleros
y el peso de la daga silenciosa.
Aunque la daga hostil o esa otra daga,
el tiempo, los perdieron en el fango,
hoy, más allá del tiempo y de la aciaga
muerte, esos muertos viven en el tango.
En la música están, en el cordaje
de la terca guitarra trabajosa,
que trama en la milonga venturosa
la fiesta y la inocencia del coraje.
Gira en el hueco la amarilla rueda
de caballos y leones, y oigo el eco
de esos tangos de Arolas y de Greco
que yo he visto bailar en la vereda,
en un instante que hoy emerge aislado,
sin antes ni después, contra el olvido,
y que tiene el sabor de lo perdido,
de lo perdido y lo recuperado.
En los acordes hay antiguas cosas:
el otro patio y la entrevista parra.
(Detrás de las paredes recelosas
el Sur guarda un puñal y una guitarra.)
Esa ráfaga, el tango, esa diablura,
los atareados años desafía;
hecho de polvo y tiempo, el hombre dura
menos que la liviana melodía,
que solo es tiempo. El Tango crea un turbio
pasado irreal que de algún modo es cierto,
el recuerdo imposible de haber muerto
peleando, en una esquina del suburbio.
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© Crédit photo : Maggy De Coster, Casa Borges en Argentine, images no 5, no 6 & no 7.
Le Tango
Où seront-ils ? remettre en question l'élégie
de ceux qui ne sont plus, comme s'il y avait
une région où l’Hier, pouvait
être encore l’Aujourd'hui.
Où sera-t-il? (Je répète) le malevaje
qui a fondé dans des ruelles poussiéreuses
dans les terres ou dans les villages perdus
la secte du couteau et de la bravoure?
Où seront ceux qui sont passés,
laissant à l'épopée un épisode,
une fable à la fois, et qui sans haine,
profit ou passion d'amour se sont poignardés?
Je les cherche dans leur légende, à la fin
braise qui , comme une rose vague,
sauve une partie de cette brave foule
de Los Corrales et de Balvanera.
Quelles ruelles sombres ou quel désert
De l'autre monde abritera
l'ombre dure de celui qui était une ombre sombre,
Muraña, ce couteau de Palerme?
Et cette fatale Iberra (dont les saints
s’apitoient) qui sur un pont de la route,
a tué son frère, el Ñato, qui a dû être
un mort de plus à l’égal des autres ?
Une mythologie poignante
disparaît lentement dans l'oubli;
Une chanson de geste s’est perdue
parmi de sordides nouvelles policières.
Il y a une autre braise, une autre rose rouge
de la cendre qui les garde intacts;
il y a les fiers couteliers
et le poids du poignard silencieux.
Bien que le poignard hostile ou cet autre poignard,
le temps, les ait enterrés dans la boue,
aujourd'hui, au-delà du temps et de leur funeste
destin, ces morts vivent dans le tango.
En musique ils sont, dans le cordage
de la guitare obstinée et laborieuse,
qui se trame dans la milonga aventureuse
la fête et l'innocence du courage.
La roue jaune tourne dans le trou
Des chevaux et des lions, et j'entends l'écho
de ces tangos d’Arolas et de Greco
que j'ai vu danser sur le trottoir,
dans un instant isolé qui émerge aujourd'hui,
sans avant ni après, contre l'oubli,
et qui a le goût du perdu,
du perdu et du retrouvé.
Dans les accords, il y a de vieilles choses:
la vigne de l’autre patio entrevue.
(Derrière les murs suspects
le Sud garde un poignard et une guitare.)
Cette rafale, le tango, cette diablerie,
Défie les années trépidantes ;
fait de poussière et de temps, l'homme dure
moins que la légère mélodie,
qui n'est que temps. Le Tango crée un passé un trouble
irréel qui est en quelque sorte vrai,
le souvenir impossible d’être mort
en luttant dans un coin de la banlieue.
Jorge Luis BORGES, traduit de l’espagnol argentin par Maggy DE COSTER
© M. DE COSTER.
Nous publions ce poème avec l'aimable autorisation de la traductrice et de sa maison d'édition.
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Pour citer ce poème bilingue
Maggy De Coster (traduction en français de l’espagnol argentin par), « El tango / Le Tango », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 7 mars 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/ns2022/mdc-tango
Mise en page par David Simon
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