2 mars 2022 3 02 /03 /mars /2022 17:43

Numéro Spécial | Printemps 2022 | Chroniques de Camillæ Critique & réception)

 

 

 

 

 

 

 

Amazonie fragmentée

 

 

 

 

 

 

Camille Aubaude

 

Site & blog officiels :

www.lamaisondespages.com/

 

https://camilleaubaude.wordpress.com/

 

 

 

 

Une bande dessinée en 5 vol., Dargaud éd. Leo (scénario). Rodolphe (scénario). Bertrand Marchal (dessin).

 

Chaque volume s’ouvre par un synopsis des précédents :

 

 

© Crédit photo : "Amazonie fragmentée", image n° 2 prise par camille Aubaude. 

 

 

Au milieu de la Vie, on se dépouille de tout ce qu’on a appris, comme un serpent qui mue, et en tant qu’artiste qui se régénère, car nous ne sommes jamais parfaitement nous-mêmes.

Les démons du mal gardent le seuil de la transcendance, fascinante avancée dans la forêt obscure, sylva obscura

On mue ou l’on meurt.

Une bande dessinée Amazonie véhicule l’image la plus négative possible de cette jungle. 

À l’inverse, puisqu’il y a toujours la dualité, il existe des éclaireurs, ou peut-être de dangereux illuminés, qui nous invitent à recueillir dans cette forêt originaire les plantes les plus rares et les plus bénéfiques, à considérer les arbres comme « le poumon de la planète », en prônant une « biodiversité » à des fins, hélas, commerciales… Sans argent, rien ne se fait…

La vision négative est diffusée par les éditions Dargaud, importante maison d’édition liée à l’Opus Dei, où Isis et les païens sont des démons. 


 

Je la résume :

— les Indios sont des sauvages et des ennemis des Blancs ;

— les Blancs les plus méchants, tels les anciens nazis, s’y rencontrent à foison ;

— les eaux sont boueuses, il y a d’infâmes araignées, c’est le monde rampant de la psychose où les crocodiles arrachent les jambes ; on voit bien sûr une scène d’un médecin allemand dévoré par les crocodiles (qui ont un autre nom, car on apprend des termes exotiques).

— le personnage du consul anglais synthétise la bassesse qui annihile les Blancs dans ces contrées de malheur où la chaleur est insupportable1. Ce consul hédoniste et replet ne cesse de jurer, façon de rejeter des lieux magiques qu’il considère comme le fin fond du monde (je ne reprends pas les termes orduriers). Quand le consul quitte Manaus pour atteindre la mission, on sait qu’il est dans l’hydravion par les gros mots qui en jaillissent. Bref, le représentant de la Grande Bretagne hait ce pays, qui n’est pas tant donné comme le Brésil (brasil) que l’enfer des Tropiques. Seule la courageuse Amazone, une « Camille », arrivée de Londres pour enquêter, l’héroïne du récit, le relève un tout petit peu, jusqu’au « vous partez déjà ? »

— le comble de la perversité est la Diva qui se produit à l’opéra de Manaus où elle est, ainsi qu’il se doit, ovationnée… Elle calcule machiavéliquement qu’un concert dans une mission sera profitable à sa carrière. Il n’est jusqu’à la musique… C’est un sosie de la Castafiore, sans le chic, l’humour, le génie, l’intelligence et la classe. Sa gloire terrestre étant due à l’argent et à la corruption, il est « naturel » qu’elle se retrouve à Manaus... Sa fin est totalement abjecte.

— comme un idéal missionnaire toujours se délite, le révérend père a compris que lui seul pouvait se donner des bons moments dans la vie, donc il se saoule et fornique quotidiennement. L’une des bulles les plus drôles est un « Ouiiiii » en bas de page : le cri de jouissance de la superbe rousse coureuse d’hommes recouvre la jungle ! Bruissement primordial, orgasme, diva, représentent le trop-plein, le splash d’une trame narrative qui met en parallèle Dracula, le Surhomme, les extra-terrestres, excusez du peu.  Sylva obscura, prima terra… Quand la rousse pulpeuse part pour un autre, l’infirmière de la mission considère que le révérend s’est conduit comme une bête et le sermonne. Les dérives de l’utopie atteignent les rives de l’infamie, puis c’est l’hostilité.

 

Dans la superbe bande dessinée Les Indes fourbes (Ayroles et Guarnido, éd. Bruno Graff, 2019)  l’image inversée de la Nature est couronnée par celle des Indiens réducteurs de têtes. Au milieu de scènes de violence parfois hélas, complaisantes, l’image de la tête réduite avec la bouche cousue du noble conquistador espagnol est un sommet d’angoisse. 

Comme il s’agit toujours du manichéisme esprit-nature, Amazonie a substitué au truisme des Indiens réducteurs de têtes un être qui possède deux cerveaux (homme-femme ?) interconnectés et de super pouvoirs. Protégé des Indios, il exerce une force d’attraction qui guérit les âmes pleines de droiture, notamment le compagnon brésilien de l’agent anglaise.

Serait-il question de réconcilier les puissances de l’intelligence et celles de la Nature… ? Non, non, non, cette dualité est le moteur de la quête de l’Eldorado : il faut suivre le plan qui y mène… Il a fallu que ce soit un président français qui ait eu l’idée atroce de donner un prix à la Nature pour qu’elle vaille quelque chose, afin d’être protégée… Reconnaissons à François Mitterrand le mérite d’avoir interrogé le désir humain d’éradiquer la Mère-Nature… !

 

Une Nature qui préserve la douce habitude d’exister pour être merveilleuse, efflorescente, épanouie, n’est toujours pas d’actualité2, même pour une population française vieillissante, qui a besoin de nature. La belle représentation d’un monde enchanté peuplé d’esprits divins que l’Occident a tué par l’industrialisation a conduit les critiques du Romantisme à parler de « désenchantement », ce qui est devenu aujourd’hui un lieu commun.

 

 

Notes


 

1. Voir la maîtrise de Sylvine Vaucher (Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle) sur les nombreux romans colonialistes qui montrent les Blancs « décivilisés » par l’Afrique, dont la figure de proue est La Maîtresse noire de L.-Ch. Royer.

2. XR, le mouvement britannique Extinction Rebellion, labellise « la meilleure ville d’Angleterre où vivre », et oublie la nature sauvage.(https://extinctionrebellion.fr/branches/paris-centre/

 

 

© Crédit photo : "Amazonie fragmentée", image n° 2 prise par camille Aubade. 

 

L’infirmière acrimonieuse entre le révérend dans son hamac et le consul anglais.

 

© Crédit photo : "Amazonie fragmentée", image n° 3 prise par camille Aubade. 

 

 

Le Kalos kagathos est le fil d’Ariane pour cheminer dans la forêt vierge, où le non initié s’enlise ou devient un dictateur.

 

 

***

 

Pour citer ce texte

 

Camille Aubaude, « Amazonie fragmentée », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menningermis en ligne le 2 mars 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/ca-amazoniefragmentee

 

 

 

 

Mise en page par David Simon

 

 

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