5 novembre 2021 5 05 /11 /novembre /2021 12:00

 

N°10 | Célébrations | Handicap & diversité inclusive

 

 

 

 

 

 

 

 

« Les profondeurs de l’invisible »

 

 

paraît en braille

 

 

 

 

 

 

 

Texte de

Hanen Marouani

Docteure en langue et littérature françaises de l’université de Sfax et auteure de quatre recueils de poésie(s) et traductrice

 

Photographies par l'artiste

 

Dominique Meunier

 

 

 

 

© ​Crédit photo : Première de couverture du recueil de poèmes de Hanen Marouani, image prise par l'artiste Dominique Meunier.

 

 

Célébrons la journée internationale de la vue par une édition poétique adaptée aux déficients visuels !

« Les profondeurs de l’invisible de Hanen Marouani »

 

 

 

À l’occasion de la journée mondiale de la vue, la poétesse Hanen Marouani a annoncé le 14 octobre 2021, sur ses réseaux sociaux, la prochaine sortie de l'édition tactile de son premier recueil publié aux éditions Édilivre à Paris en janvier 2019 et qui s’intitule « Les Profondeurs de l’Invisible ». La promotion du développement de l’écriture braille en Tunisie que partout dans le monde entre dans le cadre d’un processus important pour assurer la culture et l’éducation pour tous. 

 

Traduit en Braille par les membres bénévoles de L'association braille pour l'éducation et la culture en Tunisie, cette édition adapte les poèmes et textes du recueil cité pour les rendre accessibles aux personnes non-voyantes. 

À l’occasion, nous mettons en avant l’annonce de cette belle initiative d’adaptation en Braille numérique de ce recueil dont le titre « Les Profondeurs de l’Invisible » a déjà inspiré cette initiative comme forme de sensibilisation à l’importance de ce système d’écriture destiné aux déficients visuels.  

 

Ce recueil de poèmes a été annoté par la doctorante et chercheure tunisienne en littérature francophone et africaine à l’université de Sfax Rym Gamanda pour nous faire entendre la magie de la volonté et nous plonger au cœur des débats et combats existentiels de certaines catégories sociales dont la douleur, les obstacles et les handicaps ne sont qu’un facteur de motivation et de persévérance. C’est l’occasion de vous livrer l’avant-propos de ce recueil : 

 

« Les profondeurs de l’invisible, nous fait plonger scrupuleusement et poétiquement dans les profondeurs de l’existence humaine. Des fragments de vie hétérogènes mais qui ont en commun, l’humain en ce qu’il a de plus noble, de plus euphorique mais aussi de plus dramatique et de plus tragique.

 

Dans ce recueil de poésie, l’être humain est en perpétuel symbiose et en éternel dialogue spirituel avec les éléments de la nature : le soleil, la mer, le vent… Quant au temps, il semble être un puissant actant sur les mortels-vivants. La nature ne se contente pas d’accompagner les états d’âme, de transpercer les humeurs mais elle est parfois celle qui tisse les avenirs et les destins. La Femme, créature centrale de ces poèmes est symbole de persévérance, de défi. Elle ne cesse de se relever malgré les échecs et les coups durs des êtres et de la vie. Nourrie d’espoir et de rêves, elle avance malgré les hésitations et turbulences de tous les côtés pour grimper les échelons du succès en dépit des embûches rencontrées au cours de son chemin. Dans son poème « Pour un avenir meilleur » (pp. 8-11), elle raconte l’aventure d’un voyage clandestin mené par un groupe de jeunes tunisiens qui vont trouver la mort après une longue lutte contre « les vagues révoltées » et « après la signature d’un mariage militaire entre la mer et le vent » selon ses propres mots.  L’aspect romantique  de la mer semble complètement absent et l’attente dans le dilemme des faux espoirs pour voir la rive malgré le poids d’une vie pleine des histoires et de danger,  de multiples interrogations jamais posées ou pensées, donnent à cet espace aquatique tant romantisé une vision plus réelle et plus vraie pour remettre en cause et pointer de doigts les vrais responsables des rêves avortés de notre jeunesse et de l’assombrissement des  horizons après la période postrévolutionnaire de la Tunisie. Le mariage forcé évoqué dans son poème « Dimanche matin », et « Un choix malgré moi » les aspirations et le rêve de tout changer vers le mieux décrit dans ses deux textes, « Demain, je le vivrai ainsi » (p. 38) et « Changer tout ou rien » (p. 39). Un hommage au peuple palestinien, dans ce recueil écrit entre 2013 et 2018, à travers deux textes intitulés « L’Olivier » (p. 21) et hommage à « Aahd Tamimi » (p. 23). 

 

Le départ est un épisode de contestation, un cri de déni et de révolte contre une médiocrité insistante et exigeante. Le départ est une quête urgente de sérénité et d’un vécu meilleur qui mérite d’encourir tous les risques prévus et imprévus. L’échec, la déception, l’incertitude ne sont pas des stations d’arrêt final mais les déclencheurs stimulateurs d’une tentative nouvelle avec plus d’endurance et de ténacité. Il s’agit de défrayer courageusement son chemin pour la délivrance et l’accomplissement d’un changement longtemps aspiré. L’espoir côtoie le désespoir. Le passé côtoie le futur. Les larmes côtoient les sourires. Le jour côtoie la nuit. La mort côtoie la vie. Mais la vie continue… »

 

Une présentation de ce projet aura lieu très prochainement au siège de l’association Braille pour l’éducation et la culture en Tunisie avec la présence de son directeur, de ses membres, quelques universitaires et activistes dans la société civile et d’autres événements à ses alentours seront aussi annoncés dans les meilleurs délais. 

 

Pour en savoir plus sur ce recueil, veuillez visiter ce lien : 

https://www.edilivre.com/les-profondeurs-de-l-invisible-hanen-marouani.html/

 

L’idée d’étendre cette démarche à d’autres ouvrages dans les différentes spécialités scientifiques, littéraires, juridiques, parascolaires…ainsi que dans tous les domaines est l’un des objectifs principaux des futures activités de l’association.  La lecture et la culture doivent être à la portée de tous et une telle volonté n’a d’équivalent que la force intérieure que peut porter chaque malvoyant afin d’arriver à sentir et savourer la lumière et le goût du savoir. Les bonnes intentions sont aussi aptes à être traduisibles poétiquement et humainement afin d’aboutir certainement à des lendemains meilleurs par la considération des profondeurs.

Avant de finir, il est à souligner que plusieurs maisons d’édition en France aussi sont en train de travailler sur l’adaptation des œuvres et des livres en format tactile ou sonore comme tentative d’élargir le nombre de lecteurs et d’intégrer surtout et avant tout les personnes victimes d’un handicap visuel. À titre d’exemple, un sondage a été déjà lancé par la maison d’édition parisienne Le Lys Bleu où Hanen Marouani a publié aussi son dernier recueil « Tout ira bien » en janvier 2021. Les réponses ont été très positives et favorables pour soutenir l’idée et l’importance de diffuser la culture sous divers aspects et la lecture de beaux textes en intégrant des personnes qui n’ont quasiment aucune possibilité de lire.  Le Lys Bleu est une maison d’édition dirigée par M. Benoît Couz et elle est en train de faire un beau travail humaniste et une belle illustration de diversité inclusive.

Voici le lien pour avoir une idée sur le dernier recueil de Hanen Marouani publié aux éditions Le Lys Bleu et il sera aussi adapté en vers version Braille numérique :

https://www.lysbleueditions.com/produit/tout-ira-bien/

 

 

© ​Crédit photo : Première de couverture du recueil de poèmes de Hanen Marouani, image prise par l'artiste Dominique Meunier.​​​​​

 

 

La lecture est meilleure par le partage, l’échange et l’inclusion de la diversité ! 

 

 

 

***

 

Pour citer ces texte & photos inédits

 

Hanen Marouani« "Les profondeurs de l’invisible" paraît en braille », photographies par Dominique Meunier, Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°10 | Automne 2021 « Célébrations », mis en ligne le 5 novembre 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no10/hm-parutionenbraille

 

 

 

 

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3 novembre 2021 3 03 /11 /novembre /2021 11:03

 

Numéro Spécial | Printemps 2022 | Dossier majeur | Florilège | Astres & animaux 

 

 

 

 

 

 

 

tango dans un verre d'eau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

Crédit photo : Carte humoristique, domaine public, image fournie par F. Urban-Menninger. 

 

 

 

 

c’est au bord de l’étang

que parfois en rêvant

j’observe la danse des poissons

 

 

c’est le tango polisson

des truites arc-en-ciel

en pleine lune de miel

 

 

 

c’est le tango argenté

dans leur fourreau étoilé

des carpes amoureuses

 

 

 

c’est le tango timide

des ablettes ferrées

par de vieux brochets impavides

 

 

 

c’est le tango des soupirs

des ombres langoureuses

voguant sur l’onde des souvenirs

 

 

 

c’est le tango des tanches

qui sur ma page blanche

parfois en silence se penchent

 

 

 

c’est mon tango au bord des mots

c’est mon tango dans un verre d’eau

qui trinque avec les vers de mon ego

 

 

© F. Urban-Menninger, 2021.

 

 

***

 

Pour citer ce poème inédit

 

Françoise Urban-Menninger« tango dans un verre d'eau », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro Spécial | Printemps 2022 « L'humour au féminin » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 3 novembre 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2022/fum-tango

 

 

 

Mise en page par David Simon

 

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31 octobre 2021 7 31 /10 /octobre /2021 18:11

 

Numéro Spécial 2017 | Dossier | Articles & Témoignages

 

 

 

 

 

 

 

Jeanne Duval,

 

 

l'Aimée de Charles Baudelaire :

 

 

une muse haïtienne à Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Yeno Edowiza

 

 

 

 

Crédit photo : Édouard Manet, "Jeanne Duval", "Baudelaire's Mistress", 1862, Commons, domaine public. 

​​​​​

 

 

Ce texte a été publié pour la première fois dans le Numéro Spécial 2017 (édition en papier uniquement, numéro épuisé). LE PAN POÉTIQUE DES MUSES a décidé de le rendre disponible en accès libre :

 

 

 

Le statut de la muse haïtienne de Charles Baudelaire, Jeanne Duval, parce qu'attribuée à une femme noire, métisse, semble être réduit à celui d'intrigante, de prostituée, de scandaleuse et illettrée. Si Charles Baudelaire la nomme sa « gloire », les historiens ou critiques d'art n'ont retenu d'elle que la « maîtresse ».

J'ai choisi au travers de mon récit poétique « Jeanne Duval, l'Aimée de Charles Baudelaire » de la replacer dans le contexte politique et artistique de l'époque pour témoigner de sa personnalité.

Un contexte politique mi impérial mi républicain, qui ne permettait pas au couple mixte qu'elle formait avec Charles Baudelaire de s'épanouir. Jeanne Duval était une femme libre, comédienne, lettrée et afro-caraïbéene. J'ai aussi voulu rendre hommage à la poésie de Charles Baudelaire. Jeanne Duval a fréquenté et inspiré le photographe Félix Tournachon Nadar, les peintres Édouard Manet, Gustave Courbet, Berthe Morisot, l'auteur Théodore de Banville, la chanteuse Emma Calvé, l'intellectuelle et muse Apollonie Sabatier.

Une muse n'est jamais muette ou figée, sinon elle n'inspirerait pas.

 

 

 

 

Le contexte politique dans lequel vécut Jeanne Duval

 

 

 

Selon mes hypothèses, toujours établies à partir de documents et de témoignages historiques vérifiables, Jeanne Duval serait née en 1820, selon un acte de naissance haïtien, Jeanne Prosper Caroline Dardart dite Jeanne Duval dite Berthe au théâtre, de son vrai nom Lemaire ou Lemer, à Jacmel en Haïti. Elle serait morte vers 1870 selon le témoignage de Félix Tournachon Nadar, plus tard (1878) selon la cantatrice Emma Calvé qui la dépeint dans autobiographie avec une chevelure grise, âgée d'une soixantaine d'années. On peut s'interroger sur le fait que Jeanne Duval n'a pas de tombe connue.

 

Jeanne Duval n'est pas une énigme. C'est une femme qui a vécu à une époque où la France oscillait entre empire et république en devenir. Quand on replace Jeanne Duval dans ce contexte politique et historique, on sait ce à quoi le couple mixte qu'elle formait avec Charles Baudelaire a dû faire face. Ils font connaissance sous l'empire en 1841 ou 1842. Quand Jeanne rencontre Charles, l'esclavage n'est pas aboli. La seconde république française commence en 1848 et abolit l'esclavage. Pourtant, elle est une femme noire, métisse, libre, qui se pavane aux bras d'un blanc résolument républicain et poète du renouveau. La France redevient un empire en 1852 jusqu'en 1870. Charles Baudelaire meurt sans avoir vu la 3ème république. Quant à Jeanne Duval, elle s'éteint des années après la proclamation de la 3ème république.

C'est donc dans une France impériale que le couple tombe amoureux. L'empire français pratique encore le commerce triangulaire, s'enrichit par ses marchandises humaines, et maintient le code noir qui, entre autres, rabaisse les femmes noires et métisses au rang d'esclaves reproductrices. Il faut replacer aussi les poèmes de Charles Baudelaire dans ce contexte-là. Le poète nous offre à voir une femme noire, métisse, libre, belle, digne et désirable, loin du cliché impérial.

 

Le Général Aupick est le beau-père de Charles Baudelaire (mari de sa mère devenue veuve) et sert l'empire, notamment en diplomatie à l'étranger. Baudelaire Père était républicain et ses fils (Charles Baudelaire et son frère avocat) le sont aussi. Charles Baudelaire le citoyen est également celui qui prévient Proudhon d'un attentat contre sa personne (on se réfère aux documents biographiques de Gustave Courbet à ce sujet).

 

Depuis 1804, Haïti-Saint-Domingue est une république et d'anciens esclaves ont été libérés. L'armée française, qui souhaitait conserver cette colonie, a perdu face à l'armée de libération. Jeanne Duval est donc forcément une scandaleuse pour les politiques impériaux. Même si des historiens stipulent que cette Jeanne Duval Lemaire (née en Haïti) n'est pas forcément notre Jeanne Baudelairienne, peu importe. Pour feu, la photographe ghanéenne-écossaise Maud Sulter, c'est une métisse guinéenne. Ce qui compte c'est qu'elle avait un statut de femme libre, non d'esclave au moment où elle a vécu à Paris, en plein empire. On ne peut comprendre Jeanne Duval la muse que si l'on comprend Jeanne Duval politisée de fait.

 

Voici un extrait d'un billet (mot) que Jeanne Duval a écrit à Charles Baudelaire : « … On sonne un gros coup. J’étais couchée et Louise (ma bonne) sortie. Ce ne pouvait être que toi. Je cours ouvrir en chemise. Personne ! Mais à travers la cour, de mon rideau je vois ton étourneau de frère qui file comme un cerf-volant. Qu’est-ce que tu voulais? Viens me le dire… »1. Lettrée, oui. Jeanne était comédienne, elle savait donc lire et écrire. Poétesse ? Peut-être, si l'on relève le style de ce petit mot, qui s'apparente à un petit poème. Où sont donc passées les lettres que Jeanne Duval a écrit à Charles Baudelaire? Jeanne avait une bonne, elle avait donc un statut social qui le lui permettait. Elle n'a pas toujours vécu sur l'héritage de Charles. D'ailleurs la mère de Jeanne Duval est venue la rejoindre à Paris, comme l'attestent des lettres de Charles Baudelaire. Elle qualifie Charles Baudelaire de « frère », par rapport à l'idéal républicain, probablement. En outre, on sait que Charles Baudelaire n'aurait pas été accepté en franc-maçonnerie mais qu'en était-il de Jeanne Duval ? C'est aussi avec son patrimoine politique que la muse haïtienne a été sublimée en poésie, peinte et dessinée.

 

 

 

 

Jeanne Duval, Muse d'Artistes (poètes, auteurs, peintres et photographes)

 

 

 

Crédit photo : Baudelaire, "Jeanne Duval", dessin de sa "Vénus noire", Commons, domaine public. 

 

​​​​​

 

Poètes, auteurs, peintres et photographes ont saisi Jeanne Duval. Elle avait beaucoup de succès en tant que muse, peut-être plus qu'au théâtre de la porte Saint Martin ou celui du Panthéon, qui lui sont généralement attribués comme scènes de prédilection. L'auteur Gustave Flaubert connaissait aussi Jeanne Duval. Et l'on peut supposer que Flaubert, qui s'est inspiré de plusieurs femmes pour dépeindre son héroïne Emma Bovary, a probablement songé à la Muse Jeanne Duval.

Et l'on sait que les poètes Charles Baudelaire et Théodore de Banville2 ont écrit des poèmes inspirés par Jeanne Duval. Théodore de Banville a écrit « Le Divan Le Peletier » en s'inspirant de « l'esprit moderne » de cette Muse qu'il qualifiera de « spirituelle » dans l'un de ces ouvrages3.

 

Quand Charles Baudelaire écrit sur Jeanne Duval en muse érotique, il ne ressort de ces poèmes aucun cliché de l'esclave noire ou métisse dont le maître blanc peut profiter à sa guise. Il en ressort de l'amour sublimé de chair et d'esprit. Encore une fois, pour l'époque, faire de ce type de femme-là une égale désirable est complètement révolutionnaire. Une vingtaine de poèmes environ sont reconnus comme étant inspirés par Jeanne Duval: Parfum exotique, Sed non satiata, La Chevelure, Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, Le Serpent qui danse, Remords posthume, Hymne à la beauté, Le Chat, Duellum, Un Fantôme, Je te donne ces vers afin que si mon nom, Le Balcon, Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, Les métamorphoses du vampire, Le Vampire, Les Bijoux, Une Charogne, La Beauté, De profundis clamavi, Le Léthé, Le Possédé, Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle, L’invitation au voyage, Épilogue à la deuxième édition. Les poètes amoureux n'ont pas de limite en poésie, on peut supposer que d'autres lui sont attribués. On peut aussi se référencer à l'ouvrage « Journaux intimes, fusées » de Charles Baudelaire.

 

Jeanne Duval a été dessinée à plusieurs reprises et différents âges par Charles Baudelaire lui-même, à la plume et à l'encre de Chine entre 1858 et 1865. Il ne l'a jamais dessinée nue ni aucun peintre d'ailleurs. Beaucoup ont spéculé sur la phrase posée sur un dessin : « Quaerens quem devoret » qui signifie « Comme un lion rugissant, cherchant qui dévoré ». Et pourquoi ne pas supposer que Charles Baudelaire exténué des pressions sociales de l'empire que son couple représentait, dessine Jeanne Duval dans l'optique de dire « Est-ce d'elle que vous avez si peur ? » ou encore « Il est temps de fermer la gueule des lions ». Des dessins de Jeanne Duval par Charles Baudelaire se dégage une muse d'un air mutin, d'une sensualité d'amoureuse et d'une personnalité vive.

 

Le peintre religieux Paul Chenavard, ami d'Eugène Delacroix, voulait lui aussi peindre Jeanne Duval et Charles Baudelaire lui a envoyé un dessin à ce sujet. Gustave Courbet a peint Jeanne Duval dans son tableau intitulé « L’Atelier du peintre. Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale) » et daté de 1865. Plus connu sous le nom de « L'Atelier du peintre », le tableau est exposé au Musée d'Orsay à Paris. Jeanne a été effacée du tableau, sans preuve que ce soit Gustave Courbet lui-même qui l'ait ôté, même s'il lui arrivait de gommer des personnages de ces tableaux. Le temps faisant son effet, lors d'une restauration de l'œuvre, elle est réapparue. Ce tableau dépeint les progrès et régressions de l'humanité selon Gustave Courbet. Charles Baudelaire et Jeanne Duval sont placés du côté des progrès de l'Humanité par le peintre Gustave Courbet. Ce dernier s'est inspiré de son tableau « Portrait de Baudelaire » et l'a reproduit quasi à l'identique dans « L'Atelier du peintre ».4

 

Édouard Manet a également peint Jeanne Duval à plusieurs reprises. Son œuvre la plus connue est le tableau dit « La maîtresse de Baudelaire » (titre non donné par le peintre) daté de 1862. On y note le contre-pied (figuratif et figuré) baudelairien des poèmes sensuels. Jeanne Duval ressemble à une fleur gigantesque stoïque de beauté, même si vieillissante, à l'éventail figé et le vent ne souffle que sur les rideaux. Il faut se rappeler qu'Édouard Manet a vécu dans le Brésil du 19ème siècle. Rappelons-nous aussi la force politique de son œuvre « L'exécution de Maximilien » œuvre partisane d'un combat républicain anti-violent. Son tableau « Olympia » (daté de 1863) est tout aussi politique. Édouard Manet a peint Jeanne Duval entièrement habillée en opposition à « Olympia ». 

 

D'emblée, dans la toile « Olympia », Édouard Manet dénonce le diktat de la beauté : est-on belle parce qu'on est blanche et nue ? Une fleur est-elle belle de fait ? Peut-on se permettre de dire qu'une femme noire, métisse, est belle ? Un chat noir est-il plus beau qu'une modèle noire, métisse ? L'œuvre de Frédéric Bazille daté de 1870 « Négresse aux pivoines » fait nettement référence à « Olympia » et mène à répondre à ces questions. Je pense incontestablement que le portrait « Au bal » de Berthe Morisot, daté de 1875, représente Jeanne Duval, encore une fois vêtue de blanc, à l'éventail, dans le même ordre d'idée d'hommage à un tableau de Édouard Manet, chef de file de l'impressionnisme pour beaucoup de peintres.

 

C'est le photographe Félix Tournachon Nadar qui a présenté Jeanne Duval à Charles Baudelaire. Mais ils s'étaient croisés auparavant, au théâtre grâce à Théodore de Banville dont l'ouvrage « Lettres chimériques » est une œuvre primordiale d'un témoignage qui rend hommage au couple. Il est indiscutable que Félix Tournachon Nadar a photographié Jeanne à plusieurs reprises, peut-être même le couple, pourquoi ne l'aurait-il pas fait ? Dans le fichier de la bibliothèque nationale de France, de l'Atelier Nadar, on la retrouve en « Jeune modèle ». Sous le nom des photographiés Duval apparaissent un « Docteur Duval » et un « bébé Duval » des Folies bergères. Il faut aussi souligner les ressemblances avec des « actrices ou femmes non identifiées ». C'est une des rares qui pose en drapée de velours, les cheveux crépus lâchés, face au photographe, suggérant de nouvelles beautés féminines. Dans son ouvrage « Baudelaire intime, le poète vierge » le photographe Félix Tournachon Nadar dresse un portrait parfois sec de Jeanne Duval dont il fait la connaissance en 1839. Enfin, Jeanne Duval et Charles Baudelaire fréquentaient le salon d'Apollonie Sabatier. C'était un lieu de rendez-vous où beaucoup d'intellectuels, de politiques et d'artistes de l'époque se retrouvaient. Sur l'un des dessins de Charles Baudelaire Apollonie Sabatier a noté : « La voilà votre idéal, la dardart ».

 

 

Cette femme, Jeanne Duval, est une figure historique et esthétique primordiale du 19ème. On ne saurait la réduire au niveau d'un érotisme ou d'une prétendue prostitution. Elle a inspiré de nombreux artistes et auteurs français. Elle leur a apporté son esprit moderne et une esthétique qui permettra d'enrichir des courants artistiques de la nouvelle poésie, de la peinture notamment de l'impressionnisme, et de la photographie de portrait d'actrices.

Jeanne Duval a été l'Aimée de Charles Baudelaire, celui qui apporta un souffle nouveau à la poésie, comme le soulignait Victor Hugo. Un souffle nouveau littéraire, esthétique, politique et social : « Nous qui avons mieux fait que de connaître Baudelaire, nous qui l'avons toujours suivi, admiré et aimé, nous savons que sa vie entière, comme son œuvre, fut remplie par un seul amour, et que du premier jour au dernier, il aima une seule femme, cette Jeanne, admirablement belle, gracieuse et spirituelle, qu'il a toujours chantée.»5

 

 

 

© K. Yeno Edowiza

 

 

Notes

 

1. Voir « Baudelaire Intime », p. 11 par Nadar. Extrait d'un billet écrit par Jeanne Duval. Félix Tournachon, Nadar dit avoir vu Jeanne Duval en 1870.

2. Cf. « Mes souvenirs »,  Théodore de Banville, Charpentier, 1882, p. 74 : « C'était une fille de couleur, d'une très haute taille, qui portait bien sa brune tête ingénue et superbe, couronnée d'une chevelure violemment crespelée et dont la démarche de reine, pleine d'une grâce farouche, avait quelque chose à la fois de divin et de bestial ».

3. Voir « Lettres chimériques », 1885, pp.281-282.

4. J'ai réalisé une image numérique à partir de ce portrait et de celui d'un dessin de Charles Baudelaire, en utilisant le poème « La chevelure » pour replacer le couple ensemble.

5. Théodore de Banville, « Lettres Chimériques ».

 

À lire aussi : 

 

 

Biographie



 

Karine Yeno EDOWIZA, née le 29 mai 1970 à Paris, est une auteure française et gabonaise.  Elle a grandi à Paris, Créteil et Libreville. Diplômée d'une Maîtrise d'Ethnologie, Karine yeno Edowiza écrit des récits, contes, poèmes, slam, pièce de théâtre et des récits-documentaires.


 

Autoportrait : artiste et auteure, je suis diplômée d'une Maîtrise d'ethnologie (2 spécialisations : rituels corporels et santé féminine, objets royaux et structures d'état de l'Afrique centrale). Je me produis sur scène comme comédienne et slameuse-chanteuse. J'ai mis en scène mon texte « Nzinga, reine et résistante » au théâtre. Je compte plusieurs stages et résidences cinématographiques à mon actif, notamment avec Sud écriture et la cinémathèque de Nice et le Grec. J'ai exposé mes travaux numériques dessins, peintures et photos autour de Jeanne Duval et Charles Baudelaire au Museeav de Nice. Je continue mes recherches sur Jeanne Duval.

 

 

 

***

 

 

Pour citer ce témoignage

 

Karine Yeno Edowiza, « Jeanne Duval, l'Aimée de Charles Baudelaire : une muse haïtienne à Paris »Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Numéro spécial 2017 (papier, numéro épuisé), mis en ligne le 31 octobre 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/ns2017/kye-jeanneduval

 

 

 

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