Crédit photo : Médaillon de Gaïa en Déesse mère Isis du IVe siècle, domaine public, image trouvée sur Wikipédia
La terre tremble, le silence s'envole – tel l'oiseau pourchassé – des tumultes déchirent la terre, la mer, Gaïa tremble au Mexique, détruit les biens et les êtres, sa colère fait frissonner les humains.
Terre chérie, tu charries des milliers de débris, enceinte de tes incessantes colères, tu nous terrorises pauvres créatures. Ô mère Gaïa, rendors-toi à nouveau, oublie-nous durant des années, des siècles.
Mère nourricière, cesse tes colères, accorde-nous encore ta confiance et nous rebâtirons ensemble Mexico et les villes ravagées par toi, les ouragans, les cyclones et les typhons. Saint-Martin se relève à peine, Irma tourillonne au loin, mais Maria avale Jose et tourmente la Guadeloupe...
Que faire de ces jours noirs
où les humains semblent voués au désespoir ?
remplis tantôt d'amertume des guerres,
tantôt des désastres venus des mers
aigris tantôt par leurs mesquineries
affaiblis souvent par leurs furies
Terre-mère, au-delà des mers, des océans
et des caravanes des opprimé-e-s d'Orient
rendors-toi encore, rendors-toi encore
et nous reconstruirons ensemble des sorts
meilleurs pour nos semblables honni-e-s
aux quatre coins de cette planète bénie
et garderons les tombes des victimes fleuries.*
* Ce poème improvisé est un hommage aux
victimes des catastrophes du mois de septembre 2017 (le tremblement de terre au Mexique, les ouragans et cyclones partout dans le monde)
opprimé-e-s et réfugié-e-s en Asie.
Improvisation du 20 septembre 2017
***
Pour citer ce poème
Dina Sahyouni, «Mère nourricière, cesse tes colères», Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°11, mis en ligne le 21 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/9/mere-coleres.html
Située au centre de Strasbourg, la galerie Art’Créenvol, dirigée depuis 2014 par Catherine Arnaud, organise de nombreuses expositions pour des artistes plasticiens les week-ends à Strasbourg. Une rencontre autour de l’abstraction géométrique réunit trois artistes dont Gustavo Rios venu tout spécialement de Buenos Aires.
Catherine Arnaud, docteure en sciences de l’art de l’université poursuit son travail picturo-musical qui invite le regard à découvrir des abstractions lyriques sur un rouleau de papier perforé qui génère des sons musicaux lorsqu’on l’insère dans un piano mécanique. Invitée en 2003 à présenter ses recherches à l’Alliance française de Buenos Aires avec le peintre Gustavo Rios, elle a convié ce dernier à exposer à son tour dans sa galerie.
Né à Buenos Aires, Gustavo Rios est professeur à l’université des Beaux Arts et travaille également au Ministère de la Culture en Argentine. Il a déjà exposé à Strasbourg il y a quelques années et y revient avec ses peintures en lien avec une perfection toute géométrique, une tendance très en vogue, développée au Rio de la Plata. Les triangles de couleur composent un patchwork parfait de lignes et de couleurs qui subjuguent et ravissent le regard en déclinant toute une série d’effets optiques.
Fabienne Arbogast a été photographe chez Christies à Londres, elle est revenue en France où elle enseigne les arts plastiques. Elle soutient la galerie Art’Créenvol depuis sa fondation et tire également son inspiration de l’univers de l’abstraction géométrique. Ses totems en bois et ses toiles ont partie liée avec un jeu subtil avec la matière où l’ombre et la lumière se confrontent dans une indéniable maîtrise esthétique des couleurs et des formes.
Les trois artistes réunis autour d’un même thème offrent au public une exposition exceptionnelle dans un très beau lieu où les œuvres magnifiées dialoguent entre elles, générant une musique silencieuse, poétique et intemporelle qui nous fait songer immanquablement à Kandinsky et à ses recherches synesthésiques autour des sons traduits par les couleurs.
Françoise Urban-Menninger,« Rencontre Buenos-Aires-Strasbourg à la galerie Art’Créenvol de Strasbourg », photographie par Claude Menninger, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture » sous la direction de Maggy de Coster, mis en ligne le 20 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/9/buenos-aires-strasbourg.html
Le Semainier des muses est le premier périodique paritaire en poésie
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Carole CLOTIS est l’auteur de poèmes notamment publiés aux Éditions Pan des muses. L’un a été lu à Beaubourg et diffusé dans les Fictions de France Culture (juin 2016). Elle a aussi écrit dans les ateliers de François Bon, préfacé Pays Messin, de l’artiste Jean-Marie Wunderlich et travaille actuellement avec la plasticienne Poline Harbali.
Jean-Marie WUNDERLICH est un homme, type européen, 1 m 76, yeux clairs l’hiver, 82 kilos, aime flâner. En résidence permanente à l’atelier Sainte Croix des Arts, à Metz, il sculpte, grave, dessine, écrit. Jean-Marie Wunderlich a récemment offert la sculpture « Natzweiler » au fort de Queuleu, publié Dina 93 et il réalise en ce moment une série de dessins, les Kindertotenlieder.
Date de parution : 20 septembre 2017. Dépôt légal : annuel. Première édition en livret de 8 pages. Réédition en livre de poche prévue pour octobre 2017.
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LPpdm,« Semainier des muses ; Carole CLOTIS, « Passages », N°12, ÉTÉ 2017 aux éditions Pan des muses, coll. Ops, 8 p., 3,50 €», Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°11, mis en ligne le 20 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/9/12sdm
Clara Rojas, Maggy De Coster et Bella Clara Ventura, image fournie par Maggy de Coster.
Quel bonheur de pouvoir traduire la poésie de Matilde Espinosa, cette grande poète avant-gardiste née le 25 mai 1911 à Huila, au bord du fleuve Páez, dans le département du Cauca en Colombie, qui a ouvert la voie de la liberté aux femmes colombiennes !
J’ai été invitée à Bogota en Octobre 2010 par l’Ambassade de France en Colombie à représenter ce pays à la IXe rencontre Internationale des Écrivains (es) autour de Matilde Espinosa, à la demande de Bella Clara Ventura qui présidait l’événement, commémorant le deuxième anniversaire du décès de la poète. C’est à ce moment-là que j’ai découvert cette femme d’exception dans ses multiples facettes. J’ai été séduite par son engagement en tant que poète militante et aussi par sa personnalité et la portée de son œuvre.
Sa poésie nous remue, elle résonne tantôt comme un appel en faveur de ses compatriotes martyrs tantôt comme un cri de douleur d’une mère aux entrailles déchirées. Matilde s’imprégna de la littérature française puisqu’elle vécut pendant quatre ans en France où naquirent ses deux fils.
Donc, elle ne mérite pas moins d’être connue par les poètes français. Nous lui rendons un hommage posthume, en vulgarisant sa poésie dans la langue de Molière en réunissant quelques–uns de ses poèmes sous le titre de : Le métier à tisser des étoiles, (inédit en français).
Puisse-t-elle se réjouir de notre travail, là où elle est en ce lieu de lumière !
Je remercie Guiomar Cuesta Escobar, sa légatrice testamentaire qui m’a facilité ce travail en me fournissant les textes dont nous vous donnons à lire quelques-uns.
***
Les poèmes ci-dessous sont reproduits avec l'aimable autorisation des maisons d'édition, des ayants droit et de la traductrice Maggy de Coster
Extrait du recueil Le monde un une longue rue, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1976, pp. 27-27.
Les enfants en exil
Quelqu’un pense-t-il à nous ?
à nos rêves,
à notre vol raté
et à cette marche
sans savoir qui ou qui
nous attendent ?
Qui s’est arrêté
quand on nous arrache du lit
dans le frisson du petit matin
alors qu’une forte voix
nous pousse vers le seuil de la porte
et un grand silence
ferme la maison, nos vieux jouets
demeurant au fond ?
Il faut être légers pour le voyage.
Et le coin (de jeu) dans les cours,
et les amis du pâté de maison,
les petits voisins se demanderont :
Quel méchant vent les arracha
en assombrissant les dernières étoiles ?
Toutes les patries ont un ciel,
un nom : le Vietnam, le Chili, la Colombie,
et un paysage, un lieu
qui nous paraît plus beau.
Que deviendront nos choses,
sans propriétaire connu ? Quelque chose que nous oublions :
un cahier boueux, une affiche, un souvenir.
On parle toujours des grands,
de leurs peines, de leurs travaux, de traités
que nous ne parvenons pas à comprendre,
et nous, à qui nous plaignons-nous ?
Nous ne nous demandons plus si
les persécuteurs auront des enfants.
Si les bandits auront des enfants.
Peut-être leur diront-ils
des mensonges ?
Mais nous
nous n’allons pas rester petits,
nous grandirons
et un jour nous foulerons l’herbe,
l’herbe qui niera leurs corps
pour que, la lumière, l’air,
n’aient pas honte
ni le ciel de la patrie
qui commence à devenir chanson,
notre chanson,
comme le pain et la paix
que nous cherchons pour le monde.
Matilde ESPINOZA
***
Extrait du recueil La Poésie de Matilde Espinosa, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota,Éditions Tercer Mundo, 1980, p. 131.
L’enfant qui demeura aveugle
Désormais tout sera pareil, nuages et papillons,
et le monde aura perdu les joies d’un enfant
qui fit des révolutions avec les oiseaux.
Sous la paupière immobile se blottit la nuit.
Désormais tout sera pareil.
Jamais la lumière n’eut grande tristesse
ni la couleur n’eut grande solitude.
Et la fête des feuilles avec le vent
se poursuit en naufrage
ainsi que le peuple de comètes
et les nids endormis ou défaits.
Jamais la lumière n’eut grande tristesse
ni la couleur n’eut grande solitude.
Matilde ESPINOSA
***
Extrait du recueil La Poésie de Matilde Espinosa, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, Bogota, 1980, pp. 211-212.
De la sereine transparence
Je repense à l’amour,
non seulement pour toi, non seulement pour moi,
mais pour l’étoile et son insistance,
pour la pluie et son tintement
et c’est pour regarder la porte ouverte.
Dans la sereine transparente
du mot qui s’en va
il reste une rumeur d’un ancien fleuve
où vécurent des poissons rouges
qui dans la tiédeur de l’écume
furent emportés par la mort.
Comme à la fin des rêves
le réveil est douloureux
j’éteins la lumière de la fenêtre
et je vois passer tous les visages
dans l’ivresse des silences.
Non seulement pour toi, non seulement pour moi,
mais pour l’étoile et pour sa fuite,
pour l’ombre passagère,
pour le fleuve et son courant
et pour la pluie qui ne cesse pas,
qui ne cesse pas de tomber.
Matilde ESPINOZA
***
Extrait du recueil : Les héros perdus, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Trilce Éditeurs, 1994, p. 73.
Le nuage blanc
À la mémoire de mon fils, Fernand Martínez Espinosa
Un jour et un autre jour
sans toi mon fils.
Et les silences
et le pourquoi sans sens
et savoir seulement
qu’il y avait un assaut dans mon chemin.
Pourquoi m’as-tu précédé
le pas, finalement mon fils,
peut-être tu ignorais que cette douleur
n’a pas d’égal
ne s’exprime ni par les mots.
C’est la plus solitaire de toutes les douleurs
et l’écho de ses pleurs
traverse les siècles
comme des frissons anciens et nouveaux.
La solitude accoucheuse de la mort
devait t’éteindre les paupières remplies de soleils
et de cieux vagabonds.
Elle a dû te fermer les pupilles
qui me cherchent
dans ce labyrinthe où je berce
ton ombre.
Dans le nuage le plus blanc
je te rends à l’enfance
et t’attends.
Matilde ESPINOZA
***
Extrait du recueil La crue des fleuves, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Antares, 1955, pp. 51-52.
À Paul Éluard
(Au cimetière du Père-Lachaise, Paris, 1953)
Tu es si jeune en ce monde
que ta mort n’est que le début
de ta verte récolte.
On t’entend respirer sous l’herbe
que ton cœur défend, comme une autre peau.
Ta langue universelle était le courant
qui transportait ta lutte sous les drapeaux,
et nous voyions ta tête illuminée
de rossignols et de bocages rouges.
À travers ton espérance et tes veines hardies
circulaient les hymnes et les forges,
dans l’enceinte bleue de tes mots,
les fronts se joignaient
en un vol espacé de colombes.
Tu règnes de profil dans les ombres,
en recueillant le silence de la nuit
qui fixe dans tes pupilles
la splendeur infinie de ton étoile.
J’entends monter à travers chaque tige tendre
le flux implacable de ton sang,
et je te vois comme tu étais, haut et grand,
parmi les enfants des quartiers pauvres.
Le territoire de l’amour te couvre,
la Liberté marche avec ton nom,
et dans tes yeux ouverts
la Paix veille sur ton aspiration profonde.
Je viens d’un pays où les arbres
précipitent leur origine
dans les rêves de l’homme,
et je t’apporte un message :
une poignée de terre,
une poignée d’amour
pour ta couche verte.
Matilde ESPINOZA
***
Extrait du recueil Dehors, les étoiles, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditorial Guadalupe, 1961, pp. 5-6.
Dehors, les étoiles
Dehors, les étoiles, les statues dénudées,
les chiens errants, l’ombre de la lune.
Dedans, l’amertume, l’esclavage, les meubles,
Une table dressée et beaucoup de faim dans l’âme.
Dehors, la beauté, l’honnêteté des arbres,
les mains de la terre, la douceur de l’air.
Dedans, le mensonge, comme une lampe aveugle,
tendresse contenue sans se donner aux mots.
Dehors, l’espérance, les pauvres avec leur froid,
la liberté de l’eau, les pierres et la rosée.
Dedans, l’agonie, conque peureuse
qui pulvérise l’essence des choses.
Dehors, tout est joie qu’ exultent les prairies,
la gloire des vents, les amours des pâtres.
Dedans, la mesure squelettique et vaine
qui verse dans le vin une larme gelée.
Dehors, le cloches, les nuages, les horloges
montent avec les heures inaugurer les tours.
Dedans, la nostalgie des temps inutiles
ignore la bataille de celui qui sème les roses.
Dehors, tout le monde, les mers, les navires,
les bras des hommes grands comme des forêts.
Dedans, tout est ombre qui mutile les rêves,
mort qui tombe les yeux ouverts.
Matilde ESPINOSA
***
Bibliographie de Matilde ESPINOSA
La poésie de Matilde Espinosa s’est déclarée en 1954 et parmi ses livres on peut citer :
– Les crues des fleuves (Bogota, Antares, 1955)
– Pour tous les silences (Bogota, Éditions Minerva, 1958)
– Dehors, les étoiles (Bogota, Éditions Guadalupe, 1961)
– Le vent passe, (1970)
– Le monde est une longue rue (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1976)
– La poésie de Matilde Espinosa (sélection) (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1980)
– Mémoire du vent (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1987)
– Saison inconnue (1990)
– Les héros perdus (Bogota, Trilce Éditeurs, 1994)
– Des signaux dans l’ombre (Bogota, Arango Éditeurs, 1996)
– Le mur de l’ombre (1997)
– La ville entre dans la nuit (Bogota, Trilce Éditeurs, 2001)
– La Terre obscure (Bogota, Arango Éditeurs, 2003)
– Un jour parmi tant d’autres (Bogota, Beaumont Éditeurs, 2006)
(NDLR : Ces titres sont les traductions des titres originaux en espagnol).
***
Pour citer ce texte
Maggy de Coster (texte, traduction & images),«À propos de la poésie de Matilde Espinosa», Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Premiercolloque international & multilingue de la SIÉFÉGP sur « Ce que les femmes pensent de la poésie : les poéticiennes », mis en ligne le 19 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/poesie-matilde-espinosa.html
Page officielle du 1er colloque 2017-2018 Premier colloque international & multilingue sur Ce que les femmes pensent de la poésie : les poéticiennes organisé par la Société Internationale d'É...
Le Maroc célèbre Edgar Morin à Paris avec un hommage vibrant de l’Ambassadeur Chakib Benmoussa. En présence des deux amis proches et complices philosophiques, les sociologues Alain Touraine et Mustapha Saha.
Mustapha Saha rend public, à cette occasion, son texte « Edgar Morin, une pensée faite monde » dont un large extrait ci-dessous.
À quatre-vingt-seize ans, Edgar Morin donne au monde une leçon perpétuelle de jeunesse d’esprit. Une pensée en continuelle immersion dans les complexités labyrinthiques de la raison humaine. Une pensée faite monde. Socrate est parmi nous. Sa voie, Edgar Morin l’a trouvée depuis longtemps, vivre poétiquement, chaque journée, comme une vie entière, la construire comme une œuvre d’art, fournir au cerveau du bon grain à moudre pour l’empêcher de s’empêtrer dans la vase des choses. Sa ligne de conduite, dans son long parcours existentiel, s’inspire du paradoxe lumineux de Blaise Pascal, « la raison prend sa source dans le cœur ». Il n’est donc question pour lui ni d’exclure la raison ni d’admettre que la raison. La voie se trouve probablement dans cet entre-deux étroit, entre science sans conscience et conscience sans science, dans cette fibre sensible qui fait l’humaine humanité.
La présentation du numéro spécial des Cahiers de l’Herne, consacré à Edgar Morin de son vivant, a réuni de nouveau, au milieu d’un quartet d’intellectuels, dandys fatigués de la surexposition médiatique, Edgar Morin et Alain Touraine, fringants nonagénaires, dinosaures de l’agora sociologique, rescapés miraculeux de la glaciation culturelle, combattants indéfectibles de la pensée sociale, adversaires irréductibles de tous les scientismes, monstres sacrés de la critique radicale, incorrigibles empêcheurs de tourner en rond, indémontables guetteurs de l’imprévisible. Le temps des querelles vivifiantes, des controverses revigorantes, des confrontations stimulantes, paraît bel et bien révolu. Ne demeurent que polémiques stérilisantes, platitudes arrogantes et coups d’épée dans l’eau.
Edgar Morin, attentif aux entendus et sous-entendus de ses glorificateurs, console son ennui d’imperturbable bienveillance. Quand le vacarme l’assourdit, Sénèque murmure à son oreille. Il s’installe résolument dans l’économie symbolique du temps pour vivre intensément l’instant présent. Malgré les innombrables sollicitations protocolaires, il se soustrait, le plus possible, à l’abstraction du temps morcelé pour baigner dans le temps naturel, cette durée sans commencement ni fin conceptualisée par Henri Bergson, qui s’accordéonise selon sa propre musique, qui n’a d’autre substance que la volupté d’être. Il ne sert à rien de courir de plus en plus vite pour aller nulle part, sinon à la catastrophe. Blaise Pascal nous le rappelle « Nous errons dans les temps qui ne sont pas les nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient ».
L’accélération du temps métronomise le vertige de la mondialisation. L’interconnexion décisionnelle au sommet, à l’échelle planétaire, broie impitoyablement la dimension humaine, absorbe et digère toutes les productions, toutes les inventions, toutes les créations, ne laisse d’autre alternative à la servitude volontaire que l’exclusion sociale. La mondialisation compressive est chronophage par définition. Elle vampirise implacablement le temps de la contemplation, de la méditation, de la réflexion. Elle récuse le droit à la paresse fécondateur de maturation créative. Elle désintègre la conscience de soi, dissoute dans le mépris sans visage, dans les contrôles électroniques, dans les ordres signalétiques, dans les puces indétectables, qui gangrènent, comme des tumeurs, la vie quotidienne. La mondialisation ultralibérale étouffe la pensée critique dans l’œuf. Les monopoles financiers aux commandes et la technocratie gouvernante à leur solde ignorent eux-mêmes la direction prise par le monde. Ils fonctionnent avec les théories obsolètes et les concepts archaïques hérités du dix-neuvième siècle, passés à la moulinette des statistiques descriptives et des variables aléatoires. L’ordre géométrique triomphant dissèque le réel et ne reconstitue que du virtuel. Foin de l’analyse qualitative !
Seule l’accumulation des données compte. La culture occidentale s’ankylose, depuis des siècles, dans le rationalisme castrateur, s’obstine à imposer son universalisme en modèle civilisationnel indépassable. Depuis le XVIème siècle, l’Occident se prévaut d’une avance scientifique irrattrapable, alibi idéologique de sa fuite en avant dominatrice, de son complexe de supériorité patho-historique. Avec la Révolution numérique, tous les continents, tous les peuples, toutes les localités repartent à pied d’égalité. Je rappelle à mes vieux complices philosophiques que j’ai forgé le concept de diversalisme pour liquider, définitivement, l’héritage colonial. Toutes les cultures du monde, du passé, du présent, du futur, se valent et s’équivalent dès lors qu’elles ne sont pas instrumentalisées comme armes de destruction et comme véhicules d’infériorisation.
La Révolution numérique dépouille le pouvoir, tous les pouvoirs, de leur levier principal, le monopole de l’information, instaure une société transversale en réseaux où le centre se décentre à l’infini, où les périphéries proches et éloignées deviennent instantanément, en temps réel, des centres de focalisation planétaire en fonction des scoops qu’elles propulsent, où l’événement se déclenche, sans préavis, n’importe où, n’importe quand, où l’inattendu se niche dans les indénombrables ordinateurs domestiques. Le flux perpétuel de l’information engloutit ses manipulateurs. La marée communicationnelle avale impitoyablement les désinformateurs. La conscience individuelle interagit désormais, sans intermédiaires institutionnels, avec la conscience planétaire dans son immense diversité, dans une fermentation chaotique propice à toutes les imprévisibles.
Le concept d’alter-mondialisme, aspiration profonde à une autre configuration des rapports planétaires, entre civilisations, entre cultures, entre personnes, au-delà de ses multiples récupérations, tresse, dans le tâtonnement expérimental, des passerelles parallèles. Le succès grandissant des produits biologiques, après les dévastations pathogènes des additifs chimiques, remet progressivement la nature-mère au centre des préoccupations humaines. Les énergies renouvelables, solaires, éoliennes, hydrauliques, géothermiques, le développement durable et l’économie circulaire, s’imposent, peu à peu, comme palliatifs pérennes aux combustibles destructeurs. Les entreprises citoyennes, les coopératives, les mutuelles, le commerce équitable, édifient progressivement une économie interactive, sans grossistes, sans distributeurs, sans spéculateurs. L’actualisation des architectures traditionnelles résout des problèmes insolubles pour les technologies sophistiquées et inopérantes des industries monopolistiques du bâtiment. Les niches écologiques se multiplient dans les interstices du bétonnage ravageur.
Edgar Morin ne s’est jamais embarrassé des prévenances idéologiques. Il se dit atteint d’incurable dissidence. Les distinctions, les décorations, les gratifications, génératrices d’émotions agréables, protègent socialement son âme rebelle. Il est d’autant plus éthiquement juif qu’il a toujours défendu la cause palestinienne. Il invoque, dans un soupir, la Thessalonique de ses origines, terre d’asile de ses ancêtres andalous. Il cultive sa citoyenneté du monde dans sa marocanité adoptive. Quand il convoque son alter ego disparu, Cornelius Castoriadis, en parlant laconiquement du vide de la pensée, il pense d’abord aux acolytes de circonstance. La course à l’audience participe décisivement au décervelage de masse. La technocratisation de la société va de pair avec sa déculturation. L’appauvrissement intellectuel se conjugue à la prolifération des pathologies mentales. L’addiction aux neuroleptiques compense dangereusement la perte de repères, l’absence de sens à l’existence. La spécialisation à outrance atomise la connaissance, pulvérise la pensée, génère, dans tous domaines, des générations de techniciens ignorantistes.
La recherche universitaire n’échappe pas au confinement. Les techno-sciences, qui s’en alimentent, broient l’humain au profit de l’efficience. La compréhension du monde bute sur le cloisonnement disciplinaire et l’atomisation programmée. L’intrépide humaniste ne cherche pas des solutions, tôt ou tard fossilisées en systèmes, juste des voix de passage, avec l’amour, la poésie et la sagesse comme emblèmes, vers les contrées inexplorées du savoir et du bien-vivre. En élaborant la Charte de la Transdisciplinarité avec Lima de Freitas et Basarab Nicolescu, Edgar Morin pense une nouvelle éthique qui contrebalance les grands risques encourus par le genre humain et son environnement en sortant de l’ombre leurs pendants d’espérance. Cette Charte remet à l’ordre du jour une approche dialectique de la réalité dans sa complexité synergique. L’intégrité morale et physique du vivant est inaliénable. Toute tentative de dissoudre l’humain dans une structure formelle, de l’abstraire comme unité statistique inerte, de le soumettre à des manipulations génétiques monstrueuses, de le transformer en cybernanthrope sans âme, est un crime inexpiable contre l’humanité. La connaissance tenant compte de la variété de la nature et de la diversité du vivant est forcément complexe et globale. L’enfermer dans une logique unique, dans une interprétation monolithique relève de l’obscurantisme.
La dignité humaine ne se réduit pas à sa dimension existentielle, sociale, matérielle, passagère, elle s’inscrit dans l’anamnésie théorisée par Platon deux mille cinq cents ans en amont. Chaque humain est un éclat de l’univers, il porte en lui la mémoire génétique et intellectuelle de l’humanité entière depuis les origines. La terre tout entière appartient à chaque vivant par le seul fait que chaque être est porteur de son feu sacré. Dès lors, la transdisciplinarité se propose d’articuler les domaines artificiellement séparés du savoir pour susciter une compréhension à la fois panoramique et multidimensionnelle de la nature et de la réalité, une compréhension qui restitue à l’humain son bien le plus précieux, sa dignité. En ce sens, l’interdisciplinarité peut se définir comme une intelligence connective. L’intelligence, du latin « intellegere », ne signifie-t-elle pas, étymologiquement, « relier plusieurs lectures » ? L’intelligence n’est-elle pas cette faculté proprement humaine de comprendre le sens et la substance des choses en déchiffrant, au-delà de leurs apparences, les liens organiques qui les animent ? Chaque discipline est traversée par des courants sémantiques, sémiologiques, éthiques, voire mythologiques, qui la dépassent. Il n’est pas de science qui ne soit en même temps allégorique.
La théorie des correspondances de Charles Baudelaire, inspirée de Platon, déclinée dans son poème « Les Correspondances », résume avec justesse ces interactions mystérieuses. Les correspondances verticales tissent des communications secrètes entre le visible et l’invisible, cet invisible visiteur des artistes et des poètes, qui les arrache à l’espace-temps, les plonge dans des sensations célestes incommensurables et les met en état de transe. Paul Klee ne distingue-il pas les artistes par leur don de rendre visible l’invisible ? Les correspondances horizontales réunifient sans cesse le monde, au-delà de ses turbulences, ses désordres, ses violences. Les crises, qui meurtrissent le monde, ne sont-elles pas des résidus lointains du chaos originel dont il est né ? « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » quand l’âme s’élève suffisamment haut pour capter leur symphonie. La fusion de la subjectivité et de l’objectivité se matérialise dans l’œuvre d’art. L’art et la poésie ne germinent et fleurissent que dans l’imaginaire fertile et l’intuition créative. La seule légitimité des artistes, des poètes, des penseurs, sera leur œuvre dévolue à l’humanité, leur seul juge la postérité à l’aune de leur legs à l’humanité. Mai 68 n’a existé que par sa créativité. Les enfants de mai rêvaient de l’imagination au pouvoir sans savoir que leur rêve était aporétique. Le pouvoir et l’imagination sont et seront irréductiblement antinomiques.
Alain Touraine rappelle sa réfutation permanente des théories systémiques, réduisant les individus à des unités comptables, son aversion des logiques statistiques sans âme, des méthodologies technocratiques déshumanisantes. Face aux machines robotisantes, vulgarisées par le technicisme conquérant, il a toujours développé une sociologie des acteurs, exploré les dynamiques transformatrices des mouvements sociaux, scruter les évasures de la libération. Il s’attache particulièrement à l’utilité de la sociologie, ses théorisations devant naître des pratiques réelles et leur donner sens en retour, avec le souci constant de transformer les consommateurs passifs en sujets actifs dans un monde déboussolé, qui a perdu ses ressorts d’espérance. Le retour du sujet, dans le marasme économique et l’ankylose politique, est, depuis longtemps, son exaltant cheval de bataille. Il n’est d’épanouissement social que dans la synergie des singularités. Alain Touraine fait du concept de subjectivation son étendard, autrement dit l’affirmation de soi comme être libre, responsable et créateur. Je me ressource à cette évocation dans Mai 68.
Les idées singulières doivent descendre dans la rue. L’action citoyenne n’a d’autre moteur pour impacter le devenir commun que l’interactivité créative à la base, sur le terrain, hors sentiers battus, par l’apport créatif de chacun. La singularité ne se réalise pleinement que dans la liquidation définitive de la sacralité du pouvoir. Pendant des siècles, seuls les artistes, les poètes, les saltimbanques accédaient à cette liberté d’être sous masque d’amuseurs du roi ou sous guenille de gueux. L’expression de minorité agissante, galvaudée par le pouvoir pour dévaloriser les agitateurs indisciplinables, désigne justement ces groupuscules, sommes de singularités sans entraves, délivrées des chaînes de la productivité, de la rentabilité, de la compétitivité, capables, par leur créativité et leur imaginaire en action, de s’investir dans l’intérêt général et de déclencher des lames de fond dévastatrices de l’ordre établi. Leur déviance, comme le dit justement Edgar Morin, dès lors qu’elle rencontre une attente collective, se mue en tendance pour devenir une force historique. Ainsi se réalise l’improbable qui, au moment où tout semble perdu, sauve l’humain du désastre annoncé.
Alain Touraine étudie, dès leur émergence, les mouvements étudiants, les activismes féministes, les bouillonnements incontrôlables, façonneurs d’un autre rapport au monde. Il se proclame membre à part entière du cénacle frondeur d’Edgar Morin, Paul Lefort et CorneIius Castoriadis. Il a tôt pressenti, sous les soubresauts des crises répétitives, l’agonie du vieux monde industriel et la gestation, dans la parole et le sang, d’une société nouvelle, en Amérique latine et ailleurs. Il salue la revanche historique de la dialectique hégélienne sur le positivisme kantien. Le souvenir du père spirituel, Georges Friedmann, hante toujours autant la mémoire des deux patriarches. La condition humaine est leur passion conceptuelle, la politique leur terrain de jeu analytique. Correspondance de leurs destinées conjugales, frappées par la disparition de leurs épouses-muses. Amoureux éternels de l’irremplaçable, ils sont, tous les deux, repartis, au tournant de l’âge, après abattement mortifère, pour une autre vie sentimentale. Quand souffle la tempête, leur donquichottisme, fièrement assumé, leur sert de radeau de sauvetage.
L’emprise absolue des pouvoirs écrasants des finances et des médias formatent, d’avance, les besoins, façonnent les opinions, réduisent méthodiquement les marges de liberté. Je pense à mon ami Jean Baudrillard, toujours incompris post-mortem. Le pouvoir pour le pouvoir anéantit subrepticement les droits fondamentaux de l’être humain, neutralise anticipativement ses velléités de révolte, anesthésie sournoisement son exigence vitale de dignité. L’embrigadement brutal des totalitarismes massifs a laissé place aux circuits tentaculaires de contrôle et de surveillance. Dans « la société bureaucratique de consommation dirigée » selon la formulation d’Henri Lefebvre, son cours magistral à Nanterre germinateur de la révolte étudiante, le social est partout évacué au profit de la manipulation politique. Je revis nos discussions interminables avec Henri Lefebvre dans son appartement Rue Rambuteau, nos promenades rituelles jusqu’à la Place des Vosges où la nostalgie de son époque surréaliste, avant d’être vampirisé par le stalinisme, le transfigurait ? Le poète ressurgissait par magie sous la stature du professeur vénéré.
Je souligne qu’aujourd’hui, plus qu’hier, le citoyen opprimé lui-même, est sommé, pour se faire entendre, d’intégrer un réseau lobbyiste sous peine de disparaître comme sujet. L’urbanisation technocratique de la planète dénie le droit à la ville jusque dans l’architecture. Le citadin, téléguidé dans des passages obligés, se métamorphose en spectre urbain. Des forces obscures, cependant, forment sourdement, solidairement, inventivement, des galeries souterraines d’émancipation dans les quartiers populaires. La transversalité sape, dans ses fondements, la prépotence pyramidale. Mai 68, chassé par la grande porte, revient par l’issue de secours. Mai 68, objet politique non identifiable, artefact historique non élucidable, s’invoque pieusement comme un paradigme utopique, une lanterne mythique, un sémaphore symbolique. Alain Touraine cite Mai 68 ; La Brèche (éditions Fayard, 1968), ouvrage écrit dans le vif de la Révolution ludique par Edgar Morin, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis. Il omet volontairement d’évoquer, élégance intellectuelle oblige, son propre livre du même cru Le mouvement de mai ou le communisme utopique (éditions du Seuil, 1968). Visions empathiques de mandarins engagés ne saisissant de la conscience estudiantine révoltée que sa pellicule politique. Et pourtant, sous folklore ouvriériste, il n’eut que la soif de liberté, rien de plus, rien de moins. Au premier rang de l’auditorium, je me revois à l’époque, vêtu de noir comme aujourd’hui, cofondateur du Mouvement du 22 mars à la faculté de Nanterre, animateur romantique du temps des barricades, rêveur impénitent de rivages inaccessibles, calfeutré dans une distanciation de bonne aloi, souriant de la récupération académique et de l’émotion sincère des doctes nostalgiques. Je me contente d’objecter, pendant le dîner, quelques apophtegmes amphigouriques. Mai 68, perceur de traverses transgressives, fécondateur d’idées intempestives, porteur d’intemporalité poétique, féconde toujours l’avenir, au-delà des mutations éprouvantes. Le virus politique empêche la pensée de prendre son envol philosophique. La société transversale creuse, irréversiblement, ses cheminements invisibles. Les concepts de pouvoir et de politique sont définitivement obsolètes. Il n’est de salut que par l’art et la poésie.
La soirée se prolonge dans l’ambiance exotique et feutrée du restaurant marocain L’Atlas, boulevard Saint-Germain. Une douzaines de convives, triés sur le volet par la direction des Cahiers de l’Herne, puissance invitante, couvent Edgar Morin et Alain Touraine de leur affectueuse présence. Les cellériers lobbyistes de l’événement restent à la porte. Le pouvoir sans pouvoir puise sa raison d’exister dans les secrets d’alcôve. Les deux philosophes partagent bonnes anecdotes et tajines d’agneau embaumés d’effluves orientaux. Edgar Morin entonne à voix chaude des chansons classiques des années folles. La sociologue marocaine et complice épouse, Sabah Abouessalam-Morin, savoure en silence la déclaration d’amour.
* Mustapha Saha, sociologue, poète, artiste peintre, cofondateur du Mouvement du 22 Mars à la Faculté de Nanterre et figure historique de Mai 68.
Sociologie, poésie, féminisme & Mai 68
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Pour citer ce texte
Mustapha Saha,« Edgar Morin, une pensée faite monde», reportage photographique par Élisabeth et Mustapha Saha,Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°11 & Hors-série 2017, mis en ligne le 17 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/9/edgar-morin.html
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