16 mars 2020 1 16 /03 /mars /2020 11:55

Lettre n°14 | Être féministe | Articles & témoignages

 

 

 

 

 

 

Comprendre « La douleur »

 

chez Baudelaire

 

 

 

 

Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

Crédit photo : Première de couverture de la troisième édition de 1869. 

 

Des Fleurs du Mal de Baudelaire, recueil paru le 28 juin 1857, nous avons fait le choix d’extraire deux sonnets que nous avons décortiqués pour comprendre les caractéristiques de la Douleur  chez le poète.  

 

 

 

Recueillement

 

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :

Une atmosphère obscure enveloppe la ville,

Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

 

Pendant que des mortels la multitude vile,

Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,

Va cueillir des remords dans la fête servile,

Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici, Loin d'eux.

 

Vois se pencher les défuntes Années,

Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;

Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

 

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,

Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,

Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

 

 

Le mal comme la Douleur recèle le beau, une beauté sous-jacente qu’il convient de faire ressortir. En défiant les conventions Baudelaire instaure sa propre vision des choses. Il nous donne une autre lecture du mal, le mal peut être source de Plaisir, de jouissance. Le beau n’est pas toujours beau et le mal n’est pas toujours mal.   

La douleur est personnifiée, il  lui parle comme à une personne, il lui adresse une supplique.

L’emploi de l’impératif est une prière par le tutoiement il établit une relation de proximité, en lui et la douleur qu’il traite comme son égale.

Le Soir est comme un cadeau idéal pour cette Douleur qui l’accapare, s’installe dans son être en lui procurant un plaisir masochiste. Ce soir qui embrasse la ville lieu de Plaisir est pour lui un  rendez-vous avec la douleur. La nuit est propice à la Douleur, elle la nourrit. À ce compte il lui réclame un peu de répit.

Le Plaisir a aussi son revers car il est peut être aussi source de remords en étant lourde de conséquences en ce sens qu’il en découle postérieurement des ennuis, des mauvais souvenirs. Il peut donner lieu  à une sorte de dépendance récurrente. 

Le plaisir peut être également dans la Douleur comme dans  le cas du masochisme. C’est dans la douceur et le calme de la Nuit qu’il savoure le plaisir que lui procure la Douleur. Il s’y habitue et l’attend comme un bien-aimé attend sa promise, le soir venu. 

Il cultive le paradoxe chez lui en ce sens que le Regret n’est pas seulement bouleversant mais peut avoir également un caractère plaisant en soulevant des émotions fortes, des éclats de rires tantôt joyeux tantôt nerveux !

Le soleil est comme une personne lasse de vivre qui attend avec une longue patience sa dernière heure. Il invite la Douleur à l’écoute, à se mettre à son niveau. Il semble être envahi par le Regret de n’avoir pas assez  profité de la vie. Écrit en majuscule, le mot se veut envahissant dans il occupe une place importante dans la vie. Il culmine à un point tel qu’il le ronge comme un ver  ronge un cadavre. Le mal comme la douleur recèle le beau, une beauté sous-jacente qu’il convient de faire ressortir. Il défie les conventions et instaure sa propre vision des choses. Aussi le mal peut être source de Plaisir

**

 

Alchimie de la douleur

 

L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l'un : Sépulture !
Dit à l'autre : Vie et splendeur !

Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;

Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages

 

Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages. 

 

 

Au sens littéraire du terme, l’alchimie désigne la « Transformation de la réalité banale en une fiction poétique, miraculeuse » Baudelaire se sent investi d’une force que lui communique la Douleur  comme si elle était son double. Une dualité qui le rend productif en ce sens qu’elle lui sert de muse. 

L’or c’est l’évocation de la préciosité, de la richesse mais le fer évoque la dureté au sens propre comme au sens figuré,  « dur comme fer » ; pour combattre on croise les fers donc Baudelaire est sans doute investi d’un courage de fer pour affronter sa Douleur. Les heures d’accalmie se révèlent pour lui le paradis  mais l’enfer n’est jamais trop loin. Cet enfer est caractérisé par la souffrance qui s’installe et se veut plus durable que les plages de sérénité.

 

« Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ; »


Cette Douleur joue aussi à l’ambigüité en ce sens qu’elle le dévore et en même temps elle est  son inspiratrice car il lui permet de se transcender par la poésie. Il navigue entre heur et malheur entre Hermès le dieu de la chance qui guide les morts et Midas le riche qui finit par se suicider. 

 

« Par toi je change l’or en fer

Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages »

 

Il aimerait tant parvenir à cette transmutation jubilatoire pour vivre dans la splendeur du jour mais la Douleur l’intimide, elle prend le dessus en lui offrant des visions sépulcrales. Aussi passe-t-il de l’extase à la tristesse :

 

« Je découvre un cadavre cher, »

 

Les cadavres ne sont pas banals car ils lui sont si chers qu’il lui faut  de grandes étendues comme de « célestes rivages » pour leur ériger  des sarcophages à l’instar  des rois Égyptiens. Quelle  expression de magnanimité, d’élévation, de sublimité que celle qu’inspire  la Douleur ! 

Selon Gaston Bachelard « La langue de l'alchimie est une langue de la rêverie, la langue maternelle de la rêverie cosmique. » Baudelaire  rejoint bien cette assertion quand il écrit :

 

« Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages » 

 

 

La Sépulture symbolise l’enfermement donc l’enfermement dans la Douleur qui est une prison à vie.

 

 

***

 

Pour citer ce texte

 

​​​​​Maggy de Coster, «  Comprendre « La douleur » chez Baudelaire », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe, mis en ligne le 16 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/douleurchezbaudelaire

 

 

Page publiée par le rédacteur David Simon

 

 

 

© Tous droits réservés                                 Retour au sommaire ​​

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans La Lettre de la revue LPpdm

Bienvenue !

 

RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION ! 

LUNDI LE 3 MARS 2025

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES

Rechercher

Publications

Dernière nouveautés en date :

VOUS POUVEZ DÉSORMAIS SUIVRE LE PAN POÉTIQUE DES MUSES  SUR INSTAGRAM

Info du 29 mars 2022.

Cette section n'a pas été mise à jour depuis longtemps, elle est en travaux. Veuillez patienter et merci de consulter la page Accueil de ce périodique.

Numéros réguliers | Numéros spéciaux| Lettre du Ppdm | Hors-Séries | Événements poétiques | Dictionnaires | Périodiques | Encyclopédie | ​​Notre sélection féministe de sites, blogues... à visiter 

 

Logodupanpandesmuses.fr ©Tous droits réservés

 CopyrightFrance.com

  ISSN = 2116-1046. Mentions légales

À La Une

  • ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL | NO III
    CÉLÉBRANT LES AUTRICES EXILÉES, IMMIGRÉES, RÉFUGIÉES... LE 8 MARS DE CHAQUE ANNÉE, LE PRIX LITTÉRAIRE DINA SAHYOUNI (PORTANT LE NOM DE LA FONDATRICE DE LA SIÉFÉGP ET DE CETTE REVUE) REDÉMARRE À PARTIR DU 14 JUILLET 2025 POUR L’ÉDITION DU 8 MARS 2026....
  • « Nos coutures apparentes » : Imèn MOUSSA signe un recueil qui démêle l’âme 
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Critique & réception | Dossier | Articles & témoignages & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Critiques poétiques & artistiques « Nos coutures apparentes » : Imèn MOUSSA signe un recueil qui...
  • Poésie et musique sur le Dichterwag (sentier des poètes) de Soultzmatt en Alsace
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Critique & réception | Poésie & musique Poésie & musique sur le Dichterwag (sentier des poètes) de Soultzmatt en Alsace Chronique de Françoise Urban-Menninger Blog officiel : L'heure du poème...
  • Des mots pour vaincre et convaincre
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Essais ou manifestes | Leçons, méthodes & méthodologies en poésie | Revue poépolitique Des mots pour vaincre & convaincre Article inédit par Maggy de Coster Site personnel Le Manoir Des Poètes...
  • Au matin des mots
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Muses & Poètes... | Florilège / Muses au masculin | Nature en poésie / Astres & animaux Au matin des mots Extrait poétique par Claude Luezior Site personnel © Crédit photo : Première de couverture...
  • Seize poèmes traduits du kurde sorani
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Muses & Poètes... | Florilège / Poésie érotique Seize poèmes traduits du kurde sorani Poèmes d’amour par Arsalan Chalabi Auteur de treize recueils de poésie et de fiction en kurde et en persan....
  • Journal, récit d’Éric Dubois paru dans la collection La Bleu-Turquin dirigée par Jacques Cauda aux Éditions Douro
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Critique & réception | Biopoépolitique | Handicaps & diversité inclusive Journal, récit d’Éric Dubois paru dans la collection La Bleu-Turquin dirigée par Jacques Cauda aux Éditions Douro...
  • Exil et poésie. Langue et vérité en temps d’exil
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | La poésie dans tous ses états / Leçons, méthodes & méthodologies en poésie & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Varia & Actualité Exil & poésie. Langue & vérité en temps d’exil Conférence par...
  • François Hollande, l’indéfinissable. Journal d’une campagne présidentielle (Extrait)
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages François Hollande, l’indéfinissable. Journal d’une campagne présidentielle (Extrait) Extrait & photographies par Mustapha Saha Sociologue,...
  • Éclats de mémoire archéologique gazaouie
    N° III | ÉTÉ 2025 / NUMÉRO SPÉCIAL « CRÉATRICES » | 1er Volet | Revue culturelle des continents* & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Varia & Actualité Éclats de mémoire archéologique gazaouie Mustapha Saha Sociologue, poète, artiste peintre Sociologue-conseiller...