22 septembre 2021 3 22 /09 /septembre /2021 11:56

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REVUE ORIENTALES (O) | N°1 | Florilège de créations​​, Événements poétiques | Justice pour elles ! | Poésies féministes & N° 10 | Célébrations | Dossier mineur | Florilège

 

 

 

​​​​​

 

À une Soudanaise

 

 

&

 

 

La mort d'une joyeuse*

 

 

 

 

 

Imèn Moussa

 

Poétesse, Docteure en Littératures française & francophone, Rédactrice en chef de « Trait-d'Union » Magazine & co-fondatrice des "Rencontres Sauvages de la Poésie en Île de France"

 

 

 

 

© ​​​​​​​​​​​Crédit photo : Imèn Moussa "La pieuse", Lalibella, Éthiopie, 2019.

 

 

 

À une Soudanaise

 

 

 

[Et les aboiements des chiens résonnent encore dans mes oreilles…] 

Elle ne voulait pas le savoir, depuis combien de temps son rêve s'est écrasé ici. 

Depuis combien de temps elle n'était plus qu'une poussière dans la jungle des sans visages. D'un accent à un autre le pont de la mort se déroulait devant elle. 

Sa vie dans le camp était une attente infidèle comme ces eaux qui l'ont recrachée. 

La cale s'est renversée en mer...les gardes côtés étaient là. 

Ils les ont placés, 

Nulle part… 

Son âme a quitté la photo de son passeport pour s'agripper aux épines de ces barbelés teintés d'actions humanitaires. 

Elle s’est encore échappée. 

Elle a escaladé la nuit, elle a butté contre les ronces, elle s'est griffé le visage, elle a vendu son corps pour arrondir la somme... 

Le monde s'est rétréci au passage de ses pieds. 

Elle a marché vers le nord 

Elle n'avait pas le droit de désespérer, pour elle et pour ceux qui se sont noyés. 

Et, parce que le désespoir n'avait pas le droit de s'installer dans son ventre elle est enfin arrivée aux pieds du pays de son rêve. 

[Puis parfois dans ma tête je marche, je marche encore…]

 

Istanbul, Décembre 2017.

 

 

 


 

 

© ​​​​​​​​​​​Crédit photo : Imèn Moussa, "En elle un avion", Chiraz, Iran, 2016.

 

 

La mort d'une joyeuse 

 

 

Au temps où ta Nakba se porte entre les plis de ton sexe,

Ton histoire est celle d’une poupée, Piégée dans les filets d’un chasseur mal aimé. 

Au temps où mes sœurs enjambent encore la fenêtre pour ne pas épouser leurs ravisseurs,

Ton histoire est celle d’une sirène, 

Mordue au pied par un diable affamé. 

ӿ ӿ ӿ ӿ ӿ ӿ  

Ouvre la boîte d’allumettes, 

Tu verras que les choses ne sont pas si bien faites. 

Mais toi,  

Toi, 

Tu es née femme, tu n’as pas à te justifier, 

Tu es née femme et désormais aucun de tes jours ne sera semblable à tes autres jours.

 ӿ ӿ ӿ ӿ ӿ ӿ 

Tu grandiras, du bonheur tu en éplucheras,

Tu te marieras et tu auras beaucoup d’enfants.

 ӿ ӿ ӿ ӿ ӿ ӿ 

 Pour le reste, ne l’oublie pas,

 Range ta peau, c’est la loi.

 Et si tu veux accorder tes pas au son de ta voix, 

Tu n’auras qu’à t’accrocher à la main de Fatma.  

 

 

IM, Maroc, Tanger, 30-08-2017

 

 

 

* © Imèn MOUSSA, deux poèmes extraits du recueil Il fallait bien une racine ailleurs (L’Harmattan, Juin 2020).

 

 

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© ​​​​​​​​​​​Crédit photo : Superbe photo de l'autrice/auteure Imèn Moussa

 

Biographie 

 

Née à Bizerte en Tunisie, Imèn MOUSSA est poétesse et docteure en Littératures française et francophone. Elle consacre ses recherches sur la situation des femmes dans le Maghreb contemporain. Rédactrice en chef de Trait-d'Union Magazine Algérie et co-fondatrice des "Rencontres Sauvages de la Poésie en Île de France", elle se passionne pour la photographie qu’elle associe à ses écritures poétiques. Son engagement dans le travail associatif auprès de réfugiés et de demandeurs d’asile en France mais aussi ses voyages autour du monde font naître dans son écriture le thème de « l’identité nomade-plurielle » dont elle fait un véritable mode de vie.

Imèn MOUSSA diffuse ses textes dans plusieurs magazines internationaux francophones comme World Words Magazine (Allemagne) et World Poetry Mouvement (Colombie), Débridé (France). Elle publie en 2020 son premier recueil de poésies : Il fallait bien une racine ailleurs, aux éditions l’Harmattan à Paris, 2020.

 

***

 

 

Pour citer ces extraits féministes & militants

 

Imèn Moussa  (photos inédites), « À une Soudanaise » & « La mort d'une joyeuse », poèmes féministes reproduits avec l'aimable autorisation de l'autrice et de sa maison d'édition, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrations », Événements poétiques | Insurrection poétique 2021 « Justice pour elles ! » & Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1, mis en ligne le 22 septembre 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/no10/im-soudanaise

 

 

 

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20 septembre 2021 1 20 /09 /septembre /2021 12:22

 

N° 10 | Célébrations | Actions en faveur des femmes & LGBT+ [parution numérique uniquement] 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Prix Littéraire

 

 

de Dina Sahyouni

 

 

 

 

 

SIÉFÉGP

Société Internationale d'Études des Femmes

& d'Études de Genre en Poésie. 

 

 

 

Crédit photo : Image d'une auteure "Ana de Castro Egas", domaine public, Commons. ​​​

 

 

 

En hommage à la poéticienne et poète immigrée/exilée Dina Sahyouni, fondatrice de la SIÉFÉGP, ses collections, distinctions, presses numériques et imprimées…, "Le Prix Littéraire de Dina Sahyouni" récompensera pour sa première édition le 8 mars 2022 l'œuvre d'une écrivaine immigrée, réfugiée ou exilée*. La femme de lettres distinguée par ce prix aura un certificat officiel & un article académique sur l'œuvre primée à paraître dans la revue LE PAN POÉTIQUE DES MUSES.

 

 

Conditions pour y concourir :

 

1. Ce Prix est international, les auteures non francophones peuvent y concourir. 

2. Ce Prix concerne les ouvrages parus dans les deux ans précédents. Pour sa première édition, les œuvres éditées en 2020 & 2021 peuvent y participer.

3. Être une écrivaine immigrée, exilée ou réfugiée dans le pays de sa résidence principale (en France ou ailleurs dans le monde).

4. Une seule œuvre par auteure.

5. Les traductions sont acceptées. Les œuvres collectives sont rejetées.

6. Les essais, poésies, nouvelles, romans, études, éditions critiques, contes, récits...sont acceptés.

7. Les œuvres poétiques ou portant sur la poésie sont privilégiées.

8. L'envoi postal de trois exemplaires de l'œuvre & de trois exemplaires de la biographie de son auteure ou un exemplaire en format PDF de l'œuvre accompagné par un document PDF de la biographie de son auteure, De même, on accepte l'envoi des livres en format audio par courriel (à contactlppdm@pandesmuses.fr avec l'objet "Pour Prix DS") durant la période du 9 septembre au 25 janvier 2022 au siège social de l'association SIÉFÉGP à Grenoble (24 rue Lucien Andrieux).

 

9. Être éditée par une maison d'édition (à compte d'auteur, à compte d'éditeur, associative, etc.)

10. L'auteure d'une œuvre présentée au Prix ne peut ni être un membre du jury, ni être une personne de la famille proche (parents, enfants, petits enfants, neveux, nièces, conjoints, frères, sœurs et assimilés) d'un membre du jury.

11. Selon le souhait de Dina Sahyouni, ce Prix ne doit pas récompenser l'auteure de l'œuvre primée par une somme d'argent car cela représente un contresens. Ce qui est réellement nécessaire à une auteure immigrée, exilée ou réfugiée, ce sont la reconnaissance et la valorisation de ses créations, et non pas une récompense monétaire. Les personnes deviennent des immigrées, des exilées ou des réfugiées pour des raisons multiples. L'argent n'a aucune valeur quand ce qui est attendu c'est l'égard.

 

Trois écrivaines confirmées désignées par la SIÉFÉGP dès le 6 janvier 2022 (voire même avant) sélectionneront dans un premier temps trois livres en février ensuite un seul ouvrage par vote dès le premier mars. L'annonce du résultat final se fait publiquement et aura lieu le 8 mars 2022. Une cérémonie de remise de prix pourrait être envisagée ultérieurement.

 

 

 

* Cette distinction est inclusive.
 

 

***

 

Pour citer ce texte

 

 

SIÉFÉGP, « Le Prix Littéraire de Dina Sahyouni », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrationsmis en ligne le 20 septembre 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/no10/siefegp-dinasahyouni

 

 

 

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Dernière mise à jour le 3 novembre 2021 (ajout de l'acceptation de l'envoi électronique et des livres en format audio) 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 10 Distinctions
17 septembre 2021 5 17 /09 /septembre /2021 10:53

 

REVUE ORIENTALES (O) | N°1 | Dossier & N° 10 | Célébrations | Entretien artistique & Féministe | Réflexions féministes sur l'actualité | Revue culturelle d'Afrique & d'Orient

 

 

 

 

 

 

 

La situation de la femme noire dans 

 

le domaine artistique au Maghreb :

 

l’expérience de la peintre tunisienne

 

Youssra Chouchène

 

 

 

 

 

 

​​

Propos recueillis par

 

Rym Gamanda

 

Chercheuse en littérature africaine francophone subsaharienne

Membre d’APELA & Doctorante à l'Université de Sfax (Tunisie)

 

 

Entrevue-enquête avec l'artiste

 

Youssra Chouchène

​​​​​​

 

 

 

Introduction

 

 

​​​​​© Crédit photo : Youssra Chouchène, œuvre représentant une orientale noire, peinture. 

 

 

 

 

Un monde malaisé et une situation sanitaire déséquilibrée au cours de ces deux dernières années continuent à semer l’inquiétude, le scepticisme et le doute dans les esprits des terriens. Un retour à soi et une attention accordée à l’autre semblent devenir non seulement un refuge mais aussi un besoin immédiat. Les êtres humains se trouvent dans l'urgence d’interroger la nature de leurs rapports à l’autre et d’évaluer le degré de la mise en pratique des valeurs humaines et morales comme la justice, l’égalité et la solidarité. Les vagues de contestation soulevées dans plusieurs pays aux quatre coins du monde ont mis le point d’orgue sur la subsistance d’une violence plurielle et protéiforme qui a poussé des groupes à crier gare et à stigmatiser des comportements déplorables exercés à leurs égards. En Tunisie, la femme maghrébine noire revendique son intégration sociale et condamne le racisme et l’iniquité. 

 

Dans ce contexte, nous avons choisi d'interroger la situation de la jeune femme magrébine noire dans un domaine qui a toujours donné l’impression d’être le plus humain des domaines et des secteurs à savoir le domaine artistique dans le contexte maghrébin. Pour bien illustrer notre idée, nous avons choisi d’accorder notre attention au parcours de l’artiste Youssra Chouchène. En effet, cette talentueuse peintre noire est tunisienne. Originaire de Djerba, l’île des rêves qui a nourri son inspiration et sa créativité, elle a participé à de nombreuses expositions artistiques à l’échelle nationale et internationale. Elle a également contribué à plusieurs concours au cours desquels elle a remporté les premiers prix, comme le concours de Nasa Challenge et le concours Euro-méditerranéen.  La passion pour le Design de produits industriels a poussé la jeune Yousra à en faire son métier pour creuser son chemin dans l’art et pour concrétiser ses ambitions et ses rêves de toujours. Tout cela n’a fait qu’aiguiser sa sensibilité pour la peinture.

 

Ses créations artistiques sont d’une grande expressivité et d’une profonde sensibilité. Elles captent l’œil et accrochent le regard par leur contenu vibrant et réaliste qui affiche une forte prédilection pour le portrait des femmes de sa communauté et de son pays en mettant en valeur l’héritage berbère, la chaleur émotionnelle et orientale et les paysages multicolores et lumineuses. Les traits physiologiques des portraits féminins peints par l'artiste expriment aussi méticuleusement l'amertume, l'insatisfaction et l'indignation de la femme dans le monde arabe en mettant l'accent sur "l'orientale" noire, victime jusque-là d'une condition défavorable et injuste (patriarcat, sexisme, racisme, phallocratie…) Et la problématique qui s’impose par elle-même en faisant un tour autour de ses toiles consiste à s’interroger si on a affaire, dans ses tableaux à la peinture d'une autobiographie féminine orientale et maghrébine noire. Ceci vient de l’impression qu’on a dès le premier contact avec ses toiles. Ainsi, ces dernières racontent-elles des bribes de l'histoire de cette catégorie de femmes. Diplômée de l’Institut Supérieur des Beaux Arts, elle a accepté de répondre volontiers à nos quelques questions qui interrogent son parcours et sa situation en tant qu’artiste noire dans son pays arabo-musulman : la Tunisie.

 

 

 

Entretien

 

 

 

 

1 Nous avons remarqué la prégnance des femmes dans vos toiles, des femmes dans plusieurs et différents états ayant souvent des humeurs contradictoires : des femmes souriantes, des femmes danseuses, des femmes travailleuses et même des femmes qui crient et qui pleurent. Mais ce qui a attiré notre attention, c’est l’omniprésence de la femme noire qui occupe vos tableaux d’une façon marquante. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de cet intérêt et de cette prédilection pour les portraits des femmes et surtout la femme noire ?

 

 

Y.C Tout d’abord, je voudrais vous remercier infiniment de m’avoir accordée cette chance de me présenter en tant qu’Artiste Tunisienne Noire qui a toujours préféré s’exprimer dans un langage artistique, pictural et symbolique qu’elle trouve le plus capable de transmettre ses idées et ses sentiments.

En réponse à votre question, je dirais que la femme c’est tout simplement moi; la femme Tunisienne en particulier et la femme Maghrébine et Africaine en général qui est aussi, encore et toujours moi. Cette femme exceptionnelle à qui j’ai voulu accorder une place centrale dans mes tableaux, est la reine de mes tableaux !

La femme noire, c’est moi en grand « M », non seulement dans ma « tunisianité » mais aussi et surtout dans mon africanité ! Des toiles comme « The scream », « Silence » ou « La danseuse » rendent hommage à la femme noire mais elles mettent aussi en lumière des fragments de son vécu, des épisodes ou des « petites histoires » de sa vie quotidienne et des états d’âme de cette femme de couleur à qui on manquait d’accorder l’attention nécessaire et la considération qu’elle mérite d’avoir dans sa propre patrie et sur sa propre terre. C’est un passage en revue, une invitation à venir voir ce qu’elle endure et c’est surtout un instant de partage de ce qu’elle ressent au quotidien et de ce qu’elle peut encore faire et réaliser malgré tout. 

 

 

​​​​​© Crédit photo : Youssra Chouchène, œuvre artistique représentant une orientale noire, no 1.

 

 

2 Oui tout à fait ! Nous avons remarqué que la femme Noire dans vos toiles semble insatisfaite et souvent malheureuse ! Elle semble associer inquiétude et tristesse. D’où provient cette mélancolie intrigante qui la submerge ? Quelles en sont les causes principales ?

 

 

Y.C Mes créations prennent les couleurs de mes humeurs et mes femmes peintes disent ma crainte de l'avenir, mes inquiétudes et mon insatisfaction actuelle face à ma situation en tant que femme noire dans mon pays. L’insatisfaction donne naissance à la contestation  qui est la raison d’être de mes œuvres.  

 

 

3 Peut-on dire dans ce cas que vous êtes engagée à prendre, à travers la peinture, une position contestataire contre des pratiques qui vous déplaisent comme la discrimination par exemple ? Pour vous, l’art est-il une arme efficace pour défendre une cause notamment la cause noire ?

 

YC Pour moi, la cause noire est principale mais mon engagement par et pour l’art couvre d’autres causes également.

Mon grand souci était de pouvoir exprimer le refus de l’exclusion dont la femme noire se sent victime dans sa vie quotidienne et professionnelle. Par la peinture, j’ai voulu stigmatiser les injustices, le racisme sous toutes ses formes et coutures et la ségrégation patente et latente. J’ai voulu mettre à nu des facettes d’un mal qui gangrène encore mon pays en 2021 à savoir la discrimination raciale. Je peux même ajouter que j’ai voulu défendre le procès des personnes défavorisées, les « sans-voix » et toutes celles et tous ceux qui ont un jour été victimes de l’iniquité.

 

 

4 À l’optique de tout ce que vous venez de dire, il y a aussi un point commun qui rassemblerait toutes vos femmes. Elles semblent être en état d’attente perpétuelle. Aspirent-elles à un avenir meilleur ?

 

YC Mes femmes, sont comme moi, dans l’attente d’un avenir incertain. Elles sont sceptiques et l’état de doute leur est constant. Une panoplie d’interrogations bourdonne dans leurs esprits. Elles cherchent toujours le pourquoi des choses et la raison suprême de leur place subalterne qui contredit leur humanité et leur intellectualité.

 

 

 

5 Je comprends parfaitement votre inquiétude mais je pense aussi qu’il y a une lueur d’espoir voire une lumière qui jaillit de l’ombre ? Parmi vos toiles, je me rappelle très bien de la femme noire qui danse et je pense que c’est la parfaite illustration de l’hymne à la joie et à la vie. Est-ce une invitation à être optimiste ?

 

 

YC  J’ai toujours été contre la capitulation. Ne jamais baisser les bras est mon slogan existentiel. Malgré les difficultés que j’ai rencontrées dans ma vie, j’ai toujours préféré garder le sourire et préserver mon esprit jovial. Dans mes œuvres, les couleurs ternes sont toujours traversées par des couleurs-lumières par quoi je voulais transmettre l’idée que la joie et l’espoir seront toujours des forces défiantes qui nous permettront de surmonter tous les malheurs du monde et que l’optimisme est une facette du combat et de résilience.

 

 

 

6 Vous dites « pour moi, la peinture est une fenêtre sur la vie. Elle exprime non seulement ce que je ressens mais elle est également mon porte-parole. C’est un miroir qui reflète mon image sous un autre angle. »

Dans quelle mesure, la peinture présente-t-elle pour vous un moyen d’extériorisation de votre intériorité et un reflet de votre intimité profonde ? Peut-on dire que l’art constitue une thérapie qui vous permettrait de mettre à nu un mal vécu ou une peine sentie ? 

 

 

YC Pour moi, les portraits que je peins ne sont pas seulement de simples dessins mais surtout mes compagnons éternels, mes amis et mes confidents à qui je raconte mes secrets les plus enfouis. Ce sont aussi des traces et des témoins d’un parcours turbulent et pluriel. Chaque ligne, chaque touche et chaque couleur contient une histoire ou une épreuve vécue ou endurée. Mes toiles sont aussi la langue avec laquelle j’essaye de communiquer avec le monde extérieur, d’inscrire ma vision du monde et d’exprimer mes opinions. Prendre mes crayons et mes couleurs équivaut, pour moi, au fait de rompre le silence, de dire les choses sans réserve et sans retenue, de libérer mes mois enchaînés et de me sentir affranchie. C’est ainsi que je pratique comme vous l’avez bien dit, ma propre thérapie.

 

 

 

7 Parmi les portraits que vous avez dessinés, pourriez-vous nous choisir un qui semble vous représenter le plus parfaitement ? Et quelles étaient les circonstances qui ont donné sa naissance ?

 

YC « Silence » est le portrait le plus cher à mon cœur. C’est un tableau en noir et blanc, qui expose une femme noire en état de détresse. Les yeux embués de larmes qui coulent et qui couvrent le visage entier. La femme est imprégnée par son silence intrigant et le regard morose traduit une tristesse mêlée à la déception. J’ai peint ce tableau pour tracer mon expérience douloureuse quand j’étais responsable de design de produits industriels dans une entreprise. Là-bas et en tant que travailleuse salariée, j’étais victime d’injustice et d’humiliation à plusieurs reprises de la part de mon patron. Le jour même de la réalisation de ce portrait (qui n’était que l’effet de cette injustice tragiquement éprouvée), j’ai revendiqué mon droit d’êtredignement payée comme mes collègues de travail. Mon directeur a refusé d’augmenter mon salaire et de me mettre dans le même pied d’égalité avec les autres employés. Sa réaction qui était accompagnée d’un ton dédaigneux et moqueurm’a beaucoup bouleversée et je me suis rendue compte du tragique de ma situation en tant que jeune femme noire qui a opté pour l’art de design comme noble métier et moyen d’expression. 

 

 

 

8 Selon vos propos et votre expérience racontée, la femme noire artiste avance dans des conditions défavorables et difficiles et elle occupe une place seconde et subalterne malgré ses atouts intellectuels. Est-elleétrangère dans son propre pays ?

 

 

YC Effectivement ! Dans l’entreprise où j’ai travaillé un bon moment, j’ai eu toujours l’impression d’occuper une position inférieure. Consciente des efforts que j’ai fournis, de mon assiduité et de mon sérieux au travail, je me suis toujours demandée pourquoi cette iniquité exercée à mon égard et pourquoi me priver de mon droit d’une rémunération méritée surtout qu’on adossait des tâches qui débordaient ma spécialité de désigner ?! Je faisais presque tout. J’étais obligée de garder le silence, faute de moyens et par crainte d’être exclue de mon travail ; moi qui appartiens à une classe très moyenne. J’ai travaillé sous la pression du harcèlement moral et de la violence verbale exercées par « mon maître » du travail.

 

 

9 Vous nous avez parlé d’une expérience difficultueuse qui nous a donné un aperçu sur votre parcours professionnel sulfureux. Le domaine artistique semble être un univers difficilement accessible à la femme noire tunisienne et un univers où elle se trouve exposée à plusieurs embûches et à de dures épreuves. Qu’en est-il de votre parcours académique ?

 

 

YC [sourire] Il n’était pas très différentde mon parcours professionnel. [Après un silence plus ou moins long] Je vais vous raconter une anecdote ! Originaire de Djerba, j’ai dû me déplacer à une autre ville pour poursuivre mes études supérieures. J’ai déposé mon dossier de candidature et au fond de moi, j’étais presque sûre d’être acceptée vu la moyenne considérable et le bon scoreque j’avais. À ma grande surprise, ma candidature a été refusée sans raison convaincante sachant que des candidats qui avaient des moyennes inférieures à la mienne ont été acceptés. Je ne vous cache pas que cela m’a beaucoup vexée mais j’ai fini par réussir à accéder à cet institutgrâce au soutien d’une amie à moi. Et depuis, j’aidécidé de travailler jour et nuit pour prouver au directeur qui m’a exclue au début de l’année, que j’étais digne d’être là et qu’une femme noire ne manque pas d’esprit, de créativité artistique et de talent non plus surtout pour réussir et pour y arriver. Par mes propres efforts et par la grâce de Dieu, j’étais la première de ma promotion dans ce même institut. 

 

 

10 L’injustice vous a suivie dans les différentes étapes de votre parcours mais vous avez toujours fait preuve de courage, de persévérance et de résilience.  Pourquoi avez-vous souvent préféré garder le silence et réagir avec le travail et l’action ?

 

 

YC Mes toiles étaient mes réactions, mes prises de positions, mes cris de révolte et mes contestations. Par exemple, mon tableau TheScream incarne beaucoup ce retour réactionnaire, le cri sorti de la bouche de cette femme noire est un cri d’indignation et d’un « C’est Assez ! » et d’un « It’sEnough ! » dégagés de plus profond de l’âme. Je me rappelle très bien que ce tableau était dessiné sous le choc lors d’un cambriolage dont j’ai été victime à la ville de Sousse et personne n’a voulu me soutenir ou m’aider quand l’incident s’est passé. Je me suis retrouvée seule face à mes agresseurs et je me suis retrouvée seule à affronter le mal et la violence. J’ai crié à haute voix mais personne n’a voulu m’écouter ou me soutenir.

 

 

 

​​​​​© Crédit photo : Youssra Chouchène, œuvre artistique représentant une orientale noire, no 2. 

 

 

11  C’est vraiment dur ce que vous avez malheureusement vécu mais je vous félicite pour votre polyvalence et belle énergie qui sont toujours là. C’est vrai que vous exprimez votre contestation non seulement à travers des toiles de peinture mais vous pratiquez aussi la photographie et le maquillage artistique puisque vous créez de votre propre visage et de votre propre corps des tableaux d’art pour exprimer vos attitudes et pour transmettre des messages d’une femme insurgée contre le racisme, l’injustice et la misogynie ; ces fléaux desquels vous avez tant soufferts. Pour vous, le maquillage artistique est-il une autre facette de militantisme ou un talent de plus qui s’ajoute à plusieurs de vos bijoux et trésors distingués et uniques ?

 

 

YC Des incidents qui se passent partout et quotidiennement révèlent le mal et le côté monstrueux de certaines personnes qui font perdre l’équilibre et la stabilité aux quatre coins du monde. L’affaire Georges Floyd aux États-Unis a secoué la planète entière. C’était horrible ! « I can’tbreath » ; est un cri d’étouffementqui a fait fondre mon cœur et m’a obsédée. Il y a des milliers de personnes noires dans ce monde qui répètent silencieusement et douloureusement « Je ne peux pas respirer ». Ils en ont assez de discrimination et de racisme et c’est afin de condamner cette injustice que j’ai réalisé l’œuvre de maquillage artistique où j’ai divisé mon visage en deux couleurs : la couleur noire qui est la mienne et la couleur blanche que j’ai ajoutée pour montrer que nous sommes toutes et tous des êtres humains, semblables et identiques. La peau, quelle que soit sa couleur demeure une épiderme extérieure qui n’influence en rien notre identité humaine.

 

 

12 Que pensez-vous de la visibilité de la femme noire artiste dans les médias tunisiens ? A-t-elle les mêmes chances d’apparition que « les autres femmes » ?  

 

 

YC D’après ce que je vois tous les jours, il s’agit d’une apparition très modeste et presque inexistante. La femme noire et particulièrementl’artiste noire, je ne lavois presque pas passer ou s’afficher dans nos chaînes de télévision et je ne me rappelle pas l’avoir écoutée sur nos ondes à la radio. Elle est donc quasiment absente et si je vous parle de ma propre expérience, je n’ai jamais été invitée par les médias audio-visuels. Et pourtant, il ya parmi nous beaucoup de femmes talentueuses cachées et éclipsées qui aspirent au succès mais elles se trouvent presque écartées et ignorées.

 

 

​​​​​© Crédit photo : Youssra Chouchène, œuvre artistique représentant une orientale noire, no 3.

 

 

13 D’après tout ce que vous venez d’affirmer ou de témoigner, l’avenir semble flou et dur à projeter. Pouvez-vous nous parler encore des rêvesqui vous habitent et des ambitions qui restent à concrétiser dans l’avenir proche ou lointain surtout que vous êtes encore très jeune et vous avez encore un long chemin devant vous ?

 

 

YC Tout d’abord, je rêve d’un monde où le racisme ne trouvera jamais de place et où l’égalité règnera partout. Je rêve d’un avenir meilleur où la femme noire se sentira prospère et épanouie au sein de son propre pays et où elle sera considérée et reconnue dans toute sa « tunisianité » mais aussi dans son africanité. Je rêve de devenir une peintre très célèbre, connue à l’échelle internationale et je souhaite de tout mon cœur avoir l’opportunité et la chance d’ouvrir ma propre entreprise pour exercer mon talent préféré qui est le Design. J’aspire aussi de voyager ailleurs et de découvrir d’autres horizons ! Merci pour cette attention à mon égard et l’égard de mon art.

 

 

Biographies :

 

 

Youssra CHOUCHÈNE. Tunisienne, originaire de Djerba. Elle est artiste en design de produits et particulièrement en peinture. Ses tableaux affichent un intérêt exacerbé pour la femme dans sa pluralité, notamment la femme maghrébine. Son talent prodige lui a permis de remporter plusieurs prix et médailles à l'échelle nationale et internationale comme le 2ème prix du concours de Nasa Challenge et celui du concours Euro-méditéranéen. Elle est également passionnée par la photographie et le maquillage artistique.

 

 

Rym GAMANDA est doctorante Tunisienne à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax. Chercheuse en littérature africaine francophone subsaharienne et membre d’APELA, l’association pour l’étude des Littératures Africaines. Elle travaille essentiellement sur la question du « Féminin » en rapport avec l’identité sexuée.

Elle est diplômée de l’Université de Rouen en pédagogique du FLE et elle a participé à plusieurs formations à distance portant sur les techniques innovantes en classe du FLE.

 

 

©RG

 

***

 

Pour citer cet entretien-témoignage  

 

 

Rym Gamanda, « La situation de la femme noire dans le domaine artistique au Maghreb : l’expérience de la peintre tunisienne Youssra Chouchène », entretien-témoignage inédit illustré par quatre œuvres de l'artiste Youssra Chouchène, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrations » & Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1mis en ligne le 16 septembre 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/no10/rg-youssrachouchene

 

 

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REVUE ORIENTALES ET LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 10 REVUE ORIENTALES Muses et féminins en poésie Féminismes

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