13 septembre 2021 1 13 /09 /septembre /2021 16:20

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​​​REVUE ORIENTALES (O) | N°1 | Florilège de créations​ / Invitées & N° 10 | Célébrations | Dossier mineur | Florilège 

 

 

 

 

 

 

 

 

 ​​​Orientales

 

 

 

 

 

[Invitée]

Poème & dessin

Catherine Gil Alcala

 

 

Dramaturge, poète & Artiste

Site officiel : www.lamaisonbrulee.fr/

 

 

 

 

​​​​© Crédit photo :  Catherine Gil Alcala, « Charretière d'Opéra », Dessin à l'encre de chine sur papier 50 x 65cm. 

 

 

 

Le talisman d'or du levant déroule des escargots de lumière sur le sommeil ensoleillé d'Inanna.  

Affabulations gagas des rêves des profondeurs, stridulation des chants de lamentations, sa sœur des enfers, geisha cornue mésopotamienne, enfante les enfants morts, enseigne l'envers sorcier de l'énamoration.

 

Mini-Biographie de

CATHERINE GIL ALCALA. Poésie, théâtre, performance, arts plastiques...les frontières sont poreuses, les arts s'interpénètrent... Catherine Gil Alcala a commencé à dessiner dans la continuité des répétitions d'un théâtre d'images qui était un théâtre du rêve.

Par la suite, ce théâtre du rêve devient une écriture foisonnante d'images et de sonorités qu'elle publie aux éditions La Maison Brûlée.

Ses écritures ont été jouées au théâtre et ont fait l'objet de performances musicalopoétiques, de même, elle conçoit des expositions d'œuvres plastiques et de poèmes et participe à des festivals intercontinentaux.

Site Internet : www.lamaisonbrulee.fr/

 

© C. Gil Alcala

 

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Pour citer ce poème orientaliste en prose

 

Catherine Gil Alcala (poème & dessin inédits), « Orientales », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrations » & Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1, mis en ligne le 13 septembre 2021. Url :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/no10/cga-orientales

 

 

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REVUE ORIENTALES ET LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 10 REVUE ORIENTALES Muses et féminins en poésie
11 septembre 2021 6 11 /09 /septembre /2021 15:35

 

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 Portrait & entretien de

 

 

Myriam Soufy : Belle et Re...Belle

 

 

 

 

 

 

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Propos recueillis par

 

 

Hanen Marouani

 

Entrevue avec

 

Myriam Soufy

 

 

 

 

Portrait de Myriam SOUFY : Belle et Re...Belle

 

© Crédit photo : Portrait de Myriam Soufy.

 

 

Myriam Soufy, auteure de Re…Belle recueil de poésies paru aux éditions Arabesques à Tunis en octobre 2019. Elle est principalement et juriste en droit des affaires et a entamé une carrière d’avocate avant de se diriger vers l’enseignement et la recherche. Après une expérience politique en tant que membre élu du bureau des jeunes démocrates en Tunisie puis responsable des conventions dans la campagne présidentielle de Ahmed Néjib Chebbi en 2014, elle a essayé de retrouver sa vocation première, son environnement naturel : l’art. Elle est diplômée du Teatro Studio et participe à plusieurs pièces de théâtre en tant que comédienne, dont la dernière, un solo de danse-théâtre qui s’intitule Tanfissa, dirigé par Marwen Errouine. En tant que plasticienne aussi, elle a participé à plusieurs expositions de groupes avant de prendre le pari de préparer son exposition personnelle « Attrape-rêves » à l’espace Aire-Libre à El Teatro dans la ville de Tunis sans oublier de mentionner qu’elle était aussi active dans plusieurs résidences artistiques. Éprise de voyages, de couleurs et de mots, elle est actuellement en formation en Art-thérapie à l’AFRATAPEM.

Son livre Re…Belle retrace le chemin d’une femme : ses rêves, ses aspirations, ses amours, ses déceptions, ses désirs et ses regrets. Les émotions éprouvées face aux épreuves de la vie mais aussi face à la beauté, la complexité de l’humain et de l’univers. C’est également un appel à la réflexion, au questionnement perpétuel, à la tolérance, à la résilience... Une ode à la vie, une vie débarrassée des diktats et des aliénations sociales.

Re…Belle a été écrit dans plusieurs coins du Monde mais toujours dans l'intimité des sentiments, des espaces et des lieux. Il a été aussi présenté dans plusieurs webinaires organisés notamment par l’Institut français de Tunis, Médina Book Club, à la maison d’édition Arabesques, à l’occasion de la foire du livre tunisien et à la Fnac à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. En 2021, Re…Belle a été présenté dans le cadre d’un festival de poésie Portugais Ronda Leiria Poetry Festival et autour d’une table ronde virtuelle « Migra » qui a été organisée par Léonardo Tonus dans le cadre d’une rencontre entre des écrivains, des artistes et des chercheurs de tous les horizons issus de la société civile et dans une initiative de travailler sur les nouvelles configurations de la migration. 

Plusieurs textes de Re…Belle ont été lus dans des festivals notamment à l’occasion de La Nuit de la Poésie : événement organisé par l’Institut français de Tunis avec la coopération de l’Institut du Monde Arabe.  

Une autre séance dédicace du recueil Re…Belle au stand des éditions Arabesques a eu lieu à la Foire Nationale du Livre Tunisien à la Cité de la Culture à Tunis du 17 au 27 juin (de 9h à 19h) et les autres dates seront communiquées sur ses réseaux sociaux. Et pour commander Re…Belle, vous pouvez consulter ce lien : https://www.ceresbookshop.com/fr/?fbclid=IwAR0qI1fj7bAWRi_nY_oGcgSKjqA22liRVdDyOLBkx1Imgx_dz-VNkefcFVo.

Pour découvrir ses créations artistiques, ses collages, ses photos, ses textes… voici son compte Instagram :

Myriam.Soufy

 

 

Entretien 

 

 

1 – Bonjour Myriam Soufy, je suis très ravie de vous rencontrer dans le cadre de cet entretien ! Comment peut-on présenter un parcours aussi riche et inspirant d’une jeune et belle femme comme vous à nos lecteurs ? 

 

 

MS C’est loin d’être un parcours typique je l’avoue, il porte plus les notes d’une errance existentielle, que d’un chemin tracé dès le départ avec une ligne d’arrivée. C'est plutôt une quête, une quête d’inspiration, de création. Une curiosité insatiable de la vie dans toutes ses dimensions scientifiques, humaines, politiques, sociales, spirituelles et artistiques. Un choix d’échapper au déterminisme, d’ouvrir l’espace de mon cœur à mes passions, de me laisser porter par toute expérience pouvant se présenter à moi et de prendre le risque ou peut-être le bonheur de la vivre pleinement.

 

 

 

2 – Y-a-t-il une divergence ou une convergence entre la poésie d’aujourd’hui et d’autrefois partout dans le monde et particulièrement en Tunisie ? Selon vous, quelle filiation et quelle innovation ? Peut-on parler d’une rupture ou d’une continuité ?

 

 

MS – Il faudrait que je sois un peu plus outillée pour répondre à cette question ou du moins d’avoir une vue holistique des courants poétiques dans le Monde ou même en Tunisie. Mais je pense que ce qui caractérise la poésie c’est cette nécessité de dire, de se révolter, de brandir ses mots comme une arme de construction, de questionnement, de ré-enchantement. C’est peut-être en cela que la poésie s’inscrit dans la continuité. Quant à l’aspect innovant, il se situe à mon humble avis au niveau stylistique, en cette forme plus libre, plus imagée, une forme qui est en rupture avec la poésie classique tout en gardant un certain rythme, une certaine musicalité.  

 

 

 

3 – Naviguer entre la poésie, le théâtre, l’art, la peinture, la recherche scientifique dans le domaine juridique, l’engagement dans la société civile… ; qu’est-ce que tout cela peut encore nous dire sur le rôle des femmes dans la société par l’art et la culture ?

 

 

MS Je pense que la femme doit occuper l’espace publique sans attendre qu’on daigne lui offrir une place et je suis, aujourd’hui, fière et heureuse de voir tout ce chemin parcouru par les femmes dans mon pays, que ce soit dans le domaine scientifique, politique, artistique ou sportif, même s’il reste encore beaucoup à faire au niveau de certaines mentalités patriarches mais également au niveau des textes de lois où certaines inégalités persistent, je pense notamment à la liberté de choisir son conjoint ou à l’égalité successorale sans oublier évidemment la situation précaire des femmes rurales.

 

 

 

4 – Comment pouvez-vous nous décrire ce passage de l’écriture intime à l’édition pour être lue et dévoilée par la foule ? 

 

 

MS – Quant à mon parcours, disons qu’il découle de la volonté de passer de l’étude des textes de lois, de leur philosophie, de leur genèse à leur application dans mon quotidien. Tout mon parcours s’articule autour d’une pierre angulaire qui est l’égalité, la liberté et la dignité. Ma formation juridique m’a permis d’acquérir les bases légales, la rigueur, le souffle. Mon expérience politique m’a appris à forger mes armes, à apprendre à recevoir des coups, à défendre mes positions, à débattre, à échanger, à accepter les avis contraires. L’art m’a permis de m’affranchir, de faire bouger les lignes, de dire les choses avec finesse et subtilité.

 

 

 

5 – Qu’est-ce qui a changé en vous après la publication de votre premier recueil et après cette expérience qui n’a pas été facile pour une femme hypersensible et timide comme vous ? 

 

 

 

MS – Je décrirais ce passage comme celui d’un passage d’une vie de jeune fille timide, réservée, introvertie à celui d’une femme qui s’affirme dans sa sensibilité, ses choix, son émotivité… Tout un processus de murissement.

C’est une merveilleuse expérience que celle de pouvoir partager ses hésitations, ses peurs, ses appréhensions, mais aussi sa vision du monde, de la vie, de la mort, de la haine, de l’amour avec son lectorat. De recevoir des messages d’encouragements, de sympathie. De se rendre compte qu’on peut inspirer d’autres personnes. On en sort plus forte, plus confiante, moins seule. S’il y a une leçon que mes expériences de la scène ou de l’écriture m’ont appris c’est qu’on a le droit d’être timide, émotif, introverti mais que cela ne doit pas être un handicap pour avancer, pour créer bien au contraire c’est le signe d’une belle sensibilité et d’une authenticité qui gagnent à être dévoilées.

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture illustrée du recueil de Myriam Soufy.

 

 

 

6 – Pourquoi le choix de Re…Belle comme titre avec la segmentation, l’accentuation et la suspension ?  Cette toile qui a servi de couverture est à vous aussi ? S'agit-il d’une interrogation socio-politique sur la condition des femmes dans le monde arabo-musulman et sur la manière de ne pas céder aux clichés et préjugés peu importe les temps et les lieux ?   

 

 

MS Franchement, je n’ai pas cherché à donner à ce titre toute cette ampleur ou signification. Re…Belle est venu à moi en toute spontanéité alors que mon éditeur me demandait de titrer mon recueil. Il traduit peut-être le sentiment que j’ai eu à cet instant précis, un sentiment de m’être sentie belle à nouveau grâce à la rébellion de mes mots... Une sorte de renaissance de la petite fille rêveuse en moi que j’avais abandonnée quelque part, un jour sans me retourner. Quant à la couverture, oui elle est de moi, elle traduit cet assemblage de couleurs, d’images, de mots, de choses improbables auxquelles j’aime redonner vie sous une autre forme, une sorte de pied de nez au déterminisme et à la finitude qu’on retrouve également dans ma poésie 

 

 

7 – La poésie a-t-elle la possibilité de créer une conception plus libre des mots et des liens avec le monde et avec les autres ? Permet-elle de s’épanouir en ayant les yeux ouverts sur les réalités ou de s’évanouir pour mieux rêver, s’évader et s'éloigner ? 

 

 

MS La poésie est pour moi un trait d'union entre la réalité et le rêve. Un poète c’est avant tout un être sensible à son environnement, à la société dans laquelle il évolue, au monde qui l’entoure avec tous ses aléas. La poésie est une sublimation de son ressenti, un écho à la réalité qui l’écorche, une porte ouverte sur le rêve, l’ailleurs, le merveilleux, l’utopie ? Un cri du cœur pour dire qu'une autre voie existe, il suffit d’ouvrir les yeux.  

 

 

8 – Avez-vous lu ou intégré quelques textes de votre recueil Re...Belle dans des pièces du théâtre comme vous avez fait avec vos tableaux ? Si oui, pensez-vous présenter vos pièces dans le monde francophone puisque vous écrivez en français ? Si non, pensez-vous à le faire ou à écrire en arabe classique ou en Derja

 

 

M.S – Pour « Tanfissa » qui veut dire « Bouffée d’air » en français de Marwen Errouine (un interprète-chorégraphe et metteur en scène tunisien), par exemple, ce n’est pas tant les textes qui ont été intégrés mais le processus d’écriture, l’histoire de cette femme qui n’arrive pas à réaliser ses rêves parce qu’elle est prise dans le tourbillon d’un éternel recommencement qui l’empêche de dépasser ses peurs et ses angoisses. D’autres textes ont été intégrés dans des pièces de théâtre mais ce sont des textes qui ont été écrits spécialement pour ces pièces notamment en Derja (l’arabe tunisien). Sinon oui, nous espérons que notre pièce prend son envol ici, dans le monde francophone et pourquoi pas ailleurs. Nous sommes en train de travailler sur ça et nous croisons les doigts.

 

 

9 Avant de vous lancer dans l’aventure de l’écriture et de l’édition, quelles étaient vos intentions et ambitions majeures ? Quelle idée avez-vous ou avez-vous construit sur et autour de la poésie tunisienne d’expression française d’avant et d'aujourd'hui ? 

 

MS – J’ai toujours eu beaucoup d’ambitions ça allait de l’humanitaire, au travail dans des ONG à une carrière d’écrivaine, de comédienne. Je n’ai jamais su où donner de la tête et je ne le sais toujours pas. Je suis toujours dépassée par les évènements, je croule sous des multitudes de choses à faire. J’ai fini par accepter. Voilà, mon mode de fonctionnement même si c’est parfois moralement épuisant.

 

 

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10  Derrière chaque histoire, il y a une porte et derrière chaque porte une histoire est née ! Chut ! Si on gardait le secret ! Ce sont vos mots extraits de votre recueil !

Myriam Soufy, préférez-vous ouvrir des portes pour raconter et tisser des liens et des histoires ou choisissez-vous parfois ou souvent le silence ? Autrement dit quelle est l’importance d’avoir un secret ou des secrets dans une vie ou dans une poésie ? 

 

 

MS – J’aime le silence, la solitude… ça me permet de me ressourcer, de réfléchir, de me reconnecter avec la nature et surtout avec moi-même. Ce n’est pas un silence creux mais plutôt méditatif, apaisant mais j’ai aussi besoin de tisser des liens avec les autres, de partager mes idées, d’écouter les leurs. C’est juste une question de dosage. Me taire pour mieux parler. D’ailleurs mon besoin de dire est perceptible à travers ma poésie, mon corps, mes collages tout en gardant non pas le secret comme je l’ai dit dans un de mes textes mais surtout une part de mystère. Un mystère qui donne envie d’aller gratter ce qu’il y a derrière les mots, derrière la démarche artistique. Un mystère qui permet aux autres d’avoir leurs propres lectures, de construire leurs propres idées, de projeter leurs propres interprétations. Je suis d’ailleurs très souvent surprise par le sens que certaines personnes donnent à mes textes ou à mes collages.

 

 

 

© Crédit photo : Quatrième de couverture illustrée du recueil de Myriam Soufy. 

 

 

11 Avez-vous un projet en cours sur votre recueil et des événements prochains autour de votre poésie en Tunisie qu’en France ? Si oui, pouvez-vous, svp, nous en toucher quelques mots pour partager l’information avec nos lecteurs ? 

 

MS Pour Re…Belle une séance de dédicace est prévue pour demain à la foire du livre. Un deuxième recueil de poésie est en cours de relecture. Un de mes textes inédits traduit en portugais sera présenté le 27 juin au Teatro Miguel par Franco à Leiria (Portugal) à l’occasion de la foire du livre aussi et qui sera publié dans la revue de poésie Acanto, un autre texte inédit sera publié dans la revue canadienne Mitra en cet automne. J’ai participé du 1er au 4 juillet avec mes collages au Salon Recycle Arts et Objets, événement organisé par l’Institut français de Tunis et je suis surtout heureuse d’entamer ma première expérience d’écriture dramaturgique d’une pièce de théâtre qui s’intitule « Coiffeuse » et qui sera chorégraphiée et mise en scène par Marwen Errouine qui est un interprète- chorégraphe et metteur en scène tunisien comme je l’ai déjà présenté un peu en haut. 

 

© HM

 

 

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Pour citer ce témoignage 

 

 

Hanen Marouani, « Portrait & entretien de Myriam Soufy : Belle et Re...Belle », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrations » & Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1mis en ligne le 11 septembre 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/no10/hm-myriamsoufy-rebelle

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES ET REVUE ORIENTALES - dans Numéro 10 REVUE ORIENTALES Muses et féminins en poésie Féminismes
9 septembre 2021 4 09 /09 /septembre /2021 16:19

 

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 Discussion avec Imèn Moussa

 

 

 

 

 

 

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Propos recueillis le 8 juin 2021 par

 

Hanen Marouani​​​​​​

 

 

Entrevue avec

 

Imèn Moussa

 

 

 

 

 

© Crédit photo : Portrait de la poétesse Imèn Moussa. 

 

 

Biographie d'Imèn MOUSSA 

 


 

Née en Tunisie et installée en France, Imèn MOUSSA est poétesse, docteure en littératures française et francophone, poétesse et enseignante de lettres modernes. Elle consacre ses recherches sur la situation des femmes dans le Maghreb contemporain. Passionnée par la photographie et toutes les formes d’art, elle lance en ligne KalliÓpê, une plateforme associative et solidaire destinée à promouvoir les productions artistiques des femmes. Imèn MOUSSA est aussi co-fondatrice des « Rencontres Sauvages de la Poésie » en Île de France et corédactrice en chef de la revue « Ana-Hiya : la femme maghrébine droit dans les yeux ». 

 

Bibliographie 

 

Recueil de poésies, Il fallait bien une racine ailleurs, éditions L’Harmattan, Paris, Juin 2020. 

Essai, Les représentations du féminin dans les œuvres de Maïssa BEY, Éditions Universitaires Européennes, 2019. 

Magazine Trait-d’Union « Mama Africa », Algérie, Avril 2021. 

Revue « WORLD & WORDS Magazine for migration literature », Spring issue 2020, Vienne, Autriche.  

Revue « WORLD & WORDS Magazine for migration literature », WINTER ISSUE / WINTER 2020.

Revue « World Poetry Movement : Poets of the World Against Injustice ». En collaboration avec Atol Behramogue-Pelin Batu and Tekin publishing house, Istanbul/Medellin, 2020. 

Site Internet, Blog, liens sites de ventes : 

https://www.instagram.com/tunisian_woman.aroundtheworld/?hl=fr

 

Discussion 

 

 

 

1 – Qui êtes-vous Imèn Moussa, une femme engagée par l’émotion ou la raison, une poètesse francophone, femme orientale de culture arabe et d’expression française, parisienne, étrangère ou résidente à Paris, femme à la quête identitaire ou à la conquête d’une citoyenneté du monde par et à travers les mots, une rêveuse ayant les pieds sur terre et l’ambition dans les gènes et l’air, autre ? 

 

 

IM – Née en Tunisie, en résidence à Paris, sillonnant régulièrement les routes, je porte un prénom, une nationalité et une culture qui concentrent, de par l’histoire de l’humanité, un tissage de tant d’autres cultures millénaires qui font que je ne peux définir mon identité que dans l’infiniment ouvert. En réalité, quand j’ai commencé à développer une conscience au monde, je me suis posé beaucoup de questions sur mon être. J’ai d’abord cherché à me définir pour savoir où me situer par rapport à l’Autre. Sauf que j’ai détesté cette machination sociale réductrice qui nous contraint chacun de son côté à rentrer dans une seule case et à se teinter d’une couleur immuable simplement pour être conforme aux usages. Je n’aime pas m’écraser ou me sentir à l’étroit. C’est pourquoi j’ai cessé de vouloir étiqueter ce que je suis. Avec le temps, j’ai accepté d’être bouleversée dans mes certitudes, j’ai commencé à tout explorer, tout prendre, tout entendre, tout envisager et à ouvrir le champ de mes possibles. Aujourd'hui je m’identifie à une mosaïque humaine qui ne cesse de s’enrichir au fur et à mesure de mes pas dans la vie. Enfin, je dirai que ma passion pour les langues, les mots, les arts, les êtres et les pays fait que je me construise en permanence tout en acceptant de me faire et me défaire pour construire à chaque instant mes autres territoires inconnus.

 

 

2 – À quel âge avez-vous écrit votre premier texte et pourquoi avez-vous choisi la poésie pour écrire, pour vous exprimer au quotidien et pour aussi être publiée dans ce genre particulièrement ?

 

 

IM – Mon rapport à l’écriture était et reste encore aujourd’hui difficile. Pétrie par la culture du silence et des tabous, j’ai commencé à écrire tard et dans la retenue. Mais, toute petite j’ai toujours eu un attrait particulier pour les mots. D’abord les mots dits, inventés et jamais notifiés. Il faut dire que j’ai grandi dans une grande maison traditionnelle à Menzel Jemil qui regroupe toute notre famille élargie. Chaque soir, pour nous bercer, ma grand-mère Fatma, qui ne savait ni lire ni écrire, réunissait autour d’elle tous ses petits enfants. Elle nous inventait des histoires de Ghoula ogresse, mais aussi les péripéties de son frère philosophe parti enseigner dans les coins les plus reculés de la Tunisie et qui s’est fait attaquer par les Djinns (Les Esprits).  Aussi, enfant j’imitais ma grand-mère et je me fabriquais des histoires silencieuses dans ma tête. Et c’est à l’adolescence  que j’ai découvert les livres puis l’écriture. J’ai commencé, seule dans mon coin, à griffonner des lignes autour de ce qui me bouleverse : mes émois amoureux, mes questions existentielles... Malheureusement, par peur ou par pudeur, je faisais disparaître ces feuilles à peine écrites. Pour moi, il était hors de question d’être lue et par là même, être mise à nu. Dans ce bouillonnement interne entre le désir de dire et l’autocensure, le genre poétique s’est imposé par lui-même sans que je sache réellement que j’entrais dans la poésie. Plus j’écrivais, plus je trouvais la poésie hospitalière. Ses formes "jouantes" m’ont offert un espace où tout était envisageable et ont accueilli ma crise du langage. C’est pourquoi, j’ai décidé d’entamer mon aventure éditoriale avec ce genre en particulier même si j’ai des textes, pas encore publiés, qui s’apparentent à l’écriture théâtrale et à celle de la nouvelle.

 

 

3 – Quelles étaient vos questions clés avant de vous lancer dans cette aventure d’écriture poétique ? Pourquoi maintenant ? Quel profil de femme étiez-vous avant l’écriture et avant d’avoir le “titre de poétesse” ? 

 

 

IM – Beaucoup de problématiques contemporaines me secouent et me poussent à écrire, parfois même dans l’urgence. Mais, dire concrètement que je suis poétesse nous ramène à cette histoire de case que j’évite. Je ne sais pas si je suis une poétesse. D’ailleurs, je ne sais pas qui décide que nous le devenons et à quel moment ce titre nous est attribué ! En réalité, je me contente d’écrire en réaction à ce qui m’interpelle et me traverse. J’ai d’abord écrit secrètement pour me dire et pour ne pas me plier à la tentation du silence, d’autant plus que j’étais une personne très réservée qui peine à formuler haut et fort ses pensées. Puis, j’ai appris l’altérité avec la poésie. Les mots destinés à me réparer ont trouvé écho chez d’autres personnes lorsque j’ai commencé timidement à les partager avec ceux qui me sont très proches. Ce sont eux qui m’ont encouragée à les publier. Puis, lorsque j’ai compris que non seulement les mots réparent mais ont surtout le pouvoir de changer l’état du monde, j’ai osé diffuser mes écrits à une plus grande échelle, sur la toile, dans des revues, recueil et capsules vidéos. D’ailleurs, plus je m’éloigne du lyrisme et du « moi », plus je retrouve l’urgence de faire circuler les mots. C’est aussi une manière de me sentir moins désorientée dans ce monde qui nous prend au dépourvu de jour en jour.

 

 

4 – Les femmes orientales pour ne pas dire seulement les femmes arabes puisque vous êtes voyageuse par l’âme, le cœur et le corps, et vous avez cette vision élargie et plus consciente et même concrète de ce terme ou de cet emploi d’une telle expression, qu’avaient-elles comme pouvoir et comme fort apport au langage poétique d’aujourd’hui d’après votre propre expérience, d’après vos fréquentations et d’après les pays orientaux, les saveurs, les odeurs et les couleurs touchées, senties et rencontrées qui ont pu vous inspirer ou réveiller en vous cette urgence d’écrire certainement ou probablement ?

 

IM – Nous avons tous été bercés par les contes de « Alf layla w layla » ou les « Mille et une nuits » et par tant d’autres récits qui nous racontent les contrées de l’Orient, ses sons, ses senteurs, ses couleurs et ses rythmes. L’Orientale, sublime, capiteuse, malicieuse et oisive a toujours été un « objet » de fantasme.

Mais, au-delà de l’émerveillement tissé par l’imaginaire des contes et des récits de voyage, une réalité douloureuse s’impose : celle des dogmes et des interdits. Oui, beaucoup ont tendance à oublier qu’encore aujourd'hui les femmes orientales n’ont pas l’existence facile. Šahrzād qui contait pour maintenir sa vie saine et sauve a laissé la place à mille et une autre Šahrzād des temps modernes qui luttent au quotidien pour la dignité, l’égalité, la liberté mais aussi la reconnaissance de leur être à part entière. C’est ce que j’ai pu observer et vivre lors de mes séjours en Iran, au Liban, en Turquie… L’extérieur est encore dangereux pour les femmes et certains espaces leurs sont interdits. Les règles ne sont pas les mêmes pour elles que celles octroyées aux hommes. Certains, semblables au roi fou et sanguinaire Šahryâr, œuvrent d'arrache-pied pour les maintenir dans l’ombre. C’est dans cette atmosphère discriminante que les femmes orientales, longtemps invisibilisées, écrivent.

Passeuses de mots sous la contrainte, elles parviennent à produire des textes avec des prouesses langagières retentissantes et des thématiques tout autant saisissantes. En effet, grand nombre d’entre elles arrivent à l’écriture après un long et épineux parcours. Elles font le choix des mots pour dire le beau mais aussi pour amorcer une conscience au monde qui les a longtemps maintenues dans l’empêchement. C’est là que réside la singularité de leurs productions littéraires. Les femmes orientales qui écrivent, se placent de manière volontaire ou involontaire dans l’engagement. Plus que d’autres, leurs écritures est un “moyen”, leur lieu de résistance et de revendications. Nombre d’entre elles produisent encore dans la crainte, l’"intranquillité" et au péril de sa vie. Mais lorsqu’on se range du côté des mots plus rien n’a d’importance que le fait de dire.

 

 

5 – Les luttes sociales et féministes sont au miroir des ressentis, des réflexions vis-à-vis certains sujets traités dans les écrits orientaux pour faire la différence par rapport au sens occidental. Une expression poétisée par une sensibilité spécifique et un timbre particulier que ce soit à travers les mots dits et choisis, les émotions et les énergies dégagées ou à travers les manifestes, les participations, les événements et les initiatives lancés et relancés au profit de la culture, de la communauté et de la sculpture de l’être et de l’esprit. Tout cela semble un motif voire un moteur essentiel pour une écriture différente et différenciée par rapport à l’histoire des idées en général et l’histoire de la poésie en particulier.  Partagez-vous cette attitude ?

 

 

IM – J’ai mentionné précédemment la discrimination sexuelle que subissent les femmes orientales dans leurs propres pays. Ceci n’exclut pas les femmes des autres régions du monde qui subissent elles aussi des discriminations à des degrés divers. La raison est que nous vivons encore dans des sociétés majoritairement et profondément patriarcales. Les sociétés de l’Orient le sont aussi. À cela s’ajoutent les bouleversements politiques dans certaines régions, les révoltes sociales et les aspirations nouvelles des jeunes générations qui parfois sont en opposition avec les attentes des aînés. C’est dans ce sens que les luttes sociales et féministes sont particulièrement présentes dans les écrits des femmes qui d’ailleurs ont été longtemps invisibilisées dans le champ littéraire tant en Orient qu’en Occident. C’est aussi pour cette raison que j’associe le choix de l’écriture à celui de l’engagement inévitable. Il est rare de trouver des textes de femmes qui ne recèlent pas de tensions et qui ne soient pas motivés par une volonté de dénonciation et de changement. Ce fût le cas pour celles qui dénoncent les pratiques de leur société essentialisante comme l’écrivaine syrienne Ghada Al-Samman, l’écrivaine algérienne Assia Djebar, l’écrivaine égyptienne Nawal El Saadawi et tant d’autres. C’est encore le cas pour celles qui écrivent aujourd’hui. Au-delà de la valeur esthétique transcendante de leurs textes, les œuvres de ces romancières, dramaturges et poétesses, appellent à un espace de liberté concrète et solide. Pour ma part, l’engagement s’impose par lui-même, car comme je le dis souvent je ne peux pas chanter dans ma poésie la beauté de ma Méditerranée sans pleurer les cadavres des Harragas (Les brûleurs des frontières). Le mot est avant tout pour moi un acte politique.

 

 

6 – Pour vous, donc, la poésie est un moyen de défense, d’engagement, d’évolution des sociétés. Manifeste-t-elle aussi un désir d’élévation ou de fuite d’un monde de plus en plus inhumain ou se limite-t-elle à l’expression de l’émotion et à la captivité de l’instantané et du beau pour voyager d’un état d’esprit à un autre ? 

 

 

IM – Les siècles, les civilisations et les sociétés nous ont montré que la poésie est un genre littéraire qui détient à la fois le pouvoir d’enflammer nos imaginaires et d’enflammer nos mondes. Je pense ici aux grandes poétesses et poètes engagés des temps passés et des temps présents qui comme Anna Greki, Tahar Djaout, Vénus Khoury-Ghata, Mahmoud Darwich, Anna Akhmatova, Anis Chouchène, Fadwa Touqan, Saadi Youssef, Andrée Chedid, Aimé Césaire... Et, c’est parce qu’elle nous permet de nous tourner vers l’essentiel, d’interroger le vrai et de nous émerveiller face au beau, que la poésie assure l’élévation et l’évolution des sociétés. De manière générale, l’écriture nous met face à notre fragilité en nous éclairant de l’intérieur pour traduire nos écorchures, nos doutes ou encore nos incertitudes… Mais, au même moment, elle fait venir à nous notre force insoupçonnée pour déconstruire et construire. Dans ce sens, je trouve que l’évolution et l’élévation sont deux versants qui se déclenchent, s’enchevêtrent et fusionnent fondamentalement lorsqu’on se met à écrire. De cette manière, en écrivant, la poésie nous répare et nous prépare pour l’aventure du jour d’après. 

 

 

7 En tant que femme orientale, cultivée, instruite (…) ; que signifient pour vous “le beau” et “l’instantané” ? 

 

 

IM – Définir le beau reviendrait à vouloir saisir l’essence du divin mais je m’aventurerai à dire que le beau est ce qui réveille la musicalité de l’âme pour la faire danser. Le beau dépend de notre processus de perception et peut se manifester sous diverses formes. Nous retrouvons par exemple le beau dans les ruines d’une maison abandonnée devant laquelle nous nous extasions parce qu’elle nous renvoie à un pan de notre histoire personnelle. Les retombées de cette expérience du beau, qui peut d’ailleurs être instantané, déclenchent nos souvenirs. Ces mêmes souvenirs représentent un premier mouvement vers la création artistique et mettent en route notre fabrique émotionnelle des images, des sonorités intérieures, des sensations, des idées… Enfin, je dirai que le beau peut être présent dans l’instantané. C’est pourquoi dans le mouvement de la création nous écrivons le beau pour le rendre éternel. Aussi, il faut développer notre intelligence perceptive et être à l’écoute des instants inattendus. Ils peuvent faire résonner en nous des beautés ensevelies par les tracas du quotidien pour les faire jaillir sous des formes artistiques absolument incroyables.

 

 

8 Quelles étaient vos intentions majeures lors de l’écriture de votre premier recueil « Il fallait bien une racine ailleurs » ? Pouvons-nous avoir une racine ailleurs quand tout est agité au fond de nous-mêmes, quand tout s’effrite et bouillonne ? 

Parlez-nous de la couverture qui est très ciblée, expressive et significative par rapport aux origines berbères et à l’identité maghrébine ? 

 

 

IM – La publication de mon premier recueil “Il fallait bien une racine ailleurs” aux Éditions L’Harmattan est le fruit de plusieurs années de pérégrinations intérieures et dans différentes régions du monde. Je me suis mise à rassembler mes textes depuis 2017 dans le but de les publier sans pour autant chercher à franchir concrètement le pas. Nous revenons ici à la mise à nu qui m’était effrayante. C’est lorsque j’ai commencé à faire de la place à des changements considérables dans ma vie personnelle et à m’en découdre avec mes cataclysmes émotionnels que j’ai décidé de publier enfin ce recueil. C’était une manière d’assumer ouvertement ma perception des choses ; d’être une femme hors de contrôle, sans appartenance, dissoute dans le tout et pourtant très attachée à ses valeurs. 

Il ne m’était pas facile de dire ouvertement dans mes textes mes rejets d’une certaine éducation figée, de pointer du doigt certains manquements, de revendiquer une liberté qui depuis des années m’était interdite ou encore de blâmer les travers des cultures auxquelles j’appartiens. Ce n’est pas non plus facile de se revendiquer d’ailleurs au risque de se faire rejeter par tous. Mais partager ma vision du monde à travers ce recueil m’a fait réaliser la chance de ne pas avoir des racines et d’en avoir partout. 

C’est dans ce sens que j’ai décidé de collaborer avec l’artiste plasticienne Dorra Mahjoubi qui a illustré la couverture de mon recueil avec son œuvre Rêve de liberté de la série Madame Salammbô. Ce tableau met en scène une femme maghrébine, tatouée au visage, arborant à sa droite un pas tissé de mots en arabe comme “rêve”, “voyage” et “liberté” puis à sa gauche des tracés de lignes qui représentent les continents du monde. Le choix de la couverture était un rappel à mes origines berbère, maghrébine, nomade que le titre reprend. C’est aussi une manière de dire aux lecteurs qu’il est possible d’habiter le monde et d’épouser toutes ses cultures, de se les faire siennes sans pour autant s’effriter se “perdre ou se dénaturer”.

 

 

9 Le titre relève d’un choix et d’un vécu personnel et d’après vos partages au quotidien sur les réseaux sociaux et vos vidéos de performances poétiques, le lecteur peut vous comprendre mieux. Serait-il possible de vous comprendre sans vous voir ou sans suivre vos vidéos, vos publications, vos prestations aujourd’hui ? Le digital et la poésie au sens large et technologique que je veux bien mettre en avant ? Pourriez-vous nous expliquer ce lien entre l'ailleurs, la racine et la femme tatouée. Pourquoi toute cette focalisation sur ces oppositions ou contradictions à travers le titre de votre livre ?

 

 

IM – Il est évident que les mots écrits font leur chemin à leur rythme. Parfois, étant donné les aléas de la publication, de la diffusion et du prix des livres, les textes ne parviennent qu’à une minorité intellectuelle favorisée, qui fait aussi l’effort de s’informer de l’actualité artistique et littéraire sur internet. Toutefois, si nous voulons que la poésie continue à éveiller les consciences, il faut trouver le moyen de la faire circuler. Dans ce sens, puisque les lecteurs ne vont pas vers la poésie, considérée parfois comme un “genre mineur” comparé au roman, la poésie ira jusqu’à eux. Pour celà, il faut doubler de créativité. Comme nous sommes le fruit de notre temps, et que notre époque contemporaine est indissociable au digital pourquoi ne pas l’exploiter d’autant plus que le digital est devenu nécessaire dans la pratique et la diffusion de l’art. La poésie a besoin de vivre, de palpiter, d’être dite pour pouvoir être entendue, partagée et résonner. Pour moi, il faut écrire, lire et donner à voir. Les capsules vidéos, l’adaptation des textes sous forme de clip-vidéo et sous une certaine mise en scène me semblent indispensables pour assurer la continuité du travail de l’écriture et pour susciter la curiosité de ceux qui affirment que la poésie est une pratique élitiste désuète.



 

11Selon vous, le Machrek et le Maghreb, quelle ressemblance et  quelle différence ; quelle convergence et quelle divergence dans la littérature, l’écriture et le courant de l’orientalisme en faisant référence à votre propre trajectoire ? 

 

IM – Il n’est pas aisé de répondre à une telle question qui peut être un sujet de recherches à part entière. Je dirai qu’il semble encore aujourd’hui difficile de se débarrasser des stéréotypes enracinés dans l’imaginaire occidental qui, dans le but d'asseoir sa suprématie politique, attache encore les littératures du Machrek et du Maghreb à une vision orientaliste profondément exotique. Cette vision ethnocentriste que le penseur Edward Said associe aux “stéréotypes raciaux, idéologiques et impérialistes” est d’autant plus ancrée dans les pensées lorsqu’une femme de ces deux régions écrivent. Sauf que les récits d’écrivaines contemporaines tunisiennes, libanaises, jordanienne et syriennes et tant d’autres se sont bel et bien éloignés de ces représentations réductrices. Leurs textes portent des aspirations similaires à ceux des écrivaines ou écrivains des USA, d’Italie ou de Russie autour des préoccupations écologiques, des féminicides et des crises sociales et politiques... Leur style d’écriture est tout autant distingué. 

D’autre part, ces deux régions à majorité arabo-berbère-musulmane ont été par les invasions et par la colonisation britannique et française modelées de façons différentes. Chaque pays qui forme ces régions possède ses propres caractéristiques et ses propres diversités culturelles. De ce fait, une écrivaine égyptienne peut porter les mêmes préoccupations qu’une écrivaine algérienne. Mais, prétendre que les écrivaines du Machrek et du Maghreb sont semblables dans leur imaginaire ou dans leur style d’écriture, parce qu’elles partagent une culture similaire, reviendrait à renier la spécificité de chacune.

 

 

12 Que peut apporter la poésie orientaliste et la femme orientale qui écrit qu’aucun autre art et qu’aucune autre femme peuvent apporter ?

 

 

IM – Les sensibilités et les inspirations diffèrent d’une personne à une autre et d’une région du monde à une autre. C’est pour cette raison que chaque personne de l’Asie, de l’Afrique ou des Amériques qui fait le choix d’écrire, peu importe le genre littéraire choisi, apportera un souffle mais aussi une empreinte inégalable. Nous sommes tous uniques dans notre être et ceci transparaît dans nos mots.

 

 

13 Où se trouvent l’ailleurs et la racine dans chacun de nous, dans la situation de la femme orientale d'aujourd'hui et l’impact d’autrefois sur ce quotidien, dans la transmission générationelle et humaine, dans ces mots écrits, pensés sans être lus ou vus, dans si génériques et spécifiques positions ou révolutions ? Et que représente pour chacune de nous « le reste à faire, le reste à dire et le reste à écrire » ? Et pourquoi cette expression et pourquoi cette obligation “Il fallait bien une racine ailleurs” ? 

 

 

IM – Les femmes ont toujours eu le rôle de médiatrice. Elles ont eu de tous les temps assuré la transmission. Par l’écriture, elles peuvent nous montrer que l’ailleurs et la racine sont en nous avant d'être autre part. Il faut d’abord savoir les unir en soi. Si nous ne parvenons pas à saisir et à percevoir ces deux parts en nous, rien ne nous sert d’aller les creuser autre part car nous risquons de nous diluer et nous perdre. C’est en saisissant ces deux parts que nous pourrons prétendre à la transmission, dans le mouvement. C’est peut être ça ce qui reste à faire, à dire et à écrire.

 

 

© Crédit photo : Image de couverture du recueil "Il Fallait Bien Une Racine Ailleurs" . 

 

 

 

14 – Pouvez-vous nous dire un vers, une phrase, une strophe, un titre de vos textes ou un petit morceau qui vous représente le plus ? 

 

IM – Oui, voici un extrait :

 

Là où je ne serai pas, tu seras,

Là où tu ne seras pas, je te viendrai,

Chaque fois que je t'écrirai des mots, tu enjamberas des continents,

Chaque fois que tu me toucheras, j'apprendrai une langue,

Chaque fois que nous rêverons ensemble, naîtra une danse,

J'habiterai ton écorce, tu sèmeras sur mon épaule les contrées de demain

Je voudrai de toi, tu voudras de moi

On se hissera au-dessus de nos différences,

Plus rien ne nous dépeuplera,

Nous serons une terre infrontiérisable…

 

(“Cap sur une terre intérieure”, extrait du recueil Il Fallait Bien Une Racine Ailleurs, L’harmattan, 2020).

 

15 – Après l’écriture de votre premier recueil, qu’est-ce qui a changé en vous ou dans votre parcours ou comment la poésie vous-a-t-elle reconstruite en tant orientale ? 

 

 

IM – Cette première publication m’a permis de prendre conscience que les mots d’une femme orientale, habitant le monde, pouvaient résonner chez des personnes issues d’univers culturels totalement différents. C’est effectivement ce que j’ai ressenti lorsque les lecteurs ont commencé à me contacter pour me dire que tel ou tel poème les touche parce que je suis parvenue “à trouver les mots justes pour traduire ce qu’ils ne parvenaient pas à nommer”. Ce genre de retour concernait particulièrement les textes en rapport avec les questions relatives au féminin ou encore ceux autour de la migration et de la discrimination. 

C’est d’autant plus surprenant lorsqu’une amie-lectrice d’origine française me confie avoir lu mon recueil à sa grand-mère agonisante tandis que celle-ci l’écoutait en souriant. La lecture s’est poursuivie chaque jour jusqu’au dernier départ de sa grand-mère. La lectrice me dit : “ ta poésie me touche et désormais elle fait partie de mon histoire familiale”. Puis, dans un désir de transmission, cette lectrice a brodé certains de mes vers sur des mouchoirs comme “Partout où le sourire est religion je planterai une maison”. J’ai alors senti combien  les différences s’effacent face aux mots, combien la poésie nous permet d’installer une fraternité au-delà de ce qui nous sépare en apparence et combien l'art est essentiel pour rendre visible ce lien. 

 

 

 

16 – La poésie et le confinement ; agir au lieu de subir ? L’option humaine et humanitaire par la poésie ? Aller vers l’autre et à l’autre même virtuellement !  Parlez-nous, s’il vous plaît, des rencontres poétiques et culturelles auxquelles vous avez participées lors de cette année particulière ?  Apports et impacts ?

 

 

IM – Il est vrai que nous avons vécu une période assez trouble où nous avons dû redoubler d'ingéniosité pour agir et ne pas succomber à la détresse de l'âme condamnée au confinement. J'ai participé à diverses manifestations culturelles comme celles organisées en France par la maison d’édition la « Kainfristanaise » pour célébrer pour célébrer le Printemps des Poètes en rapport avec la thématique du « Désir ». J'ai aussi eu divers échanges autour de la pratique de l'écriture lors de la rencontre virtuelle qui a eu lieu avec l'Alliance française de Bizerte en Tunisie "La femme Maghrébine Droit Dans Les Yeux" et la rencontre du 20 mars, pour célébrer la fête de l’Indépendance tunisienne, le Printemps des Poètes et la Journée internationale de la francophonie qui a été organisée par le Centre des études françaises et francophones de Duke University aux USA qui a mis à l'honneur la poésie tunisienne représentée par mon recueil « Il fallait bien une racine ailleurs » et le recueil « Tunisie Salée Sucrée » de la formidable poétesse Samar Miled avec qui j’ai eu le plaisir d’organiser « Lamma Poétique » une rencontre poétique à laquelle vous avez participé talentueuse poétesse Hanen Marouani. Nous avons ainsi lu et échangé autour de la migration et de l’action politique à travers nos travaux respectifs. À cet effet, je prépare le 15 juin une résidence d’écriture virtuelle de 5 jours avec le Bureau International Jeunesse en Belgique qui, dans un souci de ne pas empêcher la circulation des mots et des talents a maintenu les dates de ses résidences artistiques. 

Je trouve ces élans formidables car les mots, l’art, sont faits pour circuler surtout en temps de crise. L’ensemble de ces manifestations culturelles et ces échanges nous ont permis de transformer notre réel l’espace d’un instant. Nous avons réussi à désarmer la torpeur intellectuelle qui nous menaçait. Cette expérience d’être ensemble nous invite enfin à repenser notre rapport à l’autre, au monde que nous habitons tout en créant un nouveau tissu dynamique du vivant basé sur la libre circulation des pensées.

 

 

 

17 – Imèn Moussa, quelles sont les poétesses, artistes, écrivaines orientales que vous lisez ou suivez ? 

 

 

IM – Mon travail en tant que chercheuse me met souvent face aux textes littéraires d’autant plus que je me suis spécialisée dans l’écriture des femmes au Maghreb. Mon rapport au texte porte toujours un regard scientifique, neutre, structuré par des études théoriques et des concepts linguistiques... Mais, lorsque je parviens à dissocier la chercheuse, de la poétesse et de la lectrice j'aime aller à la découverte des textes très contemporains comme ceux des deux poétesses tunisiennes citées précédemment Hanene Marouani et Samar Miled que j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt. Je suis également très touchée par les mots de la poétesse palestinienne Farah Chamma, de Maram al-Masri et de Souad Labbize. Beaucoup d’autres créatrices sont remarquables et se distinguent par une production littéraire admirable comme les romancières Wafa Ghorbel, Maïssa Bey et Inaam Kachachi. 

 

 

18 – Merci beaucoup d’avoir cité mon humble personne. Je ne peux passer à la question suivante comme si de rien était. Bon… Parlez-nous de votre projet “Les rencontres sauvages” : jeux, enjeux, dynamiques et rôles à faire réunir des jeunes du domaine culturel des quatre coins du monde ? 

 

IM – J’ai toujours défendu les notions de "partage" et de "lien" dans la poésie. Une valeur que j’ai retrouvée dans le travail de l’artiste plasticienne et poétesse Dorra Mahjoubi avec qui j’ai cofondé en juin 2020 “Les rencontres sauvages de la poésie”. D’autre part, ayant remarqué la présence d’une jeune diaspora du monde arabe passionnée par l’art et la poésie en Île de France, nous avons décidé sous la forme d’évènements ponctuels de célébrer la poésie francophone et arabophone. Les “Rencontres sauvages de la poésie” unissent nos voix autour d’une passion commune ; celle de dire l’âme. Nous avons délibérément fait le choix de refuser toute affiliation à des structures culturelles et toute aide financière qui peut à notre sens biaiser le caractère spontané de notre projet de départ. Les Rencontres Sauvages émanent surtout d’une volonté de faire le don des mots et d’accueillir ceux des autres dans la bienveillance, sans contrainte ni retenue.

 

 

 

19 – Vos voyages sont vos victoires ! Sont-ils le déclic qui vous a ramené à la rencontre de vous-même et à la rencontre de l’autre surtout que nous entendons souvent parler que sans la douleur, sans la perte et sans la souffrance, il n’y a pas de créativité ? Etes-vous d'accord ?

 

 

IM – Mes voyages ont d’abord été une voie émancipatoire qui m’a permis de dépasser mes propres limites et surtout les limites qui m’étaient imposées. De plus en plus de femmes d’Orient revêtent leur sac à dos et s’élancent vers l’inconnu. Cette pratique, réprouvée il y a quelques années, devient envisageable pour nous dans le sens où la liberté de mouvement est une véritable victoire pour les femmes qui ont pu l’obtenir. J’encourage toutes celles qui se passionnent pour l’ailleurs à se saisir de cette liberté sans avoir peur des réflexions déplacées à leur égard. Si j’encourage le nomadisme c’est parce qu’il ne faut pas oublier que nos ancêtres l’étaient. Grâce aux brassages culturels que leur nomadisme leur offraient, nos ancêtres faisaient preuve d’une plus grande tolérance. Leur vision du monde était à l’opposé du sectarisme qui est malheureusement en recrudescence dans nos sociétés contemporaines. 

D’autre part, voyager c’est accepter de faire place aux autres en soi. Faire le choix d’être régulièrement sur la route est aussi une manière d’habiter le monde en accueillant la transformation de soi. Chaque rencontre, chaque découverte, chaque expérience dans une terre et dans une culture inconnue, changent nos valeurs et notre manière d’être dans le sens positif du terme. C’est là que j’ai appris à laisser mes racines voguer et se multiplier. En effet, en allant vers l’autre, on installe une fraternité. Je tiens d’ailleurs à souligner que nous n’avons pas besoin d’aller au bout du monde pour mettre en pratique ces valeurs humaines de fraternité. Pour accéder à cette prise de conscience, il suffit d’accepter au quotidien de faire un pas de côté. Il faut accepter de déconstruire, de quitter le confort de nos certitudes ancrées parfois dans le dogmatisme pour comprendre que d’autres herbes différentes et tout aussi belles poussent ailleurs. C’est pourquoi, tandis que beaucoup placent la douleur ou la perte comme source de créativité, je place la “Rencontre” comme source de la mienne. J’ai découvert l’écriture avec l’expérience de la perte, mais l’écriture s’est logée en moi avec ma première expérience de la Rencontre.

 

 

20 – Avez-vous un projet en cours ? Si oui, pouvez-vous nous en toucher quelques mots et merci infiniment de ce long et riche échange !

 

 

IM – Je prépare la publication de ma thèse de doctorat autour de la création littéraire des femmes au Maghreb du 21ème siècle qui paraîtra aux éditions le manuscrit en 2022 à Paris. D'autre part, je travaille sur un recueil de nouvelles. Une capsule vidéo de mon poème "mariage pétrole" est aussi en préparation avec OZ production.

 

 

© HM, JUIN 2021.

 

 

***

 

Pour citer ce témoignage

 

Hanen Marouani, « Discussion avec Imèn Moussa », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrations » & Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1mis en ligne le 9 septembre 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/no10/hm-imenmoussa

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

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8 septembre 2021 3 08 /09 /septembre /2021 09:06

 

​​REVUE ORIENTALES (O) | N°1 | Dossier

 

 

 

 

 

 

 

 

 ​​​​Interview de

 

 

 

Samar Miled

 

 

 

 

 

 

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Propos recueillis par

 

Hanen Marouani

 

 

Entrevue avec

 

Samar Miled

 

 

 

 

 

 

© Crédit photo : Image de couverture du recueil de Samar Miled. 

 

 

 

Résumé 

 

​​​​​​ Samar Miled, fille de Kerkennah, certes, mais aussi fille de cette belle et riche Tunisie qu'elle chante, qu’elle écrit, qu’elle décrit et qu'elle respire. Son amour pour ce pays, pour ses vieilles ruelles et villes, pour ses petits bonheurs, pour ses traditions distinguées, ses parfums enfouis et mélangés, ses mots de terroir et tiroir et ses contrastes, l’a poussé toujours à parler de ce petit pays en évoquant ses irrésistibles modes de séduction, ses petits bonheurs, les histoires de sa grand-mère et ses saveurs qui habitent chaque pas, chaque étape de sa vie, chaque pensée et chaque âme entre et sur les murs.

 

​​​​​​ Et qui ne peut pas succomber au charme de la Méditerranée, de la Terre natale et de la Médina ? Ce n'est pas difficile de séduire les lecteurs avec ces clins d’œil, parce que l’Orient, le Maghreb et les traits berbères séduisent déjà encore et comme toujours. Ses plongées et expériences dans ce domaine, récemment ou même avant, avec des réserves, lui ont donné envie d'explorer de nouvelles pistes, de proposer de nouvelles idées, de penser autrement pour donner un nouveau souffle à la poésie d’aujourd’hui dans son pays ou ailleurs, de prendre des risques ou des contacts, d'exprimer son amour pour ce pays et pour le monde autrement par l’expression de sa totale solidarité au profit des droits de femmes dans son pays et dans le monde. 

 

​​​​​​ Ses prochains livres ou recueils qui vont suivre seront certainement différents mais toujours avec la même âme et émotion, le même humanisme et surtout avec une touche et un style, inspirés de l’Orient. Son premier livre, Tunisie Sucrée-Salée, constitue un hommage à la Tunisie post-révolutionnaire et à la réalité douce-amère.

 

 

Entretien

 

 

1– Qui êtes-vous Samar, une femme à âme orientale en quête des mots et des expressions françaises adéquats à ses humeurs, origines et émotions orientalistes,  une poètesse décalée et révoltée qui défend les femmes “sans-voix”, une passionnée des mots, une francophone avec l’esprit dans la lune de l’orient, ou autre ? 

 

 

SM Merci pour cette belle question, mais avant de rentrer dans les détails, j’ai envie d’interroger le terme “orientale” et ses déclinaisons. Il me semble qu’une mise au point s’impose avant de poursuivre notre conversation. J’ai presque envie de répondre à votre question par d’autres questions : y-a-t-il une âme orientale et qu’est-ce qu’une émotion orientaliste ? Parallèlement, y-a-t-il une âme occidentale et une émotion occidentale ? Les émotions sont-elles propres à “l’Orient”, et ce, par opposition à quel autre qualificatif ? On se pose rarement les mêmes questions pour décrire l’Autre, non-oriental. C’est donc cette généralisation qui me dérange, dans le sens où, en utilisant l’épithète “orientale” pour confirmer mon appartenance à toutes les femmes “orientales”, j’ai peur de tomber inconsciemment dans une généralisation qui effleure le stéréotypé, et efface par conséquent l’individu,  son âme  et ses émotions personnelles ainsi que ses facultés intellectuelles. Vous devez certainement reconnaître dans mes propos, mon orientation décoloniale qui m’oblige à m’arrêter sur certaines terminologies, et désobéir linguistiquement et épistémologiquement, avant de répondre à toute question liée à l’identité et à l’appartenance. Sur cette note, pour revenir à votre question, je dirais que je suis, exactement comme vous m’avez décrite : “décalée et révoltée”. Ma longue introduction ne fait que le confirmer. J’écris souvent pour déconstruire et critiquer, parce que je n’arrive pas à n’écrire que pour rêver. Le réel est beaucoup trop réel pour que mes vers s’éclipsent derrière les étoiles. Je fais donc du poétique baignant dans la politique. La poésie est l’espace de l’infini linguistique : elle permet aux mots de se multiplier pour s’aligner dans des combinaisons illimitées et inimitables. C’est de cette "dissémination" si chère à Derrida que je parle. Ces possibilités inépuisables offertes par la poésie me permettent de recueillir des témoignages et d’inventer des histoires, afin de multiplier les voix, et de faire parvenir tous les cris.  

 

 

2 – À quel âge avez-vous écrit votre premier texte et pourquoi avez-vous choisi la poésie pour vous exprimer en tant que jeune femme tunisienne et orientale et surtout de formation littéraire ? 

 

 

SM – J’ai écrit mon premier roman à l’âge de treize ans. C’était une imitation amusante et passionnée d’Harry Potter, mais en version féminine. C’est en écrivant les aventures de ma sorcière préférée que j'ai découvert ma passion pour l’écriture...et pour le féminisme. C’était une expérience unique, que je n’oublie pas. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis, mais la qualité de mes textes a évolué au gré de mes humeurs. C’est ce qui explique peut-être le choix de la poésie ? J’ai toujours écrit des textes courts et rythmés : l’expression d’une émotion passagère, d’un trouble bref mais intense, auquel même une infinité de larmes ou de rires n’aurait su rendre justice. Cette passion précoce pour l’écriture a facilité mon choix de poursuivre des études littéraires, qui m’ont permis par la suite d’enrichir mon vocabulaire, d’affiner mon style, et de confirmer mon besoin d’écrire pour me définir et mon envie de publier pour partager. 

 

 

3 – Voyager entre les goûts sucré et salé, l’orient et l’occident, l’arabe et le français, l’identité et le déracinement, l’avant et le maintenant, qu’est-ce que cela peut vous dire pour mieux nous le dire ?

 

SM J’aime beaucoup cette question, et en particulier votre manière de faire dialoguer les contraires. Cette association des contraires me définit assez bien. Avant de prendre la décision de traverser les frontières, je n’avais jamais quitté ma zone de confort et je ne remettais jamais rien en question. À force de vivre dans un seul endroit, d’ouvrir les yeux sur un seul paysage et tous les jours, sur les mêmes visages, on finit par voir sans regarder, par côtoyer sans aimer parfaitement. La stabilité m’était pratique, mais elle m’avait fait perdre le goût des « menus plaisirs du quotidien » (pour reprendre le titre d’un texte très peu connu de Charles Nicolle). Le voyage physique m’a permis de vivre l’expérience du manque et de l’éloignement. C’est comme ça que j’ai pris conscience de la beauté et de la bonté de mon pays : de ses goûts authentiques et des valeurs des miens. Le déracinement m’a permis de retrouver mon pays à travers les sentiments, exprimés en mots et en poésie. Le manque nourrit l’amour et le départ anticipe le besoin de rentrer.

 

 

4 – Peut-on aspirer à un avenir meilleur grâce à la poésie en associant “Orient “et “Occident” et s’agit-il d’une tâche plus ou moins accessible grâce aux efforts de la femme orientale ou maghrébine et arabe comme vous voulez être présentée car maintenant on voit beaucoup de jeunes femmes poétesses qui font revenir à la poésie sa flamme et son rôle réconciliateur (dans la scène politique), tel est le cas aux États-Unis où vous vivez actuellement ? 

 

SM – En allant aux États-Unis, j’ai fait l’expérience d’une distance physique mais surtout académique, qui m’a permis de redécouvrir les études francophones. En Tunisie, mes études littéraires étaient centrées sur la littérature franco-française, et les voix maghrébines (et surtout tunisiennes) n’étaient pas assez présentes. J’ai eu une excellente formation dans mon pays, c’était un réel plaisir de côtoyer les auteurs français à travers des siècles de langue et de littérature. Toutefois, je réalise aujourd’hui, que je les admirais sans pouvoir m’identifier à leur expérience et sans pouvoir me retrouver dans leur contexte. Je suis heureuse de constater aujourd’hui, que la littérature tunisienne d’expression française est en train de regagner du terrain et de s’épanouir en Tunisie. De plus en plus de communications portent sur des travaux francophones. Ce n’est peut-être pas un hasard que ce changement coïncide avec la Révolution. L’absence des voix tunisiennes de mon parcours universitaire s’explique peut-être par plus d’un siècle de colonialisme et de dictature. 


 

 

5 – Qu’est-ce que révèle le titre de votre recueil « Tunisie : Sucrée-Salée » par rapport à la vision orientaliste et à la figure de la femme orientale ? Pourquoi ce titre ?

 

SM On peut relever deux niveaux d'interprétation : « Tunisie : Sucrée-Salée » renvoie d’une part à ma gourmandise, et donc littéralement à nos plats/produits tunisiens, à mes “madeleines” à moi, pour reprendre la délicieuse image de Proust ; et il réfère d’autre part, d’une manière beaucoup plus métaphorique, à la réalité tunisienne que je retrouve à chaque voyage. Les paysages et les visages que je rencontre ont un goût sucré, mais la réalité politique postrévolutionnaire m’exaspère. Elle a le goût du sang et des larmes, et celui d’une Méditerranée qui trahit ses enfants, les engloutit et les expatrie. 


 

 

6 – Que met-il en lumière ou qu’interroge-t-il dans le contenu de votre recueil « Tunisie : Sucrée-Salée » ? Et pour argumenter votre réponse, pouvez-vous nous citer quelques vers de votre recueil qui peuvent ? 

 

SM – Mon recueil met en lumière la lumière du pays, le sourire de son soleil et la douceur de ses produits. Mais aussi, et je le dis à contre cœur, tout ce qui nous arrache le cœur, et nous coupe le souffle à force de nous étouffer, à savoir, le système politique et l’intolérance de certains individus qui font la guerre à la différence. J’écris donc pour certains et certaines, et malgré les autres ; et je tente toujours de convaincre mes lecteurs de ne jamais céder à la haine du pays et au désespoir, parce que la terre est comme cette famille qu’on n’a pas choisie mais qu’on aime à mourir : elle nous porte dans son ventre, nous nourrit, nous apprend ses traditions, nous caresse de son soleil, mais parfois, elle nous néglige et nous oublie : 

 

Mais mon ami, mon frère, que peux-tu bien faire ? Cette vieille dame est ta mère… Aime-la quand-même. Aime-la comme je l’aime ; et même quand elle n’est plus tendre, il faut l’aimer comme un fou, et toujours tendre l’autre joue. (Extrait du poème « Aimer d’amour ») Tunisie : Sucrée-Salée, Éditions Nous, Tunis 2021. 


 

 

7 – C’est toujours beau et lyrique de chanter l’amour, de l’écrire et de le décrire surtout sous ses plusieurs formes et diverses pratiques. Quelles étaient vos premières intentions et impressions majeures lors de son écriture surtout qu’on entend parler souvent que les femmes commencent à écrire trop tôt mais elle préfère ne pas le dire ou ne pas être dévoilées voire publiées ? Est-ce de la pudeur purement orientale ou c’est un choix proprement “Femme” ? S’agit-il d’une contrainte ou d’une maturité ? 

 

 

​​​​​SM J’ai fait une agrégation de français avant d’entamer mon doctorat, et ce genre d’études vous offre une relation privilégiée avec la littérature : on explore les textes littéraires et on en décèle parfois les secrets les plus subtils, toutefois, cohabiter avec les Grands auteurs peut s’avérer très intimidant quand l’envie nous prend de les imiter et de voler de nos propres ailes. J’ai attendu longtemps avant d’écrire librement, parce que dans mon rôle d’étudiante, j’avais surtout appris à être une “lectrice” assidue, et non une “écrivaine”. Aujourd’hui, après cette longue histoire d’amour avec les livres et les mots, j’arrive enfin à m’exprimer sans contraintes.  

 

 

 

8 – Que peut apporter la poésie qu’aucun autre art ou genre littéraire ne peut apporter pour la femme orientale qui a vécu et vit encore des circonstances difficiles dans le sens culturel et dans le domaine de la liberté de l'expression ?

 

SM La poésie apporte à chaque femme qui en a besoin du réconfort. Parcourir un poème dédié à une femme doit être un moment de paix et de solidarité. Quand j’ai écrit “Arbia”, j’ai dit à toutes les “mariées condamnées” qu’elles n’étaient pas seules et que je continuerai de crier au nom de celles qui n’ont plus de voix, jusqu’à en perdre ma propre voix. 

 

 

9 – Où se trouvent, selon vous, les goûts sucré et salé, dans votre pays, à l’étranger, dans le contact direct avec la société, dans ces mots si précis ou ambigus qui sont  l’« Orient », l’« Orientalisme », et l’« Orientale », ou dans le contraste que représente pour vous et pour chacun de nous « l'Occident » ? 

 

 

SM Tout ce qui est sucré nous monte à la tête à bout portant, le sucre nous donne comme une ivresse, et la Tunisie, et par Tunisie, j’entends la terre et la mer, est enivrante comme ses gâteaux au miel. Ses bougainvilliers, son jasmin, ses eaux émeraudes, l’air de la méditerranée, ses ruelles qui sentent le café, ses chats, ses soirées chantantes, ses appels à la prière, son humour que seuls ses enfants arrivent à comprendre, ses révoltes qui nous secouent, le chant du coq dans le quartier populaire: qui à force de chanter, nous réveille  et nous voilà qui ouvrons enfin les yeux sur cette lumière qui nous éclabousse et quelle lumière… Celle pour laquelle peut-être, l’Occident aurait créé “l’Orient”, l’aurait rêvé et fantasmé, et aurait un jour peut-être, décidé de se l’approprier.  

 

 

10 – TESTOUR est le premier titre de votre recueil. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Histoire de l’une des plus anciennes villes de la Tunisie et qui est à quelques kilomètres de la capitale ; ses symboliques de liaison entre les orientaux et les occidentaux ? 

 

SM C’est l’empreinte andalouse de cette ville si plaisante, qui la rend si irrésistible, et qui permettrait ce rapprochement symbolique entre les orientaux et les occidentaux. Mon recueil s’ouvre sur Testour, parce que c’est une ville qui m’a inspiré une tranquillité indispensable pour mes promenades poétiques. 

 

 

11 – Avec ou après la publication de votre premier recueil, qu’est-ce qui a changé en vous : votre sensibilité, votre regard projeté sur le monde, votre style d'écriture, vos intentions, vos réflexions ou vos mots ? 

 

SM Tunisie Sucrée-Salée m’a rendue plus sensible à ce qui m’entoure. J’observe tout avec des yeux gourmands et un cœur insatiable. Je suis attentive aux détails du quotidien auxquels je ne donnais pas d’importance auparavant. Autour de nous, tout est susceptible de nous faire sourire ou de nous attendrir, il suffit de tendre l’oreille ou de s’arrêter un moment pour voir. Mon recueil me donne aussi faim d'écrire : je veux dire plus, écrire différemment, changer de style ou le perfectionner. Tunisie Sucrée-Salée n’est pas une fin en soi, ce n’est que le début d’une belle traversée “solitaire” : mes mots, moi, et le silence. 

 

12 – La poésie semble ne plus être encore au goût sucré du jour en ce qui concerne le nombre de ses lecteurs. Un sondage effectué en décembre dernier sur Internet (Odexa pour le SNE) a démontré qu’elle était placée même avant dernière et le roman était en première position comme prévu déjà. Qu’est-ce que l’Orient vous inspire de meilleur et de merveilleux dans le passé que maintenant ? Que proposez-vous pour faire revenir ce goût délicieux aux lecteurs d’aujourd’hui ?

 

SM – Je veux écrire “à l’orientale” pour rendre à César ce qui est à César. Ecrire “à l’orientale” de mon point de vue “oriental”, me confère la possibilité de restituer à “cet Orient” ce qui lui est propre, d’une manière authentique et sincère. Lire de la poésie engagée, féministe et “orientale” devient un acte quasi révolutionnaire. Par ailleurs, la poésie nous permet de renouer avec notre sensibilité, avec ce qui nous touche et ce qui est humain en nous, elle nous éloigné le temps d’une lecture de la réalité matérielle qui nous opprime. Je rappelle aussi au lecteur, qu’un poème est une forme condensée du roman. On quitte chaque poème comme on quitte une centaine de pages. On vit la même séparation, le même plaisir avec la même intensité, mais plusieurs fois : c’est là toute la magie de la poésie. 

 

 

13 – Samar Miled, êtes-vous une orientaliste ou femme orientale dans le cours de votre vie ou dans votre pensée et style d'écriture ? Si oui, quelles sont les figures des artistes, écrivaines ou poétesses orientales ou orientalistes que vous lisez ou que vous voulez découvrir et qui ont influencé d’une manière ou d’une autre, explicitement ou implicitement votre  façon d’agir, d’être et de projection ? 

 

SM – Je suis Tunisienne, Africaine et Méditerranéenne. Je suis aussi Arabe et Musulmane. Et je suis enfin Francophone. Je suis peut-être orientale dans mon style d’écriture, parce que je mélange les goûts et les couleurs, les langues et les dialectes dans un tourbillon de mots chauds comme notre été et révoltés comme notre Printemps. Parmi les écrivains / poétesse / philosophes (Africaines et “Orientales”) que je prends beaucoup de plaisir à lire et à découvrir, je citerais : Léonora Miano, Awa Thiam, Emna Belhadj Yahia, Soumaya Mestiri, Assia Djebar, Fatima Mernissi, Nawal El Saadawi, Saba Mahmood et Lila Abu Lughod. 

 

 

 

14 – Pouvez-vous à la fin de cet entretien, s’il vous plaît, nous parler de vos prochains projets d’écriture ? 

 

 

SM – Je suis actuellement en train d’écrire une lettre à ma grand-mère, paix à son âme : il s’agit d’un hommage à tous les cheveux gris qu inous accompagnent sans trop se plaindre. C’est un texte très personnel, dans lequel la figure de la grand-mère me ramène à un passé familial affecté par la perte. C’est un texte particulièrement douloureux : sur la Femme, sur l’Écriture et sur le Deuil. Mais comme je veux vous quitter sur une touche “Sucrée”, j’ajouterais que c’est un texte émouvant certes, mais conduit et inspiré par mon amour inépuisable pour ma famille et pour la vie.

 

 

© Crédit photo : Image Portrait photographique de Samar Miled. 

 

 

Biographie de Samar MILED

 

 

Samar Miled est née en Tunisie en 1991, elle a fait ses études à l’École Normale Supérieure de Tunis et a obtenu son diplôme d’agrégation en langue, littérature et civilisation françaises en 2015. Elle a enseigné à Tunis et à Chicago, et elle poursuit actuellement un doctorat en études francophones postcoloniales à Duke University aux États-Unis. Son premier livre, Tunisie Sucrée-Salée, (Éditions Nous, Tunis, 2020) constitue un hommage à la Tunisie post-révolutionnaire et à la réalité douce-amère.

 

 

© HM, JUILLET 2021.

 

 

 

Pour citer cet entretien-témoignage inédit

 

Hanen Marouani, « Interview de Samar Miled », texte inédit, Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1mis en ligne le 8 septembre 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/hm-samarmiled

 

 

Mise en page par Aude Simon

Dernière mise à jour : 13 septembre 2021

(ajout de la photographie de Samar Miled)

 

© Tous droits réservés

 

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7 septembre 2021 2 07 /09 /septembre /2021 15:32

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​​REVUE ORIENTALES (O) | N°1 | Dossier & N°9 | Femmes, poésie & peinture | Dossier majeur | Articles & Témoignages​​

 

 

 

 

 

 

 

 

 ​​​​

Entretien avec l'artiste

 

 

 

Martine Nicole Geronimi

 

 

 

 

 

 

​​

Propos recueillis par

 

Hanen Marouani

 

Peinture de

 

Martine Nicole Geronimi

 

 

 

 

 

© Crédit photo : Martine Nicole Geronimi, "Dihya. TYNA", image du tableau fournie par l'artiste. 

 

 

 

 

Résumé

 

Dans cet entretien, il s’agit d’interroger le discours poétique et artistique de l'artiste peintre Martine Nicole Geronimi sur les modes exotiques, politiques et religieux en mettant en exergue l’idée de l’héritage oriental dans son œuvre poétique et artistique à travers le temps, les continents, les langues et les défis de la soumission et les contrées des sociétés patriarcales. 

 

 

 

 

1 – Qui êtes-vous Martine Nicole Geronimi, vous êtes plutôt une artiste complète ou une femme à la recherche de son âme sœur par le voyage, l’art et les mots, ou autre ? 

 

 

MNG – Je me définis comme une femme plurielle et singulière à la fois. Plurielle par mes héritages mêlés, par mes trajectoires et l'effervescence de ma curiosité ; singulière par un choix de vie libre où la création est prioritaire qu’elle soit littéraire ou artistique.  Mon moteur du voyage n’est absolument pas la recherche de l’âme sœur, même si l’amour est un sujet présent dans ma poésie, mais la volonté d’aller jusqu’au bout de moi-même de me dépasser pour atteindre ma vérité. J’ai eu aussi une envie, celle de trouver “mes congénères” dans une acception non péjorative “My fellows”, comme disent les Anglophones. Et de retrouver finalement l’histoire de ma famille en Tunisie où je suis née. 

 

 

 

2 – À quel âge vous êtes-vous lancée dans cette aventure des mots et des couleurs ? Était-il facile d’écrire et de peindre en tant que femme ?  Et pourquoi avez-vous choisi de mener plus qu’une trajectoire pour exprimer vos sensibilité, identité  et diversité ?

 

 

 

MNG – Les mots et les couleurs sont des souvenirs d’enfance tout d’abord. J’ai écrit très tôt et j’ai appris à peindre à l’adolescence, mon baccalauréat français était avec option peinture, une création qui me valut un 16/20. J’ai toujours beaucoup écrit mais j’ai jeté la plupart du temps tout ce je composais et je n’ai jamais gardé aucune lettre personnelle jusqu’à mon immigration en 1994. 

En immigrant au Canada et en allant en Louisiane à la fin de la trentaine, j’ai repris la vie universitaire et la peinture, comme l’écriture, ont fait partie de ma vie quotidienne. De plus, je me suis enrichie de toutes les recherches effectuées durant 12 ans en Amérique. C’est au Canada que ma recherche identitaire s’est forgée au contact des multiples populations estudiantines venues du monde entier, j’avais quitté la France avec une perception négative sur l’évolution de la société devenue au fil du temps raciste et violente. Mon identité de femme souffrait de rapports réducteurs et limitatifs: je me sentais à l’étroit et victime d’une image de beauté « atypique » comme d’aucuns me l’affirmaient et de nécessité par un premier mariage de rentrer dans un moule de petite bourgeoisie française. J’ai fui cette vie et ai repris contre vents et marées ma liberté ; j’ai toujours assumé dès lors ma vie en privilégiant l’écriture sous toutes ses formes (universitaires, blogs, journalisme, littérature et poésie). La peinture a pris de plus en plus d’importance à mon retour en Tunisie en 2006...aventure totale que je vis encore actuellement.

 

 

 

3 – Voyage de ville en ville, de continent en continent et de style en style mais la Tunisie se revendique être la patrie de vos ancêtres, une terre carrefour de plusieurs civilisations, cultures et histoires y compris la culture arabe et orientale. Elle s’avère être le berceau de vos souvenirs d’enfance, un moyen de lutte et défi contre les préjugés ou peut-être votre source d’inspiration majeure d’après ce qu'expriment la plupart de vos créations ? Serait-il possible de dire que l’Orient et la femme orientale ont beaucoup apporté à votre vision du monde ? 

 

 

MNG – La Tunisie est revenue dans ma vie par une imbrication de plusieurs sources. En Louisiane durant ma thèse, j’ai recontacté une France coloniale aux accents africains et ma naissance en Tunisie a fait dire à mes amies Africaine, Américaine (…) que j’étais leur sœur, ce qui fut une première surprise. Avais-je donc des origines africaines si évidentes ? Je contactais pour une nouvelle fois le racisme mais cette fois un racisme assumé héritage de ce passé colonial. Ce fut un déclic, moi l’universitaire française venue étudier une autre France alors que, moi-même, j’étais l’héritière d’une France coloniale ; celle du Protectorat Français de Tunisie. Une histoire de boîtes emboîtées. Au Canada, grâce à ma plume et mon esprit curieux, je travaillais comme recherchiste ou comme rédactrice et c’est ainsi que j’en profitais pour faire des recherches sur la Tunisie dans les archives américaines et que je pus comprendre ce qui se tramait en Tunisie et cette volonté des Français de 1880 de « créer une race ardente » ; un projet de colonisation. Je compris que la population tunisienne avait connu une pénétration en douceur par le passé celle des italiens et notamment des Siciliens et qu’une fois installés en Tunisie ; les Administrations françaises furent données aux Corses dont je suis issue et dont je porte le nom Geronimi. Par une politique massive de naturalisation française, cette population italo-française quitta la Tunisie pour la France après l’Indépendance de la Tunisie. Mais culturellement parlant, cette vague de retour non choisie a été vécue comme un exil forcé voire un traumatisme que j’ai personnellement connu avec mon arrière grand-mère embarquée de force dans le bateau de retour et qui est arrivée à Marseille ayant perdu la raison car elle avait laissé son plus jeune fils et sa famille en Tunisie.

Elle mourut de chagrin. Cette famille Sicilo Tunisienne propulsée en France eut du mal à s’adapter à la société française elle restait attachée profondément et inconsciemment  à la Tunisie par son style de vie, son alimentation, son mode de consommation et son allure qu’on pourrait qualifier d’Orientale. En 2006 invitée dans plusieurs familles tunisoises, je reconnus le style de ma mère, sa manière d’accueillir les invités en robes longues amples, le raffinement et le cérémonial mais aussi l’ameublement aux fauteuils de velours rouge et le goût des tapis. 

Mon retour au pays de mes amours et de mes ancêtres est en lien avec l’Orient par mon coup de foudre littéraire en 2004 pour l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz. Les impasses et terrasses de ses romans m’ont fait repenser à la Tunisie, sa manière de présenter les passions et les nuits chaudes ont eu un effet amplificateur sur ma volonté de retrouver cette vie oubliée. Depuis le Canada, je rêvais de l’Orient et la Médina de Tunis, revue lors d’un court voyage nostalgique en 1998, était en filigrane. À l’été 2006, j’éditais pour le compte de la Revue Canadienne TÉOROS, revue de recherche en Tourisme, en éditrice invitée, un numéro qui fit sensation Désirs d’Orient, Tourisme au Moyen Orient. J’y publiais un article intitulé L’Orient, géographie imaginaire : les Écrivains français et les villes de désir.

De l’écriture de l’Orient à la peinture dite Orientaliste, il n’y a qu’un pas et ce fut le peintre Klee mon révélateur. Le Voyage artistique germait dans ma tête et je me visualisais en créatrice de Voyages au féminin, voyage artistique et littéraire réservé aux femmes à la découverte de la Femme Orientale Tunisienne, une Distinctive Woman. Ce projet et ce Blog furent perdus après les péripéties de la Révolution tunisienne. Je me repliais sur mes fondamentaux, l’écriture comme Rédactrice en Chef de Maisons de Tunisie jusqu’en 2016, mais surtout la peinture et l’enseignement de l’art en banlieue nord de Tunis.

 


 

 

 

4 – De l’inspiration de l’orient dans votre art à l’emploi fréquent des mots arabes dans vos textes ; on a bien remarqué cette touche orientale ou orientalisante dans vos tableaux que dans les poèmes qui les accompagnent, c’est peut-être l’occasion de vous interroger sur ce mouvement artistique orientaliste très caractéristique dans vos créations ou dans vos réflexes ? 

 

 

MNG – Le Réflexe orientaliste était bien présent à mon arrivée en Tunisie et cela m’apparaît comme tout à fait normal puisque mes références de 2008 je les puisais dans les représentations exposées en Europe soit au travers de guide culturel, soit de livres écrits par des Européens soit par des galeristes spécialisés dans l’art photographique ou pictural orientaliste et au mieux à l’institut du monde arabe dans les archives de la Tunisie.

Une fois sur place à partir de 2011, mon rêve orientaliste du départ a pris un nouveau virage avec la rencontre de la Berbérité, de l’histoire Amazighe, de l’écriture Tiphinac et de la figure de la Reine Dihya après la Révolution de la Dignité. Mon inspiration livresque orientalisante apportée d’Occident a rencontré des acteurs contemporains de la revendication de l’identité Berbère. Il s’en est suivi un intérêt pour l’histoire et les symboles de cette culture première, cette culture occultée et dédaignée voire ostracisée. Les femmes amazighes que j’ignorais ont pris une importance qui s’est cristallisée dans la figure de la Reine Dyhia. C’est ainsi qu’un beau jour j’ai peint ma vision de la Combattante (photo en annexe [voir ci-haut]). Le fond populaire de la Tunisie est cristallisé par ma toile Maktoub, toile exécutée en présence de ma première cohorte d'élèves de 4 à 6 ans en 2012. Les enfants ont suggéré la main la khomsa...je me souviens encore de ce moment formidable, La Révolution à laquelle j’avais été confrontée a donné lieu à un triptyque...peint durant ces premiers mois très agités depuis ma terrasse et en atelier pour le finaliser, les événements de libération de la parole au moment du vote pour le Destour m’ont stimulé au point d’en faire une toile (doc) mais le pire fut la découverte de la misère et de la détresse des campagnes avec le Bas relief...du journaliste et des gossipers, les réseaux sociaux. 

 

 

 

5 – Certes, il existe un spectacle fascinant, riche en poésie et en couleurs qui nous permettra de nous plonger dans un univers oriental et dans ce contexte,  je me permets de citer à titre d’exemple vos toiles : Fatma, Dhyia, Ali et ses femmes, Maktoub, Mémoires Berbères… dans lesquelles les courbes, les arabesques, les fleurs, les femmes, les couleurs, les parfums, les saveurs, la médina…sont partout, s’agit-il d’une orientation ou c’est le produit de l'instant ? Pourquoi et comment ?

 

 

MNG – Fatma et Ali et ses femmes sont des œuvres humoristiques liées, après l’arrivée de la révolution, à des idées venues d’ailleurs de retour à la Polygamie dans le cas de Ali et ses femmes. Fatma, c’est un archétype féminin sympathique, une femme du peuple simple et enjouée. Ces deux toiles exposées à La Manouba ont soulevé l’ire d’un certain nombre d’étudiants qui n’ont pas compris mon propos et ont trouvé mes nominations Fatma et Ali comme provocatrice en 2012. 

Dhya et Mémoires berbères sont le fruit de rencontres personnelles à partir de 2014 comme indiquées plus haut.

En ce qui concerne les formes stylistiques employées, elles sont liées à ma perception d’un contexte appréhendé lors de mes voyages de retour de 2006 à 2008, à une découverte des peintres d’ici dès 2009. Une de mes premières démarches fut de vouloir contacter le milieu des artistes tunisiens et d’intégrer même un atelier, celui de Gatous Chelbi, alors au Kram. Je me nourrissais aussi d’un livre, celui Des Peintres de l’École de Tunis qui me donnaient des références précises, livre que j’utilise toujours dans mon enseignement auprès des enfants. Très vite, je travaillais pour des magazines et je fus introduite par une amie Djerbienne qui fréquentait les galeries de Tunis auprès des artistes connus et des galeries en vue. Évidemment cela eut un grand impact sur ma grammaire de formes et de couleurs. Il est certain que mes toiles sont des récits en concentré, des pages écrites sans les mots...

 

 

 

 

6 Que font les poèmes qui accompagnent vos tableaux ;  ils identifient, ils précisent, ils diversifient votre discours, ils multiplient les fréquences ou ils tissent des liens exotiques surtout qu'il s’avère que l’orient est là partout au fond de nous toutes et tous ? 

 

 

MNG Certains de mes poèmes accompagnent aisément mes tableaux car ces derniers sont la source de ma poésie. Dans la mesure où mes toiles sont le fruit d’une maturation en Tunisie, les poèmes s’imprègnent de même de l’environnement riche de la Tunisie. Mon vocabulaire est évocateur des parfums et des couleurs de la Tunisie qui remontent de mon enfance et qui ont été ravivés par ma présence continue en Tunisie depuis 2009. Tous mes poèmes ne parlent pas de la Tunisie mais certains lui sont entièrement dédiés, comme mon Hymne à la Tunisie. Un poème douloureux et nostalgique et en même temps plein d’espoir car j’avais l’impression au moment de l’écrire de boucler une boucle et de redémarrer une nouvelle vie qui aurait toujours dû se dérouler ici. Ce sentiment étrange que mes fibres étaient d’ici a été confirmé. C’est à ce moment en  2009 que j’ai fait des recherches sur mon État-civil en Tunisie et que j’ai eu l’assurance de ma différence fondamentale et je tombais des nues, mes Grands mères maternelles étaient nées en Tunisie, l’une à Béja et l’autre à Ghardimaou, mon grand père maternel était né à Tunis également. J’étais vraiment une fille de la Tunisie et la partie orientale en moi n’était pas factice car il existait une proximité culturelle entre les Siciliens de Tunisie et les Tunisiens qui vivaient d’ailleurs souvent dans les mêmes quartiers avec des maisons attenantes. Mon identité a le goût et la couleur de la Tunisie.

 

 

 

6 – Qui vient en premier lieu ; le texte ou le tableau ? Et qui attire l’autre le présent ou le passé ? Avez-vous un rituel du travail précis qui vous emmène à adopter de plus en plus ce style et ce retour aux racines et aux origines ?

 

 

MNG – Mes périodes de création picturale sont totalement dissociées de mes périodes d’écriture. Je ne me dis jamais, je vais composer un texte sur un tableau, ni l’inverse. Je ne crée et produis que par impulsions fortes et impérieuses. Cela me vient un soir pour la peinture et je me lance, pour l’écriture poétique, elle est uniquement liée à mes émotions, à mes interrogations et à mes rêves. Elle survient très souvent au petit matin comme des illuminations. Le passé a beaucoup nourri mon écriture poétique, le présent problématique en temps de pandémie a relancé mon goût d’écrire mais ce n’est plus la Tunisie mon moteur...mais  des sujets plus philosophiques et un mode d’écriture apparenté à la fable. Un grand tournant est en cours.

 

 

 

 

7 Mais peut-on dire que l’Orient continue à effeuiller vos souvenirs et vos créations d’une relation privilégiée de proximité actuelle, de fusion ou d’inspiration mutuelle allant de la plume au pinceau ou inversement ? Que peut-on encore ajouter à propos de l’importance du refoulé et de l’appartenance identitaire dans l’évolution de la créativité chez l’artiste particulièrement femme ?

 

 

MNG – Je crois être arrivée à un moment de maturité de ma vie où j’aime ma féminité, ma beauté phénicienne, mon regard croisé sur l’Occident et l’Orient. Avoir choisi d’enseigner l’art et la créativité aux petits enfants en Tunisie depuis neuf ans, m’a fait conquérir mes lettres de noblesse de mère, moi qui n’ai jamais eu d’enfant. Cette mission de transmission auprès des enfants a eu le pouvoir d’apaiser mes angoisses et de permettre de créer un monde à la hauteur de la compréhension des enfants et des sages. Se faire respecter et se faire comprendre comme artiste femme n’est pas facile. Dans un monde où l’argent a la place prioritaire, refuser la carrière universitaire et les conventions pour vivre pleinement son potentiel de peintre et de poétesse en sachant que l’argent ne sera pas au rendez-vous peut paraître une folie ou même une arrogance aux yeux de vos proches. J’ai eu le sentiment et la conscience du temps qui passe et des limites de la vie assez tôt et c’est pourquoi, j’ai choisi de suivre ma route fût elle en zig zag...mais elle passait obligatoirement par la Tunisie de ma naissance.

 

 

 

8 – Quelles figures de femmes orientales ou d’artistes orientalistes qui ont influencé votre parcours artistique ? 

 

 

MNG – Évidemment  Dhiya la Kahina la Guerrière est une figure qui m’a marquée et influencée mais je dois rajouter que la phénicienne Tanit a joué un rôle non négligeable dans mon parcours en Tunisie… Ma signature de peintre TYNA T pour Tyna Tunis est en fait un anagramme inconscient de TANIT.

 

 

 

9 – Vos projets d’avenir, pouvez-vous nous dévoiler quelques secrets ? 

 

MNG – J’évolue actuellement dans deux axes différents plus d’abstraction en peinture et un retour vers la mythologie alors nous verrons ce qu’il en sortira. Un ouvrage de poésies illustrées de mes peintures serait une belle réussite.

 

Biographies 

 

© Crédit photo : Martine Nicole Geronimi, image fournie par l'artiste. 

 

Martine Nicole GERONIMI

(biographie en préparation)

 

Hanen MAROUANI est une tunisienne résidente entre l’Italie et la France. Elle est docteure en langue et littérature françaises de l’université de Sfax et auteure de quatre recueils de poésie(s) publiés entre Tunis et Paris et traductrice. Elle est diplômée aussi de l’université de Sienne (Toscane) en langue italienne et de l’université de Rouen en didactique et pédagogie du FLE. Elle s’intéresse dans ses recheches à la position de la femme dans la littérature et la société à partir de l’analyse des pratiques discursives et énonciatives et à la problématique de l’immigration et des inégalités de genre. Elle a participé à des colloques, des festivals et des évènements culturels nationaux et internationaux. Ses textes ont été publiés dans des revues et anthologies internationales et traduits en d’autres langues comme l’espagnol, l’anglais et l'italien. Elle a reçu également des prix lors de sa participation à des concours de poésie.

 

***

 

Pour citer ce témoignage inédit

 

Hanen Marouani, «  Entretien avec l'artiste Martine Nicole Geronimi », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°9 | Fin d'Été 2021 « Femmes, Poésie & Peinture », 2ème Volet sous la direction de Maggy de Coster & Revue Orientales, « Les figures des orientales en arts et poésie », n°1mis en ligne le 7 septembre 2021. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no1/no9/hm-Geronimi

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

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