© Crédit photo : Transmission (Dessin à l'encre - 2013) par Sophie Brassart

Seront Maroua,

les livres offerts par l'école,

le chemin de terre gravi, fière,

elle, la fille aux yeux de vive attente

Tu ris

Je suis celle qui apprend chaque jour de toi

D’un côté l’école des filles 

De l’autre celle des garçons 

Dans la cour de récréation 

Il y avait à la craie une ligne de démarcation

Car de mixité il n’était pas question

Cela n’empêchait pas les filles

De jouer aux billes

Sous le grand marronnier

En verre ou en terre j’en ai conservé

Quelques unes dans un grand compotier

Mais passés quatorze ans

Les filles filaient aux champs

Ou à l’usine avec les garçons souvent

Peu d’entre elles passaient l’examen d’entrée

En sixième que chacun semble avoir occulté

Réservé aux enfants d’ouvriers

C’était le passage obligé

Pour poursuivre au collège sa scolarité

Aujourd’hui tout est devenu si facile

Qu’apprendre paraît bien futile

Ce droit au savoir on oublie

Qu’ailleurs il est loin d’être acquis

Et que chaque jour des petites filles risquent leur vie

Pleines d’espoir sur ce chemin des écoliers

Qui croise leur destinée

Inversion des vents sous ta robe.

Tu rougis.

Indomptable tournoiement. Souffle brûlant.

Tu rougis.

Bruissement des pages d’un livre de biologie.

Sous ta robe.

Tu rougis.

On va savoir que tu lis, que tu désires, que tu vis.

On va savoir que, dans le noir, tu t’instruis.

Que tu ne crois plus à ce qu’on t’a dit.

Mensonges, raccourcis, fabriques d’inepties.

Tu risques d’être punie.

Les insultes, l’opprobre sur ta famille.

Tu rougis.

Comment faire rentrer dans le rang cette jeune fille ?

Inversion des vents sous ta robe.

Indomptable tournoiement. Souffle brûlant.

Bruissement des pages d’un livre de biologie.

Sous ta robe.

Sous leurs robes.

Sous nos robes.

Tu n’es plus seule.

Tu n’as plus peur.

Tu nous souris.