Poèmes inédits écrits pour la 2ème journée internationale des Filles
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Rage&Soumise rébellion |
Johanna Treilles |
Rage
Elle a de grands yeux qui savent lire
Et brillent
Du savoir accumulé.
Elle a vu les îles, les éléphants et les châteaux des rois.
Son homme est doux comme un agneau,
Il lui fait la cuisine et l'embrasse dans le cou,
Pour la faire rire.
Moi,
J'ai les yeux qui brillent de rage.
Elle me parle, apaisée, murmure des mots que je ne comprends pas,
Comme si elle promettait de me libérer.
Mais moi,
J’erre dans ce village rude et sec,
Griffes acérées, langue perfide,
Les poings serrés pour défendre mon corps
Et mon âme.
J'ai 15 ans et je sais mordre,
Donner des coups à ces garçons emplis de supériorité.
Hayat, mon amie, a pour nom la vie,
Elle séduit comme un serpent.
Elle et moi nous nous enfuirons, les cheveux libres et emmêlés
Devant les mères soumises, face aux pères fatigués,
Nous nous embrasserons
Et nous cracherons
Aux portes décorées qui refusèrent de nous laisser entrer.
Elle vient comme une déesse
Sortie de la nuit.
Elle caresse ma tête,
Me montre les bijoux cachés dans ses boites en argent.
Je plie ses robes pour lui faire plaisir,
décore ses pieds et ses mains du henné.
Je suis énergie, elle est presque sagesse.
Je suis un tourbillon, elle m'aime pour ma sauvagerie.
Elle me montre à ses amies, telle une bête insoumise trouvée dans la forêt.
Avec mes éclats de rire et mes effusions de tendresse,
Je leur fait peur.
Pas elle.
L'étrangère affiche pour me plaire un mépris des hommes.
Nous sommes seules sur cette terre.
Elle apparaît une nuit, un jour,
Comme pour me rappeler qu'elle demeure toujours, un peu, à mes côtés,
Puis elle s'en va
L'étrangère...
Elle me laisse un goût amer de liberté.
Pour Youssra
Soumise rébellion
Je baisse la tête.
Prends mon corps.
Tu n'auras que cela.
Je te suis soumise, pour rien, pour quelques pièces, quelques pesos jetés avec mépris.
Je te ferais gober l'illusion que je te donne tout
Ce que j'ai à donner
Tout ce que tu veux prendre, encore et encore, inlassablement...
J'ai 15 ans
Dans le cœur
Trente dans le regard
Cinquante dans les soupirs que je pousse
Pour que tu payes encore,
Encore.
Je te hais parfois, toi qui passes sans me voir, sans te soucier de mon âme.
Des fois je n' suis qu’indifférente, lointaine, protégée
Par les rêves de l'enfance.
Mais, tandis que tu jouis, je pleure encore silencieusement dans ma tête
Comme la première fois où les mains d'un homme
Que je n'aimais pas,
Où les mains d'un homme
Que je n'désirais pas,
Ont accroché ma chair.
Comme la première fois
Ou son haleine chaude a souillé mon visage.
Regarde moi !
Ma posture est celle de la soumission et de la révolte.
Agenouillée, je baisse la tête
Mon visage ne t'appartient pas
Si tu t'intéresses plus à mon âme qu'à mon corps, tente de la deviner,
Imagine-la...
Et pourtant...
Regarde-le, ce corps, si pur, si vivant
Qui danse encore même immobile.
Et ce sein que révèle une lumière venue du ciel :
C'est la féminité, la fécondité,
Mon pouvoir et ma force.
Tu crois me dominer
Mais c'est moi qui empoche
Et je ris et je pleure, je chante comme toutes les femmes…
Et j'aime aussi
Même si croire à l'amour devient de plus en plus difficile...
Imagine... Je lève la tête et te regarde
Dans les yeux
D'homme à homme
De femme à femme
Me comprends-tu ?
Pour citer ces poèmes
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Johanna Treilles, « Rage » et « Soumise rébellion », Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : n°2|Événement poétique « Un pan de poèmes pour Toutes à l'école » [En ligne], mis en ligne le 11 octobre 2013. |
Auteur(e)
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Johanna Treilles , nom de plume de Jo. Hanna, est chanteuse et poétesse. Originaire de l’île de la Réunion, où elle vit actuellement, elle est l’auteure de deux recueils de poésie, Je sais l’Autre, Poèmes guerriers et d’une pièce de théâtre contemporain. De nombreux voyages en Asie, ainsi qu’un séjour de cinq ans en Europe ont inspiré certains de ses poèmes en leur donnant une dimension plutôt universel que régional même si des écrits plus récents se tournent désormais vers la langue maternelle, le créole. La mort, la vie et la transcendance animent le « je » féminin, personnage central de cette prose poétique. |