N°7 | Littérature de jeunesse | Critique & réception
Fantaisie, sentiment, sensation : de la fin d'une œuvre
(Jacques Rebotier, Les trois jours de la queue du dragon)
Je me demande souvent (et je crois que ma poésie est le reflet de cette interrogation) si ce qui est poétique c'est ce que je pourrais appeler une trouée du sentiment, ce moment où le sentiment déborde et se répand comme un piedmont en mots, si elle est agencement plastique, tissu, organisme, expression méticuleuse de la fantaisie verbale ou si elle est mise en mot de la sensation.
J'ai trouvé une réponse dans un petit livre de Jacques Rebotier destiné à la jeunesse. La poésie est sens du temps et donc de la coda, la poésie est parcelle de temps durant laquelle quelque chose débute, se construit puis claque au cœur laissant derrière elle un silence qui nous nourrit.
Voilà ce que dit en préambule l'auteur de cette pièce :
« Une pièce de théâtre ? Une conférence ? Ratée ? Une circonférence ? Du cirque ?
S'agit-il de dragons, qui s'agitent ? Sans raison ? De clarinettes ? De déraison ?
Est-ce une leçon de choses ? De ténébres ? Est-ce la même chose ? Est-ce du pas pareil ?
Il y a de toute façon un circonférencier et trois ragons-larinettes, qui ont perdu leur têtes. Depuis longtemps j'avais envie d'écrire quelque chose d'entièrement caudiforme. La musique par exemple n'y est faite que de fins, qui sont des codas, autant dire des queues. Courrons-y après !
Les Trois jours de la queue du dragon est une introduction à mon Cours complet de bêtise. »
Voilà pour les présentations. Pure fantaisie verbale et musicale, le livre de Rebotier parle aussi des dragons qui sommeillent en nous comme disait Rilke*, c'est-à-dire de l'âme humaine, avec grande légèreté. Qu'il s'agisse du sens ou de la forme, pour moi, il a répondu présent. Le dragon, métaphore de la psyché, se met en mots et en musique, sa queue, symbole de sa finitude le révèle comme être imaginaire et musical.
Pour le dire autrement, pour moi, le dragon de Rebotier n'est pas fantastique, il est profondément poétique, parce qu'à la fois touchant, stimulant aussi bien pour les sens que pour l'imagination.
Voici en quelques mots la leçon qu'il m'a donnée, une leçon de liberté.
Mais pour revenir à ce qui intéresse Rebotier, c'est bien la fin qui est interrogée, la fin d'un dragon, la fin d'un morceau de poésie.
Or, j'ai longtemps cru que les commencements étaient ce qu'il y a de plus beau. L'idée du soleil qui point, l'idée d'une spontanéité, d'une fraîcheur, d'une apparition qui semble toujours miraculeuse, épiphanique. Je vois maintenant que la fin est aussi capitale. Le commencement perce le silence, la fin nous y dépose augmentés de quelque chose au fond d'indéfinissable qu'on appelle poésie.
À savoir si la traversée de la percée au silence est faite d'images ou de sentiments ou même de sensations importe peu finalement. Il importe qu'elle s'inscrive dans ce rythme intérieur où des choses se disent dans des allées et venues entre retenue et épanchement. Et lire vraiment de la poésie ce n'est pas autre chose que de marcher côte à côte avec le poète en suivant le rythme et de son esprit (ses images), de son cœur (ses sentiments) et de son corps (ses sensations). La poésie n'est ni fantaisie verbale, ni épanchement du cœur, ni partition, elle est les trois à la fois.
Heureuse que cela s'adresse à des enfants, nôtre avenir, nôtre seule vraie lumière.
* Rilke : « Les dragons qui sommeillent en nous sont des princesses que nous n'avons pas encore secourues. »
***
Laure Delaunay, « Fantaisie, sentiment, sensation : de la fin d'une œuvre (Jacques Rebotier, Les trois jours de la queue du dragon) », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°12 & N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture » sous la direction de Maggy de Coster, mis en ligne le 4 novembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/11/fantaisie.html
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