N °7 | Dossier majeur | Textes poétiques
Un endroit où aller
© Crédit de photo : Natacha GUILLER, Vision I, dessin, octobre 2016.
Ce numéro contient les deux premiers épisodes du récit poétique « Un endroit où aller ». Les autres épisodes bénéficieront d’une publication dans le deuxième volet de la thématique « Femmes, peinture & poésie ».
Froid août side, et après
I – Pas de deux – Échappée
Je déglutis, et sens la tubulure qui me gratte serpentueusement la gorge. Après avoir refermé ma chambre numérotée, je croise, en traversant l’infini couloir, ce regard orange, mêlé d’inquiétude et d’excitation. Ces yeux profonds empreints d’un tourment irrationnel, et ce « je sais où tu vas, mais fais bien attention. Ici c’est une bulle, dehors l’explosion des grenades… »
Dès lors que que je bascule dans l’autre partie du Monde, la « vraie » vie, mes chaussettes s’enlisent dans le bitume du trottoir défraîchi. Survient alors à mon esprit la séance spirit de la veille, la pause rêve-éveillé post-médication. Avec mes collègues de couloir, j’entreprends des entretiens sans sens, associations libres d’idées, alors que les stupéfiants prennent peu à peu le contrôle de nos esprits détraqués. Au dehors, la ville, l’agitation. Je traverse furtivement des trottoirs encombrés de gens inattentifs à ma fugue en femme majeure. Je danse accrochée au tube qui en moi virevolte, les yeux grands ouverts à l’effroi du vide dans le déplacement.
II – La Fête de la Lune
HOLZWEGE
Les semelles couinent, assoiffées, déshydratées par le macadam. Je file, me faufile et furette, cavale d’un pas entendu, qui fait frémir ma silhouette crêpe. Warrior.
Outside, les regards anxieux, intrigués. Qui voyage seul ? Personne. J’erre en bordures de terrasses blindées, où des gens, jamais en moins de deux, bavardent et ricanent au son des sirènes ambulantes. Paris capitale de la ferveur, Cap instance d’être seule. Je marche confirmée, guys together around me. Les plantes mécaniques en mouvement continu, je ne peux calmer la course, jusqu’à perdre mes membres, dans l’embrun pollué de la ville. Je ne sais courir, mais les jambes coupées, j’en viens presque à m’envoler, l’illuminée body light… L’œil grand ouvert sur le Monde a refermé ses paupiettes. Je dors à la ferme. On étable mon corps parmi les bêtes. À penser. À table. Cellule de gavage, de bourrage et de crise, de crâne vide et de ventre chou, repu, froid. Chambre froide où le squelette alité repasse ses couches de matière.
Prendre le pli, alors que l’expert même, origamiste, ne peut choisir la tournure de ses chairs; déloger le gras, caser ici ou là, ici-bas en jachère. Reconstitution de restaurateur amateur. Bye bail la charte Patrimoine épigénétique. La silhouette m’effare. Fondre en larmes et réaliser que l’émotion existe encore.
C’yeux, je suis capable de pleurer
***
Pour citer ce roman-feuilleton poétique
Natacha Guiller (texte et illustration), « Un endroit où aller », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture » sous la direction de Maggy de Coster, mis en ligne le 19 décembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/12/aller.html
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