© Crédit photo : Gordan Ćosić, Rosa.
Ton pied dans ma chaussette.
Ton bras dans mon pull.
Ta jambe dans mon pantalon.
Ta boucle dans le trou de mes oreilles.
Ton fil dans la perle de mon collier.
Ton couteau dans mon fromage.
Ton jambon dans mon sandwich.
Ton clocher dans mon ciel.
Tes oreilles dans mon bonnet.
Ton cou dans mon écharpe.
Ton parfum dans mon flacon.
Ton eau dans ma bouteille.
Ton vin dans mon verre.
Ta main dans le fourreau de ma marionnette.
Ton stylo sur mon papier.
Ta lettre rêvée dans ma boite aux lettres.
Ton livre sur ma table.
Ton bébé dans mes bras.
Ton histoire dans mes images.
Ta vie dans ma tête, dans les moindres détails.
Tes pensées dans mes pensées.
Ton tympan dans ma cloche.
Tes fleurs dans ma jardinière.
Ton bus dans ma rue.
Ton métro dans mon tunnel évidemment…
Ton avion dans mon aéroport.
Ton moteur dans ma voiture.
Ton appareil électrique dans ma prise et ton ampoule dans ma lampe.
Tes cheveux entre mes doigts.
Tes yeux dans les miens.
Ta langue dans ma bouche.
Ton corps dans mon corps.
Ton doigt dans mon anneau.
Ton serment dans mon cœur.
Ton théâtre dans mon théâtre.
Ton pays dans mon pays.
Tes lectures dans mes rêveries.
Ta musique dans mon ordinateur.
Ta chapelle dans mon livre d’art, mais pas n’importe laquelle. Une chapelle très précisément italienne.
Un papier de toi accroché à mon mur (affiche, carte postale, quelque œuvre délicate, avec ou sans couleurs joyeuses, j’aime aussi le violet, le sombre, le vert bouteille, le gris, le bleu nuit, le bleu roi – n’oublie pas les étoiles – l’argenté, le velours – un papier, ça se touche avec délice, même si c’est un peu intouchable).
Ta bible dans mon étagère. Mais pas n’importe laquelle. Un truc simplifié, pour enfants. Bayard Presse.
Ton Coran dans mon étagère. Mais là, un truc très complexe et très poétique, qui parle des roses, du désert, de la nuit, du rythme du cœur et de rien d’autre.
Tes pensées dans mes images. Pas toutes, mais les plus importantes. Celles qui sont cardinales. Après, on se débrouille.
Mes pensées… légères ! Autonomes. Pas toutes. Celles qui sont cardinales (exemple, l’amour des enfants, la nécessité de préserver le plaisir à tous prix et la frugalité en matière de dépenses). Après, on se débrouille.
On tisse, on tisse ensemble.
Une bataille, un dialogue pour le choix des prénoms.
C’est important le prénom. On le garde toute la vie. C’est important. Qu’on le garde ou que l’on ne le garde pas, en fait, on le garde. C’est important.
Ton prénom dans mon poème.
Mon prénom au bas de la lettre que je t’ai écrite. Initiale L.
Tu sais « les cheveux de Laure étaient à l’aura sparsi »…
Les vers de ton poète dans ma mémoire. Pas tous, non, quelques-uns. On ne les retient pas tous. Ça ne sert pas à grand-chose de les retenir tous. Ce qui compte, c’est vibrer. Après, il y a la mémoire de l’écrit. Ça existe ça. Ça s’enracine dans le corps. Au fond.
L. comme Love aussi qui est tout ce dont on a besoin.
À Laure.
Alors.
Alors tu es sûr ?
Un peu de sexe aussi, juste pour se faire plaisir.
Des draps propres.
Des petites loupiotes.
Un peu de vin.
Un peu de poésie et peut-être même beaucoup. Mais pas trop. Juste ce qu’il faut. Pour se faire du bien.
Quelques pensées bien construites. Mais pas trop. Ni pas assez. Juste ce qu’il faut.
De la musique, oui. De la musique. La musique du jour, beaucoup. La musique de la nuit, un peu.
Du temps, mais pas trop.
Toute la douceur et toutes les hésitations de ta voix. Ton dos courbé et concentré.
Et surtout, surtout, surtout, de la gentillesse et de la douceur. De la confiance.
Une poésie claire.
Aucune vulgarité.
Tes bras. Le toucher comme électrique de tes mains dans mon dos. Un baiser dans le cou, tes mains autour de mon visage et ton regard qui sait se faire intense et qui sait se faire doux dans le mien qui a toujours toujours peur.
Un baiser de moi dans ton cou, sentir ta peau, explorer ton corps avant toute chose.
Ou est-ce que ta peau respire ou est-ce qu’elle parle, ou est-ce qu’elle se tait. La faire parler alors à cet endroit là où elle n’a pas encore tout dit.
Et puis c’est à toi de faire parler la mienne, on a tout le temps.
Un baiser sur les seins, un autre au creux secret des cuisses, là où c’est tout doux. De chaque côté puis au centre.
Mais assez prononcés les mots… en vrai maintenant.
Là, jeudi.
Je suis assise à la place que tu auras précautionneusement choisie. À côté de toi, c’est romantique. Tu me demandes comment je vais. Je te dis « bien ». Tu as entendu. On fait semblant de lire le programme. Mais on le lit quand même tout en faisant semblant. Un contact de ton pied ou de ta jambe. Et puis des étudiants autour, c’est peut-être gênant pour toi. Je ne sais pas ça. Moi je leur fais confiance. Il y a un peu urgence tu sais. Ta jambe là tout contre la mienne. Pas trop. Et puis tu passes ta main autour de mes épaules. J’ai le cœur qui bat.
Un peu moins d’intensité. Un peu plus de moins, un peu moins de plus. Quatre multiplications. Une soustraction. Oh, et puis non, les soustractions c’est trop compliqué. Une division. Une addition. Une à quoi tion. Heu…. Et gaule ? MC deux.
Racine au carré. Corneille au trou. Molière au balcon. Pas cotisons. Enfin, si, un peu. Il fît un lancement participatif. Et je hululis, et je pulula, et je pilulu. C’est le petit peau de la re traite de Perette.
Un nombre. Il. Premier. Soit douze fois. Multiplié par boite. Tiens. Dansons la karma yole. Vive le son. Un Kway.
Bon, bon.
***
Pour citer ce poème
Laure Delaunay, « Toi en moi », illustration de Gordan Ćosić, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°6|Printemps 2017 « Penser la maladie et la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 12 mai 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/toienmoi.html
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