13 mars 2023 1 13 /03 /mars /2023 19:04

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Entretiens poétiques, artistiques & féministes & REVUE ORIENTALES (O) | N° 2-1 | Entretiens

 

 

​​​​

 


 

 

Mise en lumière sur la poésie de

 

 

la franco-tunisienne Arwa BEN DHIA

 

 

 

 

 

​​

 

Propos recueillis

en mars 2023 par

 

Hanen Marouani

 

 

 

Entrevue avec

& extraits poétiques de

 

 

Arwa Ben Dhia

 

Page Linkedin :

https://www.linkedin.com/in/arwa-ben-dhia-phd-0538b011/

 

 

 

© Crédit photo :  Portrait photographique de Arwa BEN DHIA

​​

 

Biographie

 

Arwa BEN DHIA est une poétesse franco-tunisienne née en 1986. Polyglotte, férue de littérature et de langues étrangères, elle lit, écrit et traduit à ses heures perdues. Elle est autrice de deux recueils de poésie multilingues « L’amour aux temps du web » et « Voyage de senteurs », publiés respectivement en 2014 et 2015 aux éditions Tsémah, et plus récemment d’un recueil poétique paru en mars 2023 aux éditions Mindset. Elle est aussi passionnée par la philosophie, les arts et la découverte de nouvelles cultures, surtout à travers les voyages et l’apprentissage des langues.  

De formation ingénieure en télécommunications et docteure en électronique, Arwa BEN DHIA exerce le métier d’ingénieure brevets au sein de NONY & associés, un cabinet français de Conseils en Propriété Industrielle. Elle est mandataire agréée près l’Office Européen des Brevets et Conseil en Propriété Industrielle, mention brevets d’invention.

 

 

Bibliographie

 

Outre les différents articles scientifiques publiés durant sa thèse de doctorat, son mémoire de thèse a fait l’objet d’un livre intitulé ​​​​​​« Designing a Robust Mesh of Clusters FPGA : Hardening basic blocks » publié aux éditions LAMBERT en 2015.

Publications littéraires :

– L’amour aux temps du web, Tsémah, Paris, 2014

Voyage de senteurs, Tsémah, Paris, 2015

Parfum d’amour, Tsémah, Paris, 2015 édition luxueuse rassemblant les deux premiers ouvrages

Silence Orange, Mindset, Paris, 2023

 

Site Internet, Blog, liens sites de ventes : 

CV complet sur LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/arwa-ben-dhia-phd-0538b011/

Tous ses livres sont disponibles à la vente en ligne, aussi bien sur les sites de leurs maisons d’édition que sur toutes les plateformes dont Amazon.

 

 

Entretien réalisé à l'occasion de la récente parution du troisième recueil « Silence Orange » chez Mindset de la poétesse franco-tunisienne Arwa Ben Dhia :

 

​​​​​​© Crédit photo :  Première de couverture illustrée de l'œuvre d'Arwa Ben Dhia le "Silence orange" paru aux Éditions Mindset, 2023.

 

 

Entrevue

 

 

H.M — D’après votre biographie, le lecteur comprend directement que votre profil est scientifique mais vous tenez au fait qu’il y ait toujours cette empreinte artistique et poétique dans votre vie. Vous cherchez à atteindre la polyvalence ou l’inconnu ? 

 

 

A.B.D Depuis que j’étais au lycée et que je devais faire mon choix d’orientation, j’étais tiraillée entre les mathématiques et les lettres. Sans fausse modestie, j’étais très bonne en mathématiques, mais j’étais excellente dans les matières littéraires, surtout dans les langues étrangères. J’aimais les mathématiques qui m’intéressaient, mais j’adorais l’apprentissage des langues qui me passionnait. Pendant mon temps libre, je lisais de la littérature, je ne résolvais pas de problèmes mathématiques.

Cependant, en Tunisie, il était impensable que la première de la classe ayant les meilleures notes en mathématiques aille faire des lettres. On considérait qu’avec des études scientifiques, on pouvait mieux “réussir sa vie”. J’étais donc obligée de renoncer à ma passion des lettres, et devais me contenter de l’entretenir comme simple loisir, en tant que dilettante. Ainsi, ai-je fait une carrière d’ingénieure, mais j’ai toujours eu à cœur de cultiver le côté artistique en moi. Une phrase qui pourrait résumer mon parcours est celle d’une professeure de français que j’ai eue au lycée et qui disait de moi que j’avais l’esprit scientifique et le cœur littéraire.    

L’art, en particulier la littérature, me permet de me soustraire de la rigueur des sciences dures. J’exprime cette idée à travers une allégorie dans ma nouvelle “Le vieil homme, la jeune femme et la mer” extraite de mon premier recueil “L’amour aux temps du web” et qui a été originellement écrite en anglais. Voici le passage en question, traduit en français par mes soins :

La jeune femme était en réalité une créature terrestre, un lapin mignon qui se plaisait à côtoyer une foule céleste. Avant dans sa vie, elle devait faire le choix de rester sur terre ou de devenir céleste. Comme elle savait qu’elle était une folle passionnée, elle craignait de voler trop haut dans le ciel et de se faire brûler par le soleil de toutes les passions. Elle préféra donc rester sur terre et apprendre davantage sur la cruauté du monde réel. Pourtant, elle réussit à garder ses ailes et à les cacher dans un endroit sûr. Et comme tout poète, la nuit, elle déploie secrètement ses lourdes et douloureuses ailes et s’envole vers la lune.

Cela dit, je ne sais pas si j’aurais été plus épanouie en faisant de la littérature ma profession. En tout cas, je ne regrette pas d’avoir choisi une carrière scientifique et exerce aujourd’hui un métier qui me plaît. 

Aux jeunes ayant des prédispositions pour les sciences, j’aimerais conseiller de ne pas se cantonner dans les sciences dures et de toucher aux arts et aux sciences humaines. En effet, un ingénieur ou un médecin sensible aux arts et à la littérature, qui lit de la philosophie et se documente sur l’histoire, devrait être à l’abri de tout endoctrinement.

J’ai l’impression qu’auparavant il y avait moins cette séparation qu’on établit aujourd’hui entre science et art. Plusieurs personnalités éminentes en sont l’exemple, comme Léonard De Vinci et Omar Khayyâm.

La polyvalence et la multidisciplinarité sont un atout et une richesse. Il faut essayer de tendre vers la complétude et de stimuler son cerveau dans tous les sens.

 

 

H.M — Félicitations pour la sortie de Silence Orange. Comment est-elle née l’idée d’utiliser les mots pour rendre hommage au silence ?

 

A.B.D — Merci. En fait, le silence est le leitmotiv de l’ouvrage, et il était plus que naturel pour moi de rendre hommage au silence, car c’est du silence que naissent mes mots. Je suis une personne plutôt réservée, timide et introvertie, qui n’est pas très douée pour l’expression orale. Alors, les mots mal exprimés, les mots tus et refoulés jaillissent du silence et se transforment en poèmes. Je me sers de l’écriture comme un défoulement et un exutoire. 

Ensuite, je considère que le monde moderne est trop agité et manque de silence. D’ailleurs, il y a une critique claire en ce sens dans le poème en prose « Homo Sapiens contra Gaïa » dont je cite le passage suivant :

« Taisez-vous ! Pourquoi devez-vous parler quand vous n’avez rien à dire ? Pourquoi tenez-vous à discuter de sujets qui vous sont étrangers ?

Votre vacarme désoblige le silence.

Calmez-vous ! Pourquoi vous embarquez-vous dans une course effrénée sans répit ? Pourquoi ne contemplez-vous pas les choses simples et ne vous promenez-vous pas tranquillement avec vos rêveries ? 

Pourquoi ne prenez-vous pas le temps de mûrir vos fruits ? 

Votre agitation exaspère le monde et irrite le temps qui s’est juré d’être votre pire ennemi ! »

Je pense que l’on a tant besoin de silence, notamment dans notre ère où l’on court sans cesse. On a besoin d’un silence propice à la méditation et à la sagesse. On a besoin de douceur et de quiétude, pour fuir la médiocrité et le vacarme ambiant.

 

 

H.M Lors de nos échanges, vous avez toujours insisté sur la notion de l’amour comme stimulateur de votre écriture poétique ou comme votre principale source d’inspiration. Vous liez aussi l’amour à la notion de la distance et du silence que ce soit dans vos deux premiers recueils ou dans Silence Orange votre dernier recueil récemment publié chez Mindset en France dont certains poèmes prennent une forme épistolaire ou de dialogue. La distance et le silence sont-ils des preuves d’un amour vrai ou d’un amour impossible ? 

 

A.B.D — J’ai toujours été fascinée par les histoires d’amour épistolaire. Les correspondances entre Gibran Khalil Gibran et May Ziadeh, témoignant de leur amitié profonde qui s’est vite transformée en un amour chaste, m’impressionnent et m’inspirent. Ils ne se sont jamais rencontrés sauf par la pensée. 

« Elle », le personnage féminin à qui je ne donne pas de nom dans mes deux premiers recueils et que je nomme Ariane dans « Silence Orange », croit que la distance et le silence favorisent l’amour vrai, car elle aime son amant de tout son être en dépit de ces deux obstacles. Je cite deux extraits qui illustrent cette idée :

Premier extrait de « Voyage de senteurs » : « Son absence n’était que présence lancinante. Son esprit hantait constamment ses pensées, son ombre habitait incessamment son corps, et son odeur se dégageait perpétuellement à travers ses pores. »

 

Deuxième extrait de « Silence Orange » : « Elle éprouvait pour lui un amour pur, romanesque et indéfectible qui coulait dans ses veines tel un fleuve de mélancolie lui tenant compagnie dans sa solitude. Parfois, ses torrents déferlaient en elle tellement fort qu’elle en pleurait.

Comme elle eût souhaité pouvoir partager avec lui ces moments précieux que l’on dérobait au temps ! Oh comme elle maudissait cette distance qui les séparait et ce virus qui compliquait les déplacements ! Mais elle se consola quelque part en se répétant que, quand on aimait, l’absence était paradoxalement la plus sûre et la plus certaine des présences. Absent, ne résidait-il pas pourtant en elle, partout où elle allait ? Ne le respirait-elle pas à chaque instant ? Julie Charles ne vivait-elle pas perpétuellement dans le cœur du poète ? Et ne continuait-elle pas à vivre à travers chaque lecture des « Méditations poétiques » ? »

Toutefois, avec le temps, elle apprend qu’un tel amour à distance est intenable, voire impossible, à cause de l’absence perpétuelle du corps. En effet, le corps est bien un élément essentiel dans la construction d’une relation de couple et un moyen de communication à part entière. Le nier serait se tromper lourdement. Je cite par exemple cet extrait du poème « Et le corps… Alors ? » dans « Silence Orange » :

 

« Tes traits confus se perdent

Dans le profond labyrinthe

De mes pensées hallucinantes.

Où est la sortie de ce songe

Épuisant de couleur orange ?

Tiens, attrape ce fil

Et sors de mon esprit !

Ton absence-présence

M’a dépensée et tarie !

Dépêche-toi de lever l’ancre

Et va-t’en vers d’autres mers

Où un autre amour t’est promis. »

 

 

 

H.M — La couleur orange, me paraît-il, un porteur de paradigmes sémantiques spécifiques dans votre vision poétique. Pourquoi un Silence Orange et pas rose, rouge, noir… ?  

 

A.B.D — À vrai dire, la couleur orange m’est venue spontanément à l’esprit, sans trop réfléchir. D’ailleurs, à plusieurs reprises dans l’ouvrage, je parle de « songe de couleur orange » pour qualifier l’amour épistolaire que vit Ariane avec son bien-aimé Nawfal. Ce n’est que quand on m’a demandé pourquoi j’ai choisi ce titre que je me suis mise à faire une sorte d’auto-psychanalyse pour essayer de comprendre ce qui m’a amenée inconsciemment à cette couleur-là, et pas une autre.

L’orange est une couleur chaude que l’on obtient en mélangeant le rouge et le jaune. Dans « Silence Orange », le rouge de l’Amour se mélange à la lumière du Silence.

Et lorsque l’on cherche le symbolisme de la couleur orange, on trouve que l'orange représente la positivité et l’optimisme dans la théorie des couleurs. Ariane espère ne pas se réveiller de son « songe orange » et les flammes de son amour sont bien de couleur orange. 

Dans son ensemble, « Silence Orange » est porteur d’espoir, car chaque poème, aussi triste soit-il, finit sur une note positive. 

La couleur orange est aussi associée au dynamisme et au mouvement. Le silence dans « Silence Orange » n’est donc pas un silence passif ou statique, mais au contraire c’est un silence actif, iconoclaste, et prométhéen, ayant foi en l’homme, qui refuse de subir, et qui s’exprime à travers une plume sincère et introspective, souvent audacieuse et incisive.

 

 

H.M — Parlez-nous un peu plus de la couverture qui rime avec le titre et avec votre sourire ?  

 

A.B.D — La couverture est très représentative de la thématique du recueil, comme je m’apprête à l’expliquer, et je précise qu’elle a été réalisée par l’artiste talentueuse Hana Oueslati que je remercie chaleureusement.

Sur la couverture, on la voit « Elle », Ariane, plongée, baignée dans son « songe orange ». J’ai presque envie d’emprunter l’expression de Shakespeare pour dire qu’elle est même faite de l’étoffe dont est tissé son songe.

Elle vit ce songe pleinement et exprime cela par une posture gracieuse dans laquelle elle relève le buste vers l’avant, affirmant et assumant ainsi sa féminité, et tendant les bras vers l’arrière. Elle s’ouvre vers « Lui », son Nawfal, et vers le monde. C’est une posture symbolisant non seulement la félicité, mais aussi et surtout la liberté. D’ailleurs, on la voit qui se désagrège partiellement de derrière, et ses fragments se muent en oiseaux qui s’envolent. La liberté est un thème abordé à moult reprises dans le recueil, notamment dans les poèmes « Insurge-toi », « Pour une déception » et « Olivier numide ». En effet, elle invite les hommes à se libérer de tout ce qui peut les asservir, surtout des idéologies. En se désagrégeant, son corps se fond avec la nature qu’elle vénère. Elle le dit clairement dans le poème en prose « Homo sapiens contra Gaïa » :

« Credo in unam : Gaïa, divinité mère !

En silence, l’on mourra, et en silence, la vie se renouvellera.

Comment ? Seul l’amour nous sauvera.

Aimez-vous ! Tout le reste viendra. »

En outre, elle a ses pieds immergés dans la mer. On peut voir son reflet sur la surface de l’eau. C’est certainement la mer Méditerranée qui la sépare de Nawfal. Au fait, la mer constitue pour moi une grande source d’inspiration poétique. Elle est d’ailleurs très récurrente dans ce recueil. Deux poèmes lui sont dédiés : « Les errances turquoise » et « Face à la mer ». J’aimerais enfin citer cet extrait du poème « La quête du beau » :

« Le péripatéticien que tu es n’est pas sans savoir

Qu’Aristote a dit : il y a les vivants, les morts,

Et ceux qui vont à la mer.

L’immensité de la mer te guidera infailliblement

Et éternellement vers la Beauté tant recherchée ».

 

 

 

H.M — Pouvez-vous partager avec nous votre aventure éditoriale pour enfin réussir à publier ce troisième recueil que vous avez déjà qualifié par « osé » ? 

 

A.B.D — Trouver une bonne maison d’édition pour publier mon recueil n’était nullement une tâche aisée, surtout pour une jeune poétesse comme moi qui n’est pas connue. La poésie est un genre qui n’est malheureusement pas très lu, contrairement aux romans. Il y a des maisons d’édition qui refusent délibérément de publier de la poésie, notamment provenant d’auteurs méconnus, car elle est considérée non rentable. J’ai donc dû m’armer de patience, de foi et de persévérance pour continuer à chercher un éditeur qui reconnaisse la valeur de mon manuscrit, malgré les attentes sans réponse et le nombre de refus non motivés. À chaque fois, au lieu de me décourager, j’essayais d’améliorer davantage le manuscrit et de l’enrichir. J’ai eu aussi la chance d’avoir une amie bienveillante, plus expérimentée que moi dans le domaine de l’édition, qui m’a conseillée et a eu la gentillesse de relire mon manuscrit en me proposant de modifier certains titres et de changer l’ordre de certains poèmes, afin de mieux mettre en valeur ma création artistique. Je l’ai déjà remerciée dans mon recueil et je réitère ici l’expression de ma gratitude envers elle. 

Si je devais conseiller les jeunes écrivains voulant se faire éditer, je leur dirais de frapper à toutes les portes et de ne jamais désespérer. Cependant, il faut se méfier des maisons d’édition à compte d’auteur qui vous demandent de financer vous-mêmes tout ou partie de l’édition. Il serait aussi opportun de se faire relire par une personne de confiance, avant de soumettre son manuscrit, car un regard extérieur est très important et est toujours constructif.  

Enfin, j’ai eu la chance de tomber sur Mindset éditions. Mon manuscrit a été lu par leur comité de lecture dans le délai de réponse annoncé sur leur site, et avant de m’accepter en m’envoyant un contrat type avec un mail générique comme l’ont fait certaines maisons, on m’a contactée pour un entretien téléphonique afin que je puisse parler de mon manuscrit et répondre aux questions du comité de lecture. J’ai beaucoup apprécié cette démarche et ai tout de suite été conquise par Mindset.  

Mindset une formidable maison d'édition qui porte parfaitement son nom (« état d'esprit »). C’est une jeune maison d’édition très dynamique, créée par une femme merveilleuse du nom de Julie Dénès, qui encourage les talents et les écrits atypiques (les « Livres Volants Non Identifiés » pour reprendre l'expression employée par Julie Dénès elle-même), racontant des histoires inspirantes et transmettant de beaux messages à l'humanité. Mindset se distingue des autres maisons d'édition par un fonctionnement très original et des valeurs admirables. Soucieuse de l'écologie, traitant les livres comme des bijoux et des messagers, et non comme de simples produits commerciaux, Mindset participe non seulement aux salons littéraires, mais aussi aux salons de bien-être, étant convaincue du caractère curatif des livres (bibliothérapie), ce à quoi j'adhère complètement.

Aussi suis-je fière que mon recueil ait intéressé Mindset et qu'il s’inscrive dans sa ligne éditoriale.

Je remercie mon éditrice d’avoir cru en « Silence Orange » qui est si cher à mon cœur, et de l'avoir porté à bon port. Je lui suis reconnaissante pour l'accompagnement, la qualité des échanges et le sérieux dans toutes les étapes de l'édition.

 

 

H.M — Ces derniers temps, on entend beaucoup : “Ensemble, portons l’espoir” dans tous les domaines y compris le domaine de la culture et de l’écriture. Quant à vous, l’espoir est une condamnation ou un bagne pour les jeunes plumes au sein des scénarios noirs à l’heure où le conflit s’enlise partout dans le monde ? 

 

A.B.D — Je crois que la vie nous condamne à l’espoir. Tant que nous sommes vivants, nous n’avons d’autre choix que l’espérance. Cela me fait penser à cette citation d’Aimé Césaire : « Je refuse de désespérer parce que désespérer, c'est refuser la vie. ». 

Je pense que les écrivains, et les poètes en particulier, ont pour mission de propager l’espoir à travers leurs écrits. 

Dans « Silence Orange », chaque poème est porteur d’un message de paix, d’amour, de tolérance, d’espoir. Comme je le soulignais plus avant dans cet entretien, l’orange symbolise l’espérance.

 

 

H.M Les scènes érotiques parcourent souvent vos poèmes. Seraient-elles la seule raison d’avoir insisté de publier ce recueil en France pas en Tunisie ?

 

A.B.D Pas vraiment. Je pense qu’en Tunisie, quoique la société soit prude et conservatrice dans sa majorité, l’érotisme reste toléré dans l’art. Je rappelle que l’ouvrage de littérature érotique arabe « La Prairie parfumée où s'ébattent les plaisirs » était écrit par le Tunisien Cheikh Nefzaoui au XVème siècle.

Pour ma part, j’aime marquer mes poèmes d’une empreinte sensuelle qui peut sembler parfois très osée, mais sans jamais tomber dans la vulgarité ou l’obscénité, car ce n’est pas dans ma nature. En effet, j’emploie beaucoup de métaphores en décrivant l’acte d’amour, comptant sur l’intelligence et l’imagination de mon lecteur pour déchiffrer les images que j’ai voulu peindre.

Cependant, certains textes, comme « Insurge-toi » ou « Ma nouvelle religion », pourraient paraître blasphématoires en Tunisie, car j’y critique les dogmes religieux. Hélas, dans mon pays natal, les libertés d’expression et de conscience sont souvent bafouées. On n’est jamais à l’abri d’une censure ou d’une garde à vue à cause d’un écrit jugé hérétique ou dissident. Dans « Silence Orange », j’invite les hommes à s’affranchir de toute doctrine aliénante et à changer d’état d’esprit (changer de Mindset ;)  en remplaçant un système de valeurs religieuses, qui divise et qui me semble très limité et limitatif, par un système de valeurs universelles plus large, plus humain et qui unit. Je partage avec vous les premiers vers du poème « Olivier numide » où je défends l’idée d’adopter une identité plurielle :

 

« J’étale et étends mes racines

Dans l’humus humide

De la terre de mes ancêtres.

Je suis un olivier numide

Fier de mes diverses origines.

Pourquoi voulez-vous que je sois

Arabe plutôt qu’africain ou berbère ?

Musulman plutôt que juif ou chrétien ?

Je suis tout cela à la fois ! Je suis Humain.

Je tends mes mains vers la canopée,

Pour traverser la Méditerranée, 

Enrichir mon identité,

Affirmer ma liberté,

Et sentir un air d'automne 

Charriant des filandres

Nées d’une farandole

De cultures et de couleurs

Venues d’ici et d’ailleurs. »

 

H.M — Que peut apporter la plume d’Arwa Ben Dhia qu’aucune autre plume ne peut apporter au genre de la poésie francophone ou d’expression française ?

 

A.B.D — J’espère avoir au moins contribué à l’exploration du thème de l’amour à distance à travers mes différents recueils poétiques. Mais je ne prétends pas être la seule plume à l’avoir fait. 

Pour ma part, et notamment dans « Silence Orange », je projette la lumière sur les inconvénients, risques et dangers d’une relation à distance. D’abord, il y a le problème de l’absence de contact physique que j’ai évoqué plus avant, véritable obstacle à l’établissement d’une relation saine et solide. Ensuite, dans ce genre de relations, on a tendance à idéaliser l’autre. On s’invente un personnage et on lui attribue des qualités qu’il n’a pas. Et là je cite Frédéric Schiffter : « Qu’on aime une personne pour les qualités imaginaires qu’on lui prête ou qu’on crédite les phénomènes de l’univers d’obéir à un ordre providentiel ou nécessaire au sein duquel s’inscrirait l’existence humaine, on prend chaque fois son désir pour la réalité. ». Enfin, étant donné cet écart entre l’imagination et la réalité, il est fort probable qu’au passage au monde réel, l’on soit déçu par ce bien-aimé virtuel. 

Par ailleurs, outre ma modeste contribution à l’étude du thème de l’amour à distance, je pense aussi que ma connaissance de plusieurs langues, mon ouverture à diverses cultures, mon intérêt pour la philosophie et les mythologies influent sur ma poésie et l’enrichissent en lui conférant une touche multiculturelle.

 

 

H.M — Après la publication de ce recueil, qu’est-ce qui a changé en vous ? 

 

A.B.D — Je me sens plus sûre de moi, plus affirmée et plus reconnue en tant que poétesse. Je suis heureuse d’avoir à mon actif trois recueils de poésie publiés chez deux maisons d’édition différentes. J’espère que mon nouveau-né « Silence Orange » plaira à ses lecteurs, qu’il les inspirera et, si j’ose dire, qu’il les illuminera. C’est un ouvrage que j'affectionne tout particulièrement. Il est le fruit d’années de création poétique, que j’ai réalisée surtout pendant la pandémie.

 

H.M — Arwa Ben Dhia, quels sont les profils qui vous inspirent le plus dans la poésie et dans la vie quotidienne ? 

 

A.B.D. — D’une manière générale, tout penseur libre m’inspire.

En ce qui concerne la poésie, plusieurs poètes me touchent. Je cite en premier lieu le poète palestinien Mahmoud Darwich. J’ai traduit nombre de ses poèmes en français. On voit son influence sur mon style d’écriture, notamment à travers les dialogues entre « Lui » et « Elle » qu’on trouve dans tous mes recueils, ainsi que dans le poème « Lettre à travers la Méditerranée » figurant dans « Silence Orange » et traduit de mon poème arabe qui est clairement inspiré de « Rita et le fusil » de Darwich. 

Je cite aussi Lamartine, Baudelaire, Borges, Lorca, Machado, Rumi, Khayyâm, Frost et Lord Byron. Mais il y en a sûrement d’autres.

Dans la vie en général, je suis inspirée par des philosophes dont je cite en tête de liste Nietzsche et Spinoza. D’ailleurs, dans « Silence Orange », on remarque l’influence de la pensée nietzschéenne et du panthéisme spinoziste sur mes poèmes. Il y a de nombreux clins d’œil à Nietzsche (l’éternel retour, Amor fati, l’oubli comme condition du bonheur, etc.). Je prétends même être une prophétesse d’une nouvelle religion, comme Zarathoustra. ☺

 

 

H.M — Merci pour tous ces beaux clins d’œil, Arwa. Que pouvez-vous nous ajouter à la fin de ce bel échange ?

 

A.B.D J’aimerais transmettre un beau message à l’humanité en finissant par ces vers extraits de mon poème « Namasté » (originellement écrit en anglais, intitulé « Fallen Gods ») qui prouvent que « Silence Orange » se veut aussi un silence prométhéen, ayant foi en l’homme et le considérant divin :

 

« Peu importe ce qu'ils vous disent,

Vous êtes capables de toujours faire mieux

Qu’ils ne veuillent vous faire croire.

Vous êtes des Dieux déchus de la voûte céleste.

Il y a infiniment plus de magie en vous, 

Vous, avec vos faiblesses, vos tares et votre volatilité,

Que des Dieux demeurés dans leur sublime Panthéon.

Ces derniers, avec leur fadeur, leur perfection et leur éternité,

Envient vraiment votre fragilité et votre mortalité.

Dites-vous-en davantage sur votre nature divine.

Répétez-le, encore et encore, jusqu'à persuasion,

Car il n’y a pas de mots plus puissants     

Que ceux employés pour parler à soi-même.

[...]

Et où que vous allez,

Essaimez la Beauté !

Car le Beau est le reflet de la divinité.

Namasté ! »

 

 

© Propos recueillis par Hanen MAROUANI

 

_______

 

 

Pour citer ces entrevue, photographies & extraits poétiques inédit​​​​​​s

​​​​

​Hanen Marouani, « Mise en lumière sur la poésie de la franco-tunisienne Arwa BEN DHIA », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices » Revue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels ou fictifs », n°2, volume 1, mis en ligne le 13 mars 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/no13/hmarouani-poesie-arwabendhia

 

 

 

 

Mise en page par Aude


 

© Tous droits réservés

 

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