Lettre n°14 | Être féministe | Articles & témoignages
Par voie et voix militantes
(ou la mégalomanie MSP1 à l’œuvre)
© Crédit photo : Natacha Guiller (SNG), Carnet bleu des dessins de nuit N° 139-140, 2019.
Dans le cadre de ma formation de médiatrice de santé-pair.e et de la particularité intrinsèque de nos supports d'expression et d'échanges autour de celle-là, j'ai été témoin et participante à des débats numériques au sujet du rôle et des applications propres au statut de médiateur de santé/pairs. J'ai alimenté sinon attisé la discussion et quelques éruptions - aussi la tentative de description des valeurs et missions assignées au MSP – notamment via quelques dessins allusifs postés sur mes espaces personnels2, bien souvent sous le signe de l'humour grinçant, lesquels ont pu susciter des réactions vives et un flux de répliques entre pair.e.s jusqu'à pandémique.
Je reviens ici sur la notion de « militantisme » incarné en tant que MSP. Il s'avère pour moi évident que se former à exploiter et transmettre ses savoirs expérientiels dans le cadre d'un parcours de rétablissement en santé mentale au sein de structures d'accompagnement qui ont été les miennes, ne peut retourner d'un acte sinon engagé, indéniablement militant. D'ores et déjà fortement clamé dans ma démarche artistique via une attitude orientée et revendicatrice sur une ribambelle de supports3, toutefois « modérée », mais aussi en tant que femme, personne isolée, en marge du système dans le sens différente et stigmatisée, il s'agit, en intégrant ce poste, d'incarner une mouvance, prenant compte de la précarité et de l'inventivité dont il faudra faire preuve pour tenter, d'une part, de me faire ma place et d'exercer sans trop de bâtons dans les roues mon travail de médiation, d'autre part, d'instaurer progressivement un climat de confiance et d'aisance me permettant de défendre des valeurs et des pratiques humaines, assignée à un contexte pas nécessairement opportun, sans quoi, je ne pense pas pouvoir tenir sur le long terme en poste et en institution.
Pour avoir lu et entendu des témoignages de pair.e.s issu.e.s de promotions précédentes, qui, comme moi, voulaient faire basculer des systèmes intolérables au cœur des services en santé mentale, j'ai ostensiblement conscience que je me devrai d'agir, prudente, rusée et patiente, en tant « qu'ex-usagère », sans parcours universitaire en santé reconnu pour l’heure. Le militantisme MSP associé à son histoire vécue m'apparaît crucial, sinon à quoi bon revendiquer une approche neuve basée sur le savoir expérientiel, pour industriellement se faire happer par des collègues et reproduire de l'existant. Nos parcours de vie sont du bricolage de survivant.e.s, empreints de protocoles drastiquement établis et figés. Hyper-créative, je déborde d'idées pour faire évoluer les services de soin, aussi parce que j'y ai passé de nombreuses années enfermée, selon des configurations diverses. Perdurent des systèmes, des failles que je décèle, qui malheureusement résistent et s'appliquent de façon récurrente. Il s'agit de les nommer, perçus comme des méthodologies « normatives » acquises ou non remises en cause, procéder à un éclairage au sein d'équipes parfois en veille passive, afin de parer aux travers révisionnés, d'un angle de vue pluridisciplinaire.
Je dois donc susciter un climat de complicité avec mes collègues, aussi avec les patient.e.s, pour distribuer la parole à chacun.e et envisager co-construire ensemble un itinéraire de soin et un environnement adaptés et paisibles. En termes de co-organisation et de co-gestion, j'ai un exemple remarquable de système qui fonctionne selon moi admirablement : Le Clubhouse parisien4, que je fréquente - même si relativement peu, suffisamment pour y repérer le prodige communautaire - où l'énergie et l'efficacité du groupe solidaire fusionnent et opèrent. Pour moi, il s'agit d'une confrérie de rebelles aux personnalités mêlées hyper-puissantes, une intelligence de travail, une « ruche » (d'ailleurs c'est le nom d'un des groupes à l’œuvre in situ) de surcroît non médicalisée. Calquer ce système – affranchi d'une réelle distinction des statuts ou même des taches de chacun.e - en de multiples autres contextes de travail transformerait bien la société dans laquelle nous pataugeons actuellement.
Exercer mon travail de MSP en me pensant militante revient à ne pas me laisser influencer ou à me faire ranger dans l'un ou l'autre des camps qui - et c'est malheureux mais comme partout - se dessinent dans les couloirs de l'hôpital. Cela signifie de toujours relativiser des faits pour agir de mon propre chef, avec mes connaissances et expériences. Cela veut dire faire preuve de sagesse, ne pas être mécanisée par l'urgence ou l'émotion, ne pas aller à l'encontre de mes idées par facilité ou du fait de mon statut fragile, par hypocrisie. Je pense que l'écriture, la prise de notes continue sur ce que je vis, la lecture et ma formation en cours sont des ressources complémentaires pour justifier et rendre irrécusable ma mission et mes objectifs, pour m'armer à la négociation et savoir précisément de quoi je parle, relater des situations concrètes, être authentiquement crédible.
Le militantisme n'a pas lieu qu'en structure fermée, il s'étale dans toute ma vie, dans les scènes du quotidien, je suis une femme, artiste, mon combat est au moins double, je suis une patiente en santé mentale, une rescapée, une lanceuse d'alerte, il quintuple, et puis, à mesure que je m'exprime publiquement et à voix haute, il en va de porter la parole des individus qui ne l'ont pas et qui souffrent, les minorités, les personnes défavorisées, les interné.e.s maltraité.e.s, etc. Au-delà de mon propre engagement, je soutiens et nourris des pair.e.s qui n'ont pas nécessairement les clés et codes pour agir, soit une bombe à retardement d'ustensiles au rétablissement. Je me doute que cette posture sur le terrain pourra m'attirer tout un tas d'ennuis, laquelle a déjà contribué, en 2017, à ce que je n’intègre pas la formation MSP. Mon militantisme et une haine encore bien perceptible des services de soin avaient à l'époque rebuté l'équipe avec laquelle je m’entretenais, la même qui toutefois a retenu ma candidature en 2019, m'embauchant à même l'entretien de recrutement. Comme quoi, j'ai dû apprendre à me contenir et ai progressé dans l’éloquence, le tact, la justesse et la mesure. Je pense aussi que ma tempérance s'est brodée grâce au slam et à la poésie sonore5, que je pratique ces dernières années et qui m'ont permis de retourner au contact des gens.
Le militantisme, c'est en grande partie se défendre - et les autres - de la stigmatisation très présente en nombre de circonstances. Après, j'imagine que si mes idées font leur chemin au sein d'une équipe de soin, si quelques de mes collègues sont séduit.e.s par de nouvelles formes d'accompagnement que je proposerais, quand bien même iels ont le grade et les moyens pour moduler ce qui végète en l'état en institution, je pense que ma présence peut vraiment apporter quelque chose de bénéfique, - et même après mon départ – aussi se poursuivre, comme on sème des graines partout où la terre y demeure fertile.
PARALLÈLE
En regard aux mouvements sociaux récents du côté des femmes maltraitées et/ou abusées par un tiers dans le monde professionnel cinématographique (entre autres) sous le signe du silence, je serais presque tentée d'annoncer qu'au titre de médiatrice de santé-pairs, j'incarne l'Adèle Haenel du terrain de la santé mentale. Mon confort n'est pas tant matériel pour y prétendre mais plus le fruit d'aptitudes croissantes dans l'exercice de l'éloquence native et percutante, du recul et de la lucidité avec lesquels j'appréhende aussi bien mon parcours de malade et de rétablissement que la manière dont j'entrevois les failles et potentielles pistes de « réparation » des structures et protocoles d'accompagnement en santé, dans une énergie collective et transdisciplinaire. Cette aisance se confirme dans la libre expression de l'intime et donc politiquement engagée, en me mettant personnellement à nu comme le cobaye - à peine sacrifié - et exemple pour amorcer l'énonciation de problèmes et les clés que je pense détenir pour les résoudre, grâce notamment à des pratiques artistiques à impact réel sur ma santé, mon environnement, mon cercle de proches, dans l'espace numérique, aussi à fort pouvoir communicationnel et cosmopolite. Je m'engage donc à poursuivre la dérobe de cette parole, au nom et condition de pair.e.s en retrait ou dans l'impossibilité, afin de porter le projet qui nous unit vers l'objectif commun d'une société plus humaine et solidaire, qui appréhende plus équitablement ses citoyen.e.s et veille à leur bonne santé et qualité de vie au long cours.
SNG
Notes
1. Médiatrice de santé-pair.e, présentation de la formation :
2. Essen-g Sng (Natacha Guiller) : https://www.facebook.com/esseng.sng.7
3. Le blog Essen-g : https://essen-g.blogspot.com/p/mediateur-de-santepairs.html
[4. Le Clubhouse Paris :
https://www.clubhousefrance.org/clubhouse-paris/clubhouse-paris/
5. SNG, Poésie-Performance :
https://archives-sng.blogspot.com/p/video-performance.html
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Pour citer ce témoignage
Natacha Guiller, « Par voie et voix militantes (ou la mégalomanie msp à l’œuvre) », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe, mis en ligne le 10 février 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/voie
Page publiée par le rédacteur David Simon
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