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Le Droit des Femmes
Texte choisi & transcrit
par Dina Sahyouni
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Crédit photo : Peinture rococo de la déesse de la justice Dicé, Commons, domaine public.
Le texte poéféministe présent ci-dessous a été composé par Clovis HUGUES, il provient de l'ouvrage de VIVIANI René, ROBERT Henri, MEURGÉ Albert, LHERMITTE G., TIXERANT, MMES VÉRONE Maria, PILLIET Edwards, MORIA Blanche, DU GAST Camille, NATHAN Henry, FALLOT-MATIEP, POMMAY Yvonne, Cinquante ans de féminisme 1870-1920, Édition de la Ligue Française pour le Droit des Femmes, 11, Rue Milton, Paris IX, 1921, pp. 85-88. Le livre appartient au domaine public et se trouve sur le site de Gallica.
Ce poème a été composé par Clovis Hugues à l'occasion du Congrès du Droit des Femmes en 1889, et lu par l'auteur au banquet de clôture1.
Qui donc a dit au Peuple en marche,
Broyant les siècles sous son char,
Que le manteau du patriarche
Est le seul refuge d'Agar,
Qu'Adam triomphe encore d'Ève,
Qu'elle aura beau lutter sans trêve,
Liée à nos dogmes étroits,
Et que la nuit, roulant ses voiles,
Éteindrait là-haut les étoiles,
Si les femmes avaient des droits ?
Est-ce l'ombre ? Est-ce la Nature,
Avec le Soleil, son époux,
Avec ses grands bois où murmure
Le vent mystérieux et doux ?
Est-ce la Terre avec son âme
Qui vous a crié que la femme
N'est point votre égale ici-bas,
Et qu'aux heures du sacrifice,
Quand vous créez de la justice,
Son ombre n'est point dans vos pas ?
Ô tourbe éphémère des hommes !
Avons-nous pesé seulement
Le peu de cendres que nous sommes
Devant l'éternel firmament ?
Avons-nous songé que la fosse
S'emplit de notre gloire fausse
Dans la descente des linceuls ?
Avons-nous sondé nos abîmes,
Avant de chanter sur les cimes
Que nous avons des droits tout seuls ?
Avons-nous évoqué l'image
Des jours innocents et dorés,
Que nous dormions, au premier âge,
En deux bras doucement serrés ?
Avons-nous revu tout ensemble,
L'alcôve et le berceau qui tremble ;
L'asile auguste et triomphant,
Avant d'affirmer, ô chimère !
Que celle qui fut notre mère,
N'est pas égale à son enfant ?
Le Tambour bat, le canon gronde.
Plus de famille ! Adieu l'hymen !
Le sang va couler comme une onde,
Le sol sera rouge demain,
C'est la fête de la Patrie :
On conduit à la boucherie
Les soldats parqués en troupeau,
Les murs fauchés, les toits en flammes !
– Avez-vous conseillé les femmes,
Avant de lever le drapeau ?
Quoi ! tout s'évanouit tout passe !
Un monde naît et disparaît
Comme une clarté dans l'espace,
Comme un souffle dans la forêt !
Quoi ! tout s'écroule pêle-mêle !
Et la femme qui porte en elle
Le fruit des générations,
La femme, esclave de la Peine,
Traîne encore sa vieille chaîne
Au seuil des Révolutions ?
Toujours la même servitude,
Sous le même joug abhorré !
Le prêtre, avec un geste rude,
Lui ferme le parvis sacré ;
Et pour purifier le temple,
Pour donner aux foules l'exemple,
Pour dompter les démons jaloux,
Le lévite, mystique et pâle,
Brûle de l'encens sur la dalle
Où se sont ployés ses genoux.
Dérision ! Affront suprême !
Si l'homme n'a point consenti,
Son témoignage est un blasphème,
Son testament en a menti !
Le Code la proclame impure :
Quand elle offre sa signature,
On fait signer par les passants ;
Quand elle écrit, le juge efface,
Et le scribe infâme la chasse
Du chevet des agonisants.
Si quelque artiste de l'outrage,
Vil reptile au profit humain,
Accourt et lui jette au visage
Toutes les fanges du chemin,
Il ne faudra point qu'elle espère
Lapider l'horrible vipère
Avec les pierres de la Loi,
Tant que l'époux, l'âme brisée,
N'aura point dit à l'épousée :
« Je t'autorise, venge-toi ! »
Si la prostitution vile,
Fantôme affreux, spectre vivant,
La pousse aux pavés de la ville
Comme une honte qui se vend,
N'attendez pitié ni justice :
Elle appartient à la police
Aux mains de bronze, aux poings de fer !
Point de tribunal en simarre !
Un mot suffit et Saint-Lazare
La recevra dans son enfer !
Qu'elle sourie ou quelle pleure,
Vierge, mère, aïeule au front blanc,
Elle est l'éternelle mineure,
Elle ne règne qu'en tremblant :
Femme ! ô doux être sans défense !
Elle a moins de droit que l'enfance,
Un peu plus que le criminel ;
Et l'homme, hanté d'un mystère,
La dénonce encore à la Terre,
Quand les dieux l'ont chassé du Ciel !
Car ce qui pèse sur la femme,
Ce qui tient son doux front penché,
C'est l'antique légende infâme
D'Ève, d'Adam et du péché !
C'est Manou criant à Moïse
Que toute l'âme humaine est prise
Dans la femme et dans la douleur !
Et voilà que la grande Bible
La brise sous son texte horrible,
Comme le vent brise une fleur !
Mais l'astre du matin se lève !
Plus de chaînes ! voici le jour,
C'est l'action après le rêve !
Le devoir est né de l'amour.
La Justice, longtemps trompée,
Calme et s'appuyant sur l'Épée
Que rien n'a pu vaincre ou ployer,
Présente en un reflet de gloire
Toutes les Jeannes de l'histoire
À toutes celles du foyer.
Hypocrisie ! hypocrisie !
Ô muse, assez de lâcheté !
Tu ne sera plus, Poésie,
La menteuse de la beauté !
Quand tu lui diras qu'elle est douce
Comme une fleur des champs qui pousse
Dans le baiser d'or du soleil,
Tu n'auras plus cette folie
De la bercer pour qu'elle oublie
La sainte extase du réveil !
Lamartine, épris, d'un poème,
Pourra chanter comme autrefois;
Elvire sera belle, même
Quand elle aura conquis ses droits,
Et qu'importe qu'on lui rappelle
L'outrage qui planait sur elle,
L'essor inconstant de ses vœux,
Pourvu qu'elle soit Marianne,
Debout dans l'aube diaphane,
Avec des fleurs dans les cheveux !
Note
1. Le Droit des Femmes, 1er septembre 1889.
***
Pour citer ce poème féministe & militant
Clovis Hugues, « Le Droit des Femmes », texte poéféministe et militant de HUGUES Clovis dans VIVIANI René, ROBERT Henri, MEURGÉ Albert, LHERMITTE G., TIXERANT, MMES VÉRONE Maria, PILLIET Edwards, MORIA Blanche, DU GAST Camille, NATHAN Henry, FALLOT-MATIEP, POMMAY Yvonne, Cinquante ans de féminisme : 1870-1920, (1921), a été choisi, & transcrit par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Megalesia 2021, mis en ligne le 21 mai 2021, Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/ch-droitdesfemmes
Mise en page par Aude Simon
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