20 avril 2017 4 20 /04 /avril /2017 10:50

 

Femmes, poésie & peinture

 

Avant-première

 

Pour la Journée Internationale des droits des femmes

 

 

Frida Kahlo

 

 

ou la sublimation de la douleur par l’art pictural

 

 

 

Maggy de Coster

Site personnel : www.maggydecoster.fr/

Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/

 

 

Frida KAHLO est née à Coyoacán au Mexique le 6 juillet 1907, elle fut encouragée dans sa recherche esthétique par son mentor, le peintre muraliste Diego Rivera qui deviendra son mari pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie. Frida Kahlo nourrissait le vœu de se faire médecin mais un accident qui la cloua au lit l’orienta vers la peinture. Un miroir fixé sur son lit à baldaquin lui renvoya son image comme un alter ego qu’elle dupliquait.

 

 

Sa peinture est en quelque sorte une mise en scène de sa vie, vallée de joie et de souffrances enchevêtrées. Artiste adulée, elle vivait toujours entourée de ses amis peintres qui la maintenaient dans une ambiance culturelle et intellectuelle soutenue, elle se nourrissait également de lectures de poèmes, ce qui l’aidait plus que jamais à surmonter les atroces douleurs physiques auxquelles elle était en proie tout au long des son existence, ayant subi sept interventions chirurgicales aux membres inférieurs et à la colonne vertébrale. En dépit de tout, elle resta égale à elle-même jusqu’au soir de sa vie car même alitée, elle peignait sans répit pour triompher de la maladie. Elle avait un moral à toute épreuve même si l’envie de mettre fin à sa vie lui frôla l’esprit par moments. Heureusement que son Diego bien-aimé, quoique volage à souhait, avait été toujours là pour elle, qu’il surnomma affectueusement mon enfant. Dans cette perspective, Sabrina Santagata dans Ethnologie(s) en herbe, une étude sur la vie et l’œuvre de Frida Kahlo souligne « S’ils eurent du mal à se rencontrer sur une même exigence affective, Frida et Diego partagèrent, en revanche, le goût pour la théâtralité » (cf. P. 64).

 

C’est dans les vapeurs de stupéfiants et dans les beuveries d’alcool qu’elle noya les affres du désespoir et de la souffrance à la suite de son amputation. Militante aguerrie, elle mit sa peinture au service du parti communiste auquel elle voua un culte sans borne et elle se fit en même temps le porte-parole du féminisme. Par son besoin constant de surprendre, elle versa dans l’insolite en transposant sa maladie dans sa peinture.

 

L’univers pictural de Frida (ndlr, elle aimait bien qu’on l’appelât par son prénom) est peuplé d’éléments représentatifs de la cosmogonie indigène ou aztèque, de totems, de natures mortes et d’autoportraits. Elle a le contrôle de son intimité, la maîtrise de son corps. C’est un corps souffrant qu’elle modèle, façonne à sa guise et elle le représente tel qu’il le sent. Elle le dédouble, elle y inscrit tous ses fantasmes, elle verse en quelque sorte dans la catharsis. Après avoir peint son dernier tableau « Viva la vida » (« Vive la vie ») c’est dans la Casa azul, « La Maison bleue », héritée de sa famille, qu’elle meurt à 47 ans le 13 juillet 1954 d’une embolie pulmonaire, liée à la gangrène de sa jambe droite.

 

Le 30 novembre 1922, El Universal Ilustrado consacra un numéro spécial à l’État de Guanajuato, à 300 kilomètres au nord-ouest de Mexico. Dans ce numéro, Ortega alias « Orteguita », une journaliste, publia le poème ci-après de Frida Kahlo, un peu contre sa volonté, situant cette dernière parmi les jeunes espoirs de Guanajuato (ndlr, l’auteur n’avait que 15 ans à l’époque). La future peintre en fut tellement gênée qu’elle jura de ne plus jamais avoir recours à ce genre littéraire, et ce poème tomba pratiquement dans l’oubli.

 

***

 

© Crédit photo : image du poème "Recuerdo" de Frida Kahlo

(image fournie par Maggy de Coster)

 

 

Recuerdo

 

 

Yo había sonreído. Nada más. Pero la claridad fue en mi y

En lo hondo de mi silencio.

El me seguía. Cómo mi sombra, irreprochable y ligera.

En la noche, sollozó un canto…

los indios se alargaban, sinuosos, por las callejas del pueblo ;

Iban envueltos en sarapes, a la danza, después de beber mezcal,

Un arpa y una jarana eran la música, y la alegría

eran en las morenas sonrientes.

En el fondo, tras del “Zócalo”, brillaba del río. Y se iba cómo

los momentos de mi vida.

El, me siguió

Yo terminé por llorar, arrinconado en el atrio de la parroquia,

amparada por mi rebozo de bolita, que se empapó de lágrimas.

 

 

Poema de Frida Kahlo, publicado en El Universal Ilustrado el 30 de noviembre de 1922.

 

 

Souvenir

 

 

J’avais  souri. Rien de plus. Mais la clarté fut en moi et

Dans le fond de mon silence.

Il me suivait. Comme mon ombre irréprochable et légère.

Dans la nuit, fusait un chant tel un sanglot …

Les Indiens s’entortillaient à travers les ruelles du village.

Enveloppés dans leurs ponchos, ils festoyaient et dégustaient le jus de l’agave

Une harpe et une guitare s’alliaient  de bon gré pour les divertir,

et les négresses souriantes exultaient.

Derrière le Zocalo1 miroitait la rivière. Elle coulait comme les moments de ma vie.

Abandonnée  sur le parvis de la paroisse,

Je finis par pleurer, voilée de ma mantille trempée de larmes.

 

Poème de Frida Kahlo publié dans El Universal Ilustrado le 30 novembre 1922. (Traduction française de l'auteure / traducción francés de la autora de Maggy de Coster)

 

 

Note

 

1. Zócalo : Grand-Place

 

***

Pour citer ce texte

 

Maggy de Coster, « Frida Kahlo ou la sublimation de la douleur par l’art pictural », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture »/ Lettre n°10, mis en ligne le 20 avril 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/fridakahlosublimation.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans Numéro 7 La Lettre de la revue LPpdm
4 avril 2017 2 04 /04 /avril /2017 08:52

 

N° 7 | Dossier majeur | Textes & témoignages

Avant-première

 

 

Rocío Durán-Barba

 

 

Regards croisés/Miradas cruzadas

 

 

Alpamanda, Editorial, 2016, 238 p., 15€

 

 

Maggy de Coster

Site personnel : www.maggydecoster.fr/

Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/

 

© Crédit photo : 1ère de couverture de l'ouvrage illustrée de l'éditeur

(image fournie par Maggy de Coster)

 

 

 

Henri Michaux en 1929 avait,  dans son roman Ecuador,  fait la lumière sur les us et coutumes des Indigènes. Aujourd’hui c’est Rocío Durán-Barba, poète, juriste et journaliste franco-équatorienne, qui avec une anthologie bilingue français-espagnol, inscrit la France et l’Équateur dans une horizontalité picturo-poétique en créant une synergie entre 12  peintres équatoriens  et 12 poètes français avec 45 tableaux.

Depuis l’Antiquité la peinture et la poésie ont toujours évolué en parfaite harmonie tout en gardant chacune sa place, sa personnalité, son autonomie et ce, parce que tout simplement l’une peut exister sans l’autre. La peinture a un effet miroir par rapport à la poésie car le poète en s’inspirant d’un tableau fait un décryptage des éléments perçus par son imaginaire tout en scrutant la toile. Ce sont ses émotions, c’est  sa perception des éléments qu’il traduit, c’est-à-dire tout ce que l’œuvre lui évoque. Il  lui apporte un éclairage qui peut être considéré comme une valeur ajoutée, il est en quelque sorte le défenseur de l’œuvre car il la met en lumière par un jeu de  mots et d’images, donc le poète est un peintre en puissance qui offre une vision dynamique de l’œuvre picturale.

Et c’est avec raison que le poète lyrique grec Simonide de Céos opine : « La peinture est une poésie muette et la poésie une peinture parlante. »

Plus près de nous, c’est Apollinaire qui volait au secours des peintres, en vulgarisant leurs œuvres par ses écrits comme dans son ouvrage intitulé Les Peintres Cubistes.

Cela dit, le poète peut être tellement imprégné d’une peinture qu’il verse dans une sorte d’appréciation salutaire, véritable parti-pris de l’esthétique de l’œuvre qu’il traduit en langage poétique sans la démonter. Il y a tant à dire…

 

***

 

L’anthologie s’ouvre sur 4 poèmes de Francis Combes, inspirés des toiles du peintre Enriquestuardo Àlvarez. Un des deux tableaux inspirateurs est éponyme du poème intitulé : Bienaventuranzas (cf. P. 31)

 

 

Sur le mur dédoré de l’histoire,

le peuple se dresse toujours

drapé dans son suaire de sang

et c’est de ses propres mains

qu’il posera

sur sa tête

 

Ce poème est paré d’un réalisme troublant tant il est en corrélation avec sa  source, ce qui illustre mon assertion ci-dessus.

 

Sylvestre Clancier, a opté  pour la toile de Jorge Perugachy : Virgenes del sol (trad. Vierges du soleil) à laquelle il a consacré deux poèmes sans titre. Dans le premier dont l’incipit est « Miroirs sans tain », il met en lumière le mystère qui se dégage de la toile, les évocations de lumière :

 

Les corps ont leurs mystères

Que les dieux nus ignorent

Ils gardent leurs secrets

Quand leurs corps enlacés

Se font ombres et lumières

(cf. P. 140, § 11)

 

Quant à Françoise Coulmin, elle  a eu un coup de cœur pour le peintre Hernán Zúñiga, qu’elle  célèbre dans son poème intitulé : « Triompher des extrêmes »

 

Des corps glorieux

dégoulinant de laves froides

seins cicatrices chairs griffées rayées

comme pour se purifier de boues anciennes

( cf. P. 207, 4ème §)


 

De Rocío Durán-Barba, nous donnons à lire un extrait de son texte intitulé « Poème Bleu » :

 

Devant moi le bleu. Langage invisible. Dans le courant du temps. Le tremblement du pinceau. Murmurant souvenirs. Désespérés-tendres. Entre Quito et Paris. Murmurant chemins. Aux bords dénudé Étales.

 

Dans la contemplation :

 

Bleu le Bleu

Il ne me dit pas une couleur

Me dit un climat

une ambiance

un théâtre

 

Climat d’identité

ponctué de rites

        mœurs

            mémoires

                mythes

 

Ambiance du haut plateau andin

avec son arcane

    ses lutins

    son arc-en-ciel

        Suspendus près du soleil

 

Il me dit le théâtre

        de notre histoire

        de notre printemps     bleu

(cf. P. 225)

 

 

La préférence de Christophe Dauphin va à la peinture de Jorge CHALCO qui glorifie « les esprits qui gardent la sagesse et la nature. »

L’Amazonie trouve tellement grâce à ses yeux de poète qu’il lui prête une plastique de femme. Très belle description qui donne à voir une forêt avec une végétation luxuriante comme un éden retrouvé.


 

Elle se dessine comme un corps de femme qu’emporte

Un courant d’air qui roule

Entre les pages des condors de l’automne


 

On remarque bien que chez ces poètes le rapport au corps est manifeste et la symphonie des couleurs est très présente. C’est aussi la célébration des mémoires d’un peuple, la révélation des Andes dans toute leur splendeur.

 

    ***

 

En fin de compte disons que la peinture donne à la poésie un corps et la poésie lui donne un esprit. La poésie est immatérielle, elle interpelle l’oreille par la lecture mais la peinture interpelle la vue. La peinture accompagne la poésie qui, à son tour, lui rend hommage.

 

Regards croisés/Miradas cruzadas de Rocío Durán-Barba est une anthologie où la poésie semble être le corollaire de la peinture. Cependant, nous regrettons qu’il n’y ait pas eu de parité en ce qui concerne les peintres car nous n’avons relevé que la présence de deux femmes : Mariella García et Rosy Revello. Tout de même nous saluons cette belle initiative qui est celle d’une femme.*

 

 

* Un appel à contribution pour un dossier sur « Femmes, poésie & peinture » sera prochainement lancé par le périodique Le Pan poétique des muses.

***

Pour citer ce texte

 

Maggy de Coster, « Rocío Durán-Barba, Regards croisés/Miradas cruzadas, Alpamanda, Editorial, 2016, 238 p., 15€ », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture »/Lettre n°10, mis en ligne le 4 avril 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/miradas.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans Numéro 7

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