Poète jeune (âgé de moins de 26 ans) |
Avant-Première |
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Alexandre Salcède |
Crédit photo : Poème de l'âme : Rayons de soleil par Louis Janmot (1814–1892)
Voici qu’une terreur et une épaisse ténèbre tombèrent sur lui.
Genèse, 15, 12
I
La lumière s’était levée encore mais elle semblait usée. Trois faces ravinées, malades, fixent le disque pâle du soleil au bout de la route, à quelques millimètres au-dessus de l’horizon.
Trois âmes suspendues au seuil infranchissable.
Bientôt rayées de la face du Temps.
II
Dans ces contrées qu'on dit lointaines, nul chien de papyrus, nulle balance. Les ombres jonchent le sol et se cabrent et s’ébrouent. Il n’y a plus de peur, pas de délices promises par le grincement de gonds. Pas de bestiaire fabuleux, de signes rédigés au sommet d’un profil.
Les chemins ne se croisent plus. Nous sommes au-delà de tout choix.
Ces territoires sont sans limites, la vue n’est plus biffée au lointain d’un trait de plume noire. C’est une toile naïve, d’avant la perspective, où les anges ne font pas circuler la lumière. La couleur est prise dans les boues de la brume, elle peine à se lever.
Nuls rouleaux, nul scribe. Les mots parlent d’un temps après les mots.
III
J’ai froid jusque dans mes cheveux. Les mains de la brume m’arrachent à moi-même. Je vais, sur quelle route caillouteuse, les pieds nus, écorchés. Le brouillard s’épaissit dans le noir, j’ai froid dans les os.
Le temps s’étale, ce temps qui me traverse de part en part s’étire. Entre deux battements de cœur, plusieurs rocs se dressent entre moi et le monde. Je ne veux plus de la lumière. Je n’ai jamais été moins ombreuse qu’aujourd’hui. Le temps s’étiole, l’espace s’élargit.
La joie est une robe de soie où l’effroi est brodé. Le vent joue avec ses plis, j’ai froid jusque sous l’étoffe.
La fumée enfle, tout chute contre moi, cette terre est un encensoir qu’un apprenti thuriféraire balance sans maîtrise. Nous suffoquons dans ses effluves. Nous montons avec elles pour l’offrande du soir.
IV
La chair est fraîche, la chair grésille, la chair s’aère et s’ouvre, la chair rouille dans son automne. La chair court et s’affole, la chair brûle et s’effrite, la chair s’écorche aux arbres. La chair vente, la chair hurle, la chair danse dans la brume son arrêt de mort. La chair exsude, la chair exulte, la chair entraîne l’âme dont elle n’est plus le siège. La chair chante, elle entonne un cantique à la chair, la chair ouvre ses bras. Elle accueille. La chair s’acharne.
Avis de la revue
Un style élégant, dense, riche et étonnant !
Une poésie rythmée par les sonorités des mots, par l'anaphore et la ponctuation !
La force habite les poèmes en prose d'Alexandre Salcède, fait jaillir l'indicible...
Pour citer ces poèmes |
Alexandre Salcède, « Extraits de Vêpres », Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013. |
Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-extraits-de-vepres-117919953.html/Url. |
Auteur(e) |
Alexandre Salcède est né en 1988 dans le Val-d’Oise. Il a participé en 2009 au colloque organisé par Jean-Claude Laborie sur les Vanités en présentant son travail intitulé « Vent et vanité dans l’œuvre de Pierre Michon ». Sous la direction de Michel Collot, il obtient son Master de Lettres Modernes avec un travail consacré à l’œuvre de Philippe Jaccottet intitulé « La parole précaire : de la poésie comme prière ». |