5 septembre 2022 1 05 /09 /septembre /2022 09:08

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Dossier mineur| Articles & témoignages | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages 

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¡OYE MATILDE !

 

Un hommage du poète argentin

 

 Carlos Arturo Schang à Matilde Urrutia,

 

la troisième épouse de Pablo Neruda

 

 

 

 

 

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Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

 

© ​​​​​​​Crédit photo : Le poète Carlos Arturo Schang lisant des extraits de son recueil de poèmes "¡OYE MATILDE !". Image fournie par la traductrice.

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“¿Qué son todas las acciones y pensamientos de los hombres durante siglos contra un solo instante de amor?” Hödelin,  Hyperion.

¡OYE MATILDE! En este poemario Carlos Arturo «  Goyo » Schang procura de habla de la ubicación del amor en su vida. Inaugura el libro por un encuentro ficticio en un bar con Matilde, la musa de Pablo Neruda con la cual platicó bebiendo alcohol. Encuentro que se hizo por medio de un amigo común. Muy buena introducción. Hago honor a su osadía. Matilde es para él es modelo de mujer por excelencia: la mujer amable, la mujer-culto la mujer-faro.

El sentimiento amoroso toma diversas formas bajo su pluma . ¿No era Cervantes quien decía en Don Quijote: “La pluma es la lengua del alma”? Toma su pluma para expresar su estado de ánimo con mucha sinceridad Así sus amores se ven consecutivamente clandestinos, imposibles, muertos hacia fantasmales. Tal vez el amor se hace dolor que le quema en el pecho: “Pero pienso que algún día / todas las flores llevaran tu nombre,/ y este dolor en el pecho, por tenerte, / se ira vestido de primavera.” Su amor es tan tenaz que dice: “Siento un rayo de sol tibio/ sobre mi espalda; / y creo que es tu mano. / No dejo de pensarte…” 

Me parece que su universo es blanco pues notamos la recurrencia de este color a lo largo de su poemario; puesto que el blanco es el símbolo de pureza, probablemente el poeta necesita volver a ser un hombre nuevo para alcanzar un alto grado de pureza. Montando “mil caballos blancos”, “La luna blanca” le guía para conquistar la mujer amada quien es una “gaviota blanca” y se encuentra “frente a un jarrón blanco”. Una canción “con aromas de flor blanca” Hay también la “camisa blanca” de la mujer que se fue, expuesta en el perchero bajo sus ojos en su cuarto. ¿Qué nostalgia?

En sus versos se esconden muchas insinuaciones sutiles, muchas alusiones que se pueden leer entre las líneas: “Sin apuro serás la reina de la Isla Negra/ y en tules blancos amarás el néctar.” O todavía: “¿[…]sueña conmigo/ y haces de mi un torbellino?”

Las mujeres que pueblan su imaginario tienen sabor de especia como “canela” igual que sus besos; tienen “ojos de copa de vino”, “el andar de risas de trigo” y les busca en sus noches: ¿“Quien eres? Y yo, que te buscaba/ sin conocerte, solo te imaginaba.”

París, Versalles son también depositarios de sus amores: “Paris sabe de tu lengua, / sabe que buscas” sin duda el sabor de un “Paris carnal” a través de las “noches de Montmartre”.

 

¡OYE MATILDE ! un libro de poemas y cartas de amor poblado de recuerdos románticos, reminiscencias, erotismo, sensualidad y fantasmas que nos comparte Carlos Arturo Schang y que se encuentra entre esperanza e incertidumbre. Es también un guiño a la historia de amor de Matilde y Pablo Neruda. Se termina sobre una nota muy insólita.

 

 

« Que sont toutes les actions et les pensées des hommes durant des siècles contre un seul instant de l’amour ? » Hödelin, Hypérion.

 

OYE MATHILDE ! Dans ce recueil de poèmes, Carlos Arturo  « Goyo » Schang essaie de parler de la place de l'amour dans sa vie. Le livre commence par une rencontre fictive dans un bar avec Matilde, la muse de Pablo Neruda avec qui il discute en buvant de l'alcool. Rencontre orchestrée par l'intermédiaire d'un ami commun. Très bonne introduction. J'honore son audace. Pour lui, Matilde est un modèle de femme par excellence : la femme gentille, la femme-culte, la femme phare.

Le sentiment amoureux prend diverses formes sous sa plume. N'est-ce pas Cervantès qui a dit dans Don Quichotte : « La plume est la langue de l'âme » ? Il prend sa plume pour exprimer son état d'âme avec une grande sincérité. Ainsi, ses amours sont successivement clandestines, impossibles, mortes voire fantomatiques.

L'amour devient peut-être une oppressante douleur : « Mais je pense qu'un jour / toutes les fleurs porteront ton nom, / et cette douleur dans la poitrine, pour t'avoir, / s'en ira vêtue de printemps. »

 Son amour est si tenace qu'il dit : « Je sens un chaud rayon de soleil / dans mon dos ; / et je pense que c'est ta main. / Je ne cesse de penser à toi... »

 

Il me semble que son univers est blanc car on remarque la récurrence de cette couleur tout au long de son recueil de poèmes ; puisque le blanc est le symbole de la pureté, le poète a probablement besoin de redevenir un homme nouveau pour atteindre un haut degré de pureté. Chevauchant « mille chevaux blancs », « La Lune Blanche » le guide à la conquête de la femme qu'il aime qui est une « mouette blanche » et se tient « devant un vase blanc ». Une chanson « aux arômes de fleurs blanches ». Il y a aussi la « chemise blanche » de la femme qui est partie, exposée sur le portemanteau, à sa vue, dans sa chambre. Quelle nostalgie ?

 

Beaucoup d'insinuations subtiles se cachent dans ses vers, beaucoup d'allusions peuvent être lues entre les lignes : « Ne te presse pas tu seras la reine de l'Ile Noire / et en tulles blancs tu aimeras le nectar. » Ou encore : « [… ] rêve de moi / et fais de moi un tourbillon ? »

Les femmes qui peuplent son imaginaire ont une saveur épicée comme la « cannelle » tout comme leurs baisers ; elles ont des « yeux de verre à vin », « la marche du rire des blés » et il les cherche dans ses nuits : « Qui es-tu ? Et moi, qui te cherchais / sans te connaître, je ne faisais que t'imaginer. »

Paris, Versailles sont aussi les dépositaires de son amour : « Paris connaît ta langue, / sait ce que tu cherches » sans doute le goût d'un « Paris charnel » à travers les « nuits de Montmartre ».

OYE MATILDE !, un livre de poèmes et de lettres d'amour, peuplé de souvenirs romantiques, de réminiscences, d'érotisme, de sensualité et de fantasmes que Carlos Arturo Schang nous fait partager et qui se situe entre espoir et incertitude. C'est aussi un clin d'œil à l'histoire d'amour de Matilde et Pablo Neruda.  Ce livre se termine sur une note très insolite.

 

© Maggy DE COSTER



 

NDLR : Ingénieur-agronome dans une autre vie, poète argentin Carlos Arturo Schang m’a fait l’honneur de me demander de lui faire la préface de son dernier recueil de poèmes ¡OYE MATHILDE ! publié en Argentine en langue espagnol que nous avons traduit pour nos lecteurs francophones.


 

 

 

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Pour citer ce texte inédit

 

Maggy De Coster, « ¡OYE MATILDE ! Un hommage du poète argentin Carlos Arturo Schang à Matilde Urrutia, la troisième épouse de Pablo Neruda », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre », mis en ligne le 5 septembre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no11/mdc-oyematilde

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 11 Amour en poésie Muses et féminins en poésie
31 août 2022 3 31 /08 /août /2022 17:57

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Poésie des aïeules | Travestissements poétiques


 

 

 

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Agnès La Noire

 

 

 

 

 

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Victorine Rostand

Ballade choisie & transcrite par Dina Sahyouni

 

 

 

 

 

Crédit photo : Joshua Reynolds, "Portrait of a Woman", Possibly Elizabeth Warren, 1759, Oil on canvas, Wikimedia.

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Agnès La Noire

Comtesse de March au Château de Dunbar. Ballade

 

 


 

C'était une fière gaillarde,

Qui toujours faisait bonne garde ;

Que l'on vînt tôt, que l'on vînt tard,

Agnès était sur le rempart.

UN MÉNESTREL.

(W. SCOTT, Histoire d'Écosse)

Ils dorment mes soldats, qu'ils saisissent leurs armes ;

Amis, enfants, réveillez-vous !

La trompette a sonné le signal des alarmes ;

Soyez dignes de mon époux.

 

De ses créneaux vengez l'outrage ;

Un jour, un seul jour de courage,

Et loin de Dunbar triomphant,

Salisbury, pâle de honte,

Fuira, quand votre noble comte

Apprendra ce fait éclatant.1


 

Ils courent aux remparts ; mais leur troupe fidèle

Résistera-t-elle ? Oh ! mon Dieu !

Sur la mer point de voile, et la vague étincelle

Sur l'abîme profond et bleu.


 

Bandez l'arc aux flèches rapides ;

Avec vous mes mains intrépides

Ébranlant le roc détaché.

Enfants ! si le château succombe,

La mer nous servira de tombe ;

Aux yeux de Dieu nul n'est caché.


 

Ciel ! sur les flots amers où mon espoir s'élance,

Cherchant la vie et le bonheur,

Un point qui s'agrandit rapidement s'avance,

Et Dieu protège mon honneur.2


 

Soldats ! une voile, une voile,

Qui brille au loin comme une étoile...

Saluez ce blanc pavillon.

Déjà l'ennemi, plein de rage,

Sentant défaillir son courage,

S'enfuit ainsi qu'un tourbillon.


 

Ils abordent ; bientôt un long cri de victoire

Bénit les vengeurs valeureux,

Et du barde écossais le nom d'Agnès la Noire

Inspire le luth généreux.

 

 

Notes

 

1. Le comte de March était en campagne avec le régent d'Écosse.

2. Le château fut secouru du côté de la mer par Ramsay de Dalwolsey.

 

 

La ballade ci-dessus provient de ROSTAND, Victorine [Mme], Les Violettes, poésies, par Mme Victorine Rostand ["sic"] ; précédées d'une lettre à M. de Lamartine, par M. Jules JANIN. Paris, L. CURMER, Libraire de S. M. La Reine et de S. A. R. Madame la Duchesse d'Orléans, 49 rue de Richelieu, 1846, pp. 83-87. Le recueil de poèmes appartient au domaine public. On ignore pour le moment les dates de naissance et de mort de cette poète inconnue ainsi que sa biographie. Les recherches effectuées sur elle donnent très peu de détails pour pouvoir en parler.

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Pour citer ce poème de l'aïeule 

 

Victorine Rostand, « Agnès La Noire », extrait de ROSTAND, Victorine,​​​​​​ Les Violettes, poésies... (1846), choisi & transcrit par Dina Sahyouni pour Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre »mis en ligne le 31 août 2022. URL :

http://www.pandesmuses.fr/no11/victorinerostand-agneslanoire


 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 11 Muses et féminins en poésie
29 août 2022 1 29 /08 /août /2022 14:45

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Dossier majeur | Florilège

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Parfumerie

 

 

 

 

 

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Floriane Martin

 

 

Peinture par

 

Mariem Garaali Hadoussa

 

 

 

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© ​​​​Crédit photo : Mariem Garaali Hadoussa. "Épanouissement", peinture.

 

 

Par ce poème, je décris l'ambiance féerique d'une parfumerie, la délicatesse des flacons de parfums ainsi que les délicieuses senteurs parfumées.

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Derrière la devanture, un assortiment de flacons,

Des écrins aux lignes fossilisées accueillent

Les bris de coquilles sur fond de lys,

Les phénomènes bleutés, bulles de douceur s'étiolent.

 

 

Sur des miroirs des savons ; une mosaïque en art pastel  

À l’envie de flâner loin des parasols indolents.

Des lacets de lavande à la fonte des neiges distillés en fragrances,

Une couronne de saison libère ses senteurs bois de santal.

 

 

Le relief des granités en fines couches décoratives

Charme les flacons de parfum irisés fermés par des chimères,

Les ailes d'une fée reflètent la pureté d’une « nuit étoilée ».

 

 

Roses nappées de brume enveloppant les huiles,

Ou tulipes, recueils de perles parfumées sur rubans de soie,

En vitrine, les œuvres raffinées se déclinent en cristal.

 

 

© Floriane Martin

 

 

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Pour citer ce poème féerique inédit

 

Floriane Martin, « Parfumerie », peinture inédite par l'artiste Mariem Garaali Hadoussa, Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre », mis en ligne le 29 août 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no11/fm-parfumerie

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 11 Muses et féminins en poésie Nature en poésie
29 août 2022 1 29 /08 /août /2022 10:04

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Muses au masculin | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes, hommages 

 

 

 

 

 

 

 

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Jean-Jacques Sempé, le funambule

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Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre

 

 

 

 

 

​​​​​​© Crédit photo : Mustapha Saha, portrait de "Jean-Jacques Sempé", peinture sur toile, dimensions : 65 x 50 cm.

 

 

 

 

Paris. Vendredi, 12 mai 2022. Jean-Jacques Sempé fait sa valise, à quatre-vingt neuf ans, dans sa résidence de vacances à Draguignan. Son nom restera sans doute gravé dans le Dolmen de la Pierre de la fée. Paris est fait pour vivre, non pour mourir. La dernière fois que je le revois à la librairie L’Écume des pages, boulevard Saint-Germain, je cherche, étonnante synchronicité, son livre L’Information consommation, publié en octobre 1968. Il est très fatigué. Il est malade depuis longtemps, mais il n’arrête pas de travailler. Comme les vrais paresseux. Je dessine, donc je suis. René Descartes est inhumé à deux pas, dans l’église Saint-Germain, où le dernier hommage est rendu à l’artiste. De nombreuses années auparavant, je lui avais offert Le Droit à la paresse de Paul Lafargue. La paresse, mère de toutes vertus. Il n’a pas assez de force pour partager un verre au Café de Flore à côté. Il me lance en me quittant : « Adieu l’ami. Je prépare mes bagages ». 

La joie, impossible pendant l’enfance, puisée dans le jazz sous baguette de Duke Ellington. Le jazz, lucarne sur tous les arts. Jean-Jacques Sempé croque les musiciens comme personne. L’attitude fait la musique. Le Bilboquet, tentures rouge pourpre et bois laqué, serveurs en chemise blanche et cravate, rue Saint Benoît, notre refuge. Marguerite Duras, appartement juste en face, se pointe à l’improviste quand la soif la prend. Nous nous bousculons pour lui faire place. Le Bilboquet, ancien Club Saint-Germain de Boris Vian, sacré par Kenny Clark, Lester Young, Colman Hawkins, Miles Davis et d’autres encore, définitivement fermé. Demeure, dans la même rue, Chez Papa, pavillon hissé par vents et tempêtes. 

Bien sûr, Jean-Jacques Sempé s’est sculpté jeune sa statue, à quatre mains avec le scénariste René Goscinny.  Le Petits Nicolas, best-seller mondial, traduit dans quarante cinq langues, d’abord né dans l’hebdomadaire belge Moustique en 1955 – 1956, ressuscité dans les colonnes du journal Sud-Ouest  Dimanche. L’écolier raconte sa vie avec ses copains qui portent des noms bizarres, Alceste, Agnan, Rufus, Clotaire… Sous des apparences d’élève ordinaire, ni cancre ni premier de la classe, un rétif, un récalcitrant, un insoumis, un frondeur en herbe. Le Petit Nicolas est également accueilli dans Pilote dès octobre 1959. Il côtoie Astérix le gaulois du même Goscinny. L’aventure dure sept ans, jusqu’en 1965. Elle se poursuit encore avec la publication d’inédits. Je me souviens du court métrage en noir et blanc d’André Michel, Tous les enfants du monde, inspiré d’un épisode du Petit Nicolas, vu, en compagnie de son actrice Bernadette Lafont et mon frère électif Pierre Clémenti, au cinéma La Pagode. La production cinématographique continue à tirer profit de la source intarissable.

 

 

Les dessins de Jean-Jacques Sempé, trop subtiles pour déclencher instinctivement le rire, déroulent délicatement leur atmosphère. Le sujet s’estompe dans la prodigalité graphique, l’exubérance visuelle. « Il y a parfois des sujets que j’abandonne uniquement parce que je ne suis pas satisfait de l’ambiance. Quand je dessine un petit bonhomme écrasé par son environnement, ce n’est pas l’environnement qui est important, c’est l’ambiance de cet environnement » (Sempé). Des ambiances sans blagues, sans galéjades, sans goguenardises, sans alibis comiques. De braves gens englués dans l’absurde, les blessures d’amour propre, les mensonges. Des représentations sans marges, sans trames narratives. Des dessins sans informations, sans interrogations, sans moralisations. Quand le texte s’en mêle, il s’enroule sur lui-même dans une chute déceptive. Des petits riens. Des signaux ténus de liberté, d’intuition, de création, de belles lueurs, poussières de couleurs, éphémères comme des papillons de jour. Je replonge dans les trois volumes du Je-ne-sais-quoi et du Presque-rien de Vladimir Jankélévitch : « La lumière timide et fugitive, l’instant-éclair, le silence, les signes évasifs, c’est sous cette forme que choisissent de se faire connaître les choses les plus importantes de la vie. Il n’est pas facile de surprendre la lueur infiniment douteuse, ni d’en comprendre le sens. Cette lueur est la lumière clignotante de l’entrevision dans laquelle le méconnu soudainement se reconnaît ». Rien de mieux pour comprendre la philosophie sempéenne. 

 

En 1968, deux livres en fausse prise avec le réel, Saint-Tropez et L’Information consommation. Le village de pêcheurs, phagocyté par les stars, engoncé dans la luxure. Des oisifs, dos voûté, avachis sur des matelas d’argent. La société de consommation se dénonce sous censure. Les slogans soixante-huitards métamorphosent les grilles de lecture. L’esthétique l’emporte sur la politique. La stratosphère artistique se laisse séduire par la gloire et la fortune. La génération bobo arrive. Que va-t-il se fourvoyer dans un sujet sur la jet-society ? Il explique sobrement : « En 1964, ma future épouse avait loué une maison à Saint-Tropez. Elle m’a proposé que nous y allions ensemble. Cela m’amusait de voir de près ce lieu mythique. On parle beaucoup de la joie de vivre là-bas. Mais j’en montre peu dans mes dessins. C'est la nature qui est heureuse à Saint-Tropez ». Dans l’Information-consommation, Jean-Jacques Sempé montre comment Mai 68, dans son ébullition même, se transforme à chaud en mythe. La jeunesse devient une classe dangereuse. Le gouvernement accuse les étudiants de rébellion suicidaire. Il menace d’une guerre génocidaire. Les chars campent aux portes de Paris. Tout se termine par des élections, étouffoirs des révolutions. Les protestataires rentrent dans les rangs. Dans une station balnéaire, deux compères adossés au capot d’un bolide italien. « Je me fais de plus en plus penser à un pavé de Mai 68 qui aurait manqué sa cible ». Festin bourgeois : « Soyons simples, on est entre nous. Que ceux qui étaient sur les barricades lèvent le doigt ». Tous lèvent le doigt. Romantisme soixante-huitard en miettes. Les contestataires, rattrapés par leur appartenance sociale, deviennent mandataires du système autoritaire.

 

En 1968, Jean-Jacques Sempé adopte une posture sinon ambiguë, du moins ambivalente. Il adhère au mouvement sans s’engager franchement. Des dessins percutants ne sortent pas des cartons. Il reste fidèle à René Goscinny scandaleusement malmené, traité de patron véreux, trahi par ses obligés. Une raison plus intime s’ajoute à sa perplexité. L’enfant de la guigne s’est bricolé tout seul son ascenseur social. Son talent est connu et reconnu. Il rejette la société de consommation. Les bourgeois le laissent finalement indifférent. Il les fréquente à l’occasion sans s’intégrer dans leur classe. Il croque leurs indigences morales, leurs difformités rédhibitoires comme Jean de La Bruyère dépeignait les mœurs et les caractères de ses contemporains. Mais, il traîne l’angoisse endurante de retomber dans la misère. 

 

Au printemps 1968, paraît un récit exceptionnellement long, cent pages, Marcellin Caillou, histoire d’un gamin solitaire qui rougit sans raison. Le petit garçon passe sans transition de l’enfance à l’âge adulte. Il ne parle pas de son adolescence. Aucune médecine ne peut soigner ses rougeurs, une particularité génétique sans cause pathologique, une singularité signalétique, une touche rubiconde qui le distingue dans la foule. René Rateau, le meilleur camarade de Marcellin, virtuose précoce du piano, est affecté d’un autre syndrome, l’éternuement compulsif. Le parallélisme scelle l’amitié.  

 

Raoul Taburin, entrepris dans la foulée, ne paraît qu’en 1994. Deux amis encore. L’illustre marchand Raoul Taburin, réparateur hors normes de vélos,  est une légende du cyclisme. Mais, il cache un terrible secret. Il n’a jamais réussi à se tenir sur une selle. Une honte rentrée qui lui empoisonne l'existence. « Taburin eut la tentation, qu'éprouvent parfois les fantaisistes, de montrer qu'ils ont une âme, que cette âme abrite un cœur, et que ce coeur contient des secrets qu'il aimerait, à certains moments, partager » (Sempé). Hervé Figougne, son ami, est un expert de la photographie. Tous les deux souffrent d’une invalidité dont la découverte les discréditerait. C’est justement ces incapacités qui font l’étoffe des héros. Le roman graphique donne la part belle à l’illustration. Finesse du trait. Linéature des détails. Profondeur des expressions. Légères touches de couleur. La société des Trente Glorieuses, adulatrice du travail et des vacances, décrite comme une société désuète, obsolète. 

 

J’imagine, en relisant Raoul Taburin, des hommes politiques arrivés au sommet sans aucune compétence, sinon leur génie manipulateur. Des minables qui transcendent leur incompétence intellectuelle et leur indigence morale en se frayant un chemin sur tapis rouge. La médiocrité transfigurée en prouesse, la roublardise en richesse. Jean-Jacques Sempé s’insurge contre le malentendu qui l’entoure depuis toujours, ces critiques qui définissent son art comme symbolique. Raoul Taburin ressasse «  Symbolique, mon œil ». Demeure la bicyclette, thématique récurrente, vecteur de liberté. Le corps, défiant les lois de la pesanteur, se fait son propre moteur, se propulse à vitesse enivrante. On déambule, on randonne, on cabriole, on batifole, on folichonne, on accélère, on ralentit, on taquine les virages, on trace les trajectoires, on s’équilibre d’énergies contradictoires, comme un dessinateur. Jean-Jacques Sempé, incomparable funambule, a toujours dessiné sur un fil.

 

 

© Mustapha Saha

© Crédit photo : Mustapha Saha en soutien aux étudiants pendant l’occupation de la Sorbonne le 14 avril 2022. © Élisabeth et Mustapha Saha.

 

 

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Pour citer ces peinture, image & article inédits

 

Mustapha (texte & illustrations), « Jean-Jacques Sempé, le funambule », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre »,  mis en ligne le 29 août 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no11/ms-jeanJacquessempe-lefunambule

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 11 Muses et féminins en poésie
26 août 2022 5 26 /08 /août /2022 17:04

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Critique & réception | Astres & animaux

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Anne-Lise Blanchard

 

Sur les paupières du vent

 

Donner à voir, 2008, 45 pages, 6,50€

 

 

 

 

 

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Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

 

 

​​​​​​​Crédit photo : mer, image de Wikimedia.

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Injonction des couleurs,  célébration des saisons, vénération de notre mère Nature dans son essence et ses composantes.

 

 

« Ce sont des arbres ébouriffés

Qui pointent leurs oreilles noires

hors de la couette

violette

de la nuit » 

(p. 7)

 

Bel agencement de couleurs car la nuit toujours vêtue de noir est nuancée d’une couette violette, la couleur violette étant le symbole de spiritualité, de calme, que sais-je encore ? 

Les couleurs semblent beaucoup à la poète voyant « chaton au ventre blanc qui  palpite ».

 

Cette injonction de couleurs se retrouve dans plusieurs pages du recueil . À la page 9, elle nous conte que :

 

«  le bouquet blanc

Qui ensoleille  ma lampe

éteinte

a jauni 

sans prévenir.»

 

Même par mauvais temps, l’univers chromatique de la poète ne varie pas. Lisons à la page 21 :

 

« Il fait un froid de canard,

les passants

se teintent de rouge vert bleu, »

 

Cette palette chromatique est bien large chez elle au point que  même : 

 

« le vent

 se poudre de couleurs pastel. » 

(p. 34) 

 

À  la page 41, elle nous invite à voir » « les méandres dorés » ainsi que « le milan noir ». À la page 43,  c’est « sur le soulier bleu » que le marais dépose son duvet.. Rien  qu’ « un rêve /de déserts roses »

 

Bref, Anne-Lise Blanchard puise son inspiration dans l’univers botanique, floral, minéral et zoologique.

 

© Maggy DE COSTER                   

 

***

 

Pour citer ce billet inédit

 

Maggy De Coster, « Anne-Lise Blanchard, Sur les paupières du vent, Donner à voir, 2008, 45 pages, 6,50€  », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre », mis en ligne le 26 août 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no11/mdc-blanchard-paupieresduvent

 

 

 

 

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    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Voix / Voies de la sororité | Métiers du livre & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Entretiens Interview avec Hassina Takilt du...
  • Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025)
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Appels à contributions | Agenda poétique Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025) Crédit photo : Berthe (Marie Pauline) Morisot (1841-1895), « J ulie-daydreaming...
  • La Femme-volcan
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | II — « Poésie volcanique d'elles » | Florilège | Travestissements poétiques | Astres & animaux / Nature en poésie La Femme-volcan...
  • Poème de « La rivière cotonneuse »
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | I — « Rêveuses » | Florilège | Travestissements poétiques | Astres & animaux / Nature en poésie Poème de « La rivière cotonneuse...
  • Le cœur étincelant d’un joyaux
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier mineur | Florilège | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages Le cœur étincelant d’un joyaux Poème élégiaque par Françoise Urban-Menninger Blog officiel : L'heure...
  • Albert Strickler, poète de la grâce et de la lumière
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier mineur | Articles & témoignages | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages Albert Strickler, poète de la grâce & de la lumière Hommage / texte élégiaque par...
  • Il ne faudra plus raconter des histoires, récit de Sandrine Weil sous-titré Le livre de Jean, 1942-1945, un enfant dans les camps paru chez L’Harmattan dans la collection Graveurs de Mémoire
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Critique & réception | « Poésie volcanique d'elles » | Articles & témoignages Il ne faudra plus raconter des histoires, récit...
  • Festival Fuerza, Femmes pour la paix du 4 au 8 juin, Quai de Scène à Strasbourg
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Critique & réception / Réflexions féministes | Voix / Voies de la sororité Festival Fuerza, Femmes pour la paix du 4 au 8 juin,...
  • Ma rencontre avec Hélène de Beauvoir
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