Megalesia 2020 | Lettre n°14 | Être féministe | Poésie érotique
Désir &
Sonnet féminin
Poèmes choisis, transcrits, remaniés, présentés brièvement & annotés par Dina Sahyouni
Présentation brève
Quelques phrases sur la poésie érotique de Renée Vivien :
Elle est picturale, classique cependant indémodable. Elle se réfère constamment à l'Antiquité, aux figures féminines païennes (ex. Volupté) et à La Poète (c'est-à-dire Sappho), vous pouvez le constater dans les poèmes extraits ci-dessous. La poésie érotique de Renée Vivien est puissante, limpide, revendicative, et rythmée. Elle est aussi féministe, et teintée d'une beauté et d'une fraîcheur provenant de la passion poétique vécue comme Extase et Volupté de l'être tout entier. Cette poésie relève également du lyrisme féministe parce qu'elle dévoile et sublime entre autres le corps et la sexualité non seulement féminins mais aussi lesbiens par l'intermédiaire de la création poétique.
Poétiser devient érotiser la vie. On retrouve ce même lyrisme féministe dans la poésie et les écrits de Sappho et des contemporaines comme Barbara Polla, Françoise Urban-Menninger (dans des écrits érotiques hétérosexuels...) et bien d'autres Angèle et MIKA (dans des chansons sur l'amour homosexuel).
Ces deux poèmes sont des extraits de Renée Vivien (1877-1909), Cendres et Poussières, Paris, Alphonse Lemerre, éditeur, 23-31, passage Choiseul, 23-31, 1902. Le recueil est adressé à l'amie de Renée Vivien H. C. L. B. et il a été imprimé le 27 mai 1902 à Paris.
Le poème "Désir" est un portrait érotique, descriptif, expressif et pictural de l'amante désirante et tant désirée. Ce poème explicite du désir amoureux lesbien permet de comprendre sa ressemblance au désir amoureux héterosexuel et normé. En outre, cette expression lyrique et féministe trouve des échos dans la culture populaire et musicale comme la récente chanson de l'artiste Angèle intitulée "Ta Reine" (voir le lien ci-dessous vers la chanson citée) ou chez l'artiste MIKA, auteur de plusieurs chansons qui portent sur la sexualité et l'amour homosexuels. Néanmoins, les difficultés de parler ouvertement de l'érotisme dit "homosexuel" persistent et continuent à attiser des tensions et même des discours de haine à l'égard des LGBTQAI+.
Quant au "Sonnet féminin", qui relève aussi de l'érotisme dit "homosexuel" et du lyrisme féministe, il permet de tracer un fil conducteur avec le matrimoine de la poésie de Sappho. Ce sonnet comporte aussi un blason élogieux de la voix de la personne aimée même si les rimes du sonnet ne sont pas plates, la litanie est là. D'autres parties du corps sont aussi érotisées comme les mains par exemple. La voix renvoie au souffle et à la poésie, car avant tout être poète, c'est être une voix, un souffle (cela a un rapport étroit avec les origines mythiques et légendaires de la poésie, le chant des Sirènes, Apollon, Mnémosyne, les Muses, Pan, Orphée, les Aèdes...)
Parmi les autres poèmes d'amour et d'érotisme du recueil "Cendres et Poussières", le "Sonnet féminin" se distingue par une sublimation claire du désir proprement "féminin" à l'égard du "féminin" pour le transfigurer en poésie, en une passion de la poésie. Renée Vivien a été ainsi étreinte par la poésie elle-même par le biais de l'être aimé (transfiguré en Muse) comme elle l'explique dans le premier tercet du sonnet. Et le "bleu" divin des clartés infinies" est le bleu de la poésie... On retrouve cette affirmation sur le fait que le bleu est féminin et Poésie dans le recueil de lettres de la poète Aurélie-Ondine Menninger "Lettres à Bleue" et bien d'autres poèmes de ses écrits et dans le poème chanté "Blue" de MIKA (voir lien ci-dessous vers la chanson citée). Dans le dernier vers du sonnet, la poète use encore de la métaphore pour décrire la "volupté" poétique qui transfigure sa bien-aimée en Muse libératrice et inspirante. Ainsi, la "blanche volupté" est une pureté symbolique et synonyme d'innocence poétique et de virginité des sensations érotiques rendues esthétiques ; une source d'inspiration, de créativité et un support de liberté. Ainsi, le lyrisme féministe se caractérise par une liberté créative.
Je voudrais par ailleurs en écrivant ces lignes renouveler ma proposition annoncée dans des billets datant de décembre 2019 pour tenter avec d'autres collègues de penser le lyrisme féministe dans tous ses états et toutes ses expressions. Il me reste de vous souhaiter une bonne lecture.
Désir
Elle est lasse, après tant d'épuissantes luxures.
Le parfum émané de ses membres meurtris
Est plein du souvenir des lentes meurtrissures.
La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.
Et la fièvre des nuits avidement rêvées
Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds.
Ses attitudes ont des langueurs énervées.
Mais voici que l'Amante aux cruels ongles longs
Soudain la ressaisit, et l'étreint, et l'embrasse
D'une ardeur si sauvage et si douce à la fois,
Que le beau corps brisé s'offre, en demandant grâce,
Dans un râle d'amour, de désirs et d'effrois.
Et le sanglot qui monte avec monotonie,
S'exaspérant enfin de trop de volupté,
Hurle comme l'on hurle aux moments d'agonie1,
Sans espoir d'attendrir l'immense surdité.
Puis, l'atroce silence, et l'horreur qu'il apporte,
Le brusque étouffement de la plaintive voix,
Et sur le cou, pareil à quelque tige morte,
Blêmit la marque verte et sinistre des doigts.
(pp. 43-44)
Sonnet féminin
Ta voix a la longueur des lyres lesbiennes2,
L'anxiété des chants et des odes saphiques3,
Et tu sais le secret d'accablantes musiques
Où pleure le soupir d'unions anciennes.
Les Aèdes4 fervents et les Musiciennes
T'enseignèrent l'ampleur des strophes érotiques
Qui versent dans la nuit leurs ardentes suppliques,
Ton âme a recueilli les nudités païennes.
Tu sembles écouter l'écho des harmonies ;
Bleus de ce bleu divin des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du ciel de Mytilène5.
Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses ;
De ton corps monte, ainsi qu'une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.
(pp. 93-94)
Notes
1. Il s'agit d'une métaphore classique mais toujours employée et explicite comparant l'extase amoureuse féminine à l'agonie qui précède la mort. C'est tout le poème qui constitue en fait une métaphore comparant la volupté ardente du désir amoureux en action aux instants de la mort ; une sorte de tremblement saisissant l'être tout entier et le laissant ébahi.
2. Les "lyres lesbiennes" sont à la fois une inspiration, une référence, une affiliation revendicative féministe, créative et sexuelle. Elles renvoient à la poésie de Sappho.
3. Idem.
4. Comme Homère, les aèdes sont des poètes de l'antiquité grecque. Ils sont nomades, conteurs et musiciens comme Orphée. Il s'agit des premiers poètes qui déclamaient des épopées...
5. Le terme a été rectifié par nous pour correspondre au nom de la ville grecque décrite dans le poème.
***
Pour citer ces poèmes
Renée Vivien, « Désir » & « Sonnet féminin » poèmes extraits de Cendres et Poussières (1902) choisis, transcrits, remaniés, présentés brièvement & annotés par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe & Megalesia 2020, mis en ligne le 12 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/desir-feminin
Mise en page par David Simon
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