5 octobre 2022 3 05 /10 /octobre /2022 13:40

Événements poétiques | Un Bouquet Poétique pour Toutes à l'École & La Journée Internationale des Droits des Filles 2022 & N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Instant poétique en compagnie de...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous le baobab, un livre…

 

 

 

 

 

 

 

Mona Azzam

 

 

 

 

 

Crédit photo : Boab, Commons.​

​​​​

 


 

Chaque matin, avant d’entrer en classe, tu prendras une petite gorgée de cette bouteille.

– Est-ce l’eau destinée à développer l’intelligence ? Dis-je1

 

 


 

Assise à même le sol rouge, indifférente aux traces qu’il laissera immanquablement sur mon bermuda blanc, le dos calé contre le tronc robuste du baobab, je suis plongée dans la relecture – énième relecture – de L’enfant noir de Camara Laye.

Un bruit léger, à l’instar d’un crissement de brindilles m’arrache à ma lecture et me pousse à lever la tête. 

Croisement de regards timides. Quel âge a-t-elle ? 8 ans, 9 ans tout au plus. 

Petite créature vêtue d’un boubou blanc trop large pour son corps menu, elle regarde sans ciller de ses grands yeux couleur charbon, la couverture du roman que je tiens entre les mains. 

 

Combien d’années se sont écoulées depuis cette rencontre avec Amina ? Trente ? Quarante ? Un peu plus ? Elles n’en ont pas altéré le souvenir. 

Il y a peu, en faisant des rangements dans ma bibliothèque, je suis tombée sur L’enfant noir de Camara Laye.

L’exemplaire a vieilli. La couverture s’est défraîchie. Les pages, jaunies par les années, ont répandu dans les airs une odeur surannée. 

Mais les souvenirs n’ont pas vieilli. Je revois la scène, comme si c’était hier : 

 

Amina qui fixe mon livre comme si à lui seul il représente tout un univers. Indéchiffrable. Inaccessible. Objet de mille et mille convoitises. 

J’ai tapoté le sol de ma main gauche, l’invitant à s’assoir à mes côtés. 

Un moment d’hésitation à peine et la voici qui prend place, se cale contre le tronc du baobab. 


Je me souviens de ses yeux pétillants, signe d’intelligence et de vivacité, dès qu’ils effleuraient mon livre. 

Je me souviens des larmes qui y ont perlé dès l’instant où j’ai posé mon livre sur ses genoux, ouvert à la première page. 

Vision bouleversante. Remuante. Frustrante. Réelle, aussi.

 

À l’instar de nombre de filles de ce village dans la brousse, Amina ne savait ni lire ni écrire. 

Je me souviens avoir laissé le livre ouvert sur ses genoux. 

Je me souviens lui avoir lu, malgré ma gorge nouée, ces premières lignes qui constituent l’incipit du roman : 

 

J’étais enfant et je jouais près de la case de mon père. Quel âge avais-je en ce temps-là ? Je ne me rappelle pas exactement. Je devais être très jeune encore : cinq ans, six ans peut-être. Ma mère était dans l’atelier, près de mon père, et leurs voix me parvenaient, rassurantes, tranquilles, mêlées à celles des clients de la forge et au bruit de l’enclume.

Brusquement j’avais interrompu de jouer, l’attention, toute mon attention, captée par un serpent qui rampait autour de la case, qui vraiment paraissait se promener autour de la case ; et je m’étais bientôt approché.

 

Tandis que je lisais ce passage, Amina s’est progressivement rapprochée de moi, jusqu’à ce que ses tresses se nichent au creux de mon épaule. 

J’ignore combien de temps a duré ma lecture…

Un cri, un “Amina” lancé sur le ton de la colère, est venu interrompre ce moment de partage, hors du temps. 

Mais le temps, pour Amina, était à la cueillette des arachides et aux menus travaux qui incombaient aux fillettes de son âge. 

 

Tenant toujours L’enfant noir dans la main, j’éprouve du mal à m’en séparer. 

Durant toutes ces années, je pensais avoir oublié…

Pourtant, je n’ai pas oublié les nombreuses fois où j’ai dû palabrer, jusqu’à l’épuisement parfois, avec le père d’Amina, afin qu’il accepte mon aide et l’idée que je devienne la marraine de sa fille. Et qu’il permette à Amina de réaliser son rêve : aller à l’école, apprendre à lire et à écrire. 

 

Quarante ans et des poussières sont passés. J’ai, entre les mains, L’enfant noir de Camara Laye. 

Sans même l’ouvrir, je sais que sur la première page où figurent le titre du roman et le nom de l’auteur, sont nichés des mots manuscrits. 

Des mots écrits par Amina. Des mots que je n’ai pas oubliés. 

Et qui disent : 

 

Je l’ai lu et relu. 

Je vous le rends, parce qu’il est à vous. 

Merci. 

Amina. 

 

 


 

1. L’enfant noir, Camara Laye.

 

***​​

 

Pour citer ce récit engagé & inédit

Mona Azzam, « Sous le baobab, un livre… », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques Évènement poéféministe | « Un Bouquet Poétique pour Toutes à l'École & La Journée Internationale des Droits des Filles 2022 » & N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre »,  mis en ligne le 5 octobre 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/11octobre22/no11/azzam-souslebaobab

 

 

 

Mise en page par Aude

 

© Tous droits réservés

 

Retour à la Table de l'anthologie 

 

Retour au sommaire du N°11​​​​​​​​​

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Bienvenue !

 

RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION ! 

LUNDI LE 3 MARS 2025

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES

Rechercher

Publications

Dernière nouveautés en date :

VOUS POUVEZ DÉSORMAIS SUIVRE LE PAN POÉTIQUE DES MUSES  SUR INSTAGRAM

Info du 29 mars 2022.

Cette section n'a pas été mise à jour depuis longtemps, elle est en travaux. Veuillez patienter et merci de consulter la page Accueil de ce périodique.

Numéros réguliers | Numéros spéciaux| Lettre du Ppdm | Hors-Séries | Événements poétiques | Dictionnaires | Périodiques | Encyclopédie | ​​Notre sélection féministe de sites, blogues... à visiter 

 

Logodupanpandesmuses.fr ©Tous droits réservés

 CopyrightFrance.com

  ISSN = 2116-1046. Mentions légales

À La Une

  • À propos de « Sous le Ciel de Montmartre »
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Bémols artistiques | Critique & réception | Métiers du livre À propos de « Sous le Ciel de Montmartre » Article par Annpôl Kassis...
  • Quand la poésie grimpe la colline de Ménilmontant dans l’est parisien !
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Bémols artistiques / Agenda poétique Quand la poésie grimpe la colline de Ménilmontant dans l’est parisien ! Présentation du...
  • HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I | Inspiratrices réelles et fictives
    LE PAN POÉTIQUE DES MUSES (LPpdm) REVUE FÉMINISTE, INTERNATIONALE ET MULTILINGUE DE POÉSIE ENTRE THÉORIES ET PRATIQUES HIVER-PRINTEMPS 2025 | NO I | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES 1er VOLET Crédit photo : Alphonsine de Challié, « beauty with pink veil...
  • Interview avec Hassina Takilt du magazine HORA 
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Voix / Voies de la sororité | Métiers du livre & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Entretiens Interview avec Hassina Takilt du...
  • Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025)
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Appels à contributions | Agenda poétique Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025) Crédit photo : Berthe (Marie Pauline) Morisot (1841-1895), « J ulie-daydreaming...
  • La Femme-volcan
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | II — « Poésie volcanique d'elles » | Florilège | Travestissements poétiques | Astres & animaux / Nature en poésie La Femme-volcan...
  • Poème de « La rivière cotonneuse »
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | I — « Rêveuses » | Florilège | Travestissements poétiques | Astres & animaux / Nature en poésie Poème de « La rivière cotonneuse...
  • Le cœur étincelant d’un joyaux
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier mineur | Florilège | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages Le cœur étincelant d’un joyaux Poème élégiaque par Françoise Urban-Menninger Blog officiel : L'heure...
  • Albert Strickler, poète de la grâce et de la lumière
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier mineur | Articles & témoignages | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages Albert Strickler, poète de la grâce & de la lumière Hommage / texte élégiaque par...
  • Il ne faudra plus raconter des histoires, récit de Sandrine Weil sous-titré Le livre de Jean, 1942-1945, un enfant dans les camps paru chez L’Harmattan dans la collection Graveurs de Mémoire
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Critique & réception | « Poésie volcanique d'elles » | Articles & témoignages Il ne faudra plus raconter des histoires, récit...