19 septembre 2017 2 19 /09 /septembre /2017 07:32

 

Premier colloque 2017-2018 | I – Parcours poétiques à découvrir

 

 

 

À propos de la poésie de Matilde Espinosa

 

 

Rédactrice : Maggy de Coster

Site personnel : www.maggydecoster.fr/

Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/

 

 

 

© Crédit photo : Hommage à Matilde Espinosa. Assises, de gauche à droite :

Clara Rojas, Maggy De Coster et Bella Clara Ventura, image fournie par Maggy de Coster.

 

 

 

 

 

Quel bonheur de pouvoir traduire la poésie de Matilde Espinosa, cette grande poète avant-gardiste née le 25 mai 1911 à Huila, au bord du fleuve Páez, dans le département du Cauca en Colombie, qui a ouvert la voie de la liberté aux femmes colombiennes !

J’ai été invitée à Bogota en Octobre 2010 par l’Ambassade de France en Colombie à représenter ce pays à la IXe rencontre Internationale des Écrivains (es) autour de Matilde Espinosa, à la demande de Bella Clara Ventura qui présidait l’événement, commémorant le deuxième anniversaire du décès de la poète. C’est à ce moment-là que j’ai découvert cette femme d’exception dans ses multiples facettes. J’ai été séduite par son engagement en tant que poète militante et aussi par sa personnalité et la portée de son œuvre.

Sa poésie nous remue, elle résonne tantôt comme un appel en faveur de ses compatriotes martyrs tantôt comme un cri de douleur d’une mère aux entrailles déchirées. Matilde s’imprégna de la littérature française puisqu’elle vécut pendant quatre ans en France où naquirent ses deux fils.

Donc, elle ne mérite pas moins d’être connue par les poètes français. Nous lui rendons un hommage posthume, en vulgarisant sa poésie dans la langue de Molière en réunissant quelques–uns de ses poèmes sous le titre de : Le métier à tisser des étoiles, (inédit en français).

Puisse-t-elle se réjouir de notre travail, là où elle est en ce lieu de lumière !

Je remercie Guiomar Cuesta Escobar, sa légatrice testamentaire qui m’a facilité ce travail en me fournissant les textes dont nous vous donnons à lire quelques-uns.

 

***

Les poèmes ci-dessous sont reproduits avec l'aimable autorisation des maisons d'édition, des ayants droit et de la traductrice Maggy de Coster

 

 

 

© Crédit photo : Matilde Espinosa, image fournie par Maggy de Coster.

 

 

Extrait du recueil Le monde un une longue rue, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1976, pp. 27-27.

 

 

Les enfants en exil

 

 

Quelqu’un pense-t-il à nous ?

à nos rêves,

à notre vol raté

et à cette marche

sans savoir qui ou qui

nous attendent ?

 

 

Qui s’est arrêté

quand on nous arrache du lit

dans le frisson du petit matin

alors qu’une forte voix

nous pousse vers le seuil de la porte

et un grand silence

ferme la maison, nos vieux jouets

demeurant au fond ?

 

 

Il faut être légers pour le voyage.

Et le coin (de jeu) dans les cours,

et les amis du pâté de maison,

les petits voisins se demanderont :

Quel méchant vent les arracha

en assombrissant les dernières étoiles ?

 

 

Toutes les patries ont un ciel,

un nom : le Vietnam, le Chili, la Colombie,

et un paysage, un lieu

qui nous paraît plus beau.

 

 

Que deviendront nos choses,

sans propriétaire connu ? Quelque chose que nous oublions :

un cahier boueux, une affiche, un souvenir.

 

 

On parle toujours des grands,

de leurs peines, de leurs travaux, de traités

que nous ne parvenons pas à comprendre,

et nous, à qui nous plaignons-nous ?

 

 

Nous ne nous demandons plus si

les persécuteurs auront des enfants.

Si les bandits auront des enfants.

Peut-être leur diront-ils

des mensonges ?

 

Mais nous

nous n’allons pas rester petits,

nous grandirons

et un jour nous foulerons l’herbe,

l’herbe qui niera leurs corps

pour que, la lumière, l’air,

n’aient pas honte

ni le ciel de la patrie

qui commence à devenir chanson,

notre chanson,

comme le pain et la paix

que nous cherchons pour le monde.

 

Matilde ESPINOZA

 

***

 

Extrait du recueil La Poésie de Matilde Espinosa, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1980, p. 131.

 

 

L’enfant qui demeura aveugle

 

 

Désormais tout sera pareil, nuages et papillons,

et le monde aura perdu les joies d’un enfant

qui fit des révolutions avec les oiseaux.

 

 

Sous la paupière immobile se blottit la nuit.

Désormais tout sera pareil.

Jamais la lumière n’eut grande tristesse

ni la couleur n’eut grande solitude.

 

 

Et la fête des feuilles avec le vent

se poursuit en naufrage

ainsi que le peuple de comètes

et les nids endormis ou défaits.

 

Jamais la lumière n’eut grande tristesse

ni la couleur n’eut grande solitude.

 

Matilde ESPINOSA

***

 

Extrait du recueil La Poésie de Matilde Espinosa, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, Bogota, 1980, pp. 211-212.

 

 

De la sereine transparence

 

Je repense à l’amour,

non seulement pour toi, non seulement pour moi,

mais pour l’étoile et son insistance,

pour la pluie et son tintement

et c’est pour regarder la porte ouverte.

 

 

Dans la sereine transparente

du mot qui s’en va

il reste une rumeur d’un ancien fleuve

où vécurent des poissons rouges

qui dans la tiédeur de l’écume

furent emportés par la mort.

 

 

Comme à la fin des rêves

le réveil est douloureux

j’éteins la lumière de la fenêtre

et je vois passer tous les visages

dans l’ivresse des silences.

 

 

Non seulement pour toi, non seulement pour moi,

mais pour l’étoile et pour sa fuite,

pour l’ombre passagère,

pour le fleuve et son courant

et pour la pluie qui ne cesse pas,

qui ne cesse pas de tomber.

 

Matilde ESPINOZA

***

 

Extrait du recueil : Les héros perdus, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Trilce Éditeurs, 1994, p. 73.

 

 

Le nuage blanc

 

 

À la mémoire de mon fils, Fernand Martínez Espinosa

 

Un jour et un autre jour

sans toi mon fils.

Et les silences

et le pourquoi sans sens

et savoir seulement

qu’il y avait un assaut dans mon chemin.

 

 

Pourquoi m’as-tu précédé

le pas, finalement mon fils,

peut-être tu ignorais que cette douleur

n’a pas d’égal

ne s’exprime ni par les mots.

 

 

C’est la plus solitaire de toutes les douleurs

et l’écho de ses pleurs

traverse les siècles

comme des frissons anciens et nouveaux.

 

La solitude accoucheuse de la mort

devait t’éteindre les paupières remplies de soleils

et de cieux vagabonds.

Elle a dû te fermer les pupilles

qui me cherchent

dans ce labyrinthe où je berce

ton ombre.

 

 

Dans le nuage le plus blanc

je te rends à l’enfance

et t’attends.

 

Matilde ESPINOZA

 

***

 

Extrait du recueil La crue des fleuves, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Antares, 1955, pp. 51-52.

 

 

À Paul Éluard

 

(Au cimetière du Père-Lachaise, Paris, 1953)

 

 

Tu es si jeune en ce monde

que ta mort n’est que le début

de ta verte récolte.

On t’entend respirer sous l’herbe

que ton cœur défend, comme une autre peau.

 

Ta langue universelle était le courant

qui transportait ta lutte sous les drapeaux,

et nous voyions ta tête illuminée

de rossignols et de bocages rouges.

 

À travers ton espérance et tes veines hardies

circulaient les hymnes et les forges,

dans l’enceinte bleue de tes mots,

les fronts se joignaient

en un vol espacé de colombes.

 

Tu règnes de profil dans les ombres,

en recueillant le silence de la nuit

qui fixe dans tes pupilles

la splendeur infinie de ton étoile.

 

J’entends monter à travers chaque tige tendre

le flux implacable de ton sang,

et je te vois comme tu étais, haut et grand,

parmi les enfants des quartiers pauvres.

 

Le territoire de l’amour te couvre,

la Liberté marche avec ton nom,

et dans tes yeux ouverts

la Paix veille sur ton aspiration profonde.

 

Je viens d’un pays où les arbres

précipitent leur origine

dans les rêves de l’homme,

et je t’apporte un message :

une poignée de terre,

une poignée d’amour

pour ta couche verte.

 

Matilde ESPINOZA

 

 

***

 

Extrait du recueil Dehors, les étoiles, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditorial Guadalupe, 1961, pp. 5-6.

 

 

Dehors, les étoiles

 

 

Dehors, les étoiles, les statues dénudées,

les chiens errants, l’ombre de la lune.

Dedans, l’amertume, l’esclavage, les meubles,

Une table dressée et beaucoup de faim dans l’âme.

 

Dehors, la beauté, l’honnêteté des arbres,

les mains de la terre, la douceur de l’air.

Dedans, le mensonge, comme une lampe aveugle,

tendresse contenue sans se donner aux mots.

 

Dehors, l’espérance, les pauvres avec leur froid,

la liberté de l’eau, les pierres et la rosée.

Dedans, l’agonie, conque peureuse

qui pulvérise l’essence des choses.

 

Dehors, tout est joie qu’ exultent les prairies,

la gloire des vents, les amours des pâtres.

Dedans, la mesure squelettique et vaine

qui verse dans le vin une larme gelée.

 

Dehors, le cloches, les nuages, les horloges

montent avec les heures inaugurer les tours.

Dedans, la nostalgie des temps inutiles

ignore la bataille de celui qui sème les roses.

 

Dehors, tout le monde, les mers, les navires,

les bras des hommes grands comme des forêts.

Dedans, tout est ombre qui mutile les rêves,

mort qui tombe les yeux ouverts.

 

Matilde ESPINOSA

***

 

Bibliographie de Matilde ESPINOSA

 

 

La poésie de Matilde Espinosa s’est déclarée en 1954 et parmi ses livres on peut citer :

Les crues des fleuves (Bogota, Antares, 1955)

Pour tous les silences (Bogota, Éditions Minerva, 1958)

Dehors, les étoiles (Bogota, Éditions Guadalupe, 1961)

Le vent passe, (1970)

Le monde est une longue rue (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1976)

La poésie de Matilde Espinosa (sélection) (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1980)

Mémoire du vent (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1987)

Saison inconnue (1990)

Les héros perdus (Bogota, Trilce Éditeurs, 1994)

Des signaux dans l’ombre (Bogota, Arango Éditeurs, 1996)

Le mur de l’ombre (1997)

La ville entre dans la nuit (Bogota, Trilce Éditeurs, 2001)

La Terre obscure (Bogota, Arango Éditeurs, 2003)

Un jour parmi tant d’autres (Bogota, Beaumont Éditeurs, 2006)

(NDLR : Ces titres sont les traductions des titres originaux en espagnol).

 

***

 

Pour citer ce texte

 

Maggy de Coster (texte, traduction & images), « À propos de la poésie de Matilde Espinosa », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Premier colloque international & multilingue de la SIÉFÉGP sur « Ce que les femmes pensent de la poésie : les poéticiennes », mis en ligne le 19 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/poesie-matilde-espinosa.html

 

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