Premier colloque 2017-2018 | I – Parcours poétiques à découvrir
À propos de la poésie de Matilde Espinosa
Site personnel : www.maggydecoster.fr/
Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/

© Crédit photo : Hommage à Matilde Espinosa. Assises, de gauche à droite :
Clara Rojas, Maggy De Coster et Bella Clara Ventura, image fournie par Maggy de Coster.
Quel bonheur de pouvoir traduire la poésie de Matilde Espinosa, cette grande poète avant-gardiste née le 25 mai 1911 à Huila, au bord du fleuve Páez, dans le département du Cauca en Colombie, qui a ouvert la voie de la liberté aux femmes colombiennes !
J’ai été invitée à Bogota en Octobre 2010 par l’Ambassade de France en Colombie à représenter ce pays à la IXe rencontre Internationale des Écrivains (es) autour de Matilde Espinosa, à la demande de Bella Clara Ventura qui présidait l’événement, commémorant le deuxième anniversaire du décès de la poète. C’est à ce moment-là que j’ai découvert cette femme d’exception dans ses multiples facettes. J’ai été séduite par son engagement en tant que poète militante et aussi par sa personnalité et la portée de son œuvre.
Sa poésie nous remue, elle résonne tantôt comme un appel en faveur de ses compatriotes martyrs tantôt comme un cri de douleur d’une mère aux entrailles déchirées. Matilde s’imprégna de la littérature française puisqu’elle vécut pendant quatre ans en France où naquirent ses deux fils.
Donc, elle ne mérite pas moins d’être connue par les poètes français. Nous lui rendons un hommage posthume, en vulgarisant sa poésie dans la langue de Molière en réunissant quelques–uns de ses poèmes sous le titre de : Le métier à tisser des étoiles, (inédit en français).
Puisse-t-elle se réjouir de notre travail, là où elle est en ce lieu de lumière !
Je remercie Guiomar Cuesta Escobar, sa légatrice testamentaire qui m’a facilité ce travail en me fournissant les textes dont nous vous donnons à lire quelques-uns.
***
Les poèmes ci-dessous sont reproduits avec l'aimable autorisation des maisons d'édition, des ayants droit et de la traductrice Maggy de Coster

© Crédit photo : Matilde Espinosa, image fournie par Maggy de Coster.
Extrait du recueil Le monde un une longue rue, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1976, pp. 27-27.
Les enfants en exil
Quelqu’un pense-t-il à nous ?
à nos rêves,
à notre vol raté
et à cette marche
sans savoir qui ou qui
nous attendent ?
Qui s’est arrêté
quand on nous arrache du lit
dans le frisson du petit matin
alors qu’une forte voix
nous pousse vers le seuil de la porte
et un grand silence
ferme la maison, nos vieux jouets
demeurant au fond ?
Il faut être légers pour le voyage.
Et le coin (de jeu) dans les cours,
et les amis du pâté de maison,
les petits voisins se demanderont :
Quel méchant vent les arracha
en assombrissant les dernières étoiles ?
Toutes les patries ont un ciel,
un nom : le Vietnam, le Chili, la Colombie,
et un paysage, un lieu
qui nous paraît plus beau.
Que deviendront nos choses,
sans propriétaire connu ? Quelque chose que nous oublions :
un cahier boueux, une affiche, un souvenir.
On parle toujours des grands,
de leurs peines, de leurs travaux, de traités
que nous ne parvenons pas à comprendre,
et nous, à qui nous plaignons-nous ?
Nous ne nous demandons plus si
les persécuteurs auront des enfants.
Si les bandits auront des enfants.
Peut-être leur diront-ils
des mensonges ?
Mais nous
nous n’allons pas rester petits,
nous grandirons
et un jour nous foulerons l’herbe,
l’herbe qui niera leurs corps
pour que, la lumière, l’air,
n’aient pas honte
ni le ciel de la patrie
qui commence à devenir chanson,
notre chanson,
comme le pain et la paix
que nous cherchons pour le monde.
Matilde ESPINOZA
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Extrait du recueil La Poésie de Matilde Espinosa, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1980, p. 131.
L’enfant qui demeura aveugle
Désormais tout sera pareil, nuages et papillons,
et le monde aura perdu les joies d’un enfant
qui fit des révolutions avec les oiseaux.
Sous la paupière immobile se blottit la nuit.
Désormais tout sera pareil.
Jamais la lumière n’eut grande tristesse
ni la couleur n’eut grande solitude.
Et la fête des feuilles avec le vent
se poursuit en naufrage
ainsi que le peuple de comètes
et les nids endormis ou défaits.
Jamais la lumière n’eut grande tristesse
ni la couleur n’eut grande solitude.
Matilde ESPINOSA
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Extrait du recueil La Poésie de Matilde Espinosa, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditions Tercer Mundo, Bogota, 1980, pp. 211-212.
De la sereine transparence
Je repense à l’amour,
non seulement pour toi, non seulement pour moi,
mais pour l’étoile et son insistance,
pour la pluie et son tintement
et c’est pour regarder la porte ouverte.
Dans la sereine transparente
du mot qui s’en va
il reste une rumeur d’un ancien fleuve
où vécurent des poissons rouges
qui dans la tiédeur de l’écume
furent emportés par la mort.
Comme à la fin des rêves
le réveil est douloureux
j’éteins la lumière de la fenêtre
et je vois passer tous les visages
dans l’ivresse des silences.
Non seulement pour toi, non seulement pour moi,
mais pour l’étoile et pour sa fuite,
pour l’ombre passagère,
pour le fleuve et son courant
et pour la pluie qui ne cesse pas,
qui ne cesse pas de tomber.
Matilde ESPINOZA
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Extrait du recueil : Les héros perdus, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Trilce Éditeurs, 1994, p. 73.
Le nuage blanc
À la mémoire de mon fils, Fernand Martínez Espinosa
Un jour et un autre jour
sans toi mon fils.
Et les silences
et le pourquoi sans sens
et savoir seulement
qu’il y avait un assaut dans mon chemin.
Pourquoi m’as-tu précédé
le pas, finalement mon fils,
peut-être tu ignorais que cette douleur
n’a pas d’égal
ne s’exprime ni par les mots.
C’est la plus solitaire de toutes les douleurs
et l’écho de ses pleurs
traverse les siècles
comme des frissons anciens et nouveaux.
La solitude accoucheuse de la mort
devait t’éteindre les paupières remplies de soleils
et de cieux vagabonds.
Elle a dû te fermer les pupilles
qui me cherchent
dans ce labyrinthe où je berce
ton ombre.
Dans le nuage le plus blanc
je te rends à l’enfance
et t’attends.
Matilde ESPINOZA
***
Extrait du recueil La crue des fleuves, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Antares, 1955, pp. 51-52.
À Paul Éluard
(Au cimetière du Père-Lachaise, Paris, 1953)
Tu es si jeune en ce monde
que ta mort n’est que le début
de ta verte récolte.
On t’entend respirer sous l’herbe
que ton cœur défend, comme une autre peau.
Ta langue universelle était le courant
qui transportait ta lutte sous les drapeaux,
et nous voyions ta tête illuminée
de rossignols et de bocages rouges.
À travers ton espérance et tes veines hardies
circulaient les hymnes et les forges,
dans l’enceinte bleue de tes mots,
les fronts se joignaient
en un vol espacé de colombes.
Tu règnes de profil dans les ombres,
en recueillant le silence de la nuit
qui fixe dans tes pupilles
la splendeur infinie de ton étoile.
J’entends monter à travers chaque tige tendre
le flux implacable de ton sang,
et je te vois comme tu étais, haut et grand,
parmi les enfants des quartiers pauvres.
Le territoire de l’amour te couvre,
la Liberté marche avec ton nom,
et dans tes yeux ouverts
la Paix veille sur ton aspiration profonde.
Je viens d’un pays où les arbres
précipitent leur origine
dans les rêves de l’homme,
et je t’apporte un message :
une poignée de terre,
une poignée d’amour
pour ta couche verte.
Matilde ESPINOZA
***
Extrait du recueil Dehors, les étoiles, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER, Bogota, Éditorial Guadalupe, 1961, pp. 5-6.
Dehors, les étoiles
Dehors, les étoiles, les statues dénudées,
les chiens errants, l’ombre de la lune.
Dedans, l’amertume, l’esclavage, les meubles,
Une table dressée et beaucoup de faim dans l’âme.
Dehors, la beauté, l’honnêteté des arbres,
les mains de la terre, la douceur de l’air.
Dedans, le mensonge, comme une lampe aveugle,
tendresse contenue sans se donner aux mots.
Dehors, l’espérance, les pauvres avec leur froid,
la liberté de l’eau, les pierres et la rosée.
Dedans, l’agonie, conque peureuse
qui pulvérise l’essence des choses.
Dehors, tout est joie qu’ exultent les prairies,
la gloire des vents, les amours des pâtres.
Dedans, la mesure squelettique et vaine
qui verse dans le vin une larme gelée.
Dehors, le cloches, les nuages, les horloges
montent avec les heures inaugurer les tours.
Dedans, la nostalgie des temps inutiles
ignore la bataille de celui qui sème les roses.
Dehors, tout le monde, les mers, les navires,
les bras des hommes grands comme des forêts.
Dedans, tout est ombre qui mutile les rêves,
mort qui tombe les yeux ouverts.
Matilde ESPINOSA
***
Bibliographie de Matilde ESPINOSA
La poésie de Matilde Espinosa s’est déclarée en 1954 et parmi ses livres on peut citer :
– Les crues des fleuves (Bogota, Antares, 1955)
– Pour tous les silences (Bogota, Éditions Minerva, 1958)
– Dehors, les étoiles (Bogota, Éditions Guadalupe, 1961)
– Le vent passe, (1970)
– Le monde est une longue rue (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1976)
– La poésie de Matilde Espinosa (sélection) (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1980)
– Mémoire du vent (Bogota, Éditions Tercer Mundo, 1987)
– Saison inconnue (1990)
– Les héros perdus (Bogota, Trilce Éditeurs, 1994)
– Des signaux dans l’ombre (Bogota, Arango Éditeurs, 1996)
– Le mur de l’ombre (1997)
– La ville entre dans la nuit (Bogota, Trilce Éditeurs, 2001)
– La Terre obscure (Bogota, Arango Éditeurs, 2003)
– Un jour parmi tant d’autres (Bogota, Beaumont Éditeurs, 2006)
(NDLR : Ces titres sont les traductions des titres originaux en espagnol).
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Maggy de Coster (texte, traduction & images), « À propos de la poésie de Matilde Espinosa », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Premier colloque international & multilingue de la SIÉFÉGP sur « Ce que les femmes pensent de la poésie : les poéticiennes », mis en ligne le 19 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/poesie-matilde-espinosa.html
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