N°12 | Poémusique des femmes & genre | Chroniques de Camillæ
Lettre à Nol 2
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Crédit photo : Annie Ernaux, via Wikipédia.
La doxa Annie Ernaux atteint un sommet qui n’est qu’anéantissement. Tout est calibré pour les médias, à savoir un discours schématique, attendu, univoque, sans /e/ muet et ductile.
Pourtant j’aime ce que cette chère Annie Ernaux a matérialisé dans l’Ombre de la lumière. Elle a tant parlé, elle a tant « donné » que… La réussite de Son Nobel témoigne du goût profondément ancré en France pour la littérature.
Il n’est jusqu’à la colère d’un vieux et charmant poète du PEN Club pour faire usiner la machine, puisque tout est mécanisé, plus que jamais dans les balbutiements de l’ère cybernétique. Un chant du cygne, donc.
Le « j’ai vengé ma race », en parallèle au discours égotiste du bon Mabanckou « à voix nue » sur France culture, atteint bien son public. Lequel n’est ni lettré, ni cultivé, mais des années 70, comme vous, comme moi. Du Barthes et du Françoise Guyon, qui intègrent, désintègrent, jettent, récupèrent en tirant à boulets rouges sur ceux qui ne font pas partie du temple, que dis-je… ils envoient des boulets qui ne sont que reprises, échos, anadiplose — re-donc.
L’aspect si poussiéreux de ces artifices me reconduit à ma mère. Personnage que l’autrice de Passion simple pourrait être dans ma vie, puisque mes grands-parents normands tenaient une petite épicerie chez eux dans un hameau près de Dieppe. Annie Ernaux a écrit cela de façon dogmatique. Une digne et vraie copie d’agreg (= ad gregis) tout en cultivant une grandeur narcissique, et jamais pour faire rire. La narration épurée est convaincante. Certes, Annie Ernaux a remplacé une morte, tandis que ma mère a eu une sœur de lait, une double qu’il a fallu détruire, voiler, mais qui n’est pas morte, juste anéantie dans ces existences-là, obscures, sans émerveillement, chère Nol... Une morte, une voilée, voici les âmes amies qui poussent au sacrifice d’écrire. Et les rebondissement, les répétitions favorisent l’humour et l’auto-dérision.
Irai-je plus loin ? Ernaux ne parle pas de souillure. Sa réintégration est propre. Blanche. Elle a quitté le cloaque où macère sa jeunesse pour en recomposer un, qui est un foyer intellectuel. Je replonge dans une étude isiaque sur Herculanum, en réécrivant un mythe, mon mythe d’Isis, qui n’est pas une simple recomposition. Quelle puissance de vie dans ces ruines ! , d’après les pierres, et de rares inscriptions. La passion des archéologues est volonté de connaître le temps passé. J’y ajoute l’espoir de retrouver les vertiges de la Mater Deum…
Si Ernaux s’est circonscrite à elle-même et à sa famille, c’est qu’elle n’a pas la notion de bâtardise, de mélange, essentielle à la poésie, à ce qui chante et sonne dans une résonance sans raison.
© Camillæ
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Pour citer ce texte inédit
Camille Aubaude, « Lettre à Nol 2 », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 19 décembre 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no12/aubaude-lettreanol2
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