N° 7 | Dossier majeur | Textes & témoignages
Avant-première
Rocío Durán-Barba
Regards croisés/Miradas cruzadas
Alpamanda, Editorial, 2016, 238 p., 15€
Site personnel : www.maggydecoster.fr/
Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/

1ère de couverture de l'ouvrage illustrée de l'éditeur
(image fournie par Maggy de Coster)
Henri Michaux en 1929 avait, dans son roman Ecuador, fait la lumière sur les us et coutumes des Indigènes. Aujourd’hui c’est Rocío Durán-Barba, poète, juriste et journaliste franco-équatorienne, qui avec une anthologie bilingue français-espagnol, inscrit la France et l’Équateur dans une horizontalité picturo-poétique en créant une synergie entre 12 peintres équatoriens et 12 poètes français avec 45 tableaux.
Depuis l’Antiquité la peinture et la poésie ont toujours évolué en parfaite harmonie tout en gardant chacune sa place, sa personnalité, son autonomie et ce, parce que tout simplement l’une peut exister sans l’autre. La peinture a un effet miroir par rapport à la poésie car le poète en s’inspirant d’un tableau fait un décryptage des éléments perçus par son imaginaire tout en scrutant la toile. Ce sont ses émotions, c’est sa perception des éléments qu’il traduit, c’est-à-dire tout ce que l’œuvre lui évoque. Il lui apporte un éclairage qui peut être considéré comme une valeur ajoutée, il est en quelque sorte le défenseur de l’œuvre car il la met en lumière par un jeu de mots et d’images, donc le poète est un peintre en puissance qui offre une vision dynamique de l’œuvre picturale.
Et c’est avec raison que le poète lyrique grec Simonide de Céos opine : « La peinture est une poésie muette et la poésie une peinture parlante. »
Plus près de nous, c’est Apollinaire qui volait au secours des peintres, en vulgarisant leurs œuvres par ses écrits comme dans son ouvrage intitulé Les Peintres Cubistes.
Cela dit, le poète peut être tellement imprégné d’une peinture qu’il verse dans une sorte d’appréciation salutaire, véritable parti-pris de l’esthétique de l’œuvre qu’il traduit en langage poétique sans la démonter. Il y a tant à dire…
***
L’anthologie s’ouvre sur 4 poèmes de Francis Combes, inspirés des toiles du peintre Enriquestuardo Àlvarez. Un des deux tableaux inspirateurs est éponyme du poème intitulé : Bienaventuranzas (cf. P. 31)
Sur le mur dédoré de l’histoire,
le peuple se dresse toujours
drapé dans son suaire de sang
et c’est de ses propres mains
qu’il posera
sur sa tête
Ce poème est paré d’un réalisme troublant tant il est en corrélation avec sa source, ce qui illustre mon assertion ci-dessus.
Sylvestre Clancier, a opté pour la toile de Jorge Perugachy : Virgenes del sol (trad. Vierges du soleil) à laquelle il a consacré deux poèmes sans titre. Dans le premier dont l’incipit est « Miroirs sans tain », il met en lumière le mystère qui se dégage de la toile, les évocations de lumière :
Les corps ont leurs mystères
Que les dieux nus ignorent
Ils gardent leurs secrets
Quand leurs corps enlacés
Se font ombres et lumières
(cf. P. 140, § 11)
Quant à Françoise Coulmin, elle a eu un coup de cœur pour le peintre Hernán Zúñiga, qu’elle célèbre dans son poème intitulé : « Triompher des extrêmes »
Des corps glorieux
dégoulinant de laves froides
seins cicatrices chairs griffées rayées
comme pour se purifier de boues anciennes
( cf. P. 207, 4ème §)
De Rocío Durán-Barba, nous donnons à lire un extrait de son texte intitulé « Poème Bleu » :
Devant moi le bleu. Langage invisible. Dans le courant du temps. Le tremblement du pinceau. Murmurant souvenirs. Désespérés-tendres. Entre Quito et Paris. Murmurant chemins. Aux bords dénudé Étales.
Dans la contemplation :
Bleu le Bleu
Il ne me dit pas une couleur
Me dit un climat
une ambiance
un théâtre
Climat d’identité
ponctué de rites
mœurs
mémoires
mythes
Ambiance du haut plateau andin
avec son arcane
ses lutins
son arc-en-ciel
Suspendus près du soleil
Il me dit le théâtre
de notre histoire
de notre printemps bleu
(cf. P. 225)
La préférence de Christophe Dauphin va à la peinture de Jorge CHALCO qui glorifie « les esprits qui gardent la sagesse et la nature. »
L’Amazonie trouve tellement grâce à ses yeux de poète qu’il lui prête une plastique de femme. Très belle description qui donne à voir une forêt avec une végétation luxuriante comme un éden retrouvé.
Elle se dessine comme un corps de femme qu’emporte
Un courant d’air qui roule
Entre les pages des condors de l’automne
On remarque bien que chez ces poètes le rapport au corps est manifeste et la symphonie des couleurs est très présente. C’est aussi la célébration des mémoires d’un peuple, la révélation des Andes dans toute leur splendeur.
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En fin de compte disons que la peinture donne à la poésie un corps et la poésie lui donne un esprit. La poésie est immatérielle, elle interpelle l’oreille par la lecture mais la peinture interpelle la vue. La peinture accompagne la poésie qui, à son tour, lui rend hommage.
Regards croisés/Miradas cruzadas de Rocío Durán-Barba est une anthologie où la poésie semble être le corollaire de la peinture. Cependant, nous regrettons qu’il n’y ait pas eu de parité en ce qui concerne les peintres car nous n’avons relevé que la présence de deux femmes : Mariella García et Rosy Revello. Tout de même nous saluons cette belle initiative qui est celle d’une femme.*
* Un appel à contribution pour un dossier sur « Femmes, poésie & peinture » sera prochainement lancé par le périodique Le Pan poétique des muses.
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Maggy de Coster, « Rocío Durán-Barba, Regards croisés/Miradas cruzadas, Alpamanda, Editorial, 2016, 238 p., 15€ », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture »/Lettre n°10, mis en ligne le 4 avril 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/miradas.html
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