N°7 | Critique & réception
Avant-première
Michèle Finck
Connaissance par les larmes
Poèmes parus aux Éditions Arfuyen

© Crédit photo : 1ère de couverture illustrée de Connaissance par les larmes"
de Michèle Finck aux éditions Arfuyen, image fournie par F.Urban-Menninger
Née à Mulhouse en 1960, Michèle Finck partage dès l’adolescence sa vie entre la littérature et le piano et bientôt entre la France et l’Allemagne. Aujourd’hui, elle est professeure de littérature comparée à l’Université de Strasbourg où ses recherches visent à saisir les correspondances entre la poésie, la musique, la peinture, la danse et le cinéma. Connaissance par les larmes est son troisième ouvrage publié par les Éditions Arfuyen. D’emblée l’épigraphe de Marina Tsvétaïeva : « Ô Muse des larmes, la plus belle des Muses » nous invite à nous intéresser à cette sensibilité des pleurs qui renvoie à une culture monastico-érémétique proprement italienne, elle-même d’ empreinte grecque. Thème également central de la mystique cistercienne du XIIème siècle, les larmes témoignent de la quête de Dieu et ont partie liée avec le divin et le sacré.
Michèle Finck est traversée par cette grâce qui éclaire chacun de ses poèmes et donne une visibilité à l’invisible. « Même / Si / Dieu / N’/ existe / Pas / Les / Larmes / Sont / La / Trace / De / Dieu / En / Nous », écrit-elle, chaque vers, réduit à un seul mot, étant une larme versée sur la page blanche. De la larme à la mer, le poème appréhende cette cosmicité qui, selon Bachelard, nous habite depuis l’enfance. Comme chez Rimbaud qui s’écrie « Je me suis baigné dans le Poème de la mer » dans son « Bateau ivre », Michèle Finck se fait « Nageuse-chamane », son corps de femme se transmute alors dans celui du poème où il devient « Utérus aquarelle-d’azur » et l’auteure d’atteindre les cimes céruléennes dans le magnifique poème intitulé « L’alphabet des vagues » où elle écrit « Nager comme pleurer/Rend/ Visible l’invisible ».
Et de poursuivre tout au long de cet ouvrage la quête lancinante de l’origine en énonçant cette évidence claire et limpide : « La mer est l’utopie de toute musique, de toute poésie ». Mais si la mer nous permet d’appréhender l’origine, l’auteure précise que sa leçon de musique nous aide également à aborder les rivages de notre finitude. Un seul vers résume la magnificence de cette oraison qui loin d’être funèbre nous ouvre l’horizon : « La mer pour extrême onction ».
La musique, les œuvres d’art, le cinéma tissent une trame lumineuse où les larmes en sont la lie et le liant intemporels, universels. Bach, Vivaldi, Brahms, Verdi mais aussi Picasso, Edward Munch, Louise Bourgeois, Jean Hans Arp, mais encore Rossellini, Béla Tarr, Tarkovski, Alain Resnais et bien d’autres passeurs d’âmes sont conviés à travers leurs œuvres à nous aider à percevoir « les larmes dans les fentes brûlées du temps ».
Dans la partie du recueil baptisée : « Êtrécrire », Michèle Finck semble émerger d’un rêve éveillé, elle écrit : « L’art est un songe » et ajoute : « Ce qui reste : les larmes des mots ». Mais la poésie se cache derrière ou sous les larmes silencieuses car « Les / Larmes / Non / Pleurées / Sont / Celles / Qui / Font / Écrire » Le cri, indéniablement, traverse l’écrit de Michèle Finck. Tout à la fois Pénélope ou Philomèle, l’auteure est restée cette enfant qui ne parvenait pas à prononcer le mot « Littérature » et qui ne pouvait articuler que celui de « Luttérature », car déjà écrire, dire, relevait d’une lutte avec soi, avec les mots…
Michèle Finck évoque un « Corps à corps / Avec les mots / Jusqu’à ce qu’ils se tordent »… Et de défier la mort par le mot : « Écrire / Encore / Morte » et d’ériger les barricades de la révolte et de la résistance en dédiant un poème à Anna Politkovskaïa, assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou.
Et d’achever son recueil à la fois brûlot et brûlure où « Le presque rien / est le presque tout » par cette « Neigécrire » où elle définit ainsi le « Poème / Ce / Qui / Neige / Quand / On / A / Tout / Brûlé » ou encore où elle affirme : « Celle / Qui / Neige / Même / En / Dormant / veille ». Les vers tels des flocons neigent sur la page blanche… « Celle qui neige » est « l’alchimiste des larmes » et de déclarer : « Celle / Qui / Neige/ Tient / Tête / Au / Néant ».
Poète de la grâce, Michèle Finck nous octroie avec « Connaissance par les larmes » une lecture purificatrice qui embellit l’âme au sens où on l’entendait au Moyen Âge. Les vers de Michèle Finck sont autant de larmes « Du divin / Qui danse / Sur l’écume »… À nous de « Faire la planche [...] » en tentant de relier le ciel à la mer, en retissant les liens de l’homme au monde dans cette verticalité de l’être qui nous permet de renouer avec la cosmicité de notre enfance.
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Pour citer ce texte
Françoise Urban-Menninger, « Michèle Finck, Connaissance par les larmes. Poèmes parus aux Éditions Arfuyen », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture » sous la direction de Maggy de Coster, mis en ligne le 22 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/9/larmes-finck.html
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