REVUE ORIENTALES (O) | N° 2-1 | Entretiens & Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 | Entretiens artistiques, poétiques & féministes
Interview avec l'artiste-peintre
franco-haïtienne Élodie Barthélémy
Propos recueillis par
Entrevue avec
Artiste peintre franco-haïtienne
© Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Fécondation in kwi", 1997.
© Crédit photo : Portrait photographique de l''artiste Élodie Barthélémy par Ould Mohand.
Élodie Barthélémy est artiste-peintre franco-haïtienne née en Colombie où son père français fut diplomate. Elle a une œuvre picturale foisonnante et ouverte sur le monde. Elle nous parle à cœur ouvert de son parcours d’artiste et de ses réalisations.
MDC – Élodie Barthélemy, parlez-moi de votre parcours en tant qu’artiste-peintre ?
EB – Cela fait presque quarante ans que j’ai pris ce chemin. Je l’ai choisi adolescente avec comme objectif premier de mener une quête qui me mènerait jusqu’à ma mort. La peinture me semblait être la voie la plus longue, ce qui augurait un gage de longévité, effet escompté.
Je ne me suis pas trompée, je suis encore très loin d’être peintre. Je me donne encore cinquante ans si la vie m’accompagne jusque-là.
J’ai commencé adolescente par les installations et le modelage, si je résume : le volume, l’espace et l’amour de la poésie : Rilke, Baudelaire, Rimbaud, Michaux, Césaire et les amis de mes parents Jean Métellus, Roberto Armijo.
Puis ce fut la peinture aux Beaux-Arts de Paris dont je suis diplômée.
Depuis j’explore différents médiums : les tissus appliqués, les assemblages, les installations, la gravure, la performance, les œuvres participatives, en revenant régulièrement à la peinture comme un nécessaire retour sur soi.
© Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Oliviers-Terre rouge", 2021.
MDC – Votre technique de travail ? Les matières utilisées ? Bref tout ce qui relève de votre création artistique ? Vos sources d’inspiration ?
EB – Des lieux, matériaux et objets sont toujours à la source d’un travail.
Un exemple de lieu ? J’ai séjourné pendant le confinement à Barjols, en Provence, où la terre de la garrigue est rouge. Cette couleur du sol qui m’entourait m’a connecté à différents lieux de ma connaissance en Haïti et au Honduras, à des souvenirs. Peindre sur le motif les oliviers croissant dans cette terre riche en bauxite échappait dès lors à une vision strictement locale et pittoresque. Cette perception en écho qui nourrit le sentiment de correspondance, de lien, d’union m’ancre dans le lieu et me permet d’y travailler durablement. J’y suis retournée à chaque saison.
Un exemple de matériau ? La calebasse. Avoir la rondeur de la calebasse entre les mains m’a amenée à explorer et partager les sensations et images liées à la grossesse afin de compenser une prise en charge hyper-technique et médicale de ce processus naturel. Ce travail m’a conduite à réinventer sans le savoir l’usage du masque ventral et à créer des impressions dont la matrice était des calebasses gravées dans l’exposition intitulée Fécondation in kwi en 1998.
Plus largement des lieux, des matériaux, des objets, peuvent faire surgir des rituels de passage : de la naissance à la mort en y incluant les chocs historiques et sociaux que l’on traverse ou dont nous sommes les héritiers.
Pour faire court :
Mes matériaux de prédilection sont : verre, terre, farine, calebasse, métal, tissu, fil, laine, racines, cheveux...
Les objets que j’affectionne : chapeaux, vêtements, paniers, chaises, bouteilles, outils…
Les rituels autour de l’enfantement, l’enfance, l’adolescence, la mort, le deuil, les ancêtres
Les problématiques liés à l’esclavage, les guerres, les migrations.
© Crédit photo : Élodie Barthélémy et Laurent Grisel "La grande bugade", 2021.
MDC – Considérez-vous que les arts puissent revêtir un cachet féministe tout en évoquant le merveilleux ?
EB – Le féminisme passe dans mon travail par l’évocation physique de gestes immémoriaux de celle qui lave, celle qui cuit et celle qui coud, celle qui aide (la sage-femme) chers à l’ethnologue Yvonne Verdier.
Une œuvre intitulée « Terre nourricière » entre en écho avec votre question.
Je l’ai créée à la suite du tremblement de terre de 2010 qui a ravagé Haïti, pays meurtri qui avait déjà connu des émeutes de la faim lors de la crise boursière des produits céréaliers en 2008.
Il faut savoir pour comprendre ce qui suit qu’Haïti est ma terre maternelle. Ma mère est ma mère nourricière. Haïti est donc ma terre nourricière.
Mais au-delà de mon lien avec Haïti, la terre nourrit les vivants humains et non humains.
Le merveilleux qu’évoque votre question est celui emprunt de réalisme magique qui m’a tant marquée dans Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez et qui rejaillissait sous une forme tragique dans un reportage télévisé d’une chaîne française : Manger de la terre dans un marché haïtien pour couper la faim.
Mon installation présentée à la galerie Agnès B puis au Pavillon haïtien de la Biennale de Venise dans une exposition intitulée Haïti Royaume de ce monde, titre emprunté à Alejo Carpentier, prit la forme d’un banquet avec de nombreux plateaux couverts de victuailles. J’avais façonné des galettes de terre parsemées de dents. Le merveilleux ? Cette artiste, cette femme que je suis, celle qui foule la terre et la paille puis la pétrit pour transfigurer la douleur et la perte en aliment. Ainsi cette terre qui dévorait ses enfants nourrirait la terre entière.
© Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Terre nourricière", 2011.
MDC – Quelle place faites-vous au féminin dans votre art ?
EB – Dans le Tao-tê-king, Lao-Tzeu calligraphie :
« L’Esprit du Val° ne meurt point
C’est le Mystérieux Féminin
l’huis du Mystérieux Féminin
Est racine de Ciel-et-Terre
Traînant comme une filandre à peine s’il existe
mais l’on y puisera sans jamais qu’il s’épuise
Et du ruisseau qui y coule. »
(Traduit par François Houang et Pierre Leyris)
Comme je l’ai évoqué précédemment, je fais beaucoup de places aux travaux auxquels les femmes sont assignées. Les gestes des lavandières, des couturières, des coiffeuses, ce qui relève du travail manuel dévolu aux femmes ont la part belle dans mon travail. Retrouver leurs gestes est ma façon de mettre en lumière le travail qu’elles accomplissent, en prenant soin de le sortir du cercle privé, en le partageant comme bien commun.
Un exemple récent s’est déroulé lors du festival dédié à la poésie, à la performance et aux arts visuels des Eauditives en mai 2021, j’ai créé avec le poète Laurent Grisel la performance « La grande bugade : Lavons les avanies ! » autour du lavoir de la fontaine Saint Jean à Barjols. La grande bugade est le terme provençal pour la grande lessive qui permettait aux femmes d’écluser le gros du linge sale deux fois par an. Lors de notre performance participative, le public était invité à nous rappeler les expressions injurieuses de nos derniers présidents à l’égard du peuple. Nous les inscrivions sur des draps puis les lavions avec battoir, cendre, eau vive jusqu’à les sortir immaculés et essorés au son du chant repris par le public : Lavons, lavons les avanies ! Une sorte de catharsis sociale joyeuse par les bienfaits de l’eau.
MDC – Est-il facile d’exister en tant que femme peintre par rapport aux peintres de l’autre sexe sur le marché de l’art ?
EB – Je constate avec satisfaction qu’il est plus facile aujourd’hui d’exister en tant que femme-artiste mais je dirai que cela vaut pour la génération qui m’a suivie.
© Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Entre deux ciels", Photographie par Anja Beutler, 2021.
MDC – Peut-on considérer qu’il puisse exister une alliance entre l’art pictural et la poésie ?
EB – Une œuvre plastique peut prendre forme à partir d’un poème comme ce fut le cas quand je me suis éprise du célèbre poème « Se equivocó la paloma ». Ce poème écrit dans une période de grand désespoir par Rafael Alberti en 1941 à Paris, la guerre civile espagnole l’ayant contraint à l’exil, me procurait une sensation d’espace et d’improbable sérénité que je souhaitais partager.
Nous étions entre deux confinements en 2020.
La forme que j’ai trouvée est passée par l’interprétation de ce poème en LSF (Langue des Signes Française) commandée à la poétesse sourde Djenebou Bathily que j’ai filmée. Cette vidéo s’insérait dans une installation intitulée « Entre deux ciels » créée dans la cave d’une ancienne tannerie à Houdan, dans les Yvelines près de Paris. Elle répondait à un extrait de « Uruguay » de Jules Supervielle dont le livre ouvert était suspendu dans les airs, et dont on entendait la lecture enregistrée par le poète parlant Laurent Grisel. Cet extrait évoquait les nuages du ciel de la campagne uruguayenne qui sont comme des «animaux qui ne meurent jamais ». Cette cave accueillait le ciel bleui de la lune jouant avec un nuage calcifié, fossilisé surgissant du mur et le soleil métamorphosé en un cercle de livres irradiant de lumière chaude. Ces nuages qui ne meurent jamais peuvent évoquer tous ces poèmes, ces écrits, cette littérature qui nous maintiennent vivants et qui -pour ma part- m’ont éclairée pendant le confinement.
© Crédit photo : Élodie Barthélémy et Laurent Grisel, "La grande bugade", 2, 2021.
MDC – Vous avez eu une maman célèbre conteuse, quelles étaient vos relations avec elle ?
EB – Je l’ai présentée rapidement comme une mère nourricière. Elle est bien plus que cela. Mimi Barthélémy (1939 Port-Au-Prince 2013 Paris) était conteuse, chanteuse et comédienne, elle a écrit de nombreux recueils de contes, des spectacles et un roman. Elle a conté et chanté la littérature orale haïtienne partout en France, en Amérique latine et du Nord, à Cuba et ailleurs. J’ai eu la chance de travailler vingt ans à ses côtés comme scénographe de ses spectacles et illustratrice de certains de ses albums. Cela m’a permis de m’approcher de son soleil et d’être témoin de la conscience qu’elle avait de son rôle de conteuse et de l’importance de l’héritage qu’elle transmettait au public. J’ai reçu d’elle ce goût immodéré d’écouter les paroles qui vont à la source du vivant, des émotions, des sensations, des expériences fondamentales partagées, des archétypes du fond humain. Un bon terreau pour apprécier la poésie.
© Crédit photo : Élodie Barthélémy, "Petites annonces", 1998.
© Maggy De Coster & Élodie Barthélémy.
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Pour citer ces entrevue, dessins inédits
Maggy De Coster, « Interview avec l'artiste-peintre franco-haïtienne Élodie Barthélémy », dessins & photographies par Élodie Barthélémy & autres artistes, Revue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels & fictifs », n°2, volume 1 & Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 « Les merveilleux féeriques féministe & au féminin », mis en ligne le 9 mai 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/megalesia22/mdc-elodiebarthelemy
Mise en page par Aude
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