Dossier majeur | Textes poétiques
Vive la Retraite !
© Crédit photo : (illustration à venir)
Synopsis
Enfin retraités après une longue vie de labeur, Aline et Germain ont acheté une île déserte au beau milieu du Pacifique où ils comptent couler des jours heureux, loin de l'occident en faillite. Benoît et Francine ont fait de même. Ils vont bientôt se rendre compte qu'ils ont été arnaqués. Pire peut-être : manipulés par le Système…
Décor
Au sol, du sable. Fond bleu.
Costumes
Chemises à fleurs, paréo…
Scène 1
Dans le noir, bruit d'hélicoptère qui s'envole. Quand la lumière se fait, Germain et Aline sont debout, tournés vers le fond, deux gros sacs de voyage à leurs pieds. Ils vont ensuite lentement faire un tour sur eux-mêmes, pour découvrir l'ensemble du paysage
Aline
Ce ciel…
Germain
Oui, n'est-ce pas ?
Aline
Ce qu'on va être heureux !
Germain
Oui, mon amour : heureux, seuls tous les deux, jusqu'à la fin de nos jours.
Aline
Tu n'as pas l'air convaincu…
Germain
Mais si ! Puisque c'était mon idée.
Aline
C'était la mienne aussi.
Germain
C'était notre idée à tous les deux.
Aline
Germain
Il faut reconnaître que leur publicité était vraiment bien faite !
Aline
Plus de pollution ! Du soleil toute l'année !
Germain
Oubliée, la Crise !
Aline
Oubliés les chômeurs, oubliés les millions de pauvres et de malheureux !
Germain
Vivre simplement, sans rien ou presque ! Vivre sainement !
Aline
Vivre nus !
Germain
Face à l'Océan !
Aline
Somnoler sur la plage, bercés par le bruit des vagues !
Aline
Le bonheur absolu !
Germain
Le bonheur parfait.
Aline
Et ça ressemble tout à fait à la photo du catalogue. Sauf que je ne vois pas le bungalow.
Germain
Il doit être un peu plus loin dans les terres. Question de sécurité, en cas de tempête.
Aline
Il n'y a jamais de tempêtes ! Ni ouragans, ni séismes, ni tsunami, ni raz de marée d'aucune sorte. C'est ce qu'ils nous ont affirmé, à l'agence.
Germain
Ils n'allaient pas nous dire le contraire. Ils sont payés pour vendre, figure-toi !
Aline
Je suis naïve, c'est ça ?
Germain
Non, chérie. Peut-être juste un peu crédule, parfois.
Aline
Et toi, défaitiste, toujours !
Germain
On ne va pas se disputer, hein !
Aline
Non, bien sûr que non…
On entend un bruit d'hélicoptère qui approche.
Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qui se passe ? On a oublié un bagage ?
Germain
Non, tout est là.
Le bruit d'hélicoptère se fixe un instant, puis s'éloigne.
Aline
On dirait qu'il est reparti…
Germain
Tant mieux ! On se met à la recherche de notre maison ? On n'a qu'à laisser les bagages ici pour le moment.
Aline
C'est ça qui est bien sur une île déserte. Aucun risque, rien à craindre, pas l'ombre d'un voleur !
Ils sortent à cour.
Scène 2
À jardin entrent Benoît et Francine, chacun un gros sac de voyage à la main. Ils avisent les bagages d'Aline et Germain.
Benoît
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Francine
C'est pas possible : il n'y a que nous !
Benoît
Qu'est-ce que je t'avais dit ? Les îles désertes, ça n'existe plus depuis longtemps. Seulement toi, toi… tu n'écoutes jamais !
Francine
On s'est fait arnaquer, c'est ça ?
Benoît
On n'a plus qu'à rentrer chez nous. Sauf qu'on a tout vendu pour pouvoir acheter ici... Quant à se faire rembourser…
Francine
On ne peut pas rentrer, chéri. En tout cas, pas avant le ravitaillement. Trois mois… On ferait mieux de trouver notre bungalow, en attendant.
Benoît
Si au moins on avait le téléphone…
Francine
C'est toi qui as insisté pour qu'il n'y en ait pas : Tant qu'à vivre sur une île déserte, coupons-nous du monde carrément. Plus de kit mains libres ! Vivre libres, tout à fait ! C'est ce que tu as dit. Ces mots-là, exactement.
Benoît
C'était une boutade ! Je ne faisais que répéter les mots de la pub !
Francine
Pas du tout. Si ça n'avait tenu qu'à moi…
Benoît
Bon, on ne va pas se disputer, hein ?
Francine
Non, bien sûr que non…
Benoît
Alors, on le cherche, notre bungalow ?
Francine
On emporte nos sacs ?
Benoît
Ils sont trop lourds.
Francine
Et si on nous les vole ?
Benoît
Les voleurs n'iraient pas bien loin…
Ils sortent à cour.
Scène 3
Germain et Aline entrent à jardin.
Germain
Si on ne l'a pas trouvé, c'est qu'il n'y en a pas.
Aline
On va vivre où, alors ?
Germain
Je ne sais pas… Je ne sais pas.
Aline
On va mourir !
Germain
Mais non, on ne va pas mourir.
Aline
Si ! C'est tout ce qu'on peut faire !
Germain
Ne pleure pas, mon amour. Je suis là. Je serai toujours là.
Aline
Et tu nous construiras une jolie maison ?
Germain
Mais oui, ma chérie. Une case toute mignonne, avec une terrasse et un auvent. Et tout autour, un jardin.
Aline
Arrête, tu veux ? Maladroit comme tu es ! Deux mains gauches dans des moufles !
Germain
Avise les sacs de Francine et Benoît
Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
Aline
Ils ne sont pas à nous, ces sacs !
Germain
Ou alors, les nôtres ont fait des petits…
Aline
On n'est pas seuls…
Germain
Apparemment…
Aline
On s'est fait gruger.
Germain
Voler.
Aline
Arnaquer.
Germain
Rouler. Empaffer en profondeur.
Aline
Délester de tous nos biens.
Germain
Envolés tous nos espoirs.
Aline
Mortes nos douces illusions…
Un long silence bien lourd
Bon, c'est pas tout ça. Qu'est-ce qu'on fait ?
Germain
On attend. Ils vont revenir. Ils ne doivent pas être bien loin. S'ils ont l'air gentil…
Aline
On fait amis-amis. Et sinon…
Germain
L'île est assez grande pour quatre. Un couple à chaque bout, on ne se gênera pas.
Aline
Et si ce n'est pas un couple ?
Germain
Il y a deux sacs. Les mêmes que les nôtres. Ceux donnés par l'agence. C'est un couple, forcément.
Aline
Non, pas forcément. Ça peut tout aussi bien être…
Germain
Chut ! Les voilà !
Scène 4
Francine et Benoît reviennent à jardin.
Les quatre ensemble
Vous êtes qui, vous ? Qu'est-ce que vous faites là ?
Aline
C'est notre île. On l'a achetée. On est chez nous.
Francine
Pas du tout ! C'est nous qui l'avons achetée.
Germain
C'est notre île à nous.
Benoît
C'est bien ce que je pensais : l'agence nous a arnaqués. Elle a vendu l'île deux fois. Et elle ne s'est sans doute pas arrêtée là…
Germain
Une belle escroquerie ! Ah ils vont m'entendre !
Aline
Vous avez un téléphone ?
Germain
Non… Et vous non plus, n'est-ce pas ?
Francine
Secoue la tête, montre ses mains vides…
Mais on ne s'est pas présentés… Francine.
Ils se présentent.
Germain
On ne va pas se laisser abattre. On va trouver un joli coin et construire un abri, en attendant…
Benoît
En attendant quoi ?
Aline
Le ravitaillement, dans trois mois.
Germain
Quel ravitaillement ? Vous n'avez donc pas compris ? Personne ne viendra. L'hélicoptère nous a déposés et il est reparti. Les bungalows n'existent pas, les vivres non plus. Il faudra qu'on se débrouille seuls. Et pour commencer, trouver une source.
Bruit d'hélicoptère
Aline
Ils reviennent ! Ils reviennent ! On est sauvés !
L'hélicoptère se fixe. Voix amplifiée par un mégaphone.
La Voix
Chers résidents ! Ceci est un message du Système. Les personnes de longue expérience représentant une charge que la société n'est plus en mesure d'assumer, elles seront désormais confinées par lots de six à huit cents individus dans des îles paradisiaques semblables à celle-ci : eaux poissonneuses et gibier à profusion. Le Système ne doute pas de votre capacité d'adaptation et vous souhaite une heureuse retraite.
Bruit de l'hélicoptère qui s'éloigne tandis que se fait le noir.
Fin
***
Joan Ott, « Vive la Retraite ! », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°6|Printemps 2017 « Penser la maladie et la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 26 avril 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/vivelaretraite.html
© Tous droits réservés Retour au n°6|Sommaire ▼