25 mai 2022 3 25 /05 /mai /2022 16:34


REVUE ORIENTALES (O) | N° 2-1 | Entretiens & Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 | Entretiens artistiques, poétiques & féministes


 

 

 

 

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Portrait de Sélima Atallah

 

 

 

 

 

 

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Propos recueillis par

 

Hanen Marouani

 

 

 

Entrevue réalisée en mars 2022 avec

 

 

Sélima Atallah

Ou Sélima Atallah

 

Site Internet : www.selimaatallah.wordpress.com

 

 

© Crédit photo :  Photographie de Sélima Atallah, no 1.

 

 

Fiche d'information :

 

Profession : poète performeure, chercheure

Site Internet, Blog, liens sites de ventes : www.selimaatallah.wordpress.com 

instagram : @selima.a.poesie

Soundcloud

 

 

© Crédit photo :  Photographie de Sélima Atallah, no 2.

 

 

 

Biographie

 

 

Sélima ATALLAH est poète performeure et chercheure. Elle a grandi à Tunis et habite à Paris depuis une dizaine d’années. D’une curiosité sans limite, ses errances universitaires l’ont menée de la médecine à la création littéraire en passant par la psychologie et l’anglais. Elle travaille actuellement à un projet de recherche-création liant le corps, les lieux et les langues par la performance poétique. Sa poésie intime et engagée est attentive au rythme et à l’oralité. Convaincue que la poésie a sa place partout, Sélima ATALLAH porte ses textes lors de scènes de slam, de théâtre ou de littérature mais également en compagnie de DJ ou lors d’expositions d’art contemporain. 

 

Bibliographie

 

– “Bodies Decay in the light of Day”

– dans Manhattan Magazine, 2022

– “Crevette” dans Le Ventre et l’oreille, 2022

– “Ommi sissi” dans Il était tant de fois, Al Manar, 2021

– “Trou” dans Point de chute n°2, 2021

– “Ma Bouffe est verte comme une orange” dans Contre5ens, 2021

– “Najoua” dans Deuxième Page, 2020

À paraître 

– Au Pieu

– Monticules

– Entre deux rives en 2022

– “Samsara” dans le Krachoir en 2022

 

 

SÉLIMA ATALLAH : UNE JEUNE DOUÉE DE LA POÉSIE AUDIOVISUELLE

 


 

 

 

Entretien

 

 

 

H.M – Sélima ATALLAH, vous préférez être qualifiée de poétesse ou de slameuse


 

S.A – Je préfère poète. Entendons-nous bien, je suis absolument pour la féminisation des noms mais je n’aime pas la sonorité caressante du suffixe “esse” de poétesse. Quant au slam, c’est un type de poésie, avec ses propres règles d’écriture mais surtout d’oralisation. Une partie des textes que j’écris et que je performe appartient au slam mais souvent mon travail est plus proche de la poésie sonore, ou de la poésie action et je préfère donc le terme “poète” qui rend mieux compte de la diversité de ma pratique.



 

H.M – Parlez-nous de vous et de votre expérience ou de votre aventure poétique(s) ? Comment vous êtes arrivée à ce domaine ou comment ce domaine est arrivé à vous ? 


 

S.A – J’ai toujours été attirée par la poésie. C’est un héritage familial car mon arrière-grand-père, Chedly Atallah, était poète et j’ai toujours admiré ses recueils qui traînaient dans le salon de mes grand-parents. Enfant, j’aimais déclamer des vers de ma composition dans des jeux, ce n’était pas très fameux mais j’ai toujours aimé avoir des mots en bouche et j’ai donc commencé à écrire assez jeune mais de manière très sporadique et diluée dans le temps. Je me destinais à devenir médecin, un autre héritage familial, et je n’assumais pas du tout ce désir de poésie et la place qu’elle finirait par prendre dans ma vie. Je suis revenue à la poésie après avoir abandonné la médecine, durant mes études de psychologie dans une période où j’étais en quête de sens et où apprendre et réciter des poèmes de Baudelaire était la manière la plus efficace que j’avais trouvée de pallier l’angoisse. En m’y remettant, j’ai retrouvé le plaisir que j’éprouvais lors des récitations d’école et je me suis demandé pourquoi j’avais jamais arrêté de dire des poèmes. Progressivement, je les ai dits sur scène au Club des poètes tout en me mettant à écrire de plus en plus de textes que j’ai fini par réciter sur des scènes de slam. J’ai aussi découvert des poète.sses plus ou moins contemporain.es que j’admire comme Rim Battal, Gherassim Luca, Audre Lorde ou Charles Pennequin qui ont été de grandes sources d’inspiration. Une fois que la machine était lancée, c’était impossible pour moi d’arrêter car sans la poésie je ne sais pas comment je supporterai la vie. 



 

H.M – L’écriture poétique est-il un cas disciplinaire, un vrai film d’erreurs ou une faille psychologique persistante qui s’inscrit dans l’urgence de l’exprimer et peu importe comment ? 


 

S.A – Pour moi, la poésie est nécessaire, je n’écris pas car j’en ai envie mais car je ne sais pas faire autrement. Un motif qui revient souvent dans mes textes est le désir d’équilibre, d’une vie plus tranquille, rangée. Je suis souvent critique du “métro-boulot-dodo” et à la fois, j’aurais vraiment aimé pouvoir m’en contenter. La discipline n’est pas mon fort, je démarre autant de projets que j’en abandonne, et j’éprouve sans cesse un désir insatisfait face à toutes les habitudes que je ne parviens pas à tenir plus de quelques jours. L’écriture poétique intervient ainsi comme une manière de conjurer une angoisse qui m’accompagne presque tout le temps et me permet d’éclaircir l’imbroglio de pensées qui m’habite. Alors oui, j’écris souvent par salves, en tout cas dans un premier temps, dans une forme d’urgence logorrhéique incontrôlable. Retravailler les textes est plus tranquille, quoique purement jouissif. Je le fais de manière obsessionnelle pendant des heures, voire des jours que je vois à peine passer et où je me mets en retard pour d’autres choses car je ressens une forme d’impériosité créatrice que je ne peux pas arrêter. C’est là que la discipline intervient, celle de ne pas me laisser prendre au jeu de formules élégantes mais inutiles afin d’exprimer par le modelage de la matière-texte l’organicité de l’idée qui a présidé à l’écriture sans les fioritures inutiles d’une supposée belle langue. 



 

H.M – Combien d’ateliers d’écriture il faut suivre pour devenir… écrivain-e ou poète ? 

 

S.A – Je pense que beaucoup de personnes deviennent poète.sses sans suivre d’ateliers d’écriture, en lisant et en imitant par eux-mêmes le travail de personnes admirées. Néanmoins, comme je le disais, je ne sais pas vraiment me discipliner, alors j’ai beaucoup appris grâce aux ateliers d’écriture qui offrent un cadre avec des deadlines claires et puis évidemment l’expertise d’écrivain.es et leurs sensibilités qui sont d’extraordinaires inspirations. J’ai eu la chance d’en suivre beaucoup, avec Marc-Alexandre Oho Bambe, Frédéric Forte, Anne Sanogo, Cécile Mainardi, Marie de Quatrebarbes, Aurélie Loiseleur ou encore Laure Limongi, notamment grâce au master de création littéraire que j’ai suivi et où nous avions des masterclass d’écrivain.es, des ateliers de style... Ce sont des moments que j’adore en partie car on travaille d’une manière qui nous est étrangère avec des contraintes qu’on ne se serait jamais fixées nous-mêmes, et puis j’aime beaucoup voir comment chacun.e se saisit de la même consigne pour produire des textes radicalement différents. C’est pour ça que je pense qu’il ne faut pas arrêter d’en suivre : chaque écrivain.e a eu ses propres influences, ses propres manies, et on n’est jamais à l’abri de découvrir un texte, une méthode, une approche qui pourrait influencer durablement notre écriture. Écrire est un processus sans recette claire et les ateliers viennent le nourrir quel que soit le niveau d’expertise. 



 

 

© Crédit photo :  Photographie de Sélima Atallah, no 3.

 

 

H.M – Cette révélation presque quotidienne ou cette découverte de soi à travers et à partir des mots ont-elles réussi à guérir vos blessures et à calmer la fougue de vos ambitions ? 


 

S.A – En ce qui concerne la fougue, elle semble se nourrir de ce que j’écris car j’ai l’impression qu’elle devient de plus en plus forte, bien que je parvienne peut-être un peu mieux à la domestiquer, à l’incarner dans l’écriture et aussi, beaucoup dans la scène. Performer mes textes m’est essentiel et je pense que c’est un espace où être au contact de sa folie, de son feu et de ses blessures est bienvenu. Plutôt que de les laisser vous écraser, c’est un lieu où on les sublime, où la folie crée au lieu de détruire. Certaines plaies sont certainement moins à vif, mais mes failles sont la matière-même de mon écriture, et bien que je me connaisse peut-être un peu mieux grâce à mon écriture et mes performances je pense aussi qu’une grande partie de ce que je crée me dépasse et je ne comprendrai jamais parfaitement ce qui m’habite, bien qu’un des rêves de mon adolescence ait été de tout savoir de mes parts d’ombres et de lumières, mais je pense que c’est une utopie inatteignable. Je pense qu’on écrit surtout ce qu’on ne comprend pas et qu’on ne comprendra jamais de soi et du monde. 



 

H.M – La poésie audiovisuelle est votre genre de prédilection : le podcast, le soundcloud, les réseaux sociaux et c’est vous la douée de la poésie audiovisuelle. Vous préférez écrire vos poèmes ou les enregistrez directement avec votre voix ? 


 

S.A – Merci ! Je pense que des projets comme Pan 21 par exemple le font de manière bien plus ambitieuse que moi, et j’aimerais pousser cette pratique encore plus ! J’écris toujours mes poèmes en amont de leur enregistrement bien qu’il m’arrive de me laisser aller à des moments d’improvisation dont je ressens la pertinence. C’est vrai que l’oralité est essentielle à ma poésie, quand j’écris je lis mes poèmes à voix haute et c’est la qualité du rythme qui fait que je cesse d’écrire. Il me paraît donc naturel d’en rendre compte. Quant à la dimension visuelle, c’est une continuité de mon désir de rendre compte de mon univers et je profite des outils qui nous sont offerts pour y introduire de la poésie. Je ne veux pas d’une poésie cloîtrée dans sa tour d’ivoire, je la veux exigeante mais accessible au plus grand nombre et les réseaux sociaux sont donc un terrain nécessaire. Mais je ne m’y sens pas à l’aise en tant que seul lieu d’expression car on finit très vite par se laisser prendre par ses exigences algorithmiques et la création en souffre. Néanmoins, la projection est aussi quelque chose que j’expérimente aussi sur scène pour rendre compte du numérique qui est là partout autour de nous. 


 

H.M –  L’alerte blanche de vos cheveux est-elle la couleur de l’enfance ou de l’essence ? Ou plus c’est audacieux, mieux quand il s’agit d’être atypique ? 


 

S.A – J’aime beaucoup l’idée d’appeler ça “alerte blanche”. Ne faisant jamais les choses à moitié, j’ai voulu du contraste pour ma première teinture. Ça m’a obsédé à un moment, alors je l’ai fait, je ne sais pas trop pourquoi, probablement pour signaler de prime abord une forme d’étrangeté et préparer mon interlocuteur à ne pas me ranger dans une case trop lisse. Je ne sais pas trop en vérité, je laisse la porte ouverte à toutes les interprétations !


 

H.M – Quelle est votre idée phare pour définir votre propre vision poétique ? 

 

S.A – Tout le monde peut aspirer à quelque chose de plus si tant est qu’il s’y autorise, mais c’est un chemin difficile, une lutte perpétuelle contre les normes et contre soi-même. Ma poésie lutte pour défendre l’idée que l’injustice du monde, écrasante, ne doit pas nous faire renoncer à notre quête d’absolu. Il naît du rythme le plus pur que chacun.e porte en soi et c’est lui que j’imprime à mes textes. 



 

H.M – On entend dire souvent que la jeunesse est un continent qui ne cesse de s’éloigner de la vie politique et pourtant ce n’est pas du tout votre cas ?


 

S.A – Je pense qu’au contraire, l’état du monde et les injustices qu’il porte n’ont jamais autant concerné les jeunes. Leurs moyens de lutter ne sont peut-être pas les outils politiques traditionnels qui ont montré leurs faillites, qui déçoivent, dégoûtent et écrasent, mais les jeunes s’engagent par leurs vies alternatives, par leurs manifestations, par leurs initiatives de plus en plus éthiques et engagées pour créer un autre monde que le champ de ruine qui nous est offert. Je pense que l’urgence climatique et humanitaire à laquelle nous faisons face nous pénètre toustes, la jeunesse, désillusionnée, n’a d’autre choix que la révolte.  



 

H.M – Votre voix, votre énergie, votre corps et votre mémoire poétiques sont-ils plus vibrants sur les Terres de la Méditerranée ?


 

S.A – La mer Méditerranée me semble de plus en plus être la matrice de mes expériences. Avec le covid, j’ai eu moins l’occasion de la voir, et puis la pollution qui devient tangible avec des jours où le plastique est partout au milieu des algues l’a rendue plus précieuse, plus intime, comme les traversées malheureuses qui l’habitent tous les jours. Ce qui la menace me menace. Mon corps est réellement vivant à son contact et c’est lui qui crée mes mots et qui diffuse ma voix. Elle fait certainement résonner mon travail. 



 

H.M – ʺEt toujours nos corps ne nous appartiennent pasʺ, vous confirmez que vous êtes en état d’errance et de quête identitaire. C’est pour cette raison que vous écrivez ? 


 

S.A – Oui, certainement, l’écriture me permet de créer un lieu où je suis à ma place, là où ma francophonie pose problème dans la Tunisie qui m’a vue naître et où ma nationalité non-européenne limite la liberté de mon corps dans les espaces où je me sens plus adaptée. Alors, j’habite ma poésie et mes performances en créant un espace où je me sens libre au-delà des limites que le monde hypernormatif, bardé de frontières et de contrôles impose à mon corps et à beaucoup de corps minorisés. 



 

H.M – Sans peur et sans complexe, pour Sélima ATALLAH le danger viendra d’où ? 


 

S.A – Le danger vient de la division, du fait de ne pas se voir dans le visage de l’autre qui devient un moyen à chasser ou à exploiter plutôt qu’un être humain à accueillir dans la complexité de ses désirs. 



 

H.M – Quels sont les futurs projets de Sélima ATALLAH et vraiment ravie de vous avoir parmi nous ? 


 

S.A – Plusieurs recueils sont à paraître et je travaille à un projet de performance poétique rendant compte de l’errance d’un corps entre les lieux et les langues. Peut-être une traversée de la méditerranée, sûrement d’autres choses que je ne prépare pas encore et qui s’imposeront à moi au gré des rencontres et des circonstances. 

 

 

 

© Hanen Marouani, Sélima Atallah

 

______

 

 

Pour citer ces photographies & entretien inédits 

 

Hanen Marouani, « Portrait de Sélima Atallah  », Revue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels & fictifs », n°2, volume 1 & Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 « Les merveilleux féeriques féministe & au féminin », mis en ligne le 25 mai 2022. Url : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no2/megalesia22/hm-selimaatallah

 

 

 

Mise en page par Aude

 

 

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