Lettre n°15 | Eaux oniriques... | Textes poétiques thématiques | S'ndigner, soutenir, Lettres ouvertes, Hommages, etc. | Poésie féministe pour lutter contre les violences faites aux femmes
perdre la mer
Crédit photo : Édouard Debat-Ponsan (1847- 1913), La Vérité sortant du puits, domaine public, image trouvée sur Wikipédia.
je me souviens de l'angoisse dans mon ventre. quelques jours, quelques semaines après les viols. si je portais un enfant ? si je portais l'enfant de l'homme ayant volé mon corps de petite fille ? mon ventre était déjà plein d'une peine trop lourde pour mon corps. Chaque soir et chaque matin, je me déshabillais devant le miroir de plain-pied. je contemplais mon ventre de profil, de face, de trois quarts, pour constater un changement, ou son absence. je comptais sur mes doigts les jours me séparant de mes règles. puis les jours de trop. ceux que je n'aurais jamais dû compter. pourtant mon ventre ne grossissait pas. mon ventre était une mer tranquille, qu'aucune vague ne venait troubler. je pensais que, peut-être, l'enfant était aussi fragile que moi. aussi faible que je l'avais été. peut-être même que l'enfant avait la taille de mon amour, et qu'il ne grandissait pas. j'avais tellement honte. honte de porter un enfant. honte qu’à peine sortie de l'enfance, il faille donner naissance à mon tour. je ne voulais qu'une chose, c'était que l'enfant sorte de moi, qu'il me tue. je voulais mourir, et je voulais que ma mort l'emporte, comme les rouleaux des vagues m'attirent. je voulais noyer tout mon corps. laver chaque enfant de son angoisse, et de sa haine. mais je ne pouvais pas. je ne savais pas comment faire. comment donner la vie, alors que je mourrais. donner naissance alors que j'étais incapable de survivre.
cela ne te suffit pas de prendre mon corps
et de repartir, me laissant pour morte,
quelque part sur ton lit,
les volets clos contre mes larmes.
cela ne te suffit pas de prendre mon corps.
il faut que tu l'habites,
que tu l'occupes alors même
que tu n'es plus là.
quand je rentre seule le soir,
je me fonds dans un recoin de la chambre,
mes jambes contre mon torse,
je serre mon ventre si fort
pour qu'il ne grossisse pas.
je murmure dans une prière,
il n'y a pas la place pour deux enfants
dans mon corps*
* Ces deux poèmes contiennent une licence grammaticale portant sur le refus de la majuscule, nous les publions tels quels avec leur titre pour respecter la volonté de la poète, LPpdm.
***
Pour citer ces poèmes féministes pour lutter contre le viol
Houle, « perdre la mer », poèmes féministes inédits sur le viol, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le 25 janvier 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/houle-perdrelamer
Mise en page par David Simon
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