Section de la poésie engagée : "Féminismes, vies et œuvres engagées"
Portrait croisé.
George Sand et Louise Michel :
deux avant-gardistes féministes
du monde littéraire français
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Propos liminaires
Georges Sand et Louise Michel sont deux grandes figures littéraires féministes nourries des idées socialistes progressistes. L’une a combattu par la plume, l’autre, passionnée, modèle de dignité et de ténacité a mené sans concession une lutte acharnée contre l’injustice. Dans cette optique, nous nous proposons de faire ressortir les convergences et divergences dans leur cheminement. Cependant notre propos n’est pas de verser dans une analyse de contenu des œuvres des deux protagonistes, d’ailleurs très riches et abondantes, mais d’établir un parallèle entre les voies et moyens utilisés par ces deux femmes de lettres engagées dans la lutte contre l’injustice.
George Sand
Née à Paris le 1er juillet 1804, Amantine Aurore Lucile Dupin, fille de Maurice Dupin de Francueil et Sophie-Victoire Delaborde. Elle est l’arrière-petite fille du Maréchal Maurice de Saxe du côté paternel, donc elle est à cheval sur l’aristocratie et la classe populaire, ce qui la porte à dire :
On n’est pas seulement l’enfant de son père, on est aussi un peu, je crois, celui de sa mère. Il me semble même qu’on l’est davantage, et que nous tenons aux entrailles qui nous ont portés, de la façon la plus immédiate, la plus puissante, la plus sacrée. Or, si mon père était l’arrière-petit-fils d’Auguste II, roi de Pologne, et si, de ce côté, je me trouve d’une manière illégitime, mais fort réelle, proche parente de Charles X et de Louis XVIII, il n’en est pas moins vrai que je tiens au peuple par le sang, d’une manière tout aussi intime et directe ; de plus, il n’y a point de bâtardise de ce côté-là.
Dans sa généalogie, George Sand revendique la primauté de l’héritage de sa généalogie maternelle. Cela révèle aussi son attachement au matriarcat. Avec sa grand-mère bien-aimée Marie-Aurore de Saxe, Aurore Dupin, elle découvre Jean-Jacques Rousseau et se nourrit des lectures de Chateaubriand à travers le Génie du christianisme, de Montaigne, de Montesquieu, de Dante, d’Aristote, de Shakespeare, de Virgile et des philosophes comme Leibniz, Locke etc. Caroline la grande sœur maternelle d’Aurore Dupin se présente chez Marie-Aurore de Saxe sa grand-mère pour la chercher, elle se fait chasser sans ménagement par cette dernière. La petite Aurore, traumatisée par cette injustice, tombe malade.
Ayant eu recours à un subterfuge pour cacher son identité sexuelle afin de se prémunir du rejet du monde littéraire, elle devient George, synonyme de force dans la tradition berrichonne et Sand n’est que le raccourci du nom de son amant Jules Sandeau avec lequel elle a écrit Rose et Blanche, ou la Comédienne et la religieuse, paru en 1831 sous le nom de Jules Sand. Notons que c’est par l’entremise de ce dernier qu’elle fera la connaissance de Balzac. À l’instar de plusieurs femmes de lettres, elle se travestit donc en homme afin de déjouer le poids de la condition féminine au XIXème siècle qui pèse sur les femmes.
Louise Michel
Louise Clémence Demahis dite Louise Michel est née au Château de Vroncourt, canton de Bourmont en Haute-Marne, le 29 mai 1830 de Marianne Michel, femme de chambre des châtelains Demahis. La belle Marianne aurait été surprise, en pleurs, par la châtelaine qui insista pour savoir la raison de son chagrin. Et Marianne d’avouer qu’elle était enceinte de Laurent, le fils de cette dernière. La rumeur voulait que Laurent eût subi cette paternité pour protéger son père, Étienne Charles Demahis qui finit par l’expulser du château.
Louise Michel reçoit une éducation solide mais libérale dans une ambiance voltairienne, sous la houlette de son grand-père, avocat républicain à la retraite, humaniste et fin lettré, et de sa grand-mère adorée qui l’initie à la musique et à la poésie, sans abstraire sa proximité avec sa mère Marianne. Notons qu’à l’époque l’école n’était pas encore accessible aux filles et qu’il eut fallu attendre 1850. À la mort de son grand-père, elle avait 15 ans et voulait se faire religieuse. C’est à la mort de sa grand-mère Charlotte Maxence Porquet Demahis que sa vie va basculer. Désespérée, elle lance ce cri de détresse :
Hélas ! Pourquoi ces jours ont-ils passé si vite ?
Déjà tu restes seule et sur ton front serein
J’ai peur de voir une ombre et que tu ne me quittes.
Comme au jour où l’aïeul mourut, tenant ma main,
Je me sens frissonner ; mon âme se délite
Sous le vent glacé du destin.
À la mort de sa grand-mère est chassée du Château de Vroncourt par sa belle-mère. Elle dilapida son héritage financier en jouant la bonne samaritaine, elle se retrouva sans ressource, aussi s’écria-t-elle : « Me voilà arrachée à mon repos et jetée dans un océan orageux, sans avoir, sans ressources mais avec du courage, de la jeunesse et une grande croyance en Dieu… »
À Cherbourg, elle va se rendre à l’évidence de la triste réalité de la condition ouvrière et c’est de là que va naître chez elle le déclic révolutionnaire. Elle exerce avec passion son métier d’institutrice dès janvier 1853 dans la maison Causelle, rue de Ham à Audeloncourt en Haute-Marne. À la rentrée de 1857, grâce à l’aménité de son ami Fayet, Louise trouvera une place d’institutrice dans la pension de Mme Vollier, rue du Château d’Eau à Paris. Elle dilapide son maigre salaire dans l’achat des livres et au profit des défavorisés. Mue par l’esprit républicain, en 1865, elle se révolte contre la misère environnante et commence à porter un regard réprobateur sur Napoléon III.
Contrairement à Louise Michel, George Sand convola avec François-Casimir Dudevant. Le 17 septembre 1822 dont elle eut deux enfants Maurice et Solange (qui dit-on, serait la fille de Stéphane Ajasson). Notons qu’à l’époque le mariage enfermait les femmes dans une position de mineure, le divorce n’existant pas encore (après sa suppression par Napoléon I), une séparation de corps sera prononcée le 16 février 1836 par le Tribunal de la Châtre pour motifs « injures graves, sévices et mauvais traitements » reconnus.
Si l’une et l’autre se révoltent contre les injustices sociales, il existe toutefois des divergences dans leur engagement politique.
À la proclamation de la IIIème République, George Sand se mobilise en faveur des condamnés et prisonniers politiques en intervenant auprès de Napoléon III. Ainsi, elle entreprend de multiples démarches en leur faveur, au cours des mois de janvier et février 1852. Cependant en 1871, elle n’a pas hésité à rejoindre les écrivains qui condamnent la Commune de Paris comme Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Alphonse Daudet, Émile Zola, Leconte de Lisle et ose même critiquer Victor Hugo. Elle plaide pour une amnistie générale, mais sa tentative n’aboutira pas.
George Sand va jusqu’à s’exprimer en ces termes : « Les exécutions vont leur train. C’est Justice et nécessité », propos qu’elle justifiera dans le Journal Le Temps. À la faveur de la chute de Louis-Philippe et aux termes de la Monarchie de juillet le 24 février 1848, George Sand s’illustra par un engagement politique actif en créant La cause du peuple, Le bulletin de la République et l’Éclaireur de l’Indre.
L’échec de la Révolution et l’arrestation massive des députés dont Adolphe Thiers sonnent le glas de sa militance politique et la plongent dans la désillusion. Confrontée à la censure de la presse, elle se retranche dans ses écrits littéraires pour faire passer ses messages à travers ses romans, le théâtre et ses correspondances.
George Sand, anticléricale à l’égal de Louise Michel a reçu tout comme elle une éducation basée sur la foi chrétienne qui s’est modifiée à la faveur de l’esprit des Lumières. Aussi s’insurge-t-elle contre le clergé qui porterait « un voile mensonger sur la parole du Christ, une fausse interprétation des sublimes Évangiles, et un obstacle insurmontable à la sainte égalité que Dieu promet, que Dieu accordera aux hommes sur la terre comme au ciel ». L’ancienne pensionnaire du couvent des Augustines anglaises collaborait au Journal Le Monde fondé par Lamennais, le démocrate chrétien dont elle disait : « Nous vous comptons parmi nos saints... vous êtes le père de notre Église nouvelle ». Elle partageait aussi les idées de Leibniz et de Saint-Simon sans se réclamer ouvertement de la doctrine de ce dernier. La libération de la femme devenait la toile de fond de son roman Indiana (1832). À l’époque elle venait de se séparer de son mari. Elle récidivait avec Valentine paru la même année et Lélia (1833). Ce sont des romans dits féministes. La question sociale sera également son cheval de bataille. Cela dit dans Lettre à Guéroult en date du 20 octobre 1835, tome III p.73, on peut lire ce qui suit :
Je vous dis, moi je ne connais et n’ai qu’un principe : celui de l’abolition de la propriété. Voilà en quoi j’ai toujours vénéré le saint-simonisme.
Souscrivant à un mysticisme énergique, elle avançait :
[…] je révère ceux qui, dans ce siècle maudit n’ont subi aucun entraînement vicieux, et qui se retirent dans une vie de méditation et de recherche pour rêver le salut de l’humanité. Mais je crois qu’avec la moindre vertu mise en action et soutenue par une certaine énergie, on en ferait plus qu’avec toute la sagesse des nations délayées dans les livres.
Républicaine et socialiste en 1848, elle n’avait pas hésité à rejoindre en 1871 les écrivains qui condamnaient la Commune de Paris, comme Gustave Flaubert, Edmond de Goncourt, Théophile Gautier, Maxime Du Camp, Charles Marie René Leconte de Lisle, Alexandre Dumas fils, Ernest Renan, Alphonse Daudet, Ernest Feydeau et Émile Zola.
Entre temps Louise Michel, personnage emblématique de la Commune, surnommée la « Vierge rouge », s’active, pose des barricades. Elle sera arrêtée et condamnée à mort. Radicalement opposé à la peine capitale, Victor Hugo, sans approuver ses agissements, va intervenir en sa faveur pour obtenir sa libération.
Louise Michel, rebelle et généreuse
En 1851, âgée de 21 ans, elle fit ses premiers pas dans le journalisme dans L’Écho du peuple de Chaumont sous un prénom masculin comme Gorge Sand en signant Michel Demahis. Figure emblématique de la commune de Paris, Louise Michel prenait parti pour les petites gens, défendait les minorités, les noirs de la Nouvelle Calédonie, les déportés algériens. C’est une âme rebelle et généreuse qui n’hésiterait pas à donner sa vie pour la cause qu’elle défendait. À ce compte la mort ne lui serait pas moins une apothéose. Il n’est pas toujours facile de s’accuser d’une faute qu’on n’a pas commise mais elle l’avait fait sans hésitation. « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi », déclara-t-elle le 16 décembre 1871 devant le tribunal militaire. Quelle bravoure ! Victor Hugo la magnifia en lui consacrant un poème intitulé son poème Viro Major (Plus grand qu’un homme), dont voici des extraits :
Ayant vu le massacre immense, le combat
le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles.
Tu faisais ce que font, les grandes âmes folles
Et, lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais : « J’ai tué ! » car tu voulais mourir.
Ou encore :
Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith la sombre Juive, Aria la Romaine
Eussent battu des mains pendant que tu parlais.
Tu disais aux greniers : « J’ai brûlé les palais ! »
Tu glorifiais ceux qu’on écrase et qu’on foule.
Tu criais : « J’ai tué ! Qu’on me tue ! – Et la foule
Écoutait cette femme altière s’accuser.
Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser ;
Ton œil fixe pesait sur les juges livides :
Et tu songeais, pareille aux graves Euménides.
George Sand : une vie littéraire intense et une vie sentimentale agitée
Elle mena une vie littéraire très intense et reçut tant dans son domaine de Nohant qu’à Palaiseau des personnalités très variées comme Franz Liszt, Frédéric Chopin, Marie d’Agoult (connue sous le pseudonyme de Daniel Stern), Honoré de Balzac, Gustave Flaubert Eugène Delacroix cependant ce n’était pas sans affronter la misogynie de nombre de ses congénères comme Charles Baudelaire, Jules Barbey d’Aurevilly. Elle avait une vie sentimentale agitée découlant probablement de l’échec de son mariage contracté à l’âge de seize ans. Aussi fustigea-t-elle le mariage.
Condamnant vivement La Commune, elle justifiait sa position dans le journal Le Temps en posant des arguments conservateurs car elle y voyait un moyen de saper les bases de la République naissante. Elle préféra proposer « L’éducation pour tous » comme alternative à la Commune. Loin de la remettre en question, les critiques ont préféré privilégier son autorité littéraire, son ascendant sur les écrivains de sa génération en tant que femme, à savoir la place qu’elle avait su occuper à leurs côtés et pour avoir su s’imposer à ses détracteurs.
Cela dit, à Balzac elle inspira les Galériens ou les Amours Forcés signifiant l’idylle entre Franz Liszt et Marie d’Agoult. Cette dernière est campée sous les traits de Béatrix, (le titre éponyme du roman) et le compositeur sous celui de Conti, paru dans la Collection de La Comédie humaine, roman où George Sand est représentée par Camille Maupin. En 1862, elle fut la seule femme à être admise au traditionnel dîner Magny réunissant le gratin du monde intellectuel comme Ernest Renan, Augustin Sainte-Beuve sans oublier Gustave Flaubert, son fidèle ami ainsi que des scientifiques et des journalistes.
George Sand laisse une œuvre foisonnante qui compte plus de soixante-dix romans, cinquante volumes d’œuvres diverses dont des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et des textes politiques. Elle a publié environ quatre-vingt-dix titres évoquant pour la plupart le Berry sans compter ses correspondances d’écrivain, comprenant plus de quarante mille lettres connues et recueillies entre 1812 et 1876.
Qu’en est-il de Louise Michel ?
Tout aussi polyvalente que George Sand, sociétaire de l’Union des poètes, Louise Michel a écrit des romans, des nouvelles, des poèmes, des contes pour enfants, des essais, des opéras, des opérettes, des mémoires, des chansons, une encyclopédie et des pièces de théâtre, dignes d’intérêt mais pour la plupart inédits. Vingt-sept titres ont été publiés de 1861 à 1898. treize œuvres posthumes entrent dans sa bibliographie. Ses œuvres se trouvent dispersées à Amsterdam, à Moscou et aussi au Musée de l’histoire vivante à Montreuil, lequel abrite cent cinquante-cinq pièces de l’écrivaine.
Institutrice très avant-gardiste et boulimique des savoirs, elle se forme sur tous les fronts et participe à des réunions à caractère social. Ainsi se développe sa conscience politique. C’est dans la lecture des Misérables que l’ancienne royaliste trouvera sa voie. Mue par l’esprit républicain, en 1865, elle se révolte contre la misère environnante et commence à porter un regard réprobateur sur Napoléon III. En 1871, elle collabore au Cri du peuple fondé par Jules Vallès et Pierre Denis.
Déportée en Nouvelle Calédonie en 1873, elle fait la connaissance de Henri de Rochefort et prend parti pour les autochtones et crée Petites Affiches de la Nouvelle-Calédonie et édite Légendes et chansons de gestes canaques. Ses correspondances entreprises depuis l’âge de quinze ans avec Hugo sous le nom de Enjolras, se poursuivirent jusqu’au moment de sa retraite à Guernesey. C’était l’époque où elle écrivait La Marseillaise noire, véritable chant de guerre :
La nuit est courte et fugitive
En avant tenons-nous la main
Garde à toi citoyen qui vive
Républicain républicain
Entendez-vous les cris d’alarme
Écoutez gémir le tocsin
Lève-toi peuple aux armes aux armes
Elles ont toutes les deux défendu les valeurs féministes
Pour Louise Michel, féministe avant la lettre : « La question des femmes est […] inséparable de la question de l’humanité » ou encore : « Notre place dans l’humanité ne doit pas être mendiée, mais prise. » (Cf. L’histoire de ma vie). Son militantisme ne lui laissait guère de place pour une vie privée sinon équilibrée du moins connue et non plus le temps de vivre de sa plume. Cela ne lui valait-elle pas le surnom de la Vierge rouge si bien qu’elle aurait eu un enfant caché de Victor Hugo. Cet enfant de sexe féminin, prénommé Victorine aurait grandi sous le sceau du secret pour ne pas nuire à l’éminence de la personnalité du poète et homme politique qu’elle admirait tant et qui l’aurait trahie, si l’on en croit les révélations du journaliste et écrivain Yves Murie, descendant même de Victorine. (Cf. L’enfant de la Vierge rouge, L’Harmattan, 2002, 288 p.)
Les deux femmes étaient reconnues et vénérées de leur vivant pour leurs engagements politiques respectifs. Quant à Louise Michel, elle avait préféré enseigner dans des écoles publiques libres au lieu de prêter serment à Napoléon III qui fut un ami de George Sand et qui l’accompagna jusqu’à sa dernière demeure. Pour saluer la mémoire de George Sand, le poète et critique anglais Matthew Arnold avance dans un article commémoratif : « L’immense vibration de la croix de George Sand dans l’oreille de l’Europe ne s’éteindra pas de si tôt. On a abondamment parlé de ses passions et de ses erreurs. Elle les a laissés derrière elle et le monde l’oubliera. Ce que l’humanité retiendra d’elle, ce sera le sentiment d’avoir bénéficié du passage sur cette terre de cette grande et franche nature, d’avoir été stimulé par cette vaste et pure expression, l’expression des dieux primitifs ». Cf. (« George Sand », Mixed Essays New York, 1901, p.240-260). Après la lecture de ses romans : Indiana, Jacques et Lelia, le critique littéraire italien Giuseppe Mazzini ne tarit pas d’éloges en faveur de la romancière en affirmant : « Tout le monde reconnaît que du point de vue de la langue, du style, de la forme et de l’imagination, elle est la deuxième des écrivains français contemporains. Elle serait la première si Lamennais n’était pas encore vivant » (Cf. G. Mazzini, Scritti editti. Epistolario vol. XVIII, Imola Galeati, 1921, 16 juin 1837). Histoire de donner écho à la cause italienne en France, l’Italie étant à l’époque un pays morcelé et où la place de la femme était encore dans la sphère domestique.
En résumé, on peut dire que George Sand et Louise Michel sont deux femmes de lettres d’exception qui avaient en commun la vénération de leurs grands-mères maternelles respectives par qui elles furent élevées. Elles admiraient toutes les deux l’œuvre de Victor Hugo. George Sand entretenait une grande amitié épistolaire sans jamais le rencontrer contrairement à Louise Michel qui l’aurait rencontré une seule fois au temps de sa jeunesse. Elles militaient toutes les deux pour une société égalitaire et sans clivage. Elles ont légué toutes les deux une œuvre très abondante à la postérité. Si George Sand avait fait des concessions en matière politique quant à Louise Michel, elle avait défendu ses idées jusqu’au bout et sans concession donc elle était restée égale à elle-même politiquement jusqu’à sa mort. Son engagement politique a en quelque sorte occulté sa carrière de femme de lettres si bien que seul le titre de communarde lui est connu aujourd’hui par plus d’un. Elles avaient toutes les deux soutenu et accompagné les plus faibles : George Sand n’avait pas hésité à voler au secours des comédiens en détresse et Louise Michel à ôter son jupon pour l’offrir à une pauvresse. Elles restent toutes les deux attendrissantes de bonté. C’était deux belles âmes, chacune à sa façon. Leurs œuvres respirent leurs actes et leurs idées.
On conviendra donc que le mode opératoire des deux écrivaines diffère. Louise Michel est allée plus loin que George Sand dans ses actes révolutionnaires, ce qui lui a valu l’étiquette de « Pétroleuse » alors que le nom de George Sand est resté lié à sa propriété dans le Berry d’où son surnom : « la Dame de Nohant ».
Atteinte d’une occlusion intestinale George Sand expire le 8 juin 1876 à Nohant et l’accompagnent à ses funérailles le 10 juin suivant son ami Flaubert, Alexandre Dumas Fils et le Prince Napoléon. Louise Michel meurt d’une pneumonie à Marseille au cours d’une Tournée de conférences dans le sud de la France. Son corbillard est suivi par une foule de cent-vingt-mille au cimetière de Levallois.
Nous parachevons cet article en rééditant La Reine Mab, un des rares poèmes de George Sand, paru pour la première fois le 15 décembre 1832 dans les Soirées littéraires de Paris, un album de fines gravures de Madame Amable Tastu.
La Reine Mab
(Ballade)
Chasseur, sur cette plaine
Que vois-je donc venir ?
Dans la nuit incertaine
Qui peut ainsi courir ?
Quelle rumeur profonde
S’élève dans les airs !
Est-ce du sein de l’onde
Que partent ces concerts ?
Ces vivantes nuées,
Ami, c’est le sabbat ;
Des follets et des fées
C’est l’essaim qui s’ébat.
Ils escortent leur reine,
Mab, aux cheveux dorés,
Dont le pied couche à peine
L’herbe fine des prés.
Vois-tu, c’est la plus belle
Parmi les fils de l’air.
Plus d’un barde pour elle
Souffre un tourment amer.
Oh ! crains qu’elle te montre
Seulement son pied blanc ;
Ou songe, à sa rencontre,
À te signer, tremblant.
À son regard perfide
Ne va pas t’exposer.
Ici-bas la sylphide
Ne saurait se poser.
Pétulante et menue,
L’air est son élément ;
Elle enfourche la nue
Et chevauche le vent.
Quand la lune se lève,
Sur le pâle rayon
Elle vient comme un rêve,
Dansante vision.
Le duvet que promène
Le souffle d’un lutin
Est le char qui l’emmène
Au retour du matin.
Au bord des lacs humides,
Dans la brume des soirs,
De ses ailes rapides
Effleurant les flots noirs,
Sur un flocon d’écume
Que le vent fait voguer,
Molle comme une plume,
Elle aime à naviguer.
Lorsqu’à grand bruit l’orage
Court sur le bois flétri,
La fleur d’un lis sauvage
Souvent lui sert d’abri :
La tempête calmée,
Elle prend son essor,
Et s’envole embaumée
D’une poussière d’or.
Au nid de l’hirondelle
Qui pend sous le rocher,
Parfois, pliant son aile,
On la voit se cacher ;
Puis, s’élançant comme elle
Sur les flots en fureur,
Rire à la mer cruelle,
Où sombre le pêcheur.
En vain de son passage
Sur l’Océan vermeil
J’ai cherché le sillage
Au lever du soleil,
La grève de sa trace
Ne peut rien retenir ;
D’elle, hélas ! tout s’efface,
Tout, hors le souvenir !
Le pieux solitaire
À cru souvent, la nuit,
Voir sa forme légère
Glisser dans son réduit ;
Mais, loin qu’il l’exorcise,
À son regard si doux,
Pour un ange il l’a prise,
Et s’est mis à genoux.
Du chasseur téméraire
Elle égare les pas,
Et rase la bruyère
En lui tendant les bras ;
Sur la mare trompeuse,
Qu’elle effleure sans bruit,
Elle l’attend, moqueuse,
L’y fait choir, et s’enfuit.
Mais, dit-on la diablesse,
Soit caprice ou remord
Parfois d’une caresse
Tient en suspend la mort.
Eh bien ! Mab est si belle,
Qu’on me verrait courir
Après un baiser d’elle,
Quand j’en devrais mourir !
(George Sand, La Reine Mab, ballade, ce poème a été transcrit par Maggy de Coster)
Bibliographie partielle de George Sand : Indiana (1832) ; (Le Compagnon du Tour de France) ; Mauprat (1837) ; Consuelo (1843) ; Le Meunier d’Angibault (1845) ; La Mare au diable (1846) ; François le Champi (1848) ; La Petite Fadette (1849) ; Les Maîtres sonneurs (1853) ; Histoire de ma vie (1855) ; Les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858)
Bibliographie partielle de Louise Michel : Misère, roman (1886, avec J. GUETRE) ; Les Microbes, roman (1886 et suiv.) ; Nadine (drame, 1882) ; Le Coq rouge (drame, 1888) ; Je vous écris de ma nuit : correspondance générale de Louise Michel 1830-1905, éd. de Paris (1999) ; Plus de mille 1000 correspondances et réponses. ; Histoire de ma vie (autobiographie), texte établi et présenté par Xavière Gauthier, Presses universitaires de Lyon, 180 p, tome I, juin 2000 ; Le livre de bagne, précédé de Lueurs dans l’ombre, plus d’idiots, plus de fous (écrits sur l’enfermement asilaire et carcéral) et Le Livre d’Hermann, présenté par Véronique FAU-VICENTI, Presses universitaires de Lyon, 150 p, oct. 2000.
Cet article est également classé dans le Calepin des personnes d'exception
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Pour citer ce texte
Maggy de Coster, « Portrait croisé. George Sand et Louise Michel : deux avant-gardistes féministes du monde littéraire français », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Encyclopédie évolutive de la poésie mineure (ou des femmes et du genre en poésie) de la SIÉFÉGP, section de la poésie engagée : « Féminismes, vies et oeuvres engagées », [En ligne], mis en ligne le 31 août 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/portrait-sand-michel
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