N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Critique & réception & REVUE ORIENTALES (O) | N°2-1 | Critiques poétiques & artistiques & [Nouvelle rubrique]
Imèn Moussa
Il fallait bien une racine ailleurs,
Éditions l’Harmattan, 2020, 144 pages, 15€
© Crédit photo : Première de couverture illustrée du recueil de la poète Imèn Moussa, Il fallait bien une racine ailleurs, Éditions l’Harmattan, 2022.
Dans un style poétique savoureux, la poète supplie sa mère d’adresser une requête à [son] Dieu afin qu’Il transforme son être qu’elle ne trouve pas trop à son goût.
D’entrée de jeu, elle déclare :
« Maman,
Demande à ton Dieu de me recustomiser sans trop de grains
cette fois,
Je veux être comme toutes celles… »
« Pour que je ne me laisse jamais apprivoiser par le diable ni par l’ange trop parfait »
N’est-ce pas Pascal qui dans « Les Pensées » énonce que « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut qui veut faire l’ange fait la bête. »
« En chacun de nous il y a cette bête en sang », avoue la poète qui se refuse à être parfaite mais veut trouver le juste milieu, car elle est celle qui évite de tomber dans l’excès en usant de la mesure.
Ne pas céder non plus aux menaces mais y échapper :
« Sans grain de malice sous mon oreiller,
Pour que je dise non aux menaces qui font trembler mes jours d’après. »
Elle a appris aussi à « domestiquer les mots » pour les utiliser comme un outil cathartique. Ainsi, en mettant des mots sur ses maux, elle évacue sa douleur de femme assoiffée de liberté.
« Les mots nous recousent
Il faut tenter cent vies pour trouver la bonne
Moi j’ai pris le risque du mot »
Ou encore :
« Nous avons pris le chemin des mots muets.
On regarde parfois en arrière pour voir dans chaque naufrage l’éclosion
de nos imperfections »
« Tout passe et rien ne demeure », nous enseigne Héraclite. Elle sait bien jongler avec les circonstances de la vie en se métamorphosant en séquoia cet arbre à large carrure pour mieux laisser glisser les épreuves et puis en papillon, cet être aérien, symbole de liberté, qui butine de fleur en fleur sans se laisser agripper ou attraper :
« J’étais un séquoia pendant soixante-dix ans
Je me suis transformée en papillon pour ne vivre qu’un jour
dans le vent »
Et pour cause on convient avec elle que « rien n’est plus difficile que la liberté. »
Selon Churchill : « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. »
Et la poète de faire état de la persistance de la mémoire en arguant que :
« Toute chose s’arrête sauf la mémoire. »
Pour elle, la mémoire est têtue, elle résiste à tous les coups. Elle ne se laisse guère anéantir par l’oubli.
Une maison a un statut existentiel. Comme lieu de vie, elle renferme le vécu de ses occupants. Qu’on se rappelle ces vers de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
Et Imèn Moussa d’avancer :
« Il n’existe pas une maison dont les murs ne soient rongés
par le regret. »
Sans conteste, « Ça respire une maison. » donc « Ça vit une maison. »
Femme-univers, elle s’ouvre à toutes les cultures, liberté est sa mère :
« Jah bat le tambour d’une prophétie
L’Éthiopie ma maison désirée,
Vivre et mourir
Vivre et mourir, sur la terre des appelés,
Jah est rentré. »
Quand les postures, les vues et la foi divergent des coups pleuvent sans cesse sur son corps de femme :
« Je ne t’ai pas quitté par manque d’amour mon amour
Mais lorsque tes coups commencèrent à pleuvoir sur moi
J’ai compris que ta foi n’était plus ma foi »
Ce recueil de poèmes retrace aussi le pâle quotidien des désenchantés d’ici et d’ailleurs. Ceux qui, n’entrant pas dans la bonne case sociale, sont sans perspective d’avenir. Ils ne font que tourner en rond. Et là-bas, même les diplômés ne sont pas épargnés par l’oisiveté :
« De ses études de lettres arabes, il ne lui restera que les vers d’un jeune poète :
Si le peuple veut un jour la vie… »
Quant à la femme, elle est une quantité négligeable, absente des statistiques. Selon la poète :
« Parce que femme, elle : « Tôt ou tard, la maison de son mari la sauvera. »
Elle a l’amour du pays chevillé au corps car elle rêve encore du bleu de ses eaux. Nostalgique elle, évoque les odeurs, les saveurs qui lui manquent, cependant elle ne saurait déroger au droit de vivre libre, ce droit inhérent à tout être humain. Aussi a-t-elle fait le choix de partir et se départir de ses racines sans les oublier pour autant.
Donc « Il fallait bien une racine ailleurs ».
© Maggy DE COSTER
© Crédit photo : Quatrième de couverture avec un portrait photographique de la poète Imèn Moussa, Il fallait bien une racine ailleurs, Éditions l’Harmattan, 2022.
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Pour citer ce texte inédit
Maggy De Coster, « Imèn Moussa, Il fallait bien une racine ailleurs, Éditions l’Harmattan, 2020, 144 pages, 15€ », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », Revue Orientales, « Les voyageuses & leurs voyages réels ou fictifs », n°2, volume 1, mis en ligne le 15 février 2023. URL :
http://www.pandesmuses.fr/periodiques/no13/orientales/no2/mdc-racineailleurs
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