N° 10 | Célébrations | Dossier mineur | Florilège | Poésie des ancêtres
Dédicace, À ma patrie,
En traîneau & Avenir
Poèmes choisis & transcrits pour cette revue par Dina Sahyouni
Crédit photo : Portrait de la femme de lettres Hélène Vacaresco, photographie, image de Commons.
Référence livresque :
Les textes reproduits ci-dessous proviennent du recueil de poèmes de VACARESCO, Hélène (1864-1947), Chants d'aurore, 2e éd., Paris, Alphonse LEMERRE éditeur, 23-31 Passage Choiseul, MDCCCLXXXVI/1886. L'œuvre est dédiée à sa mère (voir l'exergue) et appartient au domaine public.
La femme de lettres :
Hélène Vacaresco, née le 21 septembre 1864 à Bucarest, décède le 17 février 1947 à Paris. On constate non sans étonnement que cette écrivaine de renommée devient méconnue de nos jours.
Elle est romaine et française, essayiste, journaliste, poète, diplomate, traductrice et lauréate de l'Académie française. Elle était la présidente d'honneur de l'Académie féminine de lettres et la première femme élue au sein de l'Académie Roumaine.
Poèmes choisis :
Dédicace
Je viens de loin, ô douce France,
Pour t'apporter timidement
Mes doutes et mon espérance
Et mon premier balbutiement.
Dis à ceux qui peut-être même
N'en voudront pas avoir pitié,
Que j'ai vingt ans et que je t'aime,
Que ce livre t'est dédié ;
Sois-lui, de grâce, hospitalière,
Entrouvre-lui ton sein puissant,
D'ailleurs je te promets de faire
De meilleurs vers en vieillissant.
À ma patrie
Si je te deviens étrangère,
Si ma chanson pour s'essayer
N'a pas choisi la langue chère
Que l'on parle autour du foyer,
Celle qui vient, lorsque je prie,
Sur mes lèvres tout doucement,
Pourras-tu jamais, ô Patrie !
Le pardonner à ton enfant ?
Voudras-tu seulement entendre
Mes vers et les bénir tout bas
Comme tu bénis, grave et tendre,
Tes guerriers avant les combats ?
En traîneau
Dieu ! que je voudrais aller avec toi
Au pays du Nord, au pays des neiges,
Vers ces lointains blancs pleins de sortilèges,
Ces grandes forêts où plane l'effroi.
Dieu ! que voudrais aller avec toi
Au pays du Nord, au pays des neiges.
Je sais que là-bas l'on glisse en traîneau
Longtemps, bien longtemps sur une mer blanche,
Le manteau des bois tombe en avalanche
Sur la fleur qui pousse au pied du bouleau.
Je sais que là-bas l'on glisse en traîneau
Longtemps, bien longtemps sur une mer blanche.
Pour rythmer le bruit furtif du baiser,
Nous aurions le son des clochettes grêles.
Tout ce qui frémit dans les branches frêles,
Tout ce que l'hiver ne peut apaiser
Se joindrait au son des clochettes grêles
Pour rythmer le bruit furtif du baiser.
Qu'importe le vent qui pique et qui cingle !
Nous avons assez d'amour dans les yeux,
On ne craint l'hiver que lorsqu'on est vieux,
Et sous ses aigus et vifs coups d'épingle,
Pour braver le vent qui pique et qui cingle
Nous avons assez d'amour dans les yeux !
Dans la steppe immense, infiniment blanche,
Il serait si doux de croire un moment
À l'éternité du divin calmant
Qu'en nous l'amour pur et sans borne épanche,
Pareil à la steppe infinie et blanche,
Il serait si doux d'y croire un moment.
Viens donc avec moi sous le ciel farouche
Au pays que j'aime, au pays du Nord ;
Qu'importe le vent qui cingle et qui mord,
Ton souffle chéri frôlera ma bouche,
Au fond du traîneau, sous le ciel farouche,
Au pays que j'aime, au pays du Nord !
(pp. 26-28)
Avenir
Les poètes futurs, bien plus heureux que nous,
Verront l'humanité pieuse à deux genoux
Bénir dans leurs chansons avec joie écoutées,
Le doux accouplement des rimes veloutées.
Leurs ailes s'ouvriront brillantes au grand jour,
La foule sur leurs pas portée avec amour
Couronnera leurs fronts de lauriers et de roses,
Leurs vers retentiront dans leurs apothéoses !
Mais je vivrai pas dans ces âges lointains
Dont nos temps orageux ne sont que les matins,
Et pour précipiter mon voyage au but sombre,
Déjà quelque embryon qui s'ébauche dans l'ombre,
Paupière impatiente avide du réveil,
Songe à me déloger de ma place au soleil.
Il doit, (le monde est fait de ces tristes échanges),
Chercher dans mon linceul à se tailler des langes.
Comme on entend de loin, d'abord soupir confus,
Grossir bientôt la voix menaçante du flux,
J'entends, sans redouter son croissant voisinage,
Le grand flux de la mort qui monte vers la plage.
Ô Muse souriante, à d'autres tes baisers,
Tes doigts d'or, sur mon luth un seul instant posés,
Pour d'autres frémiront dans les nuits extatiques,
Lorsque j'irai dormir sur la foi des cantiques,
En rêvant que les jours seront bien tard venus
D'une immortalité sous des cieux inconnus ?
(pp. 119-120)
***
Pour citer ces poèmes
Hélène Vacaresco, « Dédicace », « À ma patrie », « En traîneau » & « Avenir », poèmes extraits de VACARESCO, Hélène (1864-1947), Chants d'aurore (1886). textes choisis & transcrits par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne-Hiver 2021-2022 « Célébrations », mis en ligne le 1er janvier 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no10/hv-avenir
Mise en page par Aude
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